Oxmo Puccino : « Le rap est encore une musique jeune »
Interview

Oxmo Puccino : « Le rap est encore une musique jeune »

Le temps passe vite, ça n’est pas à Oxmo qu’on l’apprendra. Alors, on vous laisse imaginer à quelle vitesse filent trente minutes face au Black Jacques Brel. Pour l’occasion, on a décidé de s’attarder sur « L’arme de paix », album qui se bonifie au fil des écoutes et qui, assurément, méritait d’être davantage décortiqué.

, et Photographie : Photoctet

Abcdr : Lors de notre précédente interview, tu décrivais ton premier album comme un « enfant gâté », alors que le deuxième était « très difficile ». Comment compares-tu l’expérience « L’arme de paix » par rapport aux autres ?

Oxmo Puccino : Comment je positionne L’arme de paix ? [Il hésite longuement] Je positionne cet album comme un grand-frère qu’on attend longtemps, qui plane, de qui on s’inspire sans le savoir…Et quand finalement on grandit, on se rend compte que c’était lui le modèle, le grand-frère. Voilà comment je vois L’arme de paix. C’est quelque chose que je m’imaginais, que j’avais comme objectif et que j’ai atteint sans m’en rendre compte. C’est comme si j’étais dans ma montagne en train d’escalader les rochers pendant longtemps et que, tout d’un coup, je m’étais rendu compte que j’étais au sommet mais que je n’avais pas pris le chemin le plus évident.

C’est comme ça que je considère L’arme de Paix parce que c’est ce que j’ai toujours voulu atteindre en termes de fidélité musicale et émotionnelle. Je n’étais pas parvenu à faire ce que je voulais à l’époque du deuxième album, à l’époque du Cactus de Sibérie. Je n’en avais pas les moyens. Regarde un titre comme ‘Demain peut-être’. Il est très inexact, il est un peu faux, un peu crié…

A : C’était aussi le charme de tout cet album…

O : C’est vu comme du charme avec du recul mais sur le coup…Ce sont aussi des morceaux que je mettais une journée à poser en studio. Aujourd’hui, ça me prendrait deux heures. A l’époque, je n’arrivais jamais au bout de la course et c’est d’ailleurs ce qui m’avait poussé à recommencer sur l’album suivant.

A : Justement, on a l’impression que tu avais « L’arme de paix » en tête depuis un moment. Toujours lors de notre précédente interview, tu disais que tu voulais tendre vers du Aznavour pour ton prochain disque et trouver un bon « mélange entre profondeur et légèreté ».

O : Ça n’est pas une surprise puisque c’est quelque chose que je dis depuis longtemps. Justement, c’est peut-être la difficulté à le concrétiser qui rendait le discours flou mais le tout est de travailler pour y arriver.

A : Tu vois l’album comme une sorte de grand frère. Je pense qu’il y a deux grilles de lecture avec cet album. Tu avais des phrases extrêmement douloureuses vis-à-vis du monde qui t’entourait sur tes précédents albums (« ce monde n’est pas le mien même si j’m’en sors bien ») et j’ai l’impression qu’en effet, tu sembles plus à l’aise avec ça. Est-ce qu’il s’agit d’une forme de maturité ou est-ce qu’au contraire tu aurais opéré une forme de retour vers le futur en injectant un peu plus de naïveté et d’insouciance dans tes textes ?

O : A l’époque, ma manière d’appréhender le monde était tellement réelle qu’elle en devenait inacceptable. J’ai dû composer avec le temps, changer de point de vue d’observation pour mieux accepter la réalité et ça se ressent dans le texte. A l’époque, j’aurais pu te dire « le mec s’est pris une balle dans la tête, il s’est noyé dans son sang« . Aujourd’hui, je dirais « sa tête est percée et l’hémoglobine se répand sur le sol« , quelque chose comme ça. C’est pas tout à fait la même chose mais c’est le même cas de figure. Maintenant, j’arrive à me positionner de telle sorte à avoir un point de vue moins horrible de la situation.

A : On retrouve cette évolution dans ton rapport à l’amour. Tu en as toujours beaucoup parlé, tu as intitulé ton deuxième album « L’amour est mort »…Et sur « L’arme de paix », tu as une vraie chanson d’amour avec ‘J’te connaissais pas’.

O : C’est pas de l’amour. Il y a quelque chose que j’aime bien dire en concert. On chante souvent celui qui cherche l’amour, celui qui l’a perdu, celui qui ne l’aura jamais, celui qui a un coup de foudre mais, au fond, ça n’est pas sérieux. Ça fait toujours appel à une personne qui souffre et qui veux l’autre. Tandis que ‘J’te connaissais pas’ se situe après avoir passé toutes ces étapes justement. On n’est plus dans le rêve, le concept ou l’idéal. T’es une meuf, tu n’as plus 20 ans, t’as un enfant dans les bras, tu rencontres un mec… On n’est plus dans la passion mais dans le concret. On sait où on va. C’est ça ‘J’te connaissais pas’. « C’est la merde, les femmes ne sont pas comme je les voulais, les hommes ne sont pas comme tu le veux, ça va être difficile pour le prince charmant mais on est là tous les deux et essayons de gérer« . C’est de ça que parle cette chanson. Il ne s’agit pas d’amour mais d’une relation entre deux personnes. C’est pas une chanson d’amour.

A : St Exupery a dit : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Tes textes étant désormais plus épurés que par le passé, c’est une vision que tu partages ? Comme tu le disais, avant tu avais une écriture qui pouvait être assez fantasque où ça rimait à peine… On a le sentiment que tu as essayé de simplifier un peu tes textes. Non pas au niveau du propos mais au niveau de la forme, comme si tu avais voulu rendre ton écriture plus académique.

O : Bien sûr. C’est assez difficile de rendre son écriture plus académique et traditionnelle sans perdre son identité et le fond. Avant, je me préoccupais peu de la forme. Je lançais les mots comme je les ressentais. Je prendrais ça comme une évolution qui consiste à apprendre à communiquer ce qu’on ressent d’une autre manière, sans se pervertir. C’est ce que je suis arrivé à faire sur cet album de bout en bout. C’est pas facile.

L’écriture est plus épurée aussi parce qu’il y a un rétrécissement du format qui demande beaucoup plus d’écriture et de précision. On peut faire des grosses œuvres avec une certaine facilité mais faire du précieux et de l’infime demande un certain savoir-faire.

A : C’était donc une volonté de faire un disque plus compact avec seulement douze titres ?

O : Bien sûr. Plus compact mais plus dense. Il se passe beaucoup plus de choses en une minute qu’on ne le pense. Ça concerne aussi l’aspect musical des choses. Au contact des différents arrangeurs que j’ai côtoyé ces dernières années, j’ai appris que la musique était aussi faite de beaucoup de choses qu’on n’entend pas.

C’est quelque chose que je ne prenais pas trop en compte dans mes précédents disques tandis qu’il n’y a que ça dans L’arme de paix, des choses qu’on n’entend pas mais qui sont bien là.

A : Pourtant, le rap a souvent peur de cette notion de silence, de vide…

O : Pas le rap, les rappeurs. Un rappeur est un saxophoniste. Il peut improviser, il est libre. Je le vois comme un soliste. Je joue de la guitare aujourd’hui mais j’ai commencé par la basse. C’est un instrument de soliste mais qui est monophonique. J’ai toujours essayé de jouer de la basse comme s’il s’agissait d’un saxophone. Je me suis rendu compte que c’était ça un rappeur. Un rappeur tue en a capella et c’est tout. Il fait la musique, il n’a besoin de rien. A l’époque, on faisait ça sur du beatbox et avoir un instru était un luxe.

Je me rappelle que quand j’ai débuté, j’ai mis du temps à me trouver un producteur. Avant, t’avais un DJ qui te donnait des instrus de face B. La musique en soi était un plus. C’était les freestyles dans la rue, le beatbox… Justement, c’est le rappeur qui doit gérer avec le silence. C’est lui le patron. Si le silence effraie beaucoup de monde, c’est peut-être ce qui fait que les choses n’ont pas énormément évolué ces dernières années. La création n’a pas été en s’accélérant. Quand tu dis aux mecs « essaie de changer ça dans ton refrain », ils vont te sortir leurs calibres. Il y a une phrase que j’aime beaucoup en ce moment : « quand on fait ce qu’on a toujours fait, on n’obtient que ce qu’on a toujours eu ».

« Être fan de la première heure, c’est une erreur si on n’accepte pas la dernière heure. »

A : C’est la réponse que tu formulerais aux fans de la première heure qui te demandent de refaire un morceau avec Bauza, Lino ou Dany Dan et qui te voient collaborer avec les Jazzbastards, Olivia Ruiz ou Jérémy de la Star Ac’ ?

O : [Il sourit] Premièrement, j’ai la chance d’avoir travaillé avec beaucoup de rappeurs. On collabore rarement deux fois avec le même artiste, jamais trois. La fois où ça se passe doit être unique. On peut collaborer sur des albums, sur des compilations… Mais on se donne la force pour que cette rencontre soit unique. Comme je le dis souvent, j’ai beaucoup d’amis artistes mais je ne passe pas ma vie à chanter avec eux. Parce que ça demande quelque chose de particulier : un moment, une musique, un désir commun.

C’est pas parce qu’on côtoie les gens que l’alchimie va être automatique. Quand ça se produit, il faut en profiter et le savourer. On ne demande pas à Leonard de Vinci de refaire deux fois La Joconde. Elle est déjà là et on peut aller la regarder autant de fois qu’on le désire. C’est comme ça que je vois les choses. Je ne peux pas rapper avec mes potes toute ma carrière. C’est inconcevable et, au final, on me le reprocherait. Je dirais que je suis plutôt prévenant par rapport à ce qu’on me demande. Parce qu’il faut toujours faire attention à ses désirs [Il sourit].

 Il faut y faire attention parce qu’ils peuvent se réaliser et on peut souvent se retrouver dans la merde à cause de ce qu’on a voulu, comme ces gens qui gagnent des fortunes au loto et qui sont plus pauvres qu’ils ne l’ont jamais été quand ils réalisent qu’en fait ça n’était pas ce qu’ils cherchaient. Être « fan de la première heure« , c’est une erreur si on n’accepte pas la dernière heure.

A : Récemment, tu as fait le morceau ‘Trente nerfs’ avec Grain de Caf. Justement, est-ce qu’il n’y a pas un syndrome de l’âge chez les rappeurs ? Comment tu as géré ce passage à la trentaine ? Dans cette scène rap français que tu connais bien, est-ce que tu as rencontré des artistes qui ont une retenue par rapport à ça comme s’il y avait un cap à franchir ?

O : Le rap est encore une musique jeune qui a longtemps soulevé des questions quant à sa longévité. Moi, j’ai commencé à 20 ans et on me demandait si je pensais que je rapperai encore à 30 ans. Disons que je représente une génération du rap français qui a connu un certain apogée puisqu’après cette période, les choses ont commencé à baisser.

Avant Time Bomb, on était en constante progression. Il y avait la Cliqua, les Sages Po, MC Solaar, Fabe, IAM… Il y avait tous ces groupes. Après, il y a eu les premières séparations, la mort de Biggie et Tupac et on a commencé à avoir les premières nostalgies. C’est nouveau ce qu’on vit. Aujourd’hui, on a 30-35 ans et on rappe encore sans se poser la question. On ne demande pas à un peintre s’il peindra encore à 45 ans. Ce sont des artistes. Donc notre art ne peut que se bonifier si on s’y prend bien.

Le creux de la créativité dont tout le monde se plaint est la raison pour laquelle on a fait ‘Trente nerfs’. Aujourd’hui, tu rencontres beaucoup de trentenaires qui disent ne plus écouter de rap parce que ça ne leur parle plus. Si tu regardes, il ne reste plus grand monde de ma génération aujourd’hui. Quand on a fait ce titre avec Thomas, on s’est rendu compte qu’il y avait peu de morceaux comme ça. A cause de la frustration dont tu parlais tout à l’heure, les mecs éprouvent encore le besoin après 30 ans de parler de calibres, de fusils à pompes, de meufs alors que ça n’est plus le propos. A côté de ça, tu as les gens qui sont en attente de ce rap là. Donc, on arrive dans un endroit désert.

A : Pour revenir sur ces rencontres, tu nous disais qu’au contact des musiciens, tu avais réalisé que tu ne « connaissais pas grand chose ». Est-ce que tu nourris encore ce complexe du rappeur qui va se confronter aux musiciens de longue date ?

O : Le complexe vient souvent d’un manque de confiance. Tu manques de confiance quand tu n’es pas assez préparé. J’ai commencé à rencontrer des musiciens alors que je n’avais jamais travaillé la musique. J’étais quelqu’un qui écrivait et, même si je programmais déjà des sons, c’est différent. Programmer, ça n’est pas rien. Mais quand tu arrives en face de personnes qui sont des musiciens de formation, tu as forcément des grosses lacunes par rapport à eux et, comme dans toute situation où tu te sens inférieur, ça développe certains complexes. Donc qu’est-ce que j’ai fait depuis 2-3 ans ? Je me suis mis au solfège, j’ai appris la guitare, j’ai lu beaucoup de livres sur la musique, j’ai discuté avec beaucoup de musiciens et aujourd’hui je ne suis plus le même.

Aujourd’hui, je peux parler un minimum de musique. Donc s’il y a un complexe et qu’il suffit d’un peu de travail pour l’éteindre, eh ben il faut travailler ! C’est ce qui fait la différence. Après, c’est normal d’avoir des complexes quand tu arrives face à des gens plus forts que toi alors que tu es censé être sur le même terrain. D’ailleurs, il y a eu longtemps du mépris de la part du milieu de la musique envers les rappeurs.

A : C’est quelque chose que tu ressens ? D’autant qu’aujourd’hui, tu as accès à d’autres médias qui paraissent assez hermétiques au rap…

O : Oui. Pas forcément envers moi mais envers d’autres artistes, oui. En même temps, c’est la faute de tout le monde. Eux ont leurs préjugés et leurs idées reçues et de l’autre côté il y a le rappeur qui veut « rester vrai » etc. Forcément, la confrontation des deux va être électrique. C’est pour ça que le rap est longtemps resté dans son coin et que les médias le zappaient.

Mais tout le monde est fautif. Quand tu en as un qui va insulter l’autre dans un texte… C’est mauvais. Si tu as un problème à régler, c’est pas comme ça qu’il faut procéder. Ensuite, les gens récupèrent ça et tout le monde paye.

A : Il y a eu une dernière sortie télé de Disiz chez Ruquier dans laquelle il se plaignait que les rappeurs passaient toujours en dernier et en te citant comme exemple. Est-ce que tu as le même ressenti que lui par rapport au statut des rappeurs ?

O : Malgré tout, passer dans ce genre d’émissions pour un rappeur est une opportunité. On se plaignait de ne pas être médiatisé. Aujourd’hui, on a une petite fenêtre. Il ne faut pas s’en plaindre et il ne faut pas niquer la route pour les autres. Lorsque je suis arrivé sur ce plateau, je vois Bigard qui connaît tout le monde, Sandrine Kiberlain qui connaît tout le monde… Ils se connaissent tous.

Quand toi tu arrives, t’es nouveau. A partir de là, c’est évident que tu ne vas pas passer en premier. C’est vrai aussi que les rappeurs ne sont pas très bien vus. Quand un rappeur est attendu, il n’est pas attendu avec plaisir. Il faut s’accepter soi-même. Je suis arrivé là-bas comme un rappeur mais je ne suis pas un rappeur à qui vous allez dire « merde ».

A : C’est pas compliqué à gérer justement ? Parce que quand tu es dans le « milieu rap », tu es un artiste respecté avec une longue histoire et quand tu arrives là-bas, tu es vu comme un nouveau, Zemmour te dit que c’est scandaleux de te proclamer le « Black Jacques Brel »…

O : Je suis arrivé en tant qu’homme. Il me dit ça mais, en même temps, le mec n’a pas écouté ce que je fais. C’est n’importe quoi et c’est du mépris pur. « T’es de la merde mais je ne t’ai pas écouté. » Ça signifie qu’il se rattache à l’image qu’il a de moi et que ça n’a rien à voir avec ce que je fais. A partir de ce moment là, je prends tout ça comme acquis. Ok, partons comme ça. Quoi qu’il en soit, il faut en tirer profit. Il ne faut pas se poser en victime et, malgré tout, il faut le prendre comme une chance.

Aujourd’hui, inviter un rappeur dans une émission est presque synonyme de courage pour l’animateur parce que j’ai entendu parler des relevés d’audimat en direct. Dès que tu mets un rappeur, les gens zappent immédiatement. Forcément, quand tu dois faire tourner une boîte, tu ne déconnes pas avec le nombre de gens qui regardent ta chaîne. Là, on rentre dans la mathématique.

Pour moi, les rappeurs sont des artistes qui ne sont pas encore reconnus à leur juste valeur mais ça viendra. Les rappeurs et leurs auditeurs sont simplement en avance. C’est quelque chose que tout le monde finira par comprendre. C’est pour ça que je me fous de ceux qui vont raconter n’importe quoi sur nous. T’as qu’à écrire mes textes ! C’est la même chose que ceux qui disent que le rap était mieux avant. Pourquoi t’en fais pas du bon aujourd’hui ? C’est ton rap qui était mieux avant !

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