Interview

Opus Akoben

Samedi 6 juillet, fin d’après-midi, la tournée française d’Opus Akoben vient de s’achever par un concert de folie aux Eurockéennes de Belfort. Avant de reprendre l’avion Sub-Z et Kokayi, les deux MCs, se livrent à une discussion franche et ouverte sur leur vision d’un hip hop oublié : libre et sans frontière…

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Abcdr : Aux Etats-Unis comme en Europe, il y a peu de place pour le hip hop à instruments, a quoi attribuez-vous cela ?

Sub-Z : Et bien je pense simplement que la musique évolue, et tu sais nous arrivons en ce moment dans une période dans l’histoire de la musique où le hip hop et l’instrumentation live deviennent plus populaire, mais lorsque que le hip hop est né, il y avait déjà beaucoup de groupes lives tel que le Sugar Hill Gang. Le Sugar Hill Gang a inspiré beaucoup de groupes. Ca a toujours existé, et c’est peut-être devenu plus populaire au cours des dix dernières années. Oui c’est ça, c’est juste devenu plus populaire.

A : Vous avez monté beaucoup de concerts et de projets avec Steve Coleman, est-ce lui qui vous a donné le goût de la scène ?

Sub-Z : Avant que l’on rencontre Steve Coleman, Kokayi et moi chantions déjà en tant qu’artistes solo (cf. au sein du freestyle union). Nous n’étions jamais venu en Europe auparavant, et quand nous avons rencontré Steve et que nous avons enregistré notre premier projet avec lui, il nous a présenté à l’Europe, mais nous nous produisions déjà sur scène avant : j’ai commencé à rapper à 15 ans, et j’ai fait ça pendant la moitié de ma vie. Plus de la moitié de ma vie même! Mais cela n’était jamais à un niveau professionnel jusqu’à ce que je bosse avec Steve Coleman et que j’entame une carrière professionnellle.

A : En quoi aimez-vous travailler avec des jazzmen ?

Sub-Z : J’aime travailler avec toutes les personnes avec lesquelles je sens que je peux entrer dans la musique. Pas seulement avec le jazz, j’ai aussi travaillé avec un combo cubain, celui d’Omar Sosa. Kokayi a travaillé avec le pianiste Andy Milne et a produit pour la chanteuse Vinia Mojica. Si la musique est bonne, alors on collabore, tu vois.

A : Quelles comparaisons pouvez-vous faire entre le public Français et Américain ?

Kokayi : Je pense que le public Français dans certaines circonstances est plus ouvert aux différents types de musique, à la différence des Américains, avec la musique populaire. Là-bas, quand un groupe a du succès, tu as sept groupes qui essayent de l’imiter. Alors je pense que la différence est dans le fait que les gens sont ici un petit peu plus ouverts d’esprit, à travers l’Europe, pas seulement en France et aussi en Asie.

A : Hier à ce même endroit il y avait un concert d’Anti-Pop Consortium. Un peu comme vous ils aiment la performance scénique, en faisant du slam. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce genre plutôt méconnu en Europe ?

Sub-Z : On ne fait pas de slam ! On freestyle. Je ne connais pas grand chose du slam, vraiment. J’en ai entendu parlé, je sais que c’est populaire, mais ce qu’on préfère c’est écrire et improviser. L’idée c’est juste de prendre du plaisir tu vois, il n’y a pas de formule. On aime la musique qu’on aime jouer, et quand on rappe on aime prendre du plaisir. C’est aussi simple que ça ! C’est pas plus compliqué. On aime faire de la musique, la jouer, et prendre du plaisir..

A : Durant le concert, tu as fait un freestyle* Sub-Z * (Au cours du concert, Sub-Z a commencé à faire un freetyle en incorporant dans celui-ci tous les éléments qu’il avait à disposition : ce fut tout d’abord des objets que lui présentaient sous ces yeux ces musiciens, puis par la suite, ceux que lui présentèrent le public: impressionnant. )Vous sentez-vous proches d’artistes tels que Mos Def, Talib Kweli ou Saul Williams, qui freestylent et jouent avec les mots comme vous ?

Sub-Z : De Saul Williams ? Non. Pas vraiment. Je n’ai pas entendu assez des trucs de Saul Williams. Je veux dire, je suis qui je suis. Je sais que c’est un grand poète. Pendant le concert, ils ont jeté des bouteilles en l’air et j’ai commencé à en parler. Je me suis dit « What’s next ?« . Tu sais je dis le premier truc qui me vient à l’esprit. Ca fait longtemps que le freestyle existe. Ca a peut-être plus de succès à l’heure actuelle mais il y a eu des artistes qui ont freestylé tout au long de l’Histoire du Hip Hop, et même avant. Le spoken word a existé avant les instruments de musique. C’est juste plus populaire en ce moment mais la véritable origine date du temps où une personne s’est mise à utiliser une percussion et qu’une autre a parlé sur ce rythme. Ca a existé dès l’Afrique. On ne fait rien de nouveau. On fait juste ce qu’il nous est dit de faire à l’intérieur de nous-même. Ca fait partie de nous.

 

« C’est de la musique, personne ne la possède, personne ne possède les notes, personne ne possède le rythme, personne ne possède le son.  »

Sub-Z

A : Kokayi, en tant que MC, pourquoi privilégies-tu les instruments aux breakbeats et aux samples ?

Kokayi : En fait, tu vois tout sur scène : deux platines et un micro, parfois dans certains shows- on laisse le DJ faire tourner un breakbeat et on rappe dessus. On utilise aussi un sampler sur scène, ainsi qu’un groupe live. On aime incorporer tous les éléments qui peuvent composer le hip hop. On a des graffiti artists sur scène, même notre DJ graffe et peut breaker. On célèbre la culture hip hop. C’est pas qu’on préfère un groupe au sampler, ou un groupe aux platines et au micro. On peut mettre le feu avec un simple sampler, ou avec tout un groupe. On préfère tout apporter, pour avoir un bon mix de tout ce qu’on veut avoir pour notre présence scénique, et pour que le public ressente cette diversité. Ces différentes composantes forment un mur du son qui incorpore notre définition du hip hop.

A : Pensez-vous que le rap Français a son propre style, ou qu’il n’est qu’une copie du rap US ?

Sub-Z : Je ne vois pas ça comme une copie. Dire que le Hip-Hop français ou Européen est une copie du style américain, ça revient à dire qu’une femme noire qui chante de l’Opéra est une copie du la culture européenne. Je pense que c’est une question d’appréciation. Je veux dire : c’est de la musique, personne ne la possède, personne ne possède les notes, personne ne possède le rythme, personne ne possède le son. Tu peux être inspiré, mais je ne pense pas que tu copies pour autant. J’écoute du rap Français, et pour moi il est distinctement différent du rap US. Peu importe si un artiste veut sonner comme un artiste américain. Il n’y arrivera pas. J’admire Serge Gainsbourg, mais je ne pourrai jamais être lui, quoi que j’écrive ! J’aime voir au delà des pays ou des parties du monde : personne ne possède les notes ! Tu comprends ? Personne ne les possède ! Quand on meurt, on emporte pas les notes avec nous. Elles seront là pour la prochaine génération et celles d’après.

A : C’est plutôt rare d’entendre ça de la part d’un artiste Américain, car aux Etats-Unis on entend pas de rap Français ou même de rap canadien, qui ont du mal a intégré le marché. Vous êtes peut-être l’exception.

Sub-Z : Et bien, à propos des différences : le marketing est définitivement LA différence entre les Etats-Unis et le reste du monde. C’est tout à fait vrai. Aux USA, dans beaucoup de cas, on ne parle même pas de musique car c’est uniquement du business. Si un artiste vend un million de disques, deux autres maisons de disques vont dire « Et bien, créons un artiste, trouvons un artiste, ou prenons un de nos artistes et faisons le faire quelque chose qui sonnera comme cet autre type qui a fait un million de ventes. Alors on pourra faire disque de platine« .

Kokayi : Je peux apprécier différentes musiques de divers endroits du monde car je ne suis pas renfermé sur le fait d’être Américain, et d’en déduire que tout ce qui vient des Etats-Unis est la meilleure chose au monde. Ce serait dingue ! J’écoute de la musique Africaine, du tango Argentin, des artistes de drum n’bass Finlandais. J’aime beaucoup de choses diverses faites par des gens différents. Notre vision n’est pas : « On voulait qu’Opus cartonne en Amérique mais ça n’a pas marché alors on est venu France et on y est resté« . Il s’est passé que l’opportunité d’enregistrer en France s’est présentée, pour faire partie d’un label qui nous laisserait faire notre propre truc et nous garantirait notre liberté musicale. Alors on a choisi d’être sur ce label pour pouvoir nous exprimer librement sans être freiné par des choses que d’autres maisons de disques auraient voulu nous faire faire, et qui ne correspondaient pas à notre vision. Et comme nous avons une vue globale, nous voulons que notre musique soit écoutée au travers du monde, et l’Amérique n’est pas le monde ! C’est juste un pays, et c’est le plus jeune du monde.

A : Pensez-vous que le fait d’avoir grandi à Washington, ville plutôt éloignée des gros marchés comme New York, Los Angeles ou Atlanta, vous a donné un autre point de vue vis-à-vis de la musique ?

Sub-Z : C’est juste. On habite à 4 heures de New York. Washington DC est une ville intense, mais son intensité n’est pas la même qu’à New York. Le rythme de vie y est différent. La politique conduit Washington, alors que c’est le business qui conduit New York. On y joue de temps en temps, c’est un bon endroit pour jouer, mais Washington est suffisamment loin pour bien se développer en tant qu’artiste. Je pense que notre façon d’envisager la musique est due à une combinaison des choses auxquelles chacun de nous a été exposé. Je retiens une phrase que Malcolm X a dit, il a dit qu’une personne devrait toujours penser pour elle-même, même si quelqu’un d’autre dit « C’est ce que tu devrais faire, c’est ça le succès« . Pense pour toi-même.

Kokayi : Venir de Washington est un peu plus difficile car la ville a son propre style de musique, et c’était plus dur pour nous d’avoir un groupe de hip hop à DC, où les groupes de Go-Go sont plus populaires que les groupes de rap. On a dû être capable de faire bouger, crier, et applaudir les gens, leur faire apprécier notre musique. A Washington, les gens se fichent de savoir qui tu es. S’ils n’aiment pas, ils n’aiment pas. Ils n’applaudiront pas juste parce que tu es sur scène, ça marche pas comme ça. Tu dois bosser. C’est ainsi qu’on a appris à faire un show et tout ça. On devait convaincre, faire un show suffisamment bon pour que les gens disent « Hey tu sais quoi, je veux encore écouter ta musique !« . Alors c’est pas un problème si à New York les gens n’aiment pas notre musique car on est habitué à ça. Et allez quelque part où il y a la barrière du langage non plus. Il y a peut-être des gens dans la salle qui comprennent tout ce qu’on dit, d’autres pas, mais ils peuvent en sentir l’énergie, le rythme et ils comprennent si la rime est bonne en écoutant sa cadence. Je ressens la même chose pour le hip hop Français, il y a des choses que je peux interpréter si j’écoute assez longtemps et d’autres que je ne comprend pas, mais je sais que si la cadence est mortelle, alors je peux apprécier.

A : Quels artistes Français appréciez-vous ?

Kokayi : Tu sais, j’aime les skills, le style et le beat. T’as Oxmo Puccino, Kheops, Busta Flex, Booba, qui d’autres encore ?

Sub-Z : Saïan Supa Crew

Kokayi : Ouais. Il y a beaucoup d’artistes dans le Hip-Hop français qui font leurs trucs et que les gens aiment. Ils ont du flow, des bonnes instrus et tout le reste. Dans toutes les circonstances il faut comprendre qu’il y a du bon hip hop Français, et il y a du mauvais Hip-Hop français. Il y a du bon hip hop Américain, et du hip hop Américain horrible ! C’est la même chose partout dans le monde. Comme l’a dit Sub-Z, si tu aimes et comprends le hip hop, alors tu es suffisamment ouvert d’esprit pour comprendre que personne ne possède la musique.

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