Mr Flash : « Le mec de l’ombre, c’est l’histoire de ma vie »
Interview

Mr Flash : « Le mec de l’ombre, c’est l’histoire de ma vie »

Des études de batterie, des open mics jusqu’au petit matin, un coup de fil en pleine de nuit de Tokyo, Barack Obama, Sébastien Tellier, Jean-Pierre Vasarely et Sonic Crusader : bienvenue dans l’univers à dimension variable de Mr Flash.

Avec l’aide de Lucie. Photographie : Costa, KΔRL HΔB

Abcdr Du Son: J’ai lu que tu avais fait des études de batterie.

Mr Flash: J’ai d’abord appris le piano, le solfège, et ensuite la batterie. C’est un peu de famille, mon père est pianiste. Bon, ce n’est pas son métier, mais il a fait du piano quand il était jeune. On est une famille assez musicienne dans l’âme. Mon frère a fait quinze ans de conservatoire classique, moi j’en ai fait deux et… je me suis fait virer [rires]. Après j’ai suivi des cours de piano privés, et puis au bout d’un moment j’en ai eu marre.

Mon père m’a projeté après dans son truc de batterie, parce qu’en fait, je tapais sans arrêt partout. J’ai eu une enfance un peu spéciale, j’étais un peu autiste. Je m’enfermais dans une espèce d’univers où je m’inventais des aventures. Paradoxalement, j’avais besoin de m’exprimer sur des trucs assez immédiats. Du coup la batterie m’allait parfaitement : il y avait ce côté un peu brut de décoffrage. La finesse, elle est venue un peu plus tard. La batterie c’est une musique plaisir et automatique, absolument pas contraignante comme peut l’être le solfège avec le carcan du conservatoire. Et la rythmique c’est un truc animal, ça te parle immédiatement.

A: Qu’est-ce qui se passe, du coup, entre ce goût pour la batterie et la production ? Tu passes par quelles étapes ?

F: Le chemin a été assez tordu. Je ne viens pas du tout de ce milieu-là. J’avais fait de la musique, mais comme une activité extrascolaire, comme tu ferais de la poterie. Sans envisager une seconde de mener une caractère professionnelle avec ça. On a toujours fait de la musique avec mes frères, on a monté des groupes, fait plein de tremplins et fêtes de la musique. Mais il n’y avait aucune projection de quoi que ce soit. À dix-huit piges, je suis parti de ma province, je suis venu habiter à Paris pour bosser dans le cinéma. C’était ça mon vrai boulot. J’ai commencé en tant que technicien et j’ai fini machino. J’avais mon équipe, on était quatre-cinq et on faisait plein de tournages.

Quand je suis arrivé à Paris, une fois sorti des plateaux de tournages, je me faisais chier. Je n’avais pas vraiment d’autres activités. Le rap était lors en plein boom et les MPCs commençaient à arriver. J’en ai acheté une, dans l’idée d’en faire de temps en temps. Plus j’écoutais des albums de rap et plus j’ai commencé à apprendre à écouter, à comprendre comment les disques étaient produits. Je me souviens aussi avoir lu une interview d’Eric Sadler du Bomb Squad. Il disait qu’un disque de rap bien produit, il sonnait sur quatre pistes, avec un charley, un kick, une snare et une basse. Il disait que si tu maîtrisais ce truc-là, alors c’était gagné. Ça c’était la première des choses. La deuxième, c’est qu’effectivement en écoutant des tonnes de disques de rap, je me disais : « mais les mecs sont tous des branques, ils n’ont pas fait d’écoles, ils sortent de nulle part. Pourquoi toi tu n’arriverais pas à faire des trucs avec le même matos ? » Le sampler a apporté une accessibilité qui n’existait pas avant dans la musique.

A: Tu te rappelles avec quel sampler tu as commencé à produire ?

F: Ah ouais ! À l’époque, mon frère avait acheté deux-trois bécanes, un W-30 et un GX3P. Et en fait j’ai récupéré son W-30. J’ai appris à programmer avec ça, et tout de suite j’ai acheté une MPC, parce que les pads rendaient le truc plus évident. La MPC ça a tout de suite été une espèce de coup de coeur. J’ai eu toutes les générations de MPC, tous les modèles quasiment. S’il y a un truc que je connais sur le bout des doigts, c’est bien la MPC. Il y a un côté super charnel avec ces pads….

Je te dis ça mais au final on n’en a rien à foutre de la machine. J’entends tellement de discours à la con, de blaireaux qui ne comprennent rien et qui se la jouent : « ouais, je fais ça avec telle machine » parce que tel connard fait ça avec telle machine. On n’en a rien à foutre. C’est l’idée qui prime. Tu as des mecs qui font de la musique géniale avec des tupperwares. Une brêle avec une MPC, ça reste une brêle.

« Le sampler a apporté une accessibilité qui n’existait pas avant dans la musique. »

A: Au tout début, tu te faisais appeler Flash Gordon, et pas encore Mr Flash. Pourquoi as-tu voulu changer de nom ? 

F: Parce que je trouvais ça drôle. À l’époque tout le monde prenait des noms ahurissants de gangsters, en référence à une pseudo-culture cinématographique, je pense aux Capone & Noreaga. Les mecs n’avaient rien de gangster. D’une manière générale, si t’es un gangster tu ne fais pas ce métier. Parce que la plus mauvaise pub que tu puisses avoir, c’est d’en avoir justement. Si t’es un gangster, tu restes dans le quartier et tu fermes ta gueule. C’est tout sauf bon pour le business la pub.

Bref, à l’époque, je me suis posé la question : « quel est le plus débile des super héros ? » Peroxydé, avec un collant moule bite : Flash Gordon, forcément ! [Rires] Et puis il avait une espèce de truc très différent des autres, qui étaient tous bodybuildés, bruns, très codifiés. Flash Gordon avait tout un truc que je trouvais assez cool, ce côté super héros outsider. Je suis moi aussi un outsider. Le terme de famille ne me colle pas du tout à la peau, je ne suis pas un mec comme ça dans la vie. Moi, je suis un solitaire. Flash Gordon c’est un personnage un peu entre deux époques, il a ce truc un peu surréaliste, capable d’aller visiter des planètes débilos moyenâgeuses, et en même temps il a un truc extrêmement futuriste. Tout ça me correspondait assez bien.

A: J’ai eu écho d’un autre truc assez marrant : tu étais voisin de palier de Tido Berman…

F: Ce n’est pas tout à fait ça. Mon voisin de palier, c’était un mec qui s’appelait Dylan, il faisait des soirées open mics chez lui jusqu’à quatre du mat’. Mais des soirées open mics à l’ancienne, telles qu’on les imaginait à Brooklyn en 1990. Un jour, alors qu’on se toisait comme des branques, il me fait : « T’écoutes du rap toi ? Bah viens chez moi ! » Du coup, je vais chez lui, et là… [Il s’arrête] n’importe quoi jusqu’à cinq du matin. Tout le rap français est passé dans son appartement, mais pas pour déconner hein. Certains sont connus aujourd’hui, d’autres sont passés dans l’oubli absolu. Dylan claquait toutes ses thunes dans les maxis les plus improbables et tout le monde venait faire du freestyle chez lui. Ça a duré comme ça pendant un moment. Moi, j’assistais régulièrement à ces trucs-là avec menaces de mort, plaintes dans l’immeuble : bref c’était très drôle. J’ai rencontré Tido chez lui et on est vite devenus potes. Il m’a rapidement dit : « j’ai un groupe avec d’autres mecs, on veut faire un truc différent« .

À cette époque, j’avais arrêté de travailler dans le cinéma, je bossais pour Delabel. Là aussi, concours de circonstance : j’avais une copine qui bossait là-bas et ils cherchaient un mec à l’artistique. J’en avais un peu marre du milieu du cinoche. Je me suis retrouvé assistant de Jeff Cahours de Virgile, qui était alors directeur artistique chez Delabel. Je travaillais beaucoup avec Nadège, l’ex-femme de Pedro [Winter], que j’allais recroiser plus tard. C’était la grande époque Delabel, quand on a produit le Ombre est Lumière d’IAM, c’était le moment où Matthieu Chedid démarrait sa carrière. Air débutait également. C’était assez drôle d’assister à toute cette effervescence. En même temps, moi j’étais là à apprendre à produire un disque, tout ça un peu par hasard. Je n’y connaissais rien au départ. En plus c’était une époque où faire des disques ça coûtait très cher. On parle d’une époque où IAM allait masteriser dans les studios de Sterling Sound à New York, des années où tout le monde faisait aussi des conneries…

« Je ne suis pas un suiveur, je suis un leader. »

A: Pour avancer un peu dans le temps, tu as produit pas mal de morceaux pour TTC, particulièrement pour leur premier album : Ceci n’est pas un disque. Comment tu bossais avec eux, en sachant que tu te décrivais comme un solitaire ? Tu faisais les trucs dans ton coin ou t’étais dans l’échange avec eux ?

M.F: En fait c’était assez simple, je faisais des instrus, tout simplement. À l’époque c’était les prémices d’Internet, tout le monde commençait à blogger, et les mecs de la clique de Buck 65 et d’Anticon avaient monté un forum. On était à bloc là-dedans, j’ai fréquenté un peu El-P comme ça et je suis devenu pote avec Mike Ladd par ce biais. Mike Ladd ça fait pratiquement vingt piges qu’on se connait… Bref, sur ce forum, tu avais les premiers beatmaker contests. Je crois que j’étais le seul français là-dessus, à essayer de sortir des trucs en me disant : « allez, je vais essayer, rien à foutre« .

Au final, j’ai gagné le concours. Et forcément ça m’a un peu galvanisé. Ça m’a poussé à me dire : « peut-être qu’il y a moyen de faire des vrais trucs maintenant et d’arrêter les conneries« . Je faisais mes trucs tout seul, à la maison avec le casque, avec rien parce que je n’avais pas de matos et pas assez d’oseille pour me payer un vrai studio. Donc je faisais mes trucs tout seul, et après je disais à TTC : « voilà j’ai ça, vous voulez des trucs? » Comme tout le monde dans le milieu du peu-ra à moment donné, les MCs arrivaient et te disaient : « OK, ce truc-là nous plaît, ça nous inspire, on va écrire un texte là-dessus. »

A: J’ai lu dans d’autres interviews que tu voulais poser une espèce de touche française dans tes productions.

F : Ça va peut-être paraître con ce que je vais dire mais je ne suis pas un suiveur, je suis un leader. Je ne supporte pas les suiveurs. Je respecte énormément d’artistes dans le rap, parce que c’est ça qui m’a permis d’apprendre et de comprendre comment les choses étaient faites. Je comprends qu’on puisse être inspirés par des artistes… mais il faut faire ton propre truc. Je ne comprends pas cette espèce de légion de mecs qui après avoir entendu du Lil Jon se sont mis à en faire des camions entiers. C’est quoi leur délire ? C’est arrivé aux États-Unis, ils n’ont pas réussi à trouver des mecs américains pour le faire donc ils le refont en France ? On a d’excellents musiciens en France, des mecs qui ont de super bonnes idées, c’est à nous d’inventer.

A: Quand tu dis que tu voulais ajouter une touche française, ça passe par quoi ? Des sons français ? Des références culturelles ?

F: Ça peut être ça, mais ça peut être autre chose. L’idée de base, c’est d’inventer ton histoire, ta vie et ton futur. Personne ne t’oblige à refaire quelque chose que quelqu’un a déjà fait. Même si on puise nos racines dans des choses évidentes. Si Dâm-Funk s’inspire des frères Troutman, il ne refait pas une simple photocopie de Zapp. Tous les gens qui connaissent Troutman te diront que c’est mieux que Dâm-Funk. Sauf que Dâm-Funk a amené un autre truc, il a renouvelé le concept et il l’a amené plus loin. C’est ça qui me plaît : tout le truc qui va autour.

A: Ton premier disque, on a commencé à en parler tout à l’heure, Le Voyage Fantastique, c’était un 45 tours. Pourquoi es-tu parti sur ce format ?

F: Quand j’étais gosse, ma mère m’amenait au supermarché et pour patienter, elle me foutait au rayon disques. Il n’y avait que des 45 tours. C’était un peu Disneyland et j’adorais ça ! [Enthousiaste] J’ai encore certains de ces 45 tours. C’était un truc très marquant, plein de souvenirs musicaux et un truc d’évasion. Quand t’es gosse, tu essaies d’avoir un livre disque avec des images, et quand tu étais super solitaire comme je l’étais, c’était une façon de s’inventer un univers. Le truc assez paradoxal, c’est que je ne connais aucun de ces films-là. Je n’ai jamais vu tous ces Walt Disney. Le Livre de la Jungle, c’est une musique légendaire pour moi… mais je ne l’ai jamais vu. Merlin l’Enchanteur c’est pareil ! C’est un truc qui m’a animé toute ma vie et qui m’a habité un peu comme tu peux être habité par un bouquin et certains de ses personnages que tu imagines à ta façon. Il y avait ce côté : « est-ce que ça serait pas marrant de réinterpréter le truc ? » Et de faire tout ça sous une manière un peu rap, autour d’aventures un peu fantastiques.

A: Tu parlais de Mike Ladd tout à l’heure. Il est sur un des morceaux…

M.F: Oui, il y avait aussi Tekilatex et Hi-Tekk de la Caution. Mais Mike Ladd… la blague ! J’ai un pote qui bossait dans un studio, et il me fait : « Mike Ladd est à Paris, je crois que vous vous connaissez, viens on va boire des coups. » Je déboule avec un DAT et quelques morceaux, complètement à l’arrache. J’arrive, d’abord on se murge la gueule. Mais un truc… c’était honteux quoi ! [Il éclate de rire] On rentre au studio… On se re-murge, et le gars me dit : « viens, on va acheter du sky, de la bière« . Bref, c’était n’importe quoi.

Je mets le petit DAT portable et on écoute plusieurs morceaux dont l’instru de « Basementized Soul ». Et là, il fait : « putain, c’est cool, j’aime bien ce truc, j’ai envie de rapper là-dessus« . Le mec il était complètement marbré au dernier degré. Il est rentré dans la cabine, et là, par terre, il y avait un article d’un magazine à la con sur Rita Marley. Il a lu l’article et fait : « c’est chan-mé, vas-y ça m’inspire je vais faire un truc sur ça ! » [Rires] Et là, il a rappé pendant 45 minutes. 45 minutes d’un freestyle qui est parti dans tous les sens. Nous on était là, derrière la console, à le regarder en se disant : « putain, c’est du génie. » Il y avait une espèce de spontanéité incroyable.

Le lendemain je me suis réveillé avec une barre monumentale dans la gueule. On s’est revus avec mon pote et on a rebossé cet enregistrement qui a été la base du Voyage Fantastique. Je me souviens que pour « 365 histoires », j’étais dans un studio où les mecs avaient déroulé un piano à queue. J’arrive et je suis là : « mais en fait j’ai rien pour les chorus« . Là, je regarde l’ingé’ et je lui demande de me mettre deux micros sur le piano. Il y avait, là aussi, un truc très spontané.

Tu sais, l’ordinateur me fait chier, j’ai besoin d’avoir des machines et d’enregistrer les trucs en live. Avec toute les fausses notes et les erreurs que ça impose, parce que ça rajoute un côté humain à la musique électronique. Pourquoi vouloir enlever à tout prix ce qui rend le truc humain ? Je trouve ça ridicule. On n’est pas des robots, donc faisons le truc comme ça ! La vie m’a appris que c’était ça qui marchait, tous ces bouts de ficelles placés les uns à la suite des autres. Il y a une espèce de magie, quelque chose que tu ne sais pas t’expliquer. Un peu comme une relation d’amour avec une nana. Il y a un truc que tu ne t’expliques pas.

« La vie m’a appris que c’était ça qui marchait, tous ces bouts de ficelles placés les uns à la suite des autres.  »

A. On va avancer dans le temps. Après ce projet, il y a une rencontre importante : Pedro Winter. Tu deviens le premier artiste signé sur Ed Banger et tu sors le premier disque du label. Il y a une dimension assez symbolique là-dedans, non ?

F: En fait à cette époque j’avais un agent qui avait un studio. J’y avais croisé Mr. Oizo et DJ Feadz à l’époque d’Analog Worms Attack, le premier album de Quentin [NDLR : Mr. Oizo]. À l’époque, je n’avais pas le moindre plan. Je me disais que j’allais nulle part… et qu’il fallait que je change d’agent. Un soir je rencontre Gérard Baste et il me fait : « ouais, moi j’ai un manager à te conseiller, il est cool, tu pourrais le rencontrer, c’est un mec sympa. » Et là il me file les coordonnées de Pedro en me disant : « c’est le manager des Daft« . Moi les Daft, ce n’était pas du tout ma culture mais je m’en foutais. Je trouvais que les Daft avaient un truc cool quand même… un côté assez organique, pas de l’ordre de la bombe, mais un truc à la fois simple et bien foutu qui t’arrive bien dans la gueule.

Bref, j’arrive chez Pedro, je lui balance un disque avec des morceaux, et je lui dis : « voilà, je cherche un agent. Je viens de quitter mon manager parce que je n’ai pas de plans, et je cherche quelqu’un d’autre« . Là il me dit : « non mais moi je m’en bats les couilles, je ne fais plus agent du tout, les Daft c’est terminé. Je suis en train de monter un business là…. Laisse-moi quand même tes coordonnées. » À ce moment-là, je vois Nadège, sa femme de l’époque, et je lui dis : « mais tu fais quoi ici ? » et elle : « mais toi, tu fais quoi ici ? » C’était assez drôle de se retrouver comme ça, après ces années passées à bosser ensemble chez Delabel.

Trois jours après, Pedro me rappelle et me fait : « j’ai monté mon label, t’es ma première signature. J’ai écouté tes morceaux, y’en a un qu’est chan-mé. Tu vas être sur mon premier maxi, je te mets sur une face et sur l’autre je mets Cassius« . Sauf que Cassius à l’époque c’étaient des reustas, on parle de Zdar et Boom Bass là, c’est pas mal comme départ ! Les morceaux que Pedro avait pris, ils étaient tout sauf faciles. Je me suis dit qu’il avait des couilles, il arrivait, prêt à se faire caillasser en disant : « on s’en branle, j’ai envie de sortir un truc que j’aime vraiment« . Cette démarche-là, elle m’a tout de suite parlé, ça fait partie de mon état d’esprit à 2000%. Tu choisis une voie parce que t’es passionné et t’es prêt à défendre tes choix.

A: Quel regard tu portes justement sur le label ? Tu as été le premier artiste signé mais il s’est passé un paquet de trucs depuis. Il y a eu quelques très gros succès. Tu as l’impression que ça a beaucoup changé ?

F: Le regard des gens a changé, parce qu’il y a eu un bond de la musique électronique. Et pas uniquement pour Ed Banger. Tu as plein de labels et de mecs qui ont émergé plus ou moins au même moment. Tu as eu en gros dix ans d’embellie dans le milieu électro.
Après, je ne suis pas la meilleure personne pour parler d’Ed Banger. Et ce même si j’ai signé en 2003. Pedro en parlerait mieux que moi. On en parlait ensemble la dernière fois et on partage le même avis : les mecs qui nous suivent depuis le début savent très bien qu’on a toujours sorti des disques, et qu’on va continuer à le faire. C’est juste que l’engouement pour les musiques électroniques et la culture club s’est vachement amenuisé avec le temps. Mais peu m’importe. J’ai toujours tracé ma propre voie, et je n’ai jamais attendu qu’on me dise où je dois aller pisser. Ce n’est pas maintenant que ça va commencer.

A: On continue à avancer dans le temps. Il y a une autre aventure qui est assez dingue, c’est Mos Def. Tu as trois productions sur son quatrième album : The Ecstatic. Et un morceau qui a fini quand même dans la campagne d’Obama ! Comment est-ce que tu en es venu à bosser avec Mos Def ?

F: En fait j’avais même quatre morceaux. Tu en as trois sur l’album… et un quatrième qui est finalement passé à la trappe. Comment ça s’est fait ? Moi je suis un peu coutumier de faire des medley, plein de morceaux, et à moment donné je vais voir Pedro. Je lui file un CD et je lui dis : « regarde, il y a plein de trucs-là dedans, si tu veux filer ça à un mec qui passe dans la rue… » Il se barre avec et un jour, il m’appelle en pleine nuit. Il devait être deux ou trois heures du matin. Il me réveille et me dit : « écoute, Pharrell Williams se douche et chante sur ta musique ! » [Rires] Véridique. À ce moment-là, je me dis que ce mec est complètement ouf’. Il m’appelle à 2h30 du matin, de Tokyo, pour me dire que l’autre branque se douche sur ma musique. C’est complètement surréaliste. Forcément, ça m’a fait rigoler. Les morceaux sont arrivés jusqu’au producteur exécutif de l’album et au final, Mos Def m’a pris plusieurs instrus qui figuraient sur ce disque. « Life in Marvelous Times », et trois autres un peu après.

Je me souviens d’un autre coup de fil de Solo qui m’avait fait : « mais, t’as vu la vidéo qui tourne sur internet là ? Il y a une vidéo de Mos Def, et le mec il parle sur oit pendant dix minutes« . Il me l’envoie… et là je vois Mos Def en studio en train de parler à un journaliste. Il lui dit : « j’ai reçu un CD avec des instrus d’un petit jeune, un français. » J’étais mort de rire, déjà je suis plus âgé que lui. Le mec disait : « putain sur ce disque, tu avais un morceau, deux morceaux, trois morceaux, il y avait de quoi faire tout un album ! Ce Mr Flash, il est super bon ! » Solo m’envoie ça et me dit : « c’est ouf. T’étais au courant de la vidéo ? » Évidemment, je n’étais pas du tout au courant. On a réutilisé la vidéo pour le teaser de Blood Sweat and Tears [NDLR : EP six titres sorti sur Ed Banger en 2010.]

L’histoire avec Obama, c’est encore plus dingue. Il y a eu plusieurs étapes en fait. Un jour, j’apprends que Mos Def s’affilie à la campagne d’Obama, qu’il est en première ligne. Tu le vois faire des interviews à côté d’Obama, le gars il est à bloc. Par un hasard pas possible, les mecs utilisent ce morceau-là dans la campagne. Je vois le truc, je me dis : « c’est complètement ouf« . Ça m’a complètement échappé. J’ai reçu des messages de gens qui savaient et d’autres qui ont fouillé sur Internet. Mais bon… l’investigation ça n’est pas le propre de l’Amérique. Pour eux la Roumanie, l’Espagne et la France c’est le même pays. Peu de gens sont au courant de ce truc-là en France. Toi, tu me poses la question, tu as un mec de Konbini qui m’a aussi posé la question, parce que c’est un mec plus âgé qui était au courant mais bon… Pour les ricains, je ne suis rien. Je suis un peu le mec de l’ombre. En même temps, c’est l’histoire de ma vie.

« Tu baises, tu te bastonnes, tu joues avec tes potes, c’est ça la musique, ça n’est pas plus que ça. »

A: Dans un autre registre, mais aussi très étonnant, tu as produit My God is Blue, l’album de Tellier.

F: Là pareil, je n’ai rien fait pour aller le chercher. Les mecs de Record Makers me couraient après pour une histoire de remix. Mais moi, je ne fais pas de remix. J’ai dû en faire quatre dans ma vie et généralement je refuse. Mon agent voulait me faire remixer un truc et je lui avais dit non. Je lui ai dit non quatre fois… il m’appelle une cinquième fois, j’étais à l’Apple Store avec ma meuf. J’ai laissé sonner, pour décrocher finalement. Je lui dis direct : « je t’arrête de suite, si tu m’appelles pour un remix, c’est mort« . Là, il me coupe : « Mais non. Attends, est-ce que tu veux produire l’album de Tellier ? » Il me balance ça, comme ça, de but en blanc. Là, j’éclate de rire. Et je lui dis : « vous êtes tarés. Je ne sais pas, il faut qu’on se parle ! Buvons un coup ensemble, et on voit ce qu’il est possible de faire. » On venait juste de sortir de Blood Sweat and Tears, j’avais ce souci de rebondir et d’arriver avec un album.

On ne se connaissait pas avec Seb, on est venus boire un coup ici [NDLR : l’interview a lieu dans un café du dix-huitième arrondissement parisien où Flash a ses habitudes.] J’avais une idée très précise de ce qu’il était possible de faire et des trucs que j’avais envie de faire pour lui. À ma grande surprise il avait écouté tout ce que j’avais fait. Mais vraiment tout. Je me souviens qu’il m’avait dit : « ça fait plus de deux ans que je cherche un producteur, et je n’arrive pas à trouver un son qui me plaise, une espèce de truc, qui me transporte. Ton morceau, « Domino », c’est incroyable. Je ne sais pas, t’arrives à véhiculer ce qu’inspire le grand canyon américain, et toute la vision qu’on peut avoir de la Californie. Ça m’a frappé ce truc-là, je l’ai entendu, je l’ai réécouté, réécouté encore et encore. »
Il n’avait pas simplement écouté un morceau, il avait fait un gros effort de recherche. Forcément, c’est un truc que j’avais apprécié.

Et là, il me dit : « j’étais parti pour retravailler avec Guy-Man’ [NDLR : Guy-Manuel de Homem Christo, moitié des Daft Punk], en désespoir de cause, parce que je ne trouvais pas quelqu’un qui avait cette idée que j’avais. Et là, je tombe sur toi. Le truc d’autant plus incroyable que t’es français et que tu es à Paris. » Je me souviens qu’il m’avait demandé si j’avais écouté ce qu’il avait fait auparavant en précisant : « Est-ce que mon dernier album te plaît ? » Je lui avais répondu : « Non, pas du tout » [rires]. Il m’avait regardé en se marrant. Pour dire ensuite : « putain t’es bon, je crois qu’on va bien s’entendre. »

Très rapidement, on a commencé à bosser ensemble. Au niveau de la production, Seb’ c’est quelqu’un de très confiant. Je pense que c’est pour ça qu’il est venu me voir, parce qu’il est arrivé en se disant : « j’ai entendu ce truc-là, c’est ça que je veux. » C’était aussi simple que ça. C’est comme quand tu files les clefs de ta bagnole à un pote, tu fais ça parce que t’as confiance dans sa façon de conduire.

« Moi je scénarise beaucoup, c’est super important, j’ai besoin d’écrire une histoire.  »

Moi je scénarise beaucoup, c’est super important, j’ai besoin d’écrire une histoire. C’est quelque chose qui se sent dans mon album [Sonic Crusader. Donc avant de faire ne serait-ce qu’une seule note de musique, je suis obligé d’écrire sur papier, de projeter de manière très scolaire, ce que j’ai envie de dire. Sur l’album de Seb’, c’est exactement ce qui s’est passé. Il m’a filé plein d’embryons de trucs, moi j’ai pioché là-dedans comme dans une bibliothèque et j’ai écrit une histoire par rapport à ça. Puis je l’ai fait venir chez moi. Je n’avais pas encore une seule note. Mais j’ai illustré chacun des morceaux avec des disques.
Je lui ai dit dès le départ que ce qui me faisait marrer, c’était ce côté déplumé du personnage qui a quelque chose d’extrêmement charismatique et resplendissant, mais qui est en même temps fragile, comme cassé par la vie. Je voulais que tout ça transparaisse à travers sa musique. Je n’avais pas entendu ça dans ses morceaux précédents. Ce côté un peu poétique, brisé par la vie que moi je trouve extrêmement touchant. Bosser avec lui, globalement, c’était vachement intéressant. Après, moi, je suis un mec qui pousse les gens dans leurs retranchements. Je me pousse moi-même dans mes retranchements quand je fais quelque chose. J’ai quarante-deux ans aujourd’hui et je peux te dire qu’aucun disque ne sort sans que les choses et les gens n’aient été poussés à bout.

A: Tu as sorti beaucoup de maxis et participé à différentes aventures avec TTC, Mos Def, Tellier. Aujourd’hui, tu sors ton premier album solo. J’ai lu que c’est un projet que tu as régulièrement repoussé et refait au moins quatorze fois…

F: Cet album, c’est une illustration de dix ans de ma vie, avec des épisodes loupés et des trucs que, je pense, j’avais besoin de vivre. Ma vision de ce disque a aussi évolué avec le temps. Comme je le dis souvent, j’ai dû attendre très longtemps avant de me mettre à écouter du jazz, parce que je pense que c’est une musique qui nécessite une certaine maturité pour l’accepter et la comprendre. À vingt piges, je n’en avais rien à foutre du jazz. J’étais dans des trucs plus immédiats.

A: L’éclectisme de l’album, dans ses influences et ses couleurs, est particulièrement fort. C’est un point sur lequel tu as été particulièrement vigilant ?

F: Je trouve ça un peu inquiétant la musique binaire, qui n’a qu’une seule couleur. La musique, tu peux en faire ce que tu veux. Si tu avais contraint Van Gogh à suivre son cycle de bleu jusqu’à la fin de ses jours… ben le mec il t’aurait craché à la gueule. C’est comme si tu disais à un cuisinier qu’à partir du moment où il sait faire des éclairs au chocolat, il ne fera plus que des éclairs toute sa vie [rires]. Je ne dis pas que demain je vais faire de la java, chacun à sa propre limite. J’aime cette idée de péplum sonore, où le mec t’amène par la main comme dans un manège, où tu payes ton ticket, tu rentres, et quand t’en sors, tu te dis : « ah ouais, c’est cool ! J’ai envie de le réécouter« .

A: Il y a un autre truc qui est marquant pour moi à l’écoute de ton album, c’est son côté très visuel. Ses dialogues, ses interludes, sa fin, on a l’impression d’être dans un vrai film. Tu l’as scénarisé sur le même principe que ce tu décrivais pour My God is Blue ?

F: Comme c’est mon histoire, certains morceaux correspondent à des passages de ma vie. Pendant ces dix ans, j’ai failli y passer deux fois. La fin, ce n’est pas pour rien que ça s’appelle « The Tale of the Way ». En revenant du Mexique je me suis retrouvé sur une table d’opération, j’ai failli caner, ça s’est joué à un cheveu. Si tu veux, en revenant de ce truc-là, et après ce qu’il s’est passé avec DJ Mehdi, je pense que j’ai quand même un peu de recul sur la vie. On a tous perdu des proches, la musique est aussi là pour ça : pour sauver des trucs de ton âme. Et effectivement, elle m’a sauvé à un certain moment. Quand j’y repense, ma vie c’est un putain de film. J’ai fait de ma vie ce que j’avais envie qu’elle soit : un gros n’importe quoi ! [Rires]

A: Le premier extrait de ton album, « Number One », réunit trois personnalités assez opposées, de régions et époques différentes : Action Bronson, Oh No et Cities Aviv. Les faire cohabiter sur un même morceau, c’était loin d’être une évidence. C’était une façon pour toi de revendiquer une vraie diversité dans tes affinités ?

F: Absolument. Je pense que ça fait partie d’une espèce de casting de rêve. Pour le coup, on ne peut pas faire venir des gens juste pour dire : « je fais venir des gens« . En fait ça dépassait ce truc-là, j’avais aussi une vision scénique du truc, c’est pour ça que je parle d’un casting. Parce qu’effectivement t’as un mec qui fait des rimes autour du salami, pèse 150 kilos pour 1m70 [NDLR : Action Bronson]. Un autre, qui a fait Gangrene avec Alchemist, où les mecs font n’importe quoi [NDLR : Oh No] et Cities Aviv qui est un peu le fer de lance d’une nouvelle scène à la fois rap et new wave pop, poussée par Pitchfork.

Les gars tu les mets ensemble, et tu peux légitimement te dire: « ah ouais, ça fait un truc un peu improbable ! » Si j’avais pu faire un truc avec un cul de jatte et un nain, je l’aurais fait tout de suite. J’aurais rêvé de faire un film à partir de cet album. Et ce n’est pas pour rien si je l’ai scénarisé comme ça.

« Je n’attends rien de cet album parce que la vie ne t’attend pas, personne ne t’attend. »

A: On retrouve ton goût pour l’image dans la pochette de ton album. Le visuel est tout sauf anodin. C’est la reproduction d’une œuvre…

F: … [Il coupe] Ce n’est même pas une reproduction, c’est un original d’une sérigraphie de Jean-Pierre Vasarely, le fils de Victor Vasarely [NDLR : le père de l’art optique]. Il a fait pas mal de trucs, le logo Renault notamment. Ce visuel c’est un ovni dans sa carrière, il a fait des sérigraphies mais pas du tout de ce genre. J’ai choisi cette illustration pour plusieurs raisons. Déjà, parce que je suis originaire d’Aix-en-Provence, et à côté de chez moi il y avait la fondation Vasarely. Ça a été ma première impression d’art contemporain. Ma mère nous amenait là-bas quand on était gosses, et ces espèces de motifs un peu Lego, jaunes, verts, bleus avec des formes un peu primitives, ça m’a énormément marqué. Et poursuivi toute ma vie.

Vasarely c’est un mec qui a toujours fait ce qu’il avait envie de faire. Il a fait toute sa carrière en France et pourtant il reste assez peu connu ici. Quand tu mets un pied au Centre Pompidou, le portrait de Pompidou, à l’entrée du musée, il a été fait par Vasarely. Tu as des millions de gens qui se pointent là-bas, ils ne savent même pas qui est Vasarely. Son travail fait pleinement partie du patrimoine franco-hongrois, et il n’est pas reconnu sa juste valeur alors que son œuvre est titanesque.

Son œuvre correspond à la fois à mon état d’esprit et à mon histoire. J’ai négocié pendant huit mois avec Michelle Vasarely pour pouvoir l’utiliser. Elle m’a pris au départ pour un drogué qui faisait de la techno dans sa cave. Elle pensait probablement que j’allais défigurer l’œuvre de mon mari. Après, elle a eu raison de défendre son œuvre. Je lui ai expliqué ma démarche, ce que je voulais en faire, sans dénaturer l’œuvre de son mari. Tu noteras qu’il n’y a pas mon nom sur le visuel. C’est volontaire. Mon nom ne doit en aucun cas effacer l’œuvre elle-même.

A: Qu’est-ce que t’attends de cet album au final?

F: Du vin, de l’argent et des femmes nues.

A: C’est tout ?

F: Bah ouais! [Rires] Non, je n’attends rien. Je suis déjà en train de travailler sur le deuxième opus, ce sera une autre partie de l’histoire. Je n’attends rien parce que la vie ne t’attend pas, personne ne t’attend. Tu le fais parce que c’est la seule chose que tu sais faire en vérité.

A : Est ce qu’il y a des artistes de ces dernières années qui te touchent particulièrement?

F: Il y en a plein ! [Enthousiaste] Sufjan Stevens pour moi c’est un champion du monde, toutes catégories confondues. Je le suis depuis ses débuts, quand il faisait de la folk à la con. Il a des idées complètement folles, comme ce jour où il a dit qu’il allait faire un album pour chacun des États d’Amérique [NDLR : Flash fait référence à 50 States Project, projet finalement avorté, même si Stevens a fait un album sur son Michigan natal et sur l’Illinois.] Un jour, il est dans la forêt avec un banjo et le lendemain il te réinvente un son plus électronique avec The Age of Adz.

Pour citer des mecs plus proches de nous, j’aime bien Sango et la clique de Soulection par exemple. Sango, t’es amoureux, c’est la musique de la forêt, c’est super planant et hyper beau. Putain son dernier album… [Il s’arrête] C’est émouvant, tout simplement. Tu as truc froid, noir et un peu désespéré. L’album est ultra-sombre mais en plein milieu tu as ce morceau avec uniquement du violon. C’est la chialade ce titre. Je me souviens que la première fois que je l’ai écouté, je rentrais de club. J’avais les larmes aux yeux. Je me suis dit : « ce mec a tout compris, il a su écrire ce truc qui illustre parfaitement le désespoir. » Il y a un côté très David Lynch sur ce morceau. J’avais vraiment trouvé grandiose.

A: On est dans une époque où si tu ne sors pas des morceaux tous les trois mois, on flirte avec la catastrophe. Tu t’inscris très à l’opposé de cette démarche. On a l’impression que tu préfères sortir très peu, mais très bien.

F: D’une manière générale, je préfère cette approche oui. Même si elle va à l’encontre de tous les dogmes actuels de la consommation. Une consommation schizophrénique. Aujourd’hui, à la qualité on préfère la quantité avec des mecs qui sortent un remix par semaine. La musique ne doit pas toujours avoir un sens, elle est avant tout là pour accompagner ta vie. Tu baises, tu te bastonnes, tu joues avec tes potes, c’est ça la musique, ça n’est pas plus que ça.

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