Meaty Ogre
Interview

Meaty Ogre

Crate digger
acharné, Meaty Ogre est rapidement devenu le producteur phare du jeune label
Galapagos4. Il semble en effet avoir réussi à trouver un son qui lui est
propre, et qui est l’emblème des Offwhyte, Qwel et Mestizo. Véritable
passionné de disques obscurs et auteur de nombreux 45 tours, il se devait de
répondre à notre interview producteur.

Les débuts

Abcdr : Première instru marquante entendue ?

Meaty Ogre : Je pense que c’est « Hello Brooklyn » des Beastie Boys…. La basse m’a tuée sur ce titre.

A : Comment es-tu arrivé à la prod ?

M : J’ai commencé à partir d’un sampler de 2 secondes qui était dans un vieux mixer que j’ai trouvé quand j’avais 16 ans. J’ai samplé quelques boucles de James Brown et j’ai tout de suite été accroc. J’ai fini par acheter un Roland 202 et c’était parti !

A : Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur tes premières instrus ?

M : Ha, et bien j’aime beaucoup certaines des idées de mes premiers trucs, je combinais toujours différents styles de rythmiques et j’étais du genre à utiliser des samples bizarres… Mais je n’avais pas vraiment un contrôle total sur leur agencement, alors j’étais jamais très à l’aise avec mes beats. Cela dit chaque nouveau beat marque une évolution, alors j’étudie toujours ce que j’ai fait dans le passé pour essayer et mieux construire mes nouveaux samples.

A : Ta manière de travailler a-t-elle évolué ?

M : Oui, j’ai beaucoup appris sur les techniques, et j’ai récupéré beaucoup de disques depuis mes débuts. Ma connaissance a grandi, et j’apprends toujours. Assez bizarrement, j’essaye de revenir aujourd’hui à des beats plus simples et efficaces.

La technique

A : Premières machines ? Machines utilisées actuellement ?

M : Roland SP 202, puis j’ai eu Acid 1.0 et une boîte à rythme SP 1200, et c’est tout ce que j’ai utilisé depuis.

A : Boucle ou composition ?

M : Si une boucle est parfaite, je la conserverai comme une boucle, mais je préfère découper et modifier légèrement chaque sample au fil du morceau. Je préfère toujours l’élément live au simple sample, mais si un son tourne bien, tu dois savoir le laisser tel quel.

A : Depuis combien de temps joues-tu de la batterie ? C’est un gros avantage pour un beatmaker d’en jouer et de ‘ressentir’ le rythme ?

M : Dès l’âge de trois ans j’ai voulu jouer de la batterie, et j’ai pu commencer à huit ans. A mon avis c’est un avantage énorme d’apprendre à jouer de la batterie, parce que tu sais de quelle façon sonne chaque élément, par exemple comment un hi-hat doit être joué et accordé en fonction de la caisse claire ou de la grosse caisse, etc… Aussi, en tant que batteur, tu as continuellement des rythmes dans la tête, et quand il te faut transférer ces rythmes dans ta machine, le beat dans ta tête peut facilement disparaître, alors je saute sur mon set et laisse les idées couler instantanément.

A : Tu t’imposes des limites dans le choix des samples ? Genres proscrits ?

M : Je me limite à utiliser des samples issus de disques dont je suis sûr que personne, ou un petit nombre, ne possèdent. Je ne sample pas beaucoup de disques de major, principalement des petits labels ou des pressages privés. Je pratique le diggin’ de disques tous les jours, et après en avoir tant cherché, tu finis par retrouver les mêmes disques partout, et tu commences à avoir le goût de l’obscur. Mes goûts sont devenus très sélectifs à cause de ça, et je pense qu’il est naturel que ma sélection de samples devienne ainsi plus obscure.

A : Méthode de travail : par quoi commences-tu : beat, basse, sample ?

M : En général, je pose les rythmiques en premier et construit à partir de ça. Les drums sont le point d’appui, et s’ils ne sont pas bons, le titre ne sera pas bon. Ça ne veut pas dire que je n’ai jamais utilisé des drums faibles, mais c’est par là que je commence. Si je trouve un sample mortel, je passe en revue une quantité importante de sons de batterie avant que je ne finisse par en utiliser.

A : Où trouves-tu tes kits de batterie ? Pour ou contre l’utilisation de kits issus du rap ?

M : Je prends mes drums dans les disques, et je vais occasionnellement enregistrer mon set de batterie et utiliser les sons. Je pense que ça ne pose pas de problème de sampler des batteries trouvées dans le rap, parce que par essence, tu es toujours entrain de “sampler” un disque. Beaucoup de disques rap des années 1980 contiennent des breaks de tueur grillés et d’autres qui restent encore à sampler… Alors ça ouvrira probablement beaucoup de portes dans le futur.

A : Arrives-tu à écouter des disques en entier sans y chercher, même inconsciemment, de la matière à sampler ?

M : Man ! C’est un énorme souci avec moi… J’ai désormais du mal à écouter quelque chose dans sa totalité, à moins que j’écoute un CD dans ma voiture. Dès que tu commences à produire, tu te mets à tout écouter en boucles de quatre mesures, et ça te rend dingue. Quand j’écoute des disques, je déplace le diamant à travers le disque à la recherche de samples, et je commence à tout écouter de cette façon… Toujours à chercher la partie parfaite. Ça rend aussi mes amis dingues, mais je pense que c’est ce que beaucoup de producteurs font dès qu’ils deviennent plus expérimentés.

Le Producteur, le DJ et le MC

A : Lien entre production et deejaying ? et emceing ?

M : J’ai vraiment commencé par le deejaying… Je voulais être un turntablist quand j’ai débuté, c’est tout ce que je voulais faire. Quand je me suis mis à acheter des disques plus anciens, j’ai abandonné le turntablism et je me suis concentré sur les disques eux-mêmes. Je pense qu’il s’agit de la meilleure manière d’arriver à la production, car quand tu apprends à manipuler tes disques, tu découvres aussi le genre de disques que tu aimes entendre, et ainsi tu sais déjà le genre de titres que tu veux faire. Concernant le Mcing… Je suis un MC dans ma tête, alors quand je fais un beat, je peux toujours entendre la voix derrière le beat, et il est plus facile de visualiser une chanson quand tu peux faire ça. J’aime bosser directement avec un MC quand je suis là à faire un beat, parce qu’il peut ajouter une créativité qui transformera le beat en chanson, plutôt que d’en faire un simple instrumental.

A : Tu fais attention aux textes des mc’s avec lesquels tu travailles ?

M : Bien sûr… C’est très important pour moi. Je ne veux pas que mes morceaux reflètent quelque chose de négatif, ou quelque chose qui aura des répercussions sur ma façon d’être. J’ai toujours essayé de m’entourer de MC intelligents, positifs et ouverts d’esprit, et aussi de gens comme ça en général, peu importe ce que je fais. Je pense que l’on doit être responsable de ses mots, parce qu’une fois qu’on les publie, ils ne sont plus sous notre contrôle. Je vois la musique comme quelque chose de “karmique”, où le message que tu dépeins finis par revenir sur toi. “Si tu vis par l’épée, tu mourras par l’épée”, ce genre de trucs. Il faut aussi avoir du style, de l’animation, de la classe, sinon je m’ennuie.

A : Penses-tu que le fait le funk ou la soul music fassent partie intégrante de la culture américaine, les autres pays auront toujours un ‘handicap’ en matière de production ?

M : Non, le funk est vivant et en pleine forme dans presque tous les pays. Tellement de disques américains se jettent sur les années 60/70 que les autres pays ont leur propre emprise sur la soul et le funk, ce qui rend la musique encore plus intéressante. Concernant la recherche de vynils obscures de soul/funk à sampler, tu peux avoir de temps en temps de la chance à l’étranger, mais pour être vraiment immergé, c’est ici qu’il faut venir pour en trouver.

Crate Diggin’

A : Quelle est ta définition du crate-digging ? Penses-tu que c’est là l’essence de la production Hiphop ?

M : Oui, et si tu ne digges pas, tu n’es pas un producteur de hip hop. Même si tu fais tous tes beats avec une boîte à rythme et un synthétiseur, tu dois chercher et écouter d’autres disques, te plonger là-dedans, construire ton savoir. Quand tu ne diggais pas à l’époque où le rap commençait dans les années 80, tu valais rien… Parce que c’était ça l’enjeu : avoir les disques, et être capable d’apporter quelque chose de nouveau sur la table. Je suis peut-être un producteur aigri, mais je trouve ça naze quand des gens me disent qu’ils produisent alors qu’ils n’y connaissent rien en breaks ou en disques. Si tu sais pas d’où viennent tes kits de batterie et qui sont les artistes que tu samples, t’es pas un producteur, t’es un pompeur !

A : Quelle importance, et part de temps, accordes-tu au fait de chercher des disques ?

M : Je passe littéralement chaque jour à digger. Vendre des vieux disques est ma principale source de revenu pour le moment, et c’est une obsession. Par chance, ma copine veut bien digger avec moi, et elle m’accompagne partout où je vais. Si je ne suis pas dehors à chercher des disques, je suis sur le net pour en trouver, où je lis des livres sur les disques. Je suis hardcore avec ça, mais j’ai des amis qui sont encore plus acharnés que moi.

A : Dans le dernier album de Robust, « Potholes in our molecules », tu produis ‘Pretty hideous’ qui contient un sample du film « Diva » de Jean-Jacques Beineix. C’est assez improbable d’entendre ça dans un album américain. Tu penses que le Hiphop et le diggin’ est une chance pour rendre la musique éternelle et intemporelle ?

M : D’une certaine manière, oui. C’est simplement une résurrection quand tu sors un sample d’un disque que peu de gens avaient entendu la première fois. Le sample a permis à des gens d’avoir un regain d’intérêt pour l’héritage perdu laissé par nos prédécesseurs. Je suis sûr que la prochaine génération de gamins creuseront dans notre musique, pour finalement continuer la boucle.

Projets

A : Es-tu tenté par des collaborations avec des artistes hors hip hop ? Si tu l’as déjà fait, pourquoi ?

M : Pas spécialement, je suis content de rester dans le cercle Galapagos4 pour le moment.

A : Travail pour BO, publicité, télévision ?

M : Oui, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. J’ai fait 2/3 trucs ici et là, mais au final, j’aimerais faire des sons pour des films et des jeux vidéos, si je réussis à trouver un chemin dans l’industrie !

A : Ton premier album solo, Leo Vs Pisces est à moitié instrumental, quelle est ton opinion par rapport à un disque entièrement instrumental ? Qu’exprimerais-tu en plus en comparaison des sons que tu fais pour des rappeurs ?

M : Faire un album instrumental est très difficile ! C’est dur d’en conserver l’intérêt, et de rester soi même assez concentré et conscient de ses idées avant d’en être lassé. En faisant quelque chose par moi même, je dois donner tout ce que j’ai, pour ne pas sonner trop ‘overboard’. Mon style est assez laid back, et il peut être dur d’offrir à l’auditeur quelque chose qui lui fera ressentir ma musique, tout en lui permettant de se laisser aller en même temps. La création de cet album a été un long processus, et maintenant qu’il est fini, j’ai une perspective neuve dans la matière d’approcher ce genre de projet. A partir des instrumentaux, je dois créer ma propre voix, et faire en sorte que la musique parle d’elle même. Beaucoup de producteurs vous le diront, c’est trop dur !

A : Ta collaboration rêvée ?

M : J’adorerais faire des beats pour JVC Force, un de mes groupes préférés de tous les temps. J’aimerais aussi faire un titre avec Pure and Natural, un groupe obscur de Chicago des années 90. Si j’arrive à les trouver, je leur apporterais le feu !

A : Ça t’intéressait de collaborer avec des artistes hors du cadre Hiphop ? L’as-tu déjà fait ?

Oui, j’ai travaillé avec des gens de toutes sortes. Mon frère est dans un groupe de death metal, et on va bosser ensemble prochainement, ça va être un truc de fou. J’aime travailler avec des gens excentriques et créatifs. Je ne considère même pas mes potes de Galapagos4 comme des artistes « hip hop ». On est simplement des individus ouverts qui font la musique qu’ils aiment, peu importe qu’on appelle ça du hip hop ou pas.

Affinités

A : Producteur fétiche ?

M : Je dois dire que Prince Paul est mon favori. Il prend des boucles mortelles, des percus puissantes, et il est très joueur avec tout ça. Les premiers albums de De La Soul étaient conçus comme des mixtapes, avec une vraie continuité et c’est ce que j’essaye de faire. Lui et beaucoup d’autres m’ont inspiré à faire des albums rap quand j’étais gosse.

A : Morceau parfait : quel MC avec quel producteur ?

M : Percee P sur un beat du Bomb Squad.

A : Ta vision d’une prod parfaite ?

M : Organized Konfusion – Stress (l’album entier)

A : Production dont tu es le plus fier ?

M : « Bells of the Beast » (Heardrums records 7″ 2001)

A : As-tu déjà eu l’occasion d’entendre des sons français ou étranger productions ? Quelle est ton opinion ?

M : Je n’ai pas entendu grand chose, mais j’ai acheté du hip hop français l’année dernière… La Rumeur, avec ce beat façon G-Funk qui défonce. Je n’ai pas clairement compris les raps, mais il a un flow plein d’énergie. J’aime IAM, que je n’ai entendu qu’à travers leur collaboration avec le Wu-Tang. Il y avait quelques crews que j’ai entendu quand j’étais là l’année dernière qui étaient bons, mais leur nom m’échappe.

A : De nos jours les producteurs ‘superstars’ sont quelques fois plus en valeur que les rappeurs pour lesquels ils font des sons. Que penses-tu de cela ?

M : C’est comme ça que ça devrait se passer ! Les DJ ont eu leur temps dans les années 80, les MC dans les années 90, maintenant c’est aux producteurs de briller ! Avec les producteurs mainstream, on a l’impression qu’ils prennent volontairement des MC merdiques pour rapper sur leurs beats, pour qu’ils puissent mieux se faire remarquer. Je kiffe ça ! A propos, je suis un grand fan de Timbaland, Lil Jon, Neptunes, Just Blaze, David Banner, OutKast, et beaucoup d’autres trucs commerciaux.

Les enjeux de la production Hip-Hop

A : De nombreux albums sortent sans aucun sample. Entre rejouer une mélodie avec des instruments et sampler en payant des droits, que choisis-tu ?

M : Rejouer, c’est mortel. C’est élégant, et créatif. Si on me donnait le choix de sampler un disque en payant 100 000, je ferais la même chose, rejouer le truc, parce qu’en général, quand tu fais ça, tu finis par faire quelque chose de complètement différent quoiqu’il arrive.

A : Considère-tu qu’un sample doit demeurer un mystère ou n’hésite-tu pas à en dévoiler l’origine ?

M : Je dis toujours aux gens l’origine de mes samples s’ils veulent savoir. Ca me montre qu’ils écoutent, et qu’ils s’intéressent au diggin’, chose dont j’adore parler.

A : Penses-tu, comme la plupart des gens, que le reste du monde est inspire par les sons ricains ?

M : Pour la production Hip-Hop, je dirais oui, comme beaucoup de productions étrangères n’atteignent pas l’Amérique, sauf pour ceux qui cherchent par eux mêmes, et c’est un cas rare ici aux States. Cependant, la musique américaine semble être bien distribuée partout dans le monde, alors ce n’est pas vraiment une balance équilibrée.

A : Quels sont tes coups de coeur et les choses que tu détestes sur les trois dernières années en matière de production ?

M : Il y a eu des trucs excellents qui sont sortis, et des trucs horribles. Aussi ironique que ça puisse paraître -comme je suis impliqué dans cette scène- je n’ai pas tendance à aimer beaucoup des trucs “underground” que j’écoute en ce moment. J’aime les choses chelou-expérimentales si ça me transporte, mais c’est rare. Je suis plutôt dans les beats dirty south ces temps-ci, les beats avec beaucoup de basse et d’énergie. Je n’écoute pas vraiment de sons hip hop en premier lieu, comme je consacre la plupart de mon temps à écouter du rock psychédélique, du jazz, de la soul, du disco ou du rap old school, et des beats downtempo. J’ai juste le nouveau Ghostface, et ‘Run’ est mon beat préféré du moment… J’ai les percus, elles viennent de la bande originale de Biker… Un disque rare, à respecter !

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