Lord Esperanza, presqu’île rap
Interview

Lord Esperanza, presqu’île rap

Il a rejoint très tôt un label, sort des mixtapes avec son groupe Pala$$, et détonne avec ses trench coat et ses ambiances haussmanniennes. Lui, c’est Lord Esperanza, auteur de l’EP Drapeau Noir, entièrement réalisé avec le producteur Majeur Mineur. Entretien.

Abcdr du Son : Depuis combien de temps rappes-tu ? Et comment as-tu commencé ?

Lord Esperanza : Cela va bientôt faire six ou sept ans et j’ai commencé par amour de l’écriture, ça vient de mes parents et également du fait que j’ai commencé à lire très jeune. Au collège, j’ai participé à des concours d’écriture pour lesquels  j’écrivais des petits poèmes, des petites nouvelles et le rap est arrivé après. J’étais beaucoup touché par la musique, j’écoutais beaucoup de rock et ai eu la chance de découvrir pas mal de sons différents, des sonorités orientales, du jazz ou de la soul et du coup, ça s’est un peu fait progressivement. Petit à petit, j’ai été influencé par l’essor d’une nouvelle génération avec des rappeurs comme Nekfeu, Alpha Wann, Guizmo mais c’est vraiment la Sexion d’Assaut qui m’a donné envie de faire du rap.

A : Pourquoi Lord Esperanza ?

L : Originellement, c’était juste Speranza. Ça vient de Vendredi ou la vie sauvage, une réécriture de l’histoire de Robinson Crusoé et c’est le nom que donne Vendredi à l’île pour garder espoir. Lord s’est ajouté plus tard car il y a une certaine pluralité dans ma musique, Lord c’est le côté un peu condescendant, qu’on peut retrouver dans « L’enfant du siècle » et Esperanza c’est plus le mec de « Comme tous les autres » qui essaye de décrire le monde tel qu’il le voit, qui tente d’être plus poétique, plus romantique et qui correspond plus à ce que je suis aujourd’hui. Lord, c’est un peu le petit con arrogant que j’ai pu être tandis qu’aujourd’hui je tend plus à être Esperanza.

A : Tes premiers sons différent beaucoup de ce que tu fais maintenant, je pense a « Hors de portée » qui sonne un peu plus old school contrairement à « L’enfant du siècle” ou “Trap Tears” qui sont beaucoup plus trap. Pourquoi ce virage artistique ?

L : Parce que la trap c’est une longue histoire d’amour ! [Rires] Je n’ai pas enterré cette partie un peu old school et parfois elle ressort mais c’est vrai qu’elle est beaucoup moins présente. Aujourd’hui je pense qu’il y a plus de sonorités trap dans ma musique mais un morceau comme “Comme tous les autres” ne rentre dans aucune des deux catégories. J’essaie plusieurs styles, que j’aime autant les uns que les autres, car je veux vraiment montrer cette pluralité artistique. Lord Esperanza ce n’est pas un mec qui fait de la trap ou un mec qui fait du old school, c’est un mec qui a pour ambition de tenter des trucs.

A : Beaucoup t’ont découvert sur l’EP Acid Rose Garden de Pala$$, le duo que tu formes avec Nelick. Comment cet EP s’est-il construit ?

L : On s’est rencontrés par le biais d’un beatmaker commun avec qui on travaille qui s’appelle Eyal Hacman. On s’est tout de suite très bien entendus et un jour d’un commun accord on s’est dit : “et si on faisait un duo ?” On a choisi le nom Pala$$ bien avant de connaître l’existence de la marque, on trouvait que ça sonnait bien. Quand au nom de l’EP Acid Rose Garden, c’est un nom très poétique et il correspond bien à l’ambiance du projet. Il est sorti en octobre 2016, accompagnés de plusieurs clips dont celui du morceau « Espace Temps » qui arrive bientôt. Pour l’instant on travaille tous les deux sur nos projets solos : moi sur Drapeau Noir et lui sur une mixtape qui s’appelle la Kiwibunnytape, qui arrivera avant l’été. Mais Pala$$ c’est toujours d’actualité : une autre mixtape sortira avant fin 2017 et sera cette fois entièrement sur des prods exclusives, de producteurs avec lesquels on travaille comme Majeur Mineur, Eyal Hacman ou encore Piège Maison, qui a produit le morceau « PLS » en featuring avec Eden Dillinger.

A : Avec qui tu as justement fait un Grünt récemment. Comment ça s’est passé ?

L : Chacun avait ramené trois de ses gars les plus proches. J’ai ramené Nelick, Jill Romy avec qui j’ai un groupe en ce moment et Yung Sid. L’équipe nous a contactés sur Twitter suite au morceau Killcam avec Django. J’ai beaucoup de respect pour Grünt qui apporte beaucoup au mouvement.

A : Aujourd’hui,  beaucoup d’artistes refusent les offres des maisons de disques, je pense à PNL notamment. Est ce que tu es signé depuis longtemps [Lord Esperanza est signé chez Modulor, NDLR] et comment ça se passe pour toi ?

L : Moi je suis signé depuis le début et j’estime que c’est important d’être encadré, surtout au début. Pour un jeune artiste comme moi qui monte doucement c’est très bien, l’équipe autour est très pro et on a besoin de fondations solides pour monter dans des échelons plus avancés. Certes il y a des maisons de disques qui abusent : dans certains contrats l’artiste ne touche que 10%. Mais arrivé à une certaine étape dans ta carrière tu es obligé d’avoir une certaine structure, comme PNL avec QLF, Jul avec D’or et de platine, Nekfeu avec Seine zoo… Le but ce serait à long terme de pouvoir travailler avec mon propre label.

A : Tu as fais un concert récemment avec le High five Crew au Batofar. C’était une scène importante pour toi ?

L : J’avais eu la chance de faire Nuit Debout avec Nelick devant quatre mille personnes mais les gens ne nous connaissaient pas contrairement au concert du Batofar où les gens chantaient les lyrics avec nous. C’était génial de passer du temps avec eux, à la fin on a passé une heure à prendre des photos, à signer des autographes… C’était assez irréel et ça restera pour moi un excellent souvenir.

A : Que penses-tu du paysage rap aujourd’hui. Qu’écoutes-tu actuellement?

L : Il se porte très bien ce paysage et ne s’est jamais aussi bien porté. Grâce à internet, tout artiste peut se permettre d’émerger et j’en suis un exemple. Quant à ce que j’écoute, j’aime bien Sevdaliza en ce moment. J’écoute aussi beaucoup de musique classique, de la soul et du jazz. Mais finalement, j’écoute peu de rap, je suis ce qui se fait en ce moment : j’aime bien PNL, SCH, j’écoute encore beaucoup Stromae. Lorsque j’écoute du rap, il est souvent américain : Kendrick Lamar, J.Cole, Mick Jenkins, pour ne citer qu’eux.

A : Aujourd’hui, de plus en plus de rappeurs s’ouvrent à d’autres domaines artistiques tels que la mode, la production,le beatmaking. Est-ce dans tes projets ?

L : Oui la production m’intéresse mais je travaille avec des gens tellement talentueux que je me dis que j’aurais jamais leur niveau en prod et je préfère me focaliser sur mon écriture. Mais c’est vrai que j’aime bien tâter de temps en temps. Je coproduis parfois avec Majeur Mineur, sur le morceau éponyme notamment. Je n’ai pas les capacités techniques mais je lui donnais l’idée et lui la restitue. Je pense que c’est important aujourd’hui de connaître un minimum les bases du mix et de la prod. Cependant, j’espère pouvoir un jour être capable de produire sur mes projets.

A : Il y a toute une esthétique autour de ton personnage : cheveux longs, trench, appartements haussmanniens, etc. Qu’est-ce qui t’inspire dans ta musique et dans ton style ?

L : Je pense que c’est tout ça à la fois. C’est intéressant que tu parles d’architecture parce que j’ai fait un son qui s’appelle « Oscar Niemeyer », du nom de celui qui a conçu le siège du parti communiste à Colonel Fabien et des immeubles à Brasilia. Il avait une architecture assez futuriste pour les années 60. J’aime beaucoup le théâtre aussi. Quand je suis allé voir Roméo et Juliette à La Comédie Française, les mots « drapeau noir » ont été mentionnés. C’est resté dans ma tête et c’est le titre que j’ai choisi, pour d’autres raisons aussi, pour mon EP.

A : Pour quelles autres raisons ?

L : Le drapeau noir c’est le symbole de la rébellion. C’est un EP qui sort au bon moment car j’ai réussi à créer un petit peu d’engouement autour de ce que je fais et l’appeler comme ça, pour moi c’était unificateur. De plus, il y a l’image du pirate qui résiste et qui rappelle ce côté parfois un peu conquérant, pas dans le sens étymologique du terme mais plutôt dans une volonté de sortir des terrains connus.

A : En parlant de cet EP, pourquoi avoir fait le choix de réaliser un EP entier avec un seul producteur et pourquoi Majeur Mineur ?

L : Cela permet de mettre sur pied un univers défini et de dessiner une cohérence artistique. Majeur Mineur pour moi c’est un des meilleurs de sa génération. Il a une vraie pluralité créative : il peut faire des prods très aériennes et un gros banger électronique, pour ensuite nous sortir un boom bap des années 90 qui va sonner comme à Brooklyn.

A : Le premier extrait que tu as sorti de Drapeau noir est le morceau « Comme tous les autres » avec Shaby. C’est un morceau assez personnel et très différent de ce que tu as pu faire.

L : Cela faisait longtemps qu’on pensait à travailler ensemble. Ce morceau a une histoire particulière parce que Majeur Mineur m’avait envoyé la prod, j’avais écrit et je lui ai envoyé une maquette où j’interprète le refrain, mais ce n’était pas top. On l’a refait cette fois avec Shaby qui a magnifiquement interprété le refrain que j’ai écrit. Sa voix donne une toute autre dimension au morceau. Elle sera probablement à nouveau là sur mon prochain projet parce que j’adore sa voix, et parce que humainement, c’est une personne avec qui je m’entends très bien. C’est un morceau qui me tenait beaucoup à cœur car assez personnel, mais c’était important pour moi de sortir ce morceau comme premier extrait pour montrer aux gens une autre facette de ma musique, très différente du deuxième extrait de l’EP, « Emily », qui est beaucoup plus trap.

A : “L’insolence des élus” est un titre très différent des autres dans ton EP. Son texte est très fort et il me semble que c’est la première fois que tu écris un texte aussi conscient ?

L : J’en avais écrits d’autres mais je ne les avais pas sortis. On peut dire que ce morceau c’est un peu Lord et Esperanza en même temps : ce n’est pas de l’egotrip mais en même temps je l’interprète de manière un peu violente. Ça correspond d’ailleurs tout à fait à l’ambiance de l’EP et notamment au titre, qui est un symbole de révolte. C’était important pour moi d’avoir un son qui ne soit pas forcément moralisateur mais qui éveille les consciences, à mon humble échelle.

A : Enfin, y a-t-il un artiste ou un producteur avec qui tu voudrais collaborer ?

Je pense que ce serait Sevdaliza, elle a un univers génial et je remercie Majeur Mineur pour m’avoir fait découvrir cette artiste. Quitte à choisir, j’adore Yael Naim… Yael, si tu vois ce message !

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