La ride mélancolique de Lomepal
Interview

La ride mélancolique de Lomepal

De toute la nouvelle génération du rap français, Lomepal a toujours été le plus imprévisible. Une réputation qu’il confirme définitivement avec Flip, disque hors-cadre où se mêlent productions électroniques et angoisses juvéniles. Tentatives d’explications en compagnie d’un garçon ailleurs.

Photographie : Brice Bossavie

Abcdr du Son : Tu as disparu des radars pendant un petit moment. Comment as-tu pensé ce premier album ? 

Lomepal : En fait j’ai commencé à bosser dessus en revenant d’Australie il y a deux ans. Après l’enregistrement de Majesté, j’avais besoin besoin d’une pause et je suis parti trois mois et demi vivre là-bas avec ma copine. En revenant, j’ai commencé à me remettre en question : je n’étais pas content de tous les morceaux de mon dernier EP, j’avais l’impression de ne pas aller vraiment là où je le voulais avec Majesté et Seigneur…

A : Du coup qu’est-ce qui t’a lancé ?

L : J’ai tâtonné en bossant sur des productions d’un musicien qui s’appelle Mohave [NDLR : membre du duo electro Else] pendant quelque temps. Ça m’a permis d’essayer d’autres choses, notamment de plus chanter, et j’ai énormément progressé sur tous les plans. C’est à ce moment que je me suis senti prêt et que je me suis lancé dans la composition et l’enregistrement de Flip.

A : Ce qui frappe directement en écoutant ce disque, c’est que l’on découvre que tu fais du skate. Pourquoi avoir mis ça en avant seulement maintenant ?

L : J’ai toujours fait bien plus de skate que de musique, en tout cas depuis plus longtemps, et je ne voulais pas le faire n’importe comment. J’ai toujours dis à mes potes que j’attendrais l’album pour le faire : je voulais que ça soit incroyable, pas gentil, il fallait que ça soit du vrai skate. On est dans une période où tout le monde veut faire du skate, c’est cool et branché, alors que moi à mon époque dans les années 2000 ce n’était pas du tout le cas. C’était plus quelque chose où tu te faisais mal, tu étais détesté de tout le monde, tu te bagarrais… C’était vraiment quelque chose de brutal et j’avais envie de transmettre cette émotion-là.

A : On a vérifié sur Genius, tu n’as jamais utilisé le mot “skate” dans un seul de tes morceaux auparavant

L : Je ne voulais pas le faire n’importe comment. Je savais que le jour où je le faisais, je devrais lâcher toute l’artillerie. [Sourire] C’est pour ça que j’ai fait exprès de garder ça secret jusqu’à l’album.

A : En quoi le skate a eu une influence sur ta jeunesse ?

L : Socialement ça m’a appris des choses. C’est le premier truc qui m’a fait voyager, rencontrer des gens, me battre pour exister, pour être fort… Ce sont beaucoup de valeurs que j’ai apprises avec ça.

A : D’ailleurs pourquoi avoir mis en avant la vidéo Baker 3 sur « Bryan Herman »?

L : Parce que c’est un grand classique. Pour moi c’est sûrement la plus importante de cette époque. Je la regardais tout le temps avant d’aller skater avec mes potes, notamment la partie de Bryan Herman que j’ai dû voir une centaine de fois. Et puis tout le monde m’appelait “Piss Drunk” quand j’étais petit, c’était mon surnom.

A : Et pour la musique ? Souvent quand tu fais du skate, tu écoutes plein de choses.

L : Ah oui bien sur. Par exemple dans les vidéos de skate, il y a tout le temps des musiques différentes pour chaque mec : toutes les musiques que j’ai écoutées pendant dix ans, c’était des musiques de vidéos de skate. Je découvrais un groupe via une vidéo, et ensuite j’en découvrais d’autres rattachés à ce même groupe… Si j’aimais bien le skateur, quoi qu’il arrive, j’allais aimer la musique de sa vidéo.

A : Tu regardes des vidéos de skate, tu découvres plein de musique, mais qu’est ce qui fait que tu es plus attiré par le rap qu’autre chose?

L : C’est parce que le rap c’est le rock d’aujourd’hui je pense. Tout le monde fait du rap : tu peux en faire avec trois fois rien, c’est une manière assez facile de s’exprimer… J’avais un pote qui en faisait et je me suis dis : “pourquoi pas moi ?” Au début j’étais nul, nul, nul… et puis, petit à petit, j’ai commencé à davantage maîtriser.

A : Tu as sorti une pochette qui sort du lot, elle est très forte visuellement. Tu n’avais pas peur de détourner l’attention de la musique avec cette image ?

L : Justement, ça justifie encore plus cet album. J’avais envie de dire : bye bye le rap français, je n’en ai plus rien à faire de vos conneries de street credibility, d’être le plus fort, de se comparer, je vous souhaite bonne chance, moi je vais faire mon truc tout seul. Et puis je la trouve belle, même habillé en femme on peut faire une belle pochette : il y a aussi une image de rap décomplexé, l’envie de faire quelque chose de différent.

« Si j’aimais bien le skateur, quoi qu’il arrive, j’allais aimer la musique de sa vidéo. »

A : Justement, tu as collaboré avec des musiciens issus d’horizons plutôt éloignés du rap comme Superpoze ou The Shoes. Le disque a d’ailleurs un son un peu électronique, mélancolique…

L : Oui c’est ce que je voulais. Je n’avais pas envie d’avoir un album qui sonne “rap” à proprement parler, je voulais qu’il sonne moi. C’est la raison pour laquelle j’ai payé pendant plusieurs mois des sessions en studio à chercher mon son avec les réalisateurs du disque Pierrick Devin et Julien Delfaud.

A : Ça veut dire quoi “sonner » pour toi ?

L : C’est difficile à dire comme ça, ça s’entend musicalement je pense. J’ai en tout cas des gens qui me disent que j’ai un son à moi en écoutant l’album, ça me fait vraiment plaisir. Même si les productions changent, elles sont cohérentes je trouve. En fait, je pense que les gens qui travaillent avec moi peuvent maintenant dire en écoutant une prod’ si je la prendrais ou pas. D’ailleurs il m’arrive même d’entendre des instrus que j’adore mais sur lesquelles je n’ai pas envie de rapper dessus parce qu’elles ne correspondent pas à mon univers.

A : Tu n’iras pas faire de son dancehall sur ton album en gros.

L : Il y a un son un peu dancehall sur l’album avec “70” ! Mais il est encore dans mon univers. D’ailleurs à la base, le titre avait été produit par un beatmaker, et ça ne m’allait pas parce que le morceau sonnait trop actuel, un peu Drake – trap – dancehall… Du coup j’ai fait appel au groupe The Shoes pour retravailler le morceau et le rendre plus intemporel, peut être un peu plus électro. Quand tu fais des morceaux trop actuels, tu fais des morceaux périssables. Et ce qui m’importe à moi, c’est d’avoir mon identité.

A : C’est pour ça que tu t’entends aussi bien avec un producteur comme Stwo depuis des années ? Il a vraiment un son à lui.

L : Oui complètement. On adore travailler ensemble avec Stwo parce qu’on fait des choses différentes. On ne veut pas faire des choses actuelles, on veut changer le monde à chaque fois qu’on fait un morceau ! [Rires]

A : Tes meilleurs morceaux sont probablement avec lui.

L : Avant Flip je pense que oui. J’ai d’ailleurs repris des paroles de “Avion Malaisien” sur “Avion” parce que c’est un morceau que j’aime encore beaucoup aujourd’hui. C’est une étape dans ma carrière qui m’a permis de me trouver musicalement.

A : Il paraît d’ailleurs que Drake était intéressé pour avoir la production de “Avion Malaisien”.

L : C’est la première instru qui l’a connecté avec Drake ! À la base, son producteur 40 avait entendu cette production et avait contacté Stwo pour lui dire que Drake était intéressé pour travailler dessus. Puis plus de nouvelles. Du coup Stwo l’a sorti sur Soundcloud : je l’ai entendue de mon côté et je lui ai demandé si je pouvais bosser dessus, il me l’a laissée. Entretemps, OVO s’est réveillé et lui a dit qu’ils voulaient toujours bosser dessus et qu’il fallait qu’il la retire du net. Sauf que c’était trop tard… Ça a en tout cas accéléré sa signature chez OVO.

« C’est faire du rap qui me guérit, bien plus que ce que j’écris dans mes morceaux. »

A : Tu a souvent dit par le passé que le rap apaisait tes inquiétudes. Ecrire a toujours un effet thérapeutique sur toi ?

L : C’est plus le fait de faire quelque chose qui me plaît qui me fait du bien. Le fait de ressentir du bonheur en faisant du rap, ça me guérit de mes angoisses. Ce n’est pas vraiment ce que j’écris dans mes morceaux qui me guérit.

A : D’ailleurs, “Sur Le Sol”, ce n’est pas un morceau que tu as eu du mal à sortir ? Il est très intime…

L : Il est sorti vite celui là. J’ai eu plus de mal à l’écouter qu’à l’écrire. [Sourire crispé] Ça faisait longtemps que je voulais le faire et je suis content, je l’aime beaucoup maintenant.

A : Ta mère l’a entendu ?

L : Oui elle l’a écouté. C’est passé. J’avais un peu peur au début mais c’est passé…

A : Ce n’est pas un peu intimidant de parler de choses aussi personnelles sur un disque ?

L : Je ne dis pas grand chose en réalité. Je transmets une émotion. Il n’y a pas vraiment d’histoire, je n’ai donné que quelques petits détails. Mais en vrai personne ne sait vraiment ce qu’est mon histoire et je n’ai pas vraiment besoin de la dire. Mon travail c’est de transmettre une émotion pour que les gens s’y retrouvent. Si je racontais l’histoire telle qu’elle est les gens verraient que ce n’est pas la même que la leur et ça créerait des murs entre nous. Mon histoire n’a pas d’importance : c’est ce que j’ai ressenti qui est important. Et je pense que plein de gens ont déjà ressenti la même chose.

A : Donc l’histoire de ce morceau, tu ne l’expliqueras pas ?

L : Non, ça n’a pas d’intérêt. Ça gâcherait le morceau.

A : L’autre grande caractéristique de ton disque c’est qu’il est rythmé par de nombreux enregistrements sonores. Pourquoi avoir mis autant de courts extraits audios durant tout le long de ton album ?

L : Je trouve que ça fait vivre le disque. À la base je voulais les jouer, après j’ai voulu les enregistrer, et au final j’ai fini par faire ce qui me paraissait être le plus authentique : j’ai fouillé dans les archives de mon téléphone pour retrouver toutes les vidéos que j’avais et je les ai utilisées pour mon album. Le “Ça va Chef Antoine” qu’on entend au début de “70” par exemple, c’est une vidéo que j’avais prise dans un kebab où je vais tout le temps, et le patron m’appelle comme ça. [Sourire] C’était un hasard qu’il me le dise pile quand je filmais, et c’est ça qui m’intéressait. Tout est vrai.

A : Et “A man has no name” au début de Malaise ? C’est en référence à Game Of Thrones ?

L : Ah non ça c’est un pote à moi l’été dernier qui utilisait cette phrase pour draguer des filles ! [Rires] Quand une fille lui demandait comment il s’appelait, il leur répondait “A man has no name” comme l’assassin de Game Of Thrones. Ca marchait un coup sur deux [Rires]. Le dernier jour de notre voyage, on a fait une soirée folle avec plein de monde, et le lendemain dans l’avion il nous a envoyé une photo de la soirée avec ce message audio, on était morts de rire. C’était un vrai souvenir de vacances entre amis que j’ai voulu garder sur le disque.

A : Il y a aussi une symbolique dans l’extrait audio de la vidéo de skate que tu as mise entre les deux morceaux avec Roméo Elvis ?

L : Oui bien sûr. L’extrait est tiré d’une vidéo du skateur Leo Romeo : on l’entend faire un Smith sur un rail, il se casse la gueule, la vidéo tourne encore, et il va chercher sa board, remonte les escaliers, s’énerve, et finit par le faire. C’est la persévérance et c’est une mentalité que j’ai complètement à l’intérieur de moi. Tomber, c’est l’essence du skate et c’est un peu tout ce qui résume ma vie. [Il réfléchit] Quand j’ai commencé à faire de la musique j’étais nul. Plus nul que tout le monde. Mais je voulais tellement réussir que j’ai fini par devenir fort.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*