Interview

Lexxcoop

Son EP s’appelle Capocannoniere et son flow est toujours aussi offensif… Retour sur le parcours de l’Ambitieux Lexxcoop, entre rap, grime et… foot.

Abcdr du Son : Qu’est-ce qui t’a amené au rap ?

Lexxcoop : J’étais breaker à la base mais je tournais déjà avec pas mal de rappeurs. Ça m’a toujours intéressé. Je ne rappais pas encore mais j’étais fan de rap français, la grosse époque, de 94 à 99 à peu près. Je suis arrivé de Paris très jeune et depuis j’ai toujours habité en Bretagne. Vers 97, via une amie qui connaissait la sœur de Tefa, j’ai rencontré Tefa et Masta. Ils avaient un appart à Saint-Cast. Je suis arrivé chez eux, j’ai vu 2 000 disquettes, une SP12 et une Mackie 24, j’ai fait « putain« . Il y avait J-Mi Sissoko et les 2 Neg’ aussi. Ils venaient de vendre 9 000 mixtapes Cut Killer/MA3. J’ai passé la semaine à les observer travailler. J’ai vu ce qu’était le haut niveau, ça m’a beaucoup inspiré. J’ai visualisé où je voulais aller mais j’ai vu aussi la masse de travail à livrer. Au début, je tournais un peu avec des gars d’ici, Les Serial MC’s, avec qui je suis toujours pote. J’ai rencontré DJ Deheb à Saint-Malo ensuite. Un ami commun connaissait Neeto, qui faisait partie de Hip Obskur. C’était un peu les X.Men de Bretagne. On a halluciné sur leur niveau. Neeto rappe depuis 92 ou 93. On a connecté, Deheb est devenu leur DJ et moi je me suis mis à faire les back. En parallèle, je faisais pas mal de freestyles avec Neeto. Et vers 2000/2001, c’est devenu Ambitieux. Notre première trace discographique, c’était une compilation de De Brazza, le volume bleu de Fuck le Maximum Boycott, auquel on a participé avec DJ Netik. Il en vendait pas mal.

A : Quel a été le premier projet d’Ambitieux ?

L : Officiellement, c’est Dernier Carat, l’album sorti en 2009. Mais on peut considérer que c’est la tape de Deheb qui date de 2001. On avait placé plein de sons dessus. On avait un crew qui s’appelait Menace Fantôme, ça rassemblait Ambitieux, Serial MC’s et Rencontre du 3e Style, qui étaient des breakers : Rudy, Jeff, Bruce, Junior, Mike… En 2004, j’ai sorti Lexx Files avec Brokeneck, qu’on peut presque considérer comme un gros EP d’Ambitieux. On l’a sorti à 1 000 exemplaires, presque tout a été placé. Benny Brokeneck, qui m’ont managé pendant six ou sept ans, ont tout financé : studio, mix, promo, pressage… Ils avaient booké l’Ubu [NDLR: salle de concert rennaise], on avait fait une soirée avec Fredy K, DJ Battle, Prince D’Arabee…

A : Comment s’est fait le morceau avec Fredy K ?

L : C’était pas comme à l’époque internet. J’étais parti une semaine chez mon manager et on avait fait venir tous les mecs pour leur faire écouter les sons. Fredy K est descendu en Bretagne un mois après pour enregistrer. On a fait une radio et il est revenu pour le concert. On allait voir les gars, on connectait, on leur faisait écouter… On s’est connus grâce à un pote commun et Guilherm de Just Like HipHop, ancien manager de Netik. Fredy K a écouté ce qu’on faisait et il a été chaud direct. Personne ne nous connaissait, ce n’était qu’une petite mixtape de l’ouest. De là, on a commencé à faire pas mal de concerts… J’ai eu le temps de bien me rôder, de me former. Il y a aussi eu Arken, Sinistre, Gensi, Atom de Coup 2 Cross, Troubl’… Je ne suis plus là à représenter le hip-hop dans chaque texte mais c’est vraiment ma formation, on traîne avec des breakers, des DJ… Netik, Junior, Mike, que des mecs avec un gros niveau. Et en rap, c’était pareil.

A : Netik faisait partie d’Ambitieux ?

L : Non, même si on a fait beaucoup de dates ensemble, Netik faisait partie de Hip Obskur à la base. Neeto et lui étaient à l’émission Cap’tain Café avec IAM et les X.Men. Netik avait quatorze ans à l’époque mais déjà une petite réputation. Le gars avait un don. L’émission était tournée à Rennes, à l’Espace. Ils avaient entendu parler de lui et l’avaient invité pour l’interviewer. Hip Obskur étaient réputés. Ils avaient fait les Francofolies de la Rochelle… Sylvain Wiltord devait même produire leur album à l’époque. Les deux étaient de Saint-Malo, mais il y avait un troisième membre originaire de Caen, parti ensuite dans Battle Mode Click. NTM était venu en 96 à Quartier d’Été et eux avaient tout retourné en première partie, c’est là que je les ai découverts. Netik, c’est un phénomène. Il a un niveau de fou, que ce soit en technique, en prod’ ou tout ce qui est ingénierie de studio. C’est un autodidacte. Tu lui donnes une guitare ou une batterie, il va jouer. C’est bien plus profond que le scratch

« J’ai découvert la garage, le 2-step et le grime grâce à MTV Base Angleterre vers 2001, et direct je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ». »

A : Je suis retombé sur un disque qui était distribué dans les shops rennais en 2004 : Lidl MC’s… [ndlr : projet réunissant Arm, Simba, Neeto et Lexxcoop]

L : On n’a pas trop communiqué dessus. C’était un projet initié par Rock, un grapheur assez connu. Et au lieu de faire une compil’ de rap, on a raconté l’histoire d’un groupe raté avec ses cinq gros clichés. Ils rappent dans leur quartier, rencontrent un manager véreux qui leur fait un contrat de merde, trois du groupe partent, font un tube et les autres retournent à l’usine… Ça a été pressé à 1 000 exemplaires et donné. On regrette un peu de ne pas avoir monétisé là-dessus. Même aujourd’hui, plein de gars font des trucs dans ce genre-là. On avait juste écrit en tout petit nos noms dans le livret. C’était original, ça rappait, les prod’ étaient là… On aurait pu tourner. Le mec recevait des messages de skaters de Lyon, ils utilisaient l’argot qu’on avait mis dans le CD, c’était un truc de ouf… On en avait distribué pas mal dans un shop de vinyles rennais, Downtown Records. On ne va pas dire que c’était l’âge d’or mais c’était une bonne époque, on squattait là-bas. Fdy Phenomen était venu faire un showcase une fois… Mais ce n’est resté ouvert que quatre ans. Même Rennes Musique, qui était le marchand de disques indépendant et historique de Rennes, a fermé alors que c’était super pointu. Avec l’arrivée de Virgin et du net, ça devenait dur. Même le Virgin de Rennes, c’est fini, tout est parti aux enchères…

A : Venant de Province, c’était difficile de s’imposer vis-à-vis du milieu parisien ?

L : Grave. Surtout qu’on a commencé en plein dans la période Manau, le gros cliché qui n’avait rien à voir avec tous les mecs qui rappaient ici. Surtout que ce sont des Parisiens. Les gens un peu pointus savaient qu’il y avait des mecs comme Sysmix vers Angers, Soul Choc, Bastion… Au début, beaucoup de parisiens étaient un peu sceptiques mais ils ont pris quelques bonnes cartouches en écoutant [sourire]. Et puis la crédibilité est vite venue parce que Junior a gagné Battle of the Year en 2001 et Netik est devenu champion du monde la même année. Nous, on faisait plein de scènes, la première partie de The Pharcyde… On était tous potes et chacun est allé haut dans sa discipline, même si c’était évidemment plus compliqué pour nous. Le rap, c’est plus long à développer. Tu peux arriver sur un coup vite fait, mais pour être présent sur du long terme, c’est autre chose. Le premier « blogueur parisien » un peu pointu à avoir parlé de nous, c’est Frooty.

A : Vous avez posé « Légendaire » sur la tape Spécial Province de Poska, ça s’est fait comment ?

L : Brokeneck le connaissait déjà. Moi, je l’avais rencontré plein de fois aussi, il voyait qui j’étais. Il nous propose de faire un morceau. Netik venait tout juste de se mettre à la prod’. Le morceau est super electro, Poska a trop kiffé. Durant la promo, il disait genre : « Ouais, il y a ça, ça, ça et il y a la technique, avec les mecs de Rennes » [sourire]. Ils ont passé le morceau à Couvre Feu. Les gens pouvaient voter et le son était classé septième. On va à Couvre Feu pour freestyler et le son finit quatrième. Aux trois premières places, c’étaient des mecs qui vendaient des centaines de milliers d’albums. On était contents [sourire]. Poska nous a grave poussé. C’est là que ça a monté d’un level au niveau des plans. A la même période, on a gagné un concours international de grime qui nous a permis de faire un concert au QG Puma à Berlin pendant la Coupe du Monde. C’est arrivé d’un bloc, ça correspond à l’époque de Myspace qui nous a donné trop de plans aussi. On a enregistré des sons avec des Américains et fait des scènes à Paris, en Belgique…  Avec Ambitieux, on a dû faire une centaine de shows en tout. On a construit plein de souvenirs. On a foutu le bordel à la première partie de 113 à Art Rock devant 8 000 personnes… L’un des meilleurs souvenirs, c’est quand Netik a gagné ses titres en Angleterre. Et la première partie de Dizzee Rascal récemment aussi, dont je suis fan depuis dix ans. Rockin’ Squat nous a fait monter sur scène aussi une fois, le mec super cool, il ne nous connaissait pas et il fait : « Alors les mecs, freestyle ou quoi ? Si vous êtes propres, vous faîtes un seize !« . Il était avec La Caution.

A : D’ailleurs, votre son et celui de La Caution sont assez proches…

L : A part le très bon freestyle de Nikkfurie que j’avais entendu à ce même concert et peut-être un morceau, je ne connais pas La Caution en fait. Ce n’est donc pas du tout intentionnel. J’ai découvert la garage, le 2-step et le grime grâce à MTV Base Angleterre vers 2001, et direct je me suis dit : « C’est ça que je veux faire« . Dans Lexx Files, tu sens que ça prend forme et dans Dernier Carat, on y est. Que ce soit au niveau de l’écriture ou autre, il n’y a que deux ou trois mecs qui m’impressionnent aujourd’hui en France. Sinon, c’est comme nous tous, les Ill, Hifi… C’est eux qui m’ont retourné le cerveau. Pour la scène anglaise, j’ai toujours aimé Dizzee même si maintenant il se contente un peu de faire de l’oseille. Mais son premier album, c’est un des meilleurs de tous les temps. Il y a aussi Wiley et plein de jeunes comme Cashtastic. Merky Ace, G FrSH… Tre Mission également, un Canadien, super fort. Après, je suis beaucoup les producteurs. Je ne cherche pas trop à faire des featurings avec des mecs comme ça, ce sont les producteurs qui m’intéressent. Sur mon EP là, j’ai notamment un beatmaker de Wiley.

A : C’est quoi l’histoire du morceau avec Prince Negaafellaga et Araabmuzik ?

L : Prince est super connecté avec les mecs de Dipset Europe et même les Américains. Il a fait des morceaux avec Jim Jones… J’avais vu une vidéo d’Araabmuzik où il faisait de la MPC live, le gars était entre la prod’ et la routine du DJ. J’ai envoyé ça à deux, trois potes dont Prince. Trois semaines après, il m’envoie un message : « J’ai un morceau avec Araabmuzik, vas-y, c’est toi qui me l’as montré, je fais un remix, tu viens dessus« . J’étais en feu. C’est comme si j’avais gravi un monde [sourire]. Prince est d’Agen à la base mais il est à Marseille maintenant. Lui, c’est un frère. On a fait des concerts ensemble et plein de morceaux. Les médias ne le calculent pas mais il a un catalogue de featurings à faire pâlir n’importe qui. Si tu n’es pas en maison de disques, il y en a pour un million d’euros. Moi, pareil, je ne crache pas pour mes feats. Je m’arrange, il y a toujours moyen. A l’époque de Myspace, je prenais des renseignements, les mecs te sortent : « Ouais, c’est 7 000$« . Arrêtez les gars ! [sourire]

A : Tu ne trouves pas ça normal de payer pour un couplet ou une prod’ ?

L : Ça peut être normal. Je peux comprendre. Moi-même, il y a longtemps, j’ai fait payer des mecs pour des couplets. Mais je sais qu’il existe d’autres moyens. Il y en a peut-être deux ou trois pour qui je mettrais un billet direct mais sinon… Même si les gars sont forts, ça ne m’intéresse pas.

A : D’un point de vue écriture et emceeing, quelle a été ton approche pour l’EP ?

L : Je n’ai plus du tout une approche française, montrer que t’es intelligent dans les textes… Je déteste ça. Je préfère faire de la fausse ignorance. Il faut que je me divertisse. Pour moi, un des meilleurs rappeurs, c’est Cam’ron. Le mec englobe tout ça. Dans sa carrière, il a tout eu. Il a eu une période où c’était un putain de MC, il avait les meilleurs placements, les meilleurs lyrics, les meilleures punchlines. Une autre où il a fait le gars un peu marrant… Tout ce que les mecs genre Lil B ou Riff Raff font aujourd’hui. C’est le gars qui m’inspire le plus, que ce soit au niveau de l’écriture, des systèmes de rimes… En France, on n’a rien inventé, c’est que de la mise au goût du jour. Au niveau des flows, des placements, je suis très porté sur l’Angleterre. J’aime bien la technique, que tu sentes la maîtrise, la performance. Notre génération, tous les mecs qu’on écoutait avaient un niveau de ouf. Ça nous paraissait infranchissable. Maintenant, tu peux arriver et reproduire assez facilement tous ces mecs qui font un peu du easy listening. C’est facile à rapper.

J’ai beaucoup progressé sur ma façon de travailler. Je travaille davantage en amont, ce qui me permet d’être plus efficace en studio. J’ai retenu quelques one shot. C’est la première fois que je ne suis pas à flux tendu. J’ai mis pas mal de morceaux qui tenaient la route de côté. Je voulais faire un EP consistant. L’EP parfait pour moi, c’est Axiom de Durrty Goodz. C’est mon Cam’ron du grime. J’ai vraiment cherché à faire un track avec lui. On a discuté par mail pendant trois ans. Malheureusement, au moment où il était chaud pour descendre faire un clip, j’ai eu des problèmes d’ordre privé et j’ai mis ce projet de côté. C’est le demi-frère de Crazy Titch, un pionnier du grime UK, aujourd’hui en prison… Les Anglais ne rigolent pas du tout au niveau des beefs. Les Wiley, Professor Green et compagnie se sont tous fait trancher. Il y a deux quartiers en guerre à Londres : Brixton et Peckham. Les mecs se détestent depuis des années. Les rappeurs n’ont pas forcément de différends particuliers, c’est surtout des diss géographiques. Quel que soit ton blaze, ça peut vite vriller.

« J’ai seulement 20% des codes communs avec tous les rappeurs français. »

A : On retrouve qui sur l’EP ?

L : En prod, il y a Netik, Deheb, Grimey Beatz de Clermont, qui a aussi fait la pochette, Priceless d’Angleterre, C2K de Birmingham, Gizzle de Bordeaux, les Twinztrack de Dinan et GitdatBeats d’Allemagne. En featuring, tous les mecs que tu as pu entendre sur Samuel Eto’o Fils Remix, Young Hott et Grems. Il y a également un solo de Rodd, qui faisait partie d’Olympe Moutain. Il m’a fait écouter son track, j’ai pété un câble. Il rappe plein de trucs que j’aurais pu rapper. Ça a été une évidence pour moi de le mettre sur l’EP. Et puis il y a le morceau avec Fellaga, Falgas et Araabmuzik. Prince, Falgas et moi, on a presque une dizaine de morceaux ensemble et on va sûrement en ressortir d’autres. J’ai aussi un son avec Crooked I de Slaughterhouse, mais je vais le garder pour un autre projet. Je suis très impressionné par les jeunes avec qui j’ai collaboré, que ce soit au niveau de la qualité des prestations ou au niveau de la réactivité. Un gars comme Krampf a un bel avenir devant lui. Je lui ai envoyé les prises d’un morceau un soir à deux heures du matin, le lendemain matin à neuf heures, il était mixé.

A : Comment s’est faîte la connexion avec Grems ?

L : Je traînais beaucoup sur les forums à l’époque, vers 2007 ou 2008. Et je voyais que tout le monde était sur une compil’ : Rouge à Lèvres. J’entends le mec rapper : « Putain, c’est qui ce gars-là !? » Du coup, je le connecte sur le net. Lui et Sept, qui traînaient pas mal ensemble, pètent un câble aussi sur mes sons. Ils sont venus en concert à Rennes deux semaines après, timing parfait. On s’est captés et on ne s’est plus jamais lâchés. Il m’a mis sur Rouge à Lèvres 2, Sea, Sex & Grems… Et ça été un des mecs les plus bouillants pour poser sur mon EP. Avec Netik, à qui je n’ai rien demandé. Netik est venu me voir : « Alors, tu fais un EP ? Bah mec je vais te faire une prod‘ ». J’ai reçu la prod’ : c’est exactement ce qu’il me manquait. L’EP était trop rap, je n’avais pas assez de grime, c’est super équilibré maintenant. Je suis super sûr du matériel. Je sais que ça va chier, les visuels comme les morceaux. Et humainement, je suis super content que les mecs aient été là tout de suite pour moi. Souvent, il y a tout un cérémonial entre le moment où les mecs reçoivent les trucs et celui où ils posent…

A : Le fait d’être très porté sur le grime, tu penses que ça t’a un peu éloigné de la scène rap française ?

L : Ouais, grave. Parce que je ne suis pas du tout dans le moule rap français. J’ai seulement 20% des codes communs avec tous les rappeurs français. Mais je respecte, chacun ses trucs. On est très peu dans notre domaine. Il y a avant tout DJ Absurd, un des pionniers de la bass music anglaise. Grems, quand je l’ai rencontré, était très porté sur la deep house et la broken house mais écoutait déjà un peu de grime. « 64 », c’est du pur grime par exemple. Il y a Entek aussi, qui tourne pas mal sur scène avec Grems et fait du beatboxing, c’est un gros fan de grime. Et également la clique d’HPS, active depuis longtemps.

A : Il y a quand même des mecs avec qui tu aimerais collaborer en France ?

L : Si j’avais un morceau à faire avec un mec, ce serait avec Ill. Je l’emmènerais dans le même genre d’ambiance que le son qu’il a fait avec Grems. Son couplet tue. Pour moi, t’as Ill, Neeto et Grems. C’est trois des meilleurs rappeurs français de tous les temps. Il y a un gars que je trouvais super fort aussi à l’époque : S-Kiv. Personne ne le le calculait mais son EP En Mission vaut vraiment l’écoute. Si ce mec rappe encore aujourd’hui, je veux faire un track avec lui. Sinon après, il y a plein de mecs dont j’apprécie le travail, mais de là à les contacter pour faire un morceau… Comme je t’ai dit, ce qui m’intéresse, c’est de trouver des beatmakers, connus ou pas.

A : Et t’aurais envie d’aller chercher qui comme beatmaker en France ?

L : C’est difficile à dire comme ça… Par exemple, celui qui fait des beats à Seth Gueko, Cody Macfly, il est pas mauvais. Après, les Therapy et tout, ils font de bonnes prod’ mais j’ai déjà des gars dans ce segment.

A : Tu as beaucoup de DJ dans ton entourage, c’est une discipline qui t’intéresse ?

L : J’ai toujours été fan de turntablism et avoir cet entourage m’a motivé à approfondir. Tout le monde avait des platines, on mixait tous plus ou moins… J’avais un niveau correct en beat juggling. J’ai des témoins [sourire]. On a rencontré très tôt Netik, Kodh et Bachir, qui font partie de la famille. On descendait les uns chez les autres, il y avait une coalition entre Rennes, Rouen et Paris. Kodh est le premier champion DMC français. J’étais allé à l’émission de Bachir : Edutainment. C’était en 2005, il m’avait vraiment respecté. Bachir est un mec pointu et sans a priori dans son écoute de la musique. On bougeait ensemble aux championnats DMC. On était de vrais hooligans [sourire]. On était insupportables, on foutait le bordel et supportait nos gars à fond à base de trash talking. Tous les ans, au moment du DMC, on se remémore ces moments… Je ne vais plus aux compétions mais je regarde toujours des routines de six minutes sur le net. Ça m’inspire beaucoup pour le rap. A l’époque, les turntablists étaient de vraies rockstars. Les championnats du monde se déroulaient devant 15 000 personnes ! Et puis les premiers à avoir adhéré au grime à l’époque sont des DJ et des breakers, ainsi que mes potes IK et Jo, les Cash Money Millionaires de Rennes !

A : Sur Dernier Carat, il y a un morceau avec Dmoe, un rappeur allemand, comment vous l’avez rencontré ?

L : Quand on a fait Grime Time à Berlin, on avait besoin d’hydroponique et le mec nous avait rencardé. Il était connecté avec toute une clique de potes et on est partis enregistrer en studio à Berlin-Est. Les mecs ne rigolent pas. C’était un père et son fils. Studio de montage vidéo à l’étage et studio de musique en bas. Les mecs étaient trop carrés. La rigueur allemande, c’est vraiment pas une légende. Le gars va jusqu’à calculer la distance et l’angle de ta bouche par rapport au micro ! On a fait trois titres en une après-midi : un pour eux, un pour nous et un pour son violoniste. Le violoniste, c’était un phénomène, il était habité. Les Allemands ont des flow de ouf aussi. On a trop une idée arrêtée sur l’Allemagne, tu crois que tu vas arriver en URSS mais pas du tout, ils sont super loin.

J’ai collaboré avec une autre artiste de là-bas : Brixx. La meuf est six fois disque de platine. Et ça, c’est encore Myspace. Je la connaissais parce que j’avais vu un documentaire allemand qui évoquait un album où elle avait comme invités Beatminerz, Busta Rhymes, Camp Lo… Elle m’ajoute et me dit : « Ouais, j’ai un plan pour toi, si ça te dit« . Elle produisait l’album d’un mec qu’avait fait une télé-réalité, elle le ghoswritait… J’ai posé un huit, pris un billet, elle m’a défrayé le studio et elle me fait : « J‘aime bien ce que tu fais, je te pose un refrain sur ton son« . Elle m’a fait ça gratuitement. Sur Dernier Carat, il y a Baby K aussi, une Italienne. Elle n’avait pas encore explosé. Là, ça y est, elle est disque d’or, elle a gagné les MTV Awards du meilleur nouvel artiste… C’est pour ça que je ne peux pas arriver en mode « ouais, on va tout péter » quand je vois ces parcours dans mon entourage. Je m’inspire de tous ces gens autour de moi qui font des choses remarquables. Tant que je fais de la bonne musique, c’est cool !

A : Tu comprends l’allemand ?

L : J’étais super mauvais à l’école mais depuis que je sais que ça peut être utile, je retrouve quelques notions. L’anglais, on va dire que je suis quasiment bilingue.

« La rigueur allemande, c’est vraiment pas une légende. »

A : Ill disait que le fait de comprendre et parler d’autres langues était un avantage considérable pour un rappeur…

L : Mais grave. Lui, c’est le meilleur exemple. Quand il est arrivé avec « Pendez-les », les flows qu’il avait… Je suis sûr que les mecs ont dû croire qu’il rappait en américain au début tellement il avait de flow. Il nous a traumatisé, tous. Manier les langues étrangères, ça aide à modifier les mots pour qu’ils sonnent bien.

A : Il y avait plus ou moins un troisième membre dans Ambitieux : Gambay…

L : Gangndo, j’étais avec lui sur Saint-Malo depuis la fin des années 90. Il a bougé à Londres, il faisait de la sécu’, genre garde du corps de Naomi Campbell. Maintenant, il est chasseur de têtes, il recrute en Angleterre des mecs dans le génie civil pour les faire bosser au Tchad. Il avait une marque de fringues : Gambay Corp. mi-streetwear, mi-habit bledard. Dany Dan avait pété un plomb dessus. Tous les mecs avec qui je fais de la musique sont des frères, Gambay, Doc Brown, Netik… Le frère de Gangndo jouait en CFA au Stade Rennais. A cette époque, on voyait souvent les joueurs, notamment El Hadji Diouf qui est super cool. Tu le vois comme ça, t’as l’impression qu’il a un boulard de ouf mais non, trop tranquille ! A chaque fois qu’on se croisait, que ce soit en boîte, chez un pote ou au centre commercial, il prenait le temps de discuter 5/10 minutes. On a tapé quelques soirées ensemble…

A : Avant les matchs ?

L : [rires] Non ! Pas avant les matchs. Ce ne sont pas les mecs les plus extravagants sur le terrain qui sont les plus ouf en vrai… Le pire, c’était Toifilou Maoulida. Il habitait à Saint-Jacques [ndlr : commune au sud de Rennes]. Le mec achetait des paquets de clopes et les jetait par la fenêtre aux jeunes sur la place, il se prenait pour Jésus [rires] ! Et en boîte, c’était encore pire… Diouf était vraiment cool par contre. Il est en D2 anglaise là, je crois. Il était plus jeune que moi, t’as l’impression qu’il a quarante ans tellement il a fait de clubs. C’est comme Anelka. Je suis content qu’il revienne en Angleterre. Ça aurait pu être l’un des meilleurs joueurs du monde. Le gars n’a pas eu le bon timing.

A : Il avait une grande gueule aussi…

L : Il avait une grande gueule mais il avait raison. A Madrid, il s’est fait boycotter. Il a croisé Eto’o là-bas au moment où il se barrait, Eto’o lui a dit : « C’est mort, tu joueras jamais, c’est Raul et Morientes qui font la loi« . Et l’année-là, c’est Anelka qui les envoie en finale de Champion’s League quand même. Beaucoup de ses silences ont été mal interprétés. Je le respecte grave. J’étais heureux quand le PSG l’a racheté, même si c’est le pire move que tu puisses faire : racheter un joueur que tu as formé pour 33 millions… Et ça n’a pas marché…

A : « Personne n’est prophète en son pays, demande à Trezeguet »…

L : Trezeguet, il serait argentin, ce serait une légende. En Italie, c’est une légende. Et en France… Son but en or à l’Euro, son pénalty en quart de la Coupe du Monde… Lui et Henry avaient vingt ans ! Les vieux n’y sont pas allés ! Quand il était à Monaco, il impressionnait tout le monde à l’entraînement : toutes ses frappes étaient cadrées, toutes ses frappes ! Il vient de signer à Newell’s Old Boys, le club du nouveau coach du Barça. C’est Messi qui l’a fait venir, lui. Messi, avec mes potes, on l’appelle Lance Armstrong. C’est pas possible : le mec joue 80 matchs et il est blessé une semaine par an…

A : Pourquoi n’es-tu pas passé pro ?

L : Trop jeune, trop arrogant, je me suis barré ensuite, j’ai fait n’importe quoi. Mais ça m’a beaucoup servi pour le rap. J’étais à Guingamp avec la génération 79/80 qui n’a rien donné. Il n’y en a qu’un qui a joué quelques matchs en pro. Il a fait le match où Ronaldinho met son but du milieu de terrain, il était au marquage sur lui ! Coridon est arrivé à Guingamp quand j’étais au centre. Il a tout de suite joué avec les pro alors qu’il venait de DH. Il avait vingt ans, venait de Martinique et n’avait jamais joué avec des crampons de sa vie ! Il était sympa avec les jeunes, on se croisait souvent au fast food du coin. J’étais vraiment content quand il a marqué son fameux but contre Porto.

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