Les Sages Po’ et la MZ
Interview

Les Sages Po’ et la MZ

Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? Un amour sans faille de la musique bien sûr mais aussi un besoin de se mettre constamment en danger. Après avoir encadré une ribambelle de jeunes rappeurs, Zoxea et les Sages Po travaillent désormais avec la MZ. Rien de tel qu’une table ronde pour découvrir ce qui les a rapproché.

Abcdrduson : Comment est-ce que la connexion s’est faite entre les deux entités, Sages Poètes de la Rue et MZ ?

Zoxea : Je les ai entendus pour la première fois au 104, à l’époque où j’y avais ma résidence. Ils étaient venus me voir avec Davidson, qui est leur manager depuis le début, et Saxo, qui est un ancien dans le rap. En fait, Saxo m’avait dit « je passerai ce dimanche avec des jeunes du quartier qui sont très chauds ». Je ne les connaissais pas mais je savais qu’ils devaient venir et cette première rencontre artistique s’est faite en 2009. Ils sont venus 2 ou 3 dimanche. En fait, à la fin des ateliers, je mettais des instrus sur ma MPC, tous les gars présents kickaient et ils font vraiment partie des gens qui m’ont marqué.

A : La MZ, est-ce que vous étiez du genre à vous jeter sur ce genre de plan et à aller kicker un peu partout ?

Jok’air : Pas trop parce qu’on n’a pas du tout l’habitude de se déplacer dans des open mics, c’était pas du tout notre culture. A cette époque-là, on préparait notre premier street-CD et on était plus collé au quartier.

A : Les Sages Po sont connus pour avoir mis en lumière des groupes moins expérimentés que vous. Qu’est-ce qui fait que vous ayez encore cette envie aujourd’hui ?

Dany Dan : Je vais prendre le début de cette réponse. Tu parles de « Sages Poètes » mais, en réalité, il s’agit surtout de Zoxea. Je vais aller plus loin : moi-même, je suis une expérimentation de Zoxea ![Rire]

A : Ça rejoint un peu ce que me disait Salif une fois lorsqu’il précisait que tous les rappeurs issus de Boulogne étaient un jour venus te voir…

Zoxea : Passer me voir c’est un peu excessif mais… disons qu’à partir du moment où on a touché de l’argent via la musique, on a pensé à ça. C’est Dany qui nous avait ramené le premier plan qui nous a permis de gagner de l’argent en rappant et, immédiatement, on a investi. Avec Melopheelo, on aimait le son et on a acheté des machines. Très vite, c’est devenu le laboratoire chez nous. On faisait du son pour nous mais on voulait aussi que les plus jeunes viennent se tester sur nos sons. On était fan du Wu-Tang et de la Native Tongue : plus on est de fous, plus on rit ! 

A : Ce qui est étonnant c’est qu’on a l’impression que cette mentalité a perduré et que c’est encore le labo chez toi.

Dany Dan : Encore une fois, tout le monde n’a pas cette mentalité-là où alors les mecs font semblant de l’avoir.

Zoxea : Quand je parle de laboratoire, ça inclut aussi l’idée d’expérience. On n’a pas peur de se mélanger avec des nouveaux talents parce qu’on sait que ça peut donner quelque chose de fort.

A : C’est une question un peu bateau mais quels points communs et différences voyez-vous entre vos deux générations ?

Dehmo : On aime le rap, c’est tout.

Jok’air : Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? La musique [Sourire].

« On faisait du son pour nous mais on voulait aussi que les plus jeunes viennent se tester sur nos sons. On était fan du Wu-Tang et de la Native Tongue : plus on est de fous, plus on rit ! »

Zoxea

A : Il y a beaucoup de gens qui aiment le rap et qui vont l’exprimer de manière différente. Qu’est-ce qui fait que vous vous êtes rapprochés ?

Rod’k : Tu écoutes notre première mixtape et tu reprends le premier album des Sages Po, Qu’est-ce qui fait marcher les sages ?, on traite des mêmes sujets. C’est la même chose, c’est juste l’époque qui est différente.

Dehmo : La façon de rapper est différente, les intrus sont différents mais les sujets se rejoignent. On va dans la même direction et c’est la même façon de concevoir la musique.

A : Vous avez parlé de Qu’est-ce qui fait marcher les Sages. Les Sages Po, c’est une de vos grandes influences ?

Jok’air : On est obligé de s’intéresser aux Sages Po quand on écoute du rap français. Pour dire la vérité, on n’est pas fan du rap à l’ancienne et on est plus dans l’air du temps…mais tu es obligé de connaître les Sages Po si t’écoutes du rap ! « Qu’est-ce qui fait marcher les sages », « Va tej’ ton gun »… Tu es obligé ! 

Zoxea : Ce qui est marrant c’est que, comparé aux jeunes de maintenant, je trouve qu’ils ont une grosse culture. La dernière fois, ils me disent « hé, ce serait bien qu’on reprenne « Tu dormiras au fond de ma rue » »… J’étais choqué ! C’est pas notre morceau le plus connu et je ne pensais vraiment pas qu’ils le connaissaient. Finalement, quand tu réfléchis, il y avait Houcene [NDLR : Cens Nino] de la Movez’ Lang sur ce morceau, il y avait déjà cette différence de génération parce qu’on était plus grand que la Movez’ Lang…C’est intéressant qu’ils aient retenus ce titre.

A : Est-ce que vous avez travaillé ensemble sur le projet Aime cette musique Vol.2 ou est-ce qu’il était déjà prêt quand vous avez intégré KDB Zik ?

Jok’air : La majeure partie du projet était prête mais on a ajouté trois sons après la signature chez KDBZIK. La différence, elle s’est surtout faite au niveau du mixage. On a apporté un projet mais c’est KDBZIK qui nous a permis de franchir une étape en termes de mastering et de mixage. Nos sons étaient finis mais ils leur manquaient quelque chose.

Melopheelo : D’ailleurs, c’est important de préciser que le morceau « Aime cette musique » et le clip étaient déjà finis quand Davidson est venu nous voir. On avait trouvé le concept du clip vraiment novateur [NDLR : les textes de la MZ y sont rappés par des adolescents qui n’ont rien à voir avec eux. Certains y avaient vu une attaque contre le groupe 1995.] et ça nous a séduit parce qu’on aime les choses originales.

Zoxea : Ça va décevoir certains qui devaient être persuadés que le clip était une idée de Zoxea, que c’était une attaque déguisée… Alors que je n’y suis pour rien du tout ! 

Dany Dan : Les gens peuvent être déçus par ceci ou cela mais, au final, la vérité finit toujours par éclater, c’est tout.

Zoxea : Ceci dit, c’est une idée que j’aurais pu avoir…et c’est pour ça que je l’ai validée. Au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, j’ai trouvé cette idée pertinente.

Davidson : Le monde est bien fait [Sourire].

Dehmo : Pour revenir sur cette histoire d’affaire déguisée, on peut déjà vous dire que rien de ce qu’on a fait ou de ce qu’on fera ne sera destiné à quelqu’un en particulier. Quoi qu’ils fassent, on ne pense pas à « eux », on ne parle pas d’ « eux », ils ne nous intéressent pas et ça n’est pas notre façon de travailler. On ne fera jamais un clip pour atteindre tel ou tel rappeur. Chacun fait ce qu’il a à faire et on avance dans notre direction.

« Qui a découvert Booba ? Qui a mis en place un collectif avec beaucoup de rappeurs ? Il fallait que je parle à ces personnes. »

Davidson

A : Ça signifie que, même si vous êtes un jeune groupe, vous ne calculez pas les autres membres de la nouvelle génération ?

Dehmo : En fait, le groupe est jeune mais il n’est pas nouveau puisqu’on existe quand même depuis 2007. Aujourd’hui, on a l’exposition qu’on méritait mais on ne calcule personne.

Jok’air : Rien à foutre d’eux ! [Rires]

Dany Dan : À l’époque, on réfléchissait exactement de la même manière avec Zox et Melo. C’est-à-dire qu’il y a les gens d’un côté et il y a nous qui faisons ce que nous faisons, qui existons… Est-ce qu’on a le droit d’exister ? Et si la réponse est non, peu importe, on existe ! 

Zoxea : C’est aussi pour ça qu’on a pu travailler avec des gens comme MC Solaar ou NTM. Ce sont des gens très différents mais ils étaient intéressés par le fait qu’on arrivait comme des O.V.N.I. Quand Davidson nous a fait écouter des morceaux comme « Fonceder », ça nous faisait aussi penser à des mecs comme A$AP, Kendrick, etc dont je n’étais pas spécialement fan à la base mais que j’ai appris à apprécier. La MZ vit complètement dans son époque et c’est ce qui est intéressant.

A : La MZ est un peu à un moment charnière puisqu’on commence à parler de plus en plus de vous. Est-ce que vous le ressentez ?

Zoxea : Il y en a un, dont je tairais le nom, qui a dit « maintenant, les meufs se retournent quand elles nous voient » [Rires].

Dehmo : Tu es obligé de calculer ça parce qu’il y a des faits : le nombre de gens qui t’écoutent augmente, les gens viennent te voir, tu as des supporters qui aiment et partagent ce que tu fais… Ça te donne envie de continuer et ça te met en confiance. C’est impossible de ne pas le voir. Que ça parle de nous en bien ou en mal, c’est toujours bien. Tout le monde n’est pas obligé d’aimer notre style de musique mais si ça parle, tant mieux. Peut-être qu’on dérange mais on apporte quelque chose de nouveau.

Zoxea : Dehmo parlait d’expérience mais il faut savoir qu’on n’est pas là à essayer de les modeler. Ils font ce qu’ils veulent et c’est pour ça qu’on les a signés. Parfois, on va faire quelques ajustements mais le gros c’est eux qui en sont à l’origine. C’est leur boulot, leur son et ils sont impliqués à fond.

A : À l’époque de IV my people, Kool Shen disait qu’avoir des rappeurs plus jeunes et super techniques à ses côtés comme Zoxea ou Busta Flex lui retournaient le cerveau et le faisaient progresser. Est-ce que le fait de côtoyer la MZ peut également vous influencer ?

Zoxea : C’est obligatoire. Le rap, c’est de la compétition. On est entre nous, on partage des bons moments, on kiffe… mais le but c’est d’être le plus fort. On n’est pas en guerre, loin de là, mais le but c’est d’être le meilleur au micro. Effectivement, le fait de les voir en studio ou sur scène, ça nous motive. Si on est sur scène avec eux, que le DJ met un type d’instru sur lequel on n’a pas l’habitude de kicker… eh ben il faut kicker, on est des rappeurs ! Si on bégaye parce que le beat nous est inconnu, on passe pour des rigolos. C’est important de toujours se renouveler.

A : Comment s’est fait le morceau « Fortfat » ?

Melopheelo : Ça s’est fait dans l’urgence. Le projet était déjà masterisé et Zoxea voulait faire depuis longtemps un titre MZ/Sages Po, montrer à tout le monde la rencontre entre les deux générations. On a commencé à trouver du son à la maison, on leur avait déjà envoyé un titre, on avait travaillé dessus en studio le mercredi… Zoxea m’appelle le vendredi pour me dire qu’il faut qu’on fasse un truc plus lourd. Finalement, on n’a eu qu’une seule journée de travail. On est retourné à la maison, on a fouillé dans les disques et on a dû se voir le samedi pour faire la prod. On leur fait écouter l’instru le dimanche et on s’est retrouvé le lundi en studio. Dans l’urgence ! 

Dany Dan : L’enregistrement s’est fait en un seul soir. Je voulais reposer le lendemain et Melopheelo m’a dit « Non, non » [Rires].

« On a en commun un respect mutuel, une envie de travailler et de l’amour pour la musique. »

Davidson

Zoxea : Ce qui est mortel avec cette génération, c’est que ça va vite. Ils ont un instru, ils écrivent directement dessus, ça trouve tout de suite des refrains… Ils n’ont pas le temps.

Davidson [NDLR : Manager de la MZ] : L’idée que j’ai eue à la base, c’est de faire une tournée avec KDBZIK, une tournée qui n’a encore jamais été faite. Je pensais à ces deux générations parce qu’il y a entre quinze à vingt ans d’écart entre la MZ et les Sages Po. Comme on est toute la journée avec KDBZIK, qu’on travaille ensemble, je voulais qu’on fasse cette tournée commune pour que tout le monde profite du moment, que la MZ engrange de l’expérience, pour réunir les deux publics…Le son « Fortfat » est un peu le symbole de cette volonté. C’est notre morceau étendard.

Dany Dan : Et ce qui est cool, c’est que ça s’est fait à la régulière, à l’instinct. Quand je pense à « Fortfat », j’ai des flashs de Rod’k qui, pendant que je galérais dans la cabine à refaire la piste, l’a fait en one shot. Il s’agit d’y aller ! [Rires]

Melopheelo : C’est un excellent souvenir de studio, on est satisfait du morceau, on est satisfait du clip… On a envie de balancer des frappes chirurgicales. Le clip « Fonceder » a amené une nouvelle image, « Bang Bang Flow » a bien installé le style du groupe…

Davidson : Ce qui est marrant avec « Bang Bang Flow », c’est que le clip a été fait avant qu’ils enregistrent le son. Il y avait une prod, ils ont fait leurs couplets, on a tourné le clip et, seulement après, ils ont enregistré le titre. On avait tourné le clip « Fonceder » le samedi et on a enchaîné le lendemain avec « Bang Bang Flow ».

Dehmo : On sait faire des trucs dans le speed avec de la putain de qualité. C’est le fast-food de luxe.

A : Davidson, tu sembles être un manager très proche du groupe et…

Davidson : [Il coupe] Pour faire court, je suis un mec de Chevaleret, eux aussi, je bosse la MZ, je bosse un autre groupe qui s’appelle Le Binôme… C’est le Beat de Boul’ version 2013. Mon ambition, c’est qu’on puisse tous s’exporter. Il n’y a même pas que la MZ et Le Binôme, il y a aussi tous les gens qui ne font pas de rap mais que j’essaye de faire bosser dans les concerts, dans la vente de t-shirts, dans les stickers… J’aime la musique, j’aime ma cité, j’aime mes potes et je cherche à avancer.

A : Quand tu dis, c’est « le Beat de Boul’ en 2013 », ça signifie que c’était déjà une de tes influences ?

Davidson : Je suis un renoi, je prends exemple sur les renois. Quels sont les renois qui ont fait quelque chose de concret dans le rap street en France, parce que c’est le rap que j’aime ? Je pense à Beat de Boul’, Sages Po, Booba…C’est ce style de musique auquel je me réfère. Qui a découvert Booba ? Qui a mis en place un collectif avec beaucoup de rappeurs ? Il fallait que je parle à ces personnes. J’ai rencontré Zoxea et Melopheelo qui ont adhéré à mon concept de collectif. On a en commun un respect mutuel, une envie de travailler et de l’amour pour la musique.

A : Il y a des plateaux communs mais c’est assez rare de voir deux groupes se réunir pour des concerts.

Zoxea : Il y a l’envie de faire les choses collectivement mais il y a aussi l’amour du risque. On prend des risques parce qu’on croit à 100% en nous. C’est aussi ça le rap, la recherche de l’adrénaline ! 

Davidson : Depuis le début, la confiance est le mot clé du collectif. Depuis qu’ils ont quatorze ans, j’ai confiance en la MZ. J’ai rencontré KDBZIK et j’ai entièrement confiance en eux. Tu ne peux pas être un artiste ou journaliste comme toi et ne pas croire en ton projet.

Dany Dan : Par rapport à cette histoire de confiance, c’est ça qui fait qu’on aime la musique. Quand tu vas écrire ou faire un son, il s’agit de kiffer et de rendre le moment ludique. Quel meilleur moyen de kiffer que d’explorer un territoire inconnu ? Voilà ce qui fait qu’on est là depuis si longtemps.

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