Les mille et une vies d’A-trak
Interview

Les mille et une vies d’A-trak

Plus jeune champion de turntablism de l’histoire, DJ de Kanye West, producteur et gérant d’un label, la vie d’A-Trak est un mélange d’évolution et de métamorphoses. Entretien rétrospectif.

Photographie : Brice Bossavie

Discuter avec Alain Macklovitch, c’est se plonger dans tout un pan de l’histoire du rap. Voire carrément en lire quelques chapitres. Champion du monde DMC dès l’âge de 15 ans, celui que l’on nomme A-Trak aux platines a, dans sa carrière, eu le temps de bouleverser le monde du deejaying, suivre la naissance d’une icône rap dans les années 2000 – Kanye West – se plonger dans la folie électro qui a frappé l’Amérique à l’orée des années 2010 et lancer son label Fool’s Gold tout en signant quelques énormes tubes ici et là. De passage en Europe pour célébrer les dix ans de Fool’s Gold cet été, A-Trak s’est posé un moment lors d’un stop à Paris pour nous raconter ses vingt années de carrière tout en soulignant ses passions pour l’avenir. Au fait : il n’a que 35 ans.

Scratchs et autorisations scolaires

A : Quelle est ta première claque musicale ? Celle qui t’a fait aimer la musique.

A-Trak : Avant de découvrir le hip-hop, c’était vraiment le rock des années soixante, soixante-dix. J’écoutais Jimi Hendrix les Pink Floyd et au même moment, en 1991, les Red Hot Chili Peppers ont sorti  l’album Blood Sugar Sex Magic qu’ils avaient fait avec Rick Rubin. Je me rappelle très bien de la sortie de cet album et du clip de « Give It Away », j’étais vraiment à fond dans ce délire. C’est dans les années qui ont suivi que j’ai découvert le hip-hop via les Beastie Boys : si tu étais fan de rock, les Beastie Boys te permettaient de faire le pont avec le rap. J’avais dix, onze ans à ce moment là…

A : Tu avais découvert tous ces groupes via tes parents ?

A : Non par mon frère. [Dave One du groupe Chroméo, NDLR] Il avait quatre ans de plus que moi et il prenait des cours de guitare, donc c’était ce qu’il écoutait en tant que jeune guitariste. Et moi j’étais le petit frère qui écoutait tout ce qu’il passait. [Sourire] Mais c’est vrai qu’avant ça, mon père passait tout le temps de la musique à la maison. C’est en tout cas quand j’ai découvert le rock des années soixante, soixante-dix que j’ai eu les premiers vrais coups de cœur musicaux de ma vie.

A : Donc c’est avec les Beastie Boys que tu te plonges dans le rap.

A : Exactement. J’ai d’abord été marqué par le clip de « So What Cha Want » en 1992 je crois. Cypress Hill « Insane In The Brain » ensuite, et après en 1993 je commence à découvrir d’autres groupes de rap : De La Soul, A Tribe Called Quest, les productions de Pete Rock, de DJ Premier… C’était l’époque des cassettes qu’on se partageait à l’école, mon frère empruntait une cassette à un pote et faisait une copie pour ensuite se l’écouter en boucle.

A : Et à quel moment tu découvres le deejaying ?

A : Pas longtemps après ça en fait : fin 1994-1995. À cette époque là, mon frère et ses amis avaient un groupe un peu funk-jazz à la Jamiroquai, avec des influences hip-hop, et ils avaient un pote qui savait scratcher. Ça m’intriguait, et en écoutant des productions de DJ Premier j’entendais aussi des scratchs, c’était un son qui me fascinait. Du coup, un jour, j’ai essayé sur la platine de mon père alors qu’elle n’était pas du tout faite pour scratcher, sans table de mixage, sans le bon matos, un peu comme tout le monde le fait une ou deux fois après l’école pour le délire. Sauf que je crois que j’ai compris comment faire assez vite. Souvent les gens essayent et abandonnent parce qu’ils galèrent, moi j’ai trouvé quelques techniques tout seul assez vite. C’est alors devenu le truc que j’essayais tous les soirs après l’école, un peu comme si j’essayais de comprendre un code secret du scratch, et c’est devenu ma passion. Et puis un jour mon frère et ses copains m’ont vu faire ça à la maison et ils ont halluciné : ils disaient : « mais comment le petit frère de Dave sait scratcher comme ça ?! » [Rires] Ça m’a bien motivé et je me suis mis à prendre ça plus au sérieux. Il y avait un disquaire où on allait parfois à Montréal qui avait une platine Technics SL 200 qu’il vendait en occasion. Je l’ai achetée et je me suis mis à m’entraîner tous les jours pendant des heures.

A : Tu avais quel âge à l’époque ?

A : Treize ans. Et deux ans plus tard j’étais champion du monde. [Rires]

A : Ton père ne te grondait pas quand il te voyait utiliser sa platine ?

A : Au début il ne le savait pas ! Quand je rentrais de l’école il était encore au travail pendant quelques heures. Mais je me rappelle qu’une ou deux fois j’ai endommagé le diamant ou la cellule, et je fonçais en acheter un autre en ville en cachette pour le remplacer. Mais une fois qu’ils ont vu ce que je faisais, ils étaient ok avec ça, même s’ils ne comprenaient pas trop. Je me suis alors mis à scratcher dans le groupe de mon frère. Le problème, c’est qu’ils faisaient des concerts dans des bars de Montréal, du coup il fallait toujours se mettre d’accord avec les managers du bar pour que je puisse rentrer. En même temps j’avais 14 ans à l’époque. [Sourire] Ça a attiré l’attention des médias culturels de Montréal, et on a commencé à écrire sur moi.

A : Il y avait d’autres DJs comme toi qui scratchaient à Montréal ?

A : Oui, mais ils n’avaient pas 14 ans. [Rires] J’ai commencé à me présenter à quelques dates de concerts et j’ai rencontré les autres DJs de la ville qui avaient cinq ou six ans de plus que moi. Je pense notamment à Kid Koala, qui a encore une renommée maintenant, et quelques autres justes connus au sein de la scène hip-hop de Montréal. Ils ont tous été hyper cool avec moi, je pense qu’ils ont halluciné de rencontrer un petit gamin qui scratchait. [Rires] Ce sont des gens qui m’ont énormément apporté : ils me montraient des disques, des vidéos d’autres DJs, ils avaient un meilleur mixeur que moi donc ils me le prêtaient pour que j’essaie. J’ai alors économisé un peu plus d’argent et je me suis acheté une deuxième platine d’occasion. Je m’entraînais comme un fou tous les jours.

A : Combien d’heures ?

A : Autant d’heures que je pouvais… Au moins trois, quatre heures . Je rentrais du lycée à 15h30, je m’entraînais de 16h à 19h, on dînait, et après je faisais mes devoirs.

« Quand j’ai découvert le scratch, les anciens devaient se défaire de leurs réflexes pour apprendre les nouvelles techniques.  »

A : Du coup, comment est-ce qu’on devient champion du monde en seulement deux ans ?

A : Je ne sais pas. [Rires] J’ai beaucoup pratiqué. Et puis je pense que ce qu’il s’est passé, c’est qu’il y a aussi eu une question de timing : à l’époque où j’ai découvert le scratch au milieu des années quatre-vingt-dix, il y avait énormément de nouvelles techniques qui s’inventaient et se propageaient. Elles étaient assez difficiles à apprendre pour la plupart des DJs, mais vu que tout était nouveau pour moi j’apprenais toutes les techniques à la fois, les anciennes comme les nouvelles. Ça a été ma chance. Les anciens devaient se défaire de leurs réflexes alors que moi j’ai tout ingéré en même temps. Et puis de la même façon qu’on dit qu’il est plus facile d’apprendre une langue quand on est jeune, j’ai vécu la même chose avec le scratch en deux ans.

A : Et du coup tu t’es présenté aux DMC à 15 ans.

A : C’est ma première compétition, et j’ai été champion du monde. C’était dingue. J’ai d’abord fait la sélection de Montréal qui était ma toute première compétition. Je m’étais entraîné comme un fou avant, j’essayais d’anticiper n’importe quel problème. Tu avais six minutes, c’est tout : si tu avais un problème il fallait savoir gérer ça, soit tu assurais en anticipant, soit tu étais mort. Si l’aiguille sautait, il fallait savoir retrouver le même point sur le disque en une fraction de seconde. Mais je m’étais entraîné comme un dingue et j’ai finalement gagné. Entre temps j’avais fait un concert à Montréal où j’ai pu jouer avec Q-Bert et on est restés en contact. De fil en aiguille il m’a invité à rejoindre son collectif les Invisibl Skratch Piklz et au même moment j’ai gagné les championnats canadiens. À l’été 1997, je suis parti en Italie pour les DMC que j’ai remportés pour la première fois tout en faisant en même temps partie du collectif de Q-Bert. Et c’est tout ça qui a fait ma renommée. Quand tu gagnais les championnats DMC à l’époque c’était assez pour commencer une carrière, n’importe quelle personne curieuse dans le hip-hop était au courant de qui tu étais. Ce qui n’est plus le cas depuis 15 ans.

A : Tu as d’ailleurs raconté par le passé que tu avais dû demander un mot d’absence à l’école pour pouvoir aller aux championnats mondiaux.

A : Oui. J’ai commencé à avoir des bookings, des dates alors que j’étais encore au lycée. Je me rappelle très bien quand j’ai gagné la finale du Canada, le patron de DMC était venu me parler. « On te voit en Italie le mois prochain! ». Et je lui réponds : « oui, j’espère ! Il faut que j’en parle à mon école pour qu’ils me donnent la permission. » Il s’était mis à rire et m’avait dit « Oui je pense que tu devrais faire ça, ça en vaut la peine. » [Rires] Ma mère est venue avec moi en Italie, et j’ai gagné… C’était en Italie à Rimini.

A : C’est la première grosse étape de ta carrière…

A : Oui tout s’est enchaîné à partir de là. Ma chance, c’est que lors des DMC en 1997 presque tous les anciens champions des années précédentes ont été invités pour être juges de la compétition et participer à un autre concert le lendemain. Du coup j’ai rencontré toutes mes idoles : Roc Raida, DJ Noize, Cutmaster Swift, Q-Bert était là aussi… Ça a eu un gros impact dans ma vie de rencontrer mes idoles à un âge aussi jeune, surtout qu’ils ont tous été très cool avec moi . Ça a validé quelque chose en moi en quelque sorte, j’avais l’impression que tout était possible, que le travail paye. Et puis je pense que j’ai été chanceux d’avoir ça : dans d’autres domaines il y a des gens qui rencontrent aussi leurs idoles et ils sont déçus. Je ne sais pas pourquoi mais dans mon cas ils ont tous vraiment été cool avec moi. Mais j’ai parallèlement quand même vite senti que les DJs qui n’avaient pas encore établi leur réputation n’étaient pas particulièrement contents de me voir gagner aussi vite.

A : Il y a eu de la jalousie ?

A : Oui, il y en a eu. Des mecs qui essaient pendant des années de percer dans le monde de la compétition et qui voient un petit gamin canadien qui a l’air d’un enfant qui gagne la compétition dès son premier essai… Ils se sont dit : « il a gagné parce que c’était un enfant ». Donc ma stratégie, c’était de gagner d’autres compétitions : si j’en gagnais plus qu’une ils ne pourraient rien dire, et plus personne ne pourrait douter de moi. L’année suivante je suis venu à Paris pour les finales du monde en 1998, sauf que cette année là c’est Craze qui a gagné donc mon plan n’a pas marché. [Sourire] Mais on a ensuite décidé de former notre propre duo, The Allies, en se disant qu’on allait tout gagner et là ça a marché. [Rires] Plus le temps passait moins j’avais de problèmes avec les autres DJs. Surtout, il y avait un vrai esprit de groupe dans la communauté, on essayait tous de faire avancer la technique du scratch. C’était vraiment une période où le DJ-ing était quelque chose de générationnel. J’allais dans n’importe quelle ville je retrouvais d’autres DJs qui partageaient la même passion, qui regardaient les mêmes vidéos, qui écoutaient les mêmes disques, qui portaient les mêmes casquettes… Un peu comme le skate ou d’autres cultures, c’était devenu quelque chose qu’on vivait tous et qu’on voulait tous faire avancer en tant qu’art.

A : Donc tu continuais à aller à l’école à Montréal et tu partais à l’étranger pour des dates ?

A : Je partais dans d’autres villes le week-end et si j’avais une semaine de vacances j’essayais de caser une date dans un autre pays. Mais les étés j’allais plus souvent à l’étranger.

« Des DJs se sont dits : « il a gagné parce que c’était un enfant. »  »

A : Tes parents te soutenaient sur ce point ?

A : Mes parents ont été très cool avec ça. La seule crainte de mon père c’était que je perde de vue mes efforts à l’école. Il m’a dit : « tant que tu maintiens tes bonnes notes à l’école, tu peux faire ça aussi ». J’ai continué à être un élève sérieux et ma mère voyageait des fois avec moi jusqu’à 17 ans. Parallèlement, les plans musicaux de mon frère ont évolué : ce n’était pas encore Chromeo mais quand j’ai commencé les compétitions en 1997, lui découvrait la productions d’instrus de hip-hop. On était allé ensemble à New York et il avait acheté un sampleur là-bas qu’il avait ramené à Montréal pour faire des beats pour des rappeurs Montréalais. Et vers la fin 1997 on a lancé notre propre label indépendant, Audio Research. J’avais 15 ans et lui 19 ans : c’était un peu plus son projet à lui qu’à moi, mais j’essayais de rediriger tous les contacts que j’avais récoltés avec le DJ-ing vers le label avant d’ensuite plus m’impliquer. Je pense d’ailleurs que c’est grâce à ça que j’ai pu faire Fool’s Gold. [Le label que A-Trak a fondé en 2007 avec Nick Catchdubs, NDLR] J’y ai appris comment tout fonctionnait, faire des vinyles, des communiqués de presse, envoyer les sorties aux autres DJs… Ce sont des espèces de mécanismes que l’on apprend et qui restent.

A : Qu’est-ce que tu gardes de ton expérience au sein du collectif de Q-Bert ?

A : [Il réfléchit] Ce qui est intéressant avec les Skratch Piklz c’est que chaque membre avait ses propres forces, ses influences, ses passions, et chacun d’eux m’a influencé à sa propre façon. Q-Bert, ça a toujours été une espèce de gourou du scratch pur, qui s’entraîne pendant des heures à la technique. Les premières années de mon deejaying c’était ça ma passion, seulement le scratch. Et un mec comme Mix Master Mike, lui c’était vraiment un showman avec un côté pas complètement calculé qui me fascinait aussi. Tout ce que je faisais au début était hyper préparé, et avec lui j’ai appris à un peu improviser, faire des choses plus surprenantes en concert. Des mecs comme Shortkut et D-Styles étaient encore plus DJs à proprement dit dans le sens où leur sélection était vraiment travaillée et éclectique. Shortkut pouvait te faire un set de reggae tandis que D-Styles écoutait lui du DJ Shadow, des choses plus expérimentales, et ça m’a fait découvrir ça. C’est intéressant d’y repenser maintenant parce qu’à cette époque là, d’une façon différente d’aujourd’hui, il y avait moyen de se présenter comme artiste ou simplement comme DJ. Alors que deux ou trois ans plus tôt ce n’était pas le cas, les DJs étaient forcément affiliés à un rappeur, une radio, ou une série de mixtapes. À ce moment là, tu pouvais aussi te présenter en tant que DJ tout court, et c’est ce que j’ai vraiment découvert à leur contact.

Kanye et la musique électronique 

A : Qu’est-ce qu’il se passe pour toi entre 2000 et ta rencontre avec Kanye West en 2004 ?

A : En 2000 je fais mes compétitions, et en 2001 je finis le lycée. C’était une période un peu creuse pour toute la scène : du point de vue de la scène à laquelle j’appartenais on sentait qu’il commençait à y avoir un peu moins d’enthousiasme pour le scratch. Mais en tant que DJ j’arrivais à avoir des dates et des bookings parce que je m’étais fait une renommée. Il n’y avais plus vraiment de scène underground du scratch qui s’alimentait elle même, mais je commençais à rentrer dans l’espèce de circuit des DJs qui existent et peuvent se produire années après années. Avec du recul quand je pense à ces années 2001-2003, je me dis que c’était peut être une période où il y avait moins d’innovations, mais peut être que d’une certaine façon j’apprenais à ce moment là à mixer davantage, à être DJ à proprement dit. Je sortais d’un monde hyper spécialisé et technique, et là, il fallait que j’aille faire des dates dans d’autres villes où les gens voulaient écouter de la musique pendant une heure et demie, il fallait aussi les faire danser. Et puis j’arrivais à un âge où la musique elle même m’intéressait davantage. Quand j’avais 15 ans tout ce qui m’intéressait c’était purement la technique du scratch, alors qu’à mes 18-19 ans c’était le mix, les DJ sets, la vibe qu’on créé en tant que DJ. C’était un peu mon propre apprentissage.

A : C’est à ce moment-là que tu découvres la musique électronique ?

A : Un petit peu, il y avait quelques artistes que je remarquais avec les clips à la télé. Je me souviens par exemple de “Da Funk” de Daft Punk que j’aimais en partie parce que la vidéo était réalisés par Spike Jonze qui avait bossé avec les Beastie Boys. Je me suis dit « c’est quoi ce groupe français avec qui Spike Jonze travaille ? » Même la musique des Daft, qui était à base de samples, n’était pas dure à aimer pour un fan de hip-hop. Ce côté funky-disco me plaisait beaucoup. Mais mes premières années en tant que DJ j’étais seulement DJ de hip-hop. Les autres styles de musiques qui m’intéressaient étaient plutôt les genres souvent samplés pour le hip-hop : ça faisait un peu partie de mon éducation d’apprendre la soul, la funk, un peu de jazz, tout ce qui est breakbeat classique. Et les quelques trucs d’électronique qui accrochaient mon oreille étaient ceux dans cette lignée, très samplés. Je me rappelle qu’au début des années 2000 j’avais acheté un maxi de Mr Oizo parce que c’était très samplé, découpé, ça ressemblait à du hip-hop accéléré à mon oreille.

L’autre chose importante dans mon parcours d’auditeur, c’est qu’au début des années 2000 mon frère déménage à New York pour ses études et j’y allais assez souvent. Il y avait toute une explosion post-punk / disco avec LCD Soundsystem et le label DFA Records, The Rapture, et ça me plaisait vraiment bien. Dans ce qui est house et techno je ne m’intéressais pas aux trucs trop froids parce que c’était trop loin de mon oreille hip-hop. Mais dès que c’était un peu funky ou saturé, avec des textures qui ressemblaient à ce que j’aimais comme musique à la base, je commençais à découvrir des choses que j’aimais. Et puis je dois dire que dans ces années là au début des années 2000 même à l’intérieur du hip-hop je me suis rendu compte qu’il y avait une transition à faire.

A : C’est-à-dire ?

A : J’ai réalisé vers 2002 que dans ma sélection hip-hop, je continuais à jouer uniquement de la musique des années quatre-vingt-dix comme Gangstarr ou A Tribe Called Quest. Il fallait que j’avance, que je trouve plus de trucs contemporains à jouer : j’étais hyper fan des Neptunes, de Timbaland, des gens qui faisaient vraiment avancer le son, et même dans le turntabilism j’avais envie de trouver des nouvelles techniques pour des tours de passe-passe. Ça donnait un côté futuriste au son qu’on faisait avec des scratchs. Ce qui est aussi intéressant à cette époque là c’est qu’il y a eu la transition vers Serato qui a beaucoup influencé ma manière d’aborder les DJ sets. J’ai été le premier DJ hors Nouvelle Zélande [pays d’origine du logiciel, NDLR] à utiliser Serato. Un an avant la sortie officielle du logiciel, j’ai rencontré ses créateurs qui m’ont montré le prototype. Le fait que c’était digital m’a amené vers une autre évolution musicale, m’a poussé à faire des sélections qui étaient encore plus variées. Pour aller jouer un titre de reggae ou d’électro old school je n’étais plus forcé d’aller chercher un vieux vinyle, j’avais le MP3. Avant de me lancer dans l’électronique je me suis lancé dans le mouvement des mashups ainsi que vers un genre de deejaying plus éclectique, plus seulement dédié au hip-hop d’une époque. Je commençais à trouver mes mélanges de sons et d’influences de différents styles. Et ça, ça a été un gros changement pour moi. À la base je venais d’une scène de hip-hop underground avec énormément de règles implicites, que ce soit dans la technique ou dans les sélections. Quand je me suis permis de jouer des choses plus variées ça a été une grosse progression pour moi.

A : Mais ça ne t’a pas rebuté justement cette évolution, le fait de ne plus pouvoir jouer avec des platines vinyles ?

A : C’est drôle parce que avant même que Serato existe il y avait une autre technologie qui existait, Final Scratch. Craze a commencé à utiliser Final Scratch au moins un ou deux ans avant que je découvre Serato et je me rappellerai toujours du jour ou il m’a appelé quand il avait essayé ce logiciel pour la première fois. Il était complètement fou ! Il avait tout de suite compris que ça allait être l’avenir et que le fait d’être DJ avec un hybride laptop platines allait ouvrir plein de possibilités. Et moi au début j’étais un peu sceptique, mais je me suis comme habitué à l’idée. Et quand Serato est arrivé je n’en ai vu que des avantages. C’était un logiciel qui marchait bien et je commençais à être de plus en plus curieux dans mes sélections, j’ai compris que ça pouvait m’ouvrir dans mes possibilités tout en gardant mes platines.

A : On a beaucoup parlé de ta rencontre avec Kanye West à Londres en 2004. Qu’est ce qu’il se passe exactement dans ce magasin en Angleterre?

A : En réalité, tout s’est passé sur deux jours consécutifs. J’étais allé à Londres pour faire une simple date de DJ et un disquaire de la ville m’avait invité à faire une petite performance l’après-midi en boutique pour faire la promo de ma soirée. Au même moment toute l’équipe de Roc-A-Fella était à Londres pour faire de la promo. L’album de Kanye venait de sortir et j’étais déjà un fan mais je ne songeais pas à l’approcher. Je fais ma démo de scratch dans la boutique et je vais faire mon show le soir. Au club ce soir là, je faisait un truc dans mon set avec l’instru de “Get By” de Talib Kweli que Kanye avait produit. Je prenais le sample de Nina Simone, et je recréais l’instru de Kanye. Et le mec de la boutique de disque de l’après midi m’a vu faire ça : il m’a rappelé le lendemain matin en me disant : « mais c’était quoi ce truc que tu as fait avec l’instru de « Get By » ? Pourquoi tu ne l’as pas fait hier soir à la boutique ? Si tu veux revenir aujourd’hui on a John Legend qui va passer, et on sait que Kanye est aussi à Londres. Donc il y a de forte chances qu’il passe. Si tu reviens et que tu fais ton truc avec le sample de Nina Simone ça se peut que Kanye soit là pour le voir, donc on peut te donner 10 minutes pour refaire une demo. » 

Je suis donc revenu le lendemain et en effet, Kanye était avec John Legend dans la boutique, et il m’a vu faire la démo. C’était une petite boutique et je le voyais me regarder du coin de l’œil sans trop rien dire. Sauf que soudainement, Mos Def arrive par surprise au magasin et c’est devenu l’émeute complète. [Rires] Kanye West et Mos Def se sont mis à faire un freestyle ensemble et moi qui espérais parler à Kanye je n’ai pas eu la chance de le faire. Mais je savais qu’il m’avait vu jouer. J’ai alors dit à l’assistante de Damon Dash que Kanye m’avait vu jouer et qu’il fallait que je lui parle. Elle m’a alors dit : « on a une conférence de presse Roc-A-Fella demain aprem’, voilà l’adresse. Viens et tu pourras sûrement lui parler ». Je me souviens que c’était juste avant mon vol pour les Etats Unis, je suis allé à la conférence de presse avec ma valise. J’ai attendu et quand ils ont terminé j’ai comme accroché Kanye et je lui ai dit direct : « c’était moi le DJ au magasin hier. » Il m’a fait un grand sourire et m’a demandé mon nom. On a parlé quelques minutes et il m’a alors dit : « je fais une tournée, je cherche un DJ, prend l’e-mail de mon manager, je vais pouvoir t’amener en tournée ». Et c’est à partir de ce moment là que tout a commencé. On était sur une tournée de Usher où Kanye faisait les premières parties : première date, quinze mille personnes avec juste un soundcheck sans avoir vraiment répété avant. [Rires] À partir de là, je l’ai suivi pendant quatre ans.

A : Ça t’as appris des choses, ces quatre années aux côtés de Kanye ?

A : Énormément. Il ne m’a jamais expliqué comment il fonctionnait. Mais le fait de travailler avec quelqu’un comme Kanye West à cette époque là, qui venait de sortir College Dropout, qui a ensuite fait Late Registration – sur lequel j’ai fait des scratchs – et ensuite Graduation où d’un point de vue créatif on se parlait tous les jours ça m’a forcément changé. Et même voir la vision d’ensemble de Kanye, qui avait des idées pour sa musique, pour ses clips, ses pochettes, qui savait avec quel photographe il voulait travailler, ça m’a énormément apporté. Parallèlement je commençais à rencontrer toute une scène créative à New York, des jeunes designers, des créateurs de streetwear, je leur faisais faire mes artworks, et Kanye me demandait qui étaient ces types qui avaient fait mes visuels. Du coup on échangeait des idées constamment.

Kanye était perçu comme celui qui ramenait les samples de soul, un peu anciens, mais il faisait en sorte que ça sonne moderne et, surtout, que ça soit accepté par le public sans compromettre le son. La façon dont il réussissait à faire ça était folle : il trouvait la meilleure façon d’interpréter une musique qui avait des connotations pures, mais il le faisait d’une manière tellement universelle que tout le monde pouvait aimer. Et moi je voulais trouver ça et l’appliquer à mon deejaying. J’ai commencé à avoir à son contact cette idée de partir de quelque chose de connoté très pur – les samples de soul pour Kanye, les scratchs pour moi – tout en le faisant d’une façon grand public, qui plaise aux gens, sans devoir le simplifier. En fait, j’étais arrivé à un moment de ma carrière où j’avais envie de montrer mon art à un grand public, sans simplifier le scratch. Les gens pensaient que le scratch était hyper spécialisé, on pensait que ça ne plaisait qu’à un public, mais j’avais le sentiment que si on le présentait de façon habile, n’importe qui pouvait comprendre et apprécier le scratch.

« Après ses deux premiers albums, Kanye a commencé à dire : « Stadium music ». Il voulait faire des instrus qui allaient défoncer dans des grosses salles. »

A : C’est aussi à ce moment là que tu te plonges dans l’électro non ?

A : Ce qui est intéressant c’est que j’ai découvert la musique électronique au moment où je bossais avec Kanye. J’ai été booké à Paris pour des dates et j’ai rencontré Pedro Winter de Ed Banger Records : je suis revenu à New York avec un petit CD gravé avec des versions non masterisées de Justice, Uffie, SebastiAn, et j’ai commencé à avoir envie de jouer des morceaux d’électro que je téléchargeais sur des blogs. C’était hyper intéressant musicalement pour moi parce que c’était une nouvelle vague dans la musique électronique qui s’alignait avec mes goûts. Ce n’était pas de la techno froide, il y avait des samples, c’était un peu funky et j’aimais tous ces sons. Mais pour que ça rentre dans mes sets je trouvais qu’il fallait que je fasse le pont avec mes sélections hip-hop, alors je prenais des a cappella de rap et je les mettais sur des instrus d’électro.

J’avais deux mondes : le monde de Kanye où je faisait des concerts devant quinze mille personnes tout en allant aux MTV Awards, et ensuite le monde de New York – où j’avais déménagé – où j’allais voir un DJ dans une soirée de deux cents ou trois cents personnes parce qu’il faisait des trucs super cool qui me donnaient des idées. Je rentrais à l’appart, j’essayais des nouvelles prods, des nouveaux mashups, et j’essayais de pondre des nouveaux sons. Ce travail à différentes échelles était vraiment génial pour moi, tout m’inspirait de différentes manières : les petites dates pleines de créativité à New York qui me donnaient plein d’idées et les grosses dates face à beaucoup de monde qui me donnaient presque l’occasion de tester ce qui marche vraiment sur le grand public.

A : Et à un moment, tes deux mondes se sont mélangés…

A : Exactement. Durant les tournées, je me bookais des after-party et de temps en temps Kanye West passait me voir. Il m’entendait jouer de la Baltimore, ou de l’électro, et il venait me dire : « c’est quoi les trucs que tu joues? Joue-moi ça. » Parfois, il réservait un studio pendant toute une journée, et au lieu de faire de la musique il me demandait de lui faire écouter de la musique. Il me disait tout le temps « Joue moi des trucs » et « C’est quoi ? » De la même façon que moi je faisais des sélections qui plaisaient à mon oreille de fan de hip-hop, ça marchait aussi pour Kanye. On avait la même perspective en matière de musique. Avant Kanye, dans les productions de rap, il y avait des règles : tu n’avais pas le droit de sampler tel ou tel genre, il y avait des traditions de productions de hip-hop, on pensait qu’il fallait juste sampler du vinyle par exemple. Quand on pense à ça maintenant c’est dingue ! Mais à l’époque c’était comme ça. Kanye, lui, se battait complètement contre toutes ces règles. Parfois quand je lui jouais des morceaux de Baltimore ou de house, je me souviens que la façon dont ces styles brisaient toutes les règles lui parlait énormément. Il me disait : « c’est fou, ces producteurs samplent un truc sorti il y a deux ans et ils ne posent pas la question de savoir si ils ont le droit ou non. La façon dont ils coupent les samples c’est tellement inhabituel et tellement cool en même temps. » On s’écoutait de la ghetto house, de la Baltimore club, Jersey club…

A : Tu continuais à scratcher à cette période ?

A : Je continuais à scratcher mais j’avais pour nouvel objectif de trouver où et comment bien rentrer les scratchs. Même quand je commençais à mixer de l’électro et de la house, je faisais mes mashups, je rentrais les a capellas en scratchs. J’essayais toujours de trouver des façons de rentrer le scratch dans mes sets. Tout le long de mon parcours dans le deejaying j’ai eu l’objectif de trouver des nouvelles techniques intéressantes à faire avec le scratch. Quand tu viens des DMC, tu prends l’habitude de présenter le scratch dans sa forme la plus technique, ce qui plaît surtout aux accros du scratch. Mais moi je voulais trouver des façons de présenter le scratch au grand public sans simplifier la technique.

Des fois il fallait juste rendre ça moins condensé : au lieu de faire une démo de cinq ou six minutes de scratch je faisais une démo d’une minute ici, puis une autre démo d’une minute là. Ou alors trouver des nouveaux sons à scratcher, en opposition aux mêmes sons et mêmes samples des années 70 et 80 que tous les DJs scratchaient. Je trouve ça fou de toujours scratcher sur un vieux sample de James Brown alors que les instrus ont un nouveau son maintenant. À l’époque quand Marley Marl faisait des instrus en samplant du James Brown tu scratchais sur du James Brown. Mais maintenant les gens font des instrus sur leurs ordinateurs avec des synthés futuristes. Du coup je vais faire des scratchs avec des synthés futuristes ! Il y a plein de risques que j’ai pris avec le scratch et le deejaying et je n’avais pas nécessairement d’autres amis du monde du scratch qui étaient avec moi. Les gens qui faisaient des compétitions avec moi quelques années plus tôt n’étaient pas intéressés par l’électro ou ce que je découvrais musicalement. Je me sentais un peu seul des fois à faire mes essais.

A : C’est pour cette raison que tu t’es énormément rapproché du monde de la musique électronique, notamment en Europe avec Ed Banger Record ou Boys Noize ?

A : En quelque sorte oui. Parce que pour moi, ce son était ce qui m’intéressait le plus musicalement. Je n’ai jamais arrêté d’être fan de hip-hop mais dans les années 2006-2009 l’électro qui venait d’Europe, c’était ce que je trouvais le plus fou. C’était là où je trouvais qu’il y avait de l’innovation, et ça me stimulait énormément. C’est aussi la raison pour laquelle je suis devenu très pote avec des musiciens américains comme Diplo ou Armand Van Helden. Ce sont des amitiés qui viennent du fait qu’on s’est plongés dans la musique en électronique en restant des étrangers au genre, en gardant notre perspective et en étant conscients que ce regard là nous donnerait une identité unique.

A : Toutes ces découvertes en musique électroniques ont-elles influencé Graduation de Kanye West ? 

A : À fond. « Stronger » vient indirectement de moi parce que je lui ai fait découvrir Daft Punk. [Sourire] Mais je ne veux pas trop me mettre de crédit parce qu’à la base je ne voulais pas qu’il sample les Daft. C’était trop évident. Quand j’ai joué les Daft à Kanye il ne connaissait pas et il me disait qu’il voulait sampler le « Harder, Better, Faster, Stronger ». Je lui ai dit : « tu ne devrais pas le faire. Peut être que toi tu ne connais pas le morceau mais tout le monde connaît ce morceau. Tu n’es pas censé sampler un hit mondial juste après ce qu’il sorte ! » Sauf que je n’avais pas entendu ce qu’il voulait faire avec. On est rentrés de tournée, et il m’a appelé un jour en me disant : « t’es près de ton ordi ? Ok, je t’envoie un instru. » Et c’était l’instru de « Stronger » qu’il venait de faire. Comme si il voulait me prouver qu’il avait fait quelque chose d’intéressant avec.

Quand j’ai entendu j’ai compris, je me suis dis que c’était fort. [Rires] Je crois que tous ces échanges de musiques, quand on se jouait plein de choses, ça a eu un effet sur l’album. Mais je ne veux pas prendre tout le crédit il y a aussi d’autres raisons qui l’ont amené vers ce son : avec Kanye on faisait aussi des concerts dans des salles de plus en plus grosses, et ses instrus sur les deux premiers albums, avec des boucles un peu old school, ça n’avait pas vraiment l’impact sonore pour les stades. Il a alors commencé à dire : « Stadium music ». Il voulait faire des instrus qui allaient défoncer dans des grosses salles.

A : Tu n’as jamais eu peur qu’on te catégorise trop comme le DJ de Kanye West ?

A : Oui, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté Kanye. [Rires] Je lui ai dit ça mot pour mot et il l’a bien compris. Dès la première année où j’ai travaillé avec lui je me suis rendu compte qu’il y avait ce risque d’être catégorisé. Ça faisait dix ans que j’avais ma propre renommée en tant que DJ et j’ai réalisé que je risquais de devenir simplement « le DJ de Kanye ». C’est pour ça que j’ai commencé à avoir un logo, faire mes tournées, mes propres mixtapes, mon merchandising : pour pousser encore plus mon identité. Au même moment j’ai lancé mon label Fool’s Gold, et là j’ai vu que je ne pouvais plus me permettre de m’absenter pendant trois mois de tournée. J’avais des responsabilités qui concernaient non seulement ma carrière, mais aussi celle des artistes que je signais sur mon label.

Fool’s Gold et transmission 

A : Que symbolise pour toi la naissance de ton label Fool’s Gold?

A : Pour moi c’est le troisième chapitre de ma carrière : c’est devenu la plateforme sur laquelle j’ai pu caser toutes sortes de projets qui allaient plus loin que mon simple deejaying en tant que A-Trak. Si j’ai envie de signer des artistes, organiser un festival, des soirées, ou collaborer avec une marque je le fais sous Fool’s Gold. C’est devenu la plateforme sur laquelle je peux exprimer toutes sortes d’idées et c’est aussi une façon de créer notre propre scène à New York, avec une esthétique et une narration qui continuerait pendant des années. On en est aujourd’hui au dixième anniversaire.

A : Tu as continué à avoir un pied dans le rap américain aux débuts de ton label ? Tu ne saturais pas après tant d’année à tourner avec Kanye ?

A : Non. À la base, le rap est la musique de ma vie, je n’ai jamais arrêté d’écouter et de suivre ce qu’il s’y passe. Même à l’époque des blogs, les premiers sites que j’allais voir en me réveillant le matin était ceux de rap. Et ensuite je me disais : « je vais peut être aller voir de l’électronique. » [Sourire] Mais ce qui m’intéressais à la base c’était d’écouter le nouveau Gucci Mane.

A : De 2010 à 2015 tu as pourtant une très grosse période électro, notamment avec le succès de Duck Sauce. On te voit moins avec des rappeurs.

A : Oui c’est vrai. Mais en même temps, regarde le clip de « Barbara Streisand » de Duck Sauce : notre but en faisant cette vidéo c’était de montrer qu’on faisait de la house, mais qu’on était avec DJ Premier. C’était une esthétique hip-hop qu’on amène à la house. Donc en vérité, je n’ai jamais arrêté.

« Le scratch et le deejaying technique, c’est ce qui définit de la manière la plus pure ce que je suis musicalement. »

A : Ces dix dernières années, tu as aussi sorti des tubes. On pense notamment à ton remix des Yeah Yeah Yeahs. Ça a eu une influence sur ta carrière ?

A : C’est certain. Le remix des Yeah Yeah Yeahs on le joue encore, c’est fou. Ça a été un gros truc pour moi. Il a explosé d’abord à l’échelle des DJs, qui le jouaient en clubs, mais c’est quand il s’est retrouvé dans le film Projet X que ça a explosé vis-à-vis du grand public. Et j’ai vécu la même chose avec « Barbra Streisand » de Duck Sauce.

A : C’est facile de faire un tube comme ça?

A : Je ne sais pas. [Rires] Tous mes morceaux qui ont eu du succès n’ont pas été faits dans cette optique. Peut être que tout simplement ils évoquent une certaine joie, ils ont de la personnalité, et ont eu tellement de personnalité qu’ils ont parlé à beaucoup de monde. Quand on a sorti « Barbra Streisand » on n’en revenait pas de voir qu’il était dans les charts. C’est une boucle avec aucune parole ! Ça dit un nom qui ne veut rien dire et on était en face de Bruno Mars. [Rires] C’était presque comme une blague, on avait pris en otage les charts un peu. Le secret pour faire un hit je ne le connais pas. J’essaie de faire des choses que moi j’aime et qui j’espère sont assez universelles pour que ça marche chez plein de gens.

A : Malgré les années, ce qui frappe avec ton parcours, c’est que tu arrives à rester pertinent aujourd’hui, on ne te voit pas comme quelqu’un du passé. C’est important pour toi de rester dans le coup ?

A : C’est un effort conscient que je fais, ce n’est pas par hasard. C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné la longévité. C’est ça le but ultime d’une carrière : on ne veut jamais que les gens sentent l’effort que tu fais pour rester pertinent, que ça ait l’air naturel. Mais en même temps, quand tu es DJ, c’est ton devoir de rester à l’affût des nouveaux sons. Ce qui est important, c’est surtout de ne pas perdre ou renier ses origines, et de savoir comment mélanger son parcours et son histoire avec la musique d’aujourd’hui. C’est ça qui me plaît avec le deejaying : j’ai l’occasion d’agencer des sélections de musique que je choisis, donc c’est à moi d’être malin et de trouver comment faire marcher mes prods avec quelque chose que j’ai fait il y a cinq ans et un morceau qui vient de sortir. Et puis je crois que Fool’s Gold m’a aussi aidé à rester pertinent dans le temps. Parce que le simple fait de pouvoir signer des artistes m’a rapproché de ce qui se fait de nouveau. Et quand tu t’entoures de jeunes artistes comme Lil Yachty ou Princesse Nokia qui ont cette espèce d’énergie contagieuse tu t’en imbibes.

A : Tu as aussi l’air d’avoir beaucoup de recul sur la musique en général. On se souvient notamment du blog que tu tenais pour le Huffington Post.

A : Figure toi que je bosse même sur un livre depuis deux ans. Ça me vient naturellement. J’ai l’esprit un peu analytique et je profite du fait que je côtoie aussi bien Grandmaster Flash que Metro Boomin pour comprendre la filiation, l’arbre généalogique qui peut exister entre eux. Le pire serait d’être nostalgique ou vieux con. C’est intéressant et important d’accepter le fait que le deejaying est devenu tout autre chose, tout en montrant qu’il y a moyen que tout ça coexiste avec l’ancienne génération. Un DJ peut avoir une technique très simple mais d’autres forces dans sa sélection, tout comme un DJ peut être hyper technique mais divertir les gens. Chaque fois que j’ai toutes ces pensées j’ai envie de les partager en tout cas.

A : Tu as maintenant 35 ans, tu as gagné plusieurs fois les championnats du monde DMC, collaboré avec Kanye West, monté ton label Fool’s Gold… Qu’est ce qu’il te reste à accomplir selon toi?

A : Ce que je veux faire encore plus, c’est sortir davantage de morceaux à mon nom, que ça soit hip-hop ou électro. J’en ai quand même sorti assez peu, ces dernières années un peu plus, et là j’ai quelques trucs de rap de prévu. Ce qui m’importe maintenant c’est de boucler la boucle avec ma propre compétition de deejaying, les Goldie Awards. Vingt ans après ma victoire des DMC, il y a tout un défi qui est de présenter cette pratique à un nouveau public, faire comprendre à la nouvelle génération ce qui est cool avec les compétitions de deejaying.

A : Donc finalement tu ne lâcheras jamais le scratch?

A : Non. [Sourire] Le scratch et le deejaying technique c’est ce dont je suis tombé amoureux tout jeune, c’est ce qui définit de la manière la plus pure ce que je suis musicalement. Je cherche juste d’autres façon de rajouter quelque chose à cet acquis. Que ça soit des approches de prods en studio, une compétition de DJs, des artistes que je choisis de signer, ou même de manière plus abstraite avec des fringues ou des collaborations. Au final, c’est toujours la même mentalité et la même esthétique. La mienne.

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