La mathématique de Gizo Evoracci
Interview

La mathématique de Gizo Evoracci

L’Essonne, le Cap-Vert, l’Eure, la Californie, la Russie, Jérusalem… Gizo Evoracci a vu du pays. En une quinzaine d’années dans le rap, son parcours l’a mené à faire plus d’une rencontre inattendue, et la trajectoire de Gizo a quelque chose d’unique. Il y revient ici en profondeur.

1985 – 2003

Première jeunesse d’un Cap-Verdien en France

Je suis né en Essonne, je suis un pur produit du 91, dans mon argot, dans ma vision des choses, dans ma démarche. Où j’ai grandi, nous marchions différemment, nous parlions différemment, nous écoutions des choses différentes. Grigny était connue dans tous les départements de l’Île-de-France pour être une ville « étrange » et « différente ». Ma mère accouche de moi très tôt, elle n’a alors que seize ans, on la prendrait presque pour ma grande sœur. Elle m’a laissé chez ma grand-mère, dans l’Eure, car sa situation était difficile. Très longtemps, je lui en ai voulu pour cet abandon et pour son absence, mais la situation chez elle devenait réellement hard… Je dormais sur le balcon et assistais à des scènes surréalistes. Elle était seule, séparée de mon père ; donc avec le temps, je lui ai pardonné certaines choses. Pas tout, mais certaines choses. Dans le 27 j’étais le seul nègre de l’école. Il n’y avait pas un Arabe, pas un métis, que des blancs pure souche, or ça s’est bien passé pour moi. Grâce à Dieu, je n’ai jamais connu le racisme là-bas. Mais on m’a bourré le mou en me disant que si je travaillais bien à l’école, si j’en faisais deux fois plus que les autres, je rentrerais chez ma mère à Paris. Foutaises. Pourtant je travaillais d’arrache-pied à l’école, j’ai dû être dans les trois premiers de la classe durant toutes mes années dans l’Eure, et ma grand-mère est devenue la mère que je n’ai pas eue.

Mon retour dans le 91 est probablement la plus mauvaise chose qui soit arrivée dans ma vie. Je suis revenu à Saint-Michel-Sur-Orge. Je ne voyais pas ma daronne, elle jobbait trop. Mon beau-père était un héroïnomane, qui se shootait tout le temps au Subutex. Le soir, il me faisait tourner des spliffs, devant des films noir-américains, des imports hyper rares. Malgré des accrochages, bizarrement je le trouvais marrant et cool, dans sa folie. Au final, je n’ai même pas dû passer trois ans là-bas tellement la situation était compliquée. J’avais la tête dure, et les mauvaises fréquentations viennent vite quand tes parents sont peu présents. Ma mère n’était pas prête à me reprendre, donc elle m’a envoyé chez mon daron, à Grigny, La Grande Borne.

 

Comme toutes les générations dont la famille est au Cap-Vert ou dont les parents sont nés là-bas, j’y suis allé très souvent dans ma jeunesse. Mon père me martelait que la France n’était pas chez-nous, et il mettait toutes ses économies dans des constructions au bled. Comme d’autres Cap-Verdiens malheureusement, il a parfois dû additionner un travail pénible et le business, la magouille. À douze ans, je savais que le 4×4 qu’il avait au bled et les baraques qu’il achetait là-bas n’étaient pas payés par son petit salaire de peintre en bâtiment en France. Le jour où j’ai vu d’où venait tout cet argent, j’ai compris que dans la vie il fallait soit prendre des risques, soit suivre le chemin que la France nous proposait. Mon père était très dur, et il avait l’alcool facile. Il nous a terrorisés, mes deux demi-sœurs et moi, je peux lui reprocher toutes les choses du monde, mais il a toujours mis plus que ce qu’il fallait dans nos assiettes. On n’a jamais eu de chaussures de marque, mais le frigo était toujours rempli. Je respecte ça. Le pire cauchemar de mon père était que je veuille rester ici, en France. Il me voyait partir au Cap-Vert, avec une Cap-Verdienne. Mais la France m’a eu, et le ghetto avec !

Je l’aime, et en même temps je la hais, cette France. C’est elle qui m’a plus ou moins fait ; elle a chié des idoles comme Brassens, Chirac, Coluche, Depardieu, Les Inconnus, Christian Clavier, Aznavour, Gainsbourg, Bernard Tapie. J’aime tous ces salopards. J’aime la campagne. J’aime ces femmes blanches, putes et bourgeoises qui arpentent la capitale, ou ces femmes reubeus, arrogantes, qui s’habillent comme des Juives. Tu captes ? J’aime la capitale qui produit ces salauds de bobos qui snobent notre art. Et pour le moment je suis encore ici, dans cette merde. Je taffe, à côté de ça j’ai un petit fast-food comme les bricoleurs de mon espèce. On magouille, on bricole, des ziak-ziak pour ne plus ressentir le stress de la fin du mois et maintenir le sourire de la daronne. Comme tout le monde j’ai envie de dire, enfin il paraît. Mais je compte partir un jour, rentrer chez moi, en un seul morceau j’espère, et encore en vie si Dieu veut.

L’adolescence, le rap, les films, et un oncle

Mon premier souvenir musical, c’est Georges Brassens, d’où l’intro de mon titre « Le Turlupin ». Il y a aussi Sade dont je suis un éternel fan, Al Green, Willie Hutch, Rose Royce, Bootsy Collins, Isley Brothers, et j’en passe. J’aime la vraie musique. J’ai été attiré par la musique South et West car en toute sincérité, le rap de New York me parlait beaucoup moins, à part le Wu-Tang et quelques bougs. Le rap qui me faisait bander était celui de nègres qui rappaient de façon lay-back sur des instrus au rythme soul. Des mecs qui te parlaient de ce qu’ils branlaient toute la journée, qui te disaient qu’ils avaient fumé des bougs en toute décontraction. Menace II Society était une bombe pour moi, pas spécialement parce que c’était violent, mais parce qu’il y avait tous les putains de code West. Je pense que ce truc a foutu en l’air la vie de plein de négros, comme le Malcolm X de Spike Lee, dans un autre registre.

Seno du groupe Les Sales Blancs est un oncle proche. Le premier album de rap qu’il m’a fait écouter était Première Consultation de Doc Gynéco. Il m’a aussi fait découvrir la bande originale de Menace II Society, avec UGK, Spice 1, Too Short, Mc Eiht. C’est aussi Seno qui me fait écouter Creepin on ah Come Up de Bone Thugs-N-Harmony. C’était une révélation pour moi. Seno est celui qui m’a fait baigner dans la West Coast. Je ne parle pas de la West Coast classique de Warren G, Snoop Dogg, Dr. Dre et compagnie, mais des trucs du fin fond de Sacramento, d’Oakland ou de groupes californiens peu connus. J’ai une relation étrange avec le rap, car je l’ai abordé d’une manière particulière. J’ai connu l’histoire du rap américain avant même la démocratisation d’Internet, par le biais de VHS importées et d’archives de magasines. J’ai additionné tout ça à beaucoup de bouquins, Baudelaire, Machiavel, Iceberg Slim et j’en passe… Pour moi le rap c’était la dope, la flamboyance, la rue, les peines et la tristesse, et non des jeux de mots pour faire joli. Pour situer, un rappeur comme Dru Drown me parlait pour sa flamboyance, Pimp C pour sa grande gueule et son authenticité, Master P, pour son ascension plus que pour son rap.

Je ne peux pas dire que je suis un fervent défenseur du mouvement hip hop français. J’ai mis du temps à me mettre au rap français. Je me suis penché dessus quand j’ai compris qu’il était très riche lyricalement ; je dirais même plus que le rap américain. En France, j’étais un fan du Secteur Ä. Expression Direkt m’a bousillé dès le début aussi. Il y a également Doc Gyneco qui a été une vraie révélation pour moi ; mais à des périodes, je pouvais bloquer sur des trucs qui n’avaient rien à voir, comme l’album Confessions de Vibe, le classique de Freeman, Le Palais de Justice, puis un Mafia Trece ou un Code 147. Le RD du groupe CSRD m’a aussi influencé. Indirectement, je suis un pur produit de leur ère.

« Seno du groupe Les Sales Blancs est un oncle proche, c’est lui qui m’a fait baigner dans la West Coast. »

2003 – 2005 

Les débuts dans le rap et les connexions californiennes

J’ai commencé à rapper en 2003 avec des soss’ de ma ville : Cokein, Ozer, et d’autres, mais on était réellement des novices. De notre génération, le plus talentueux était Ketokrim. Moi, m’y suis mis plus sérieusement en 2004. À la fin de cette année, je sors le projet Ange ou Démon. Cet album a été enregistré avec Seno chez un ami qui était footballeur pro à Nantes : Eddy Capron. Ce boug était une crème, il kiffait la West autant que nous à l’époque. Il bossait avec Seno à la base, et moi mon but était de partir aux États-Unis avec de la matière. Donc Seno et moi avons enchaîné quelques titres, j’ai fait maquettes sur maquettes. C’était un peu brouillon mais ambitieux. Bref, quand je suis parti aux USA j’avais plein d’instrus et des sons déjà enregistrés. J’ai finalisé le tout là-bas, sans Seno qui avait des diez à régler en France. Seno, c’est mon oncle, il est avec la sœur de ma daronne. J’ai un respect de fou pour son art. Il était dans le bando pour de vrai, dans la magouille pour de vrai, il a connu les barreaux pour de vrai. Bref, il a une crédibilité à deux-cents pourcents. C’est un lyriciste de fou, une encyclopédie de malade, et on le réalise plus dans ses derniers sons. Mais c’est lui qui a fait ma base, mon oreille et mon squelette musical.

En 2004 donc, mon père était au bled et ma belle-mère m’a foutu dehors un soir alors que je sortais de garde à vue. Quelques semaines après, je suis parti aux États-Unis avec un billet aller pour Los Angeles, sans un euro en poche. Je n’avais que mon sac à dos. J’étais en contact avec le C.E.O d’un label qui fonctionnait bien là-bas. Il s’agissait de Tomas Solis, boss d’Underworld 805 Records, qui était à l’époque un des plus gros distributeurs indépendants de la côte ouest. Suite à un titre que j’avais fait avec un mec de son label et qui avait bien tourné là-bas, il m’a proposé de compiler quelques titres qui pourraient plaire et de venir en Californie. Quelques temps après, en arrivant à l’aéroport, avec un anglais médiocre, je flippais que mon contact ne se pointe pas. J’ai attendu une heure à l’aéroport avant de le voir arriver en Jaguar, et là tout a commencé. Sur le chemin, il m’explique son affiliation à la mafia mexicaine, son fonctionnement ici, et ce que l’on peut faire ensemble. Il me dit que normalement il ne bosse pas avec les « negritos », mais que le fait que je sois Français ne dérange pas. Il me dit faire ce job depuis longtemps, et il croit au projet que je lui ai apporté. Tomas m’a accueilli royalement chez lui, dans un coin chic de Bakersfield avec piscine et tout le tralala. J’ai sympathisé avec sa famille et son équipe. Je suis resté six mois, puis suis revenu une dizaine de fois, avec des gens de mon quartier ou même avec la rappeuse B-La, qui plus tard a produit Ol Kainry. Ça ne s’est pas toujours bien passé mais bon… Il faut savoir qu’il y a des codes à respecter là-bas. Grâce à Dieu, malgré les endroits chelous je n’ai jamais eu de situation extrême. La seule fois où il s’est passé des trucs bizarres c’est bien plus tard, lorsque je suis parti avec Kayse à Slauson et Long Beach. On a dû assister à trois fusillades la même journée, mais là-bas, tout leur paraît normal, dix minutes après une fusillade ils reprennent leurs activités comme si de rien n’était.

Ce projet Ange ou démon n’est malheureusement pas un succès pour moi. Je m’explique. Quand je suis arrivé là-bas je n’avais pas un peso. En 2004, le système des labels indépendants est le suivant : on t’achète le CD fini –c’est-à-dire le master- au prix de dix mille, vingt mille ou même cinquante mille dollars, et quand je dis qu’on te l’achète ça veut dire que si tu vends un CD ou un million de CDs, tu n’es plus propriétaire de quoi que ce soit. Rien, niet. Le projet ne t’appartient plus, et c’est donc ce qui s’est passé avec moi. Tomas m’a acheté le projet, mais quand je dis acheter, ce sont des vêtements, de l’oseille, des putes et tout ça. Au final, ça coûte moins cher de divertir un petit renoi à sec que de payer une somme ronde, cash. Mais je n’ai rien laissé pour moi, j’ai tout donné à ma daronne, et heureusement que j’ai eu la jugeote de mettre un bon billet de côté pour elle. C’est une expérience, un bon souvenir, un moment de ma vie, et un sourire de ma mère. Il y a eu plusieurs sorties du disque, une première en 2004 aux États-Unis, puis une autre après le deal d’Underworld 805 avec EMI, et une autre encore dans plusieurs pays dont le Japon. Il a bien fonctionné là-bas, et c’est peut-être le seul pays où on peut encore le trouver. Il y a aussi eu une sortie, disons… foireuse en Europe.

L’Amérique n’est pas un rêve

Je n’ai jamais voulu rapper en anglais et je ne le ferai jamais. J’ai grandi ici en France, je parle de ce que j’ai vu ou vécu ici en France, pour moi c’est d’une importance ultime. C’est con, mais tous ceux que je connaissais là-bas étaient des Crips, dans le son et dans la rue. J’aurais pu être affilié, et pour dire vrai, je ridais tellement là-bas qu’un pote de Prodeje m’a dit un jour : « à force de chill avec des Crips, de traîner dans le quartier des Crips, tu va finir par être un Crip et même être pris pour cible comme un Crip », mais ce n’était pas mon monde. J’étais un scarla du 91, qui aimait Eden Park, Lacoste, les 501 et les Reebok Exofit. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont kiffé. Je suis un pur produit de France, et pour rien au monde je n’irais vivre là-bas, je l’ai su dès mes premiers voyages. J’y aime la carte postale, le lifestyle, la culture et cette sensation que tout est possible, mais pas l’endroit. La plupart des bougs qui, en France, se prenaient pour des gars de là-bas n’étaient jamais partis en Amérique. Je ne peux pas en vouloir aux gars qui se prenaient pour des Bloods, des Crips ou des Chicanos, car on a en a tous rêvé, on a tous idolâtré ou presque telle ou telle chose, telle ou telle personne, et ce lifestyle. C’était mon cas plus jeune, mais quand j’ai découvert la réalité des lieux, j’ai capté que la France me manquerait bougrement si je restais trop longtemps. Il faut que les gens sachent que certaines de leurs idoles rament, n’ont pas un peso ou sont dans la dope. La fast life tourne vite au bad trip là-bas. Je pourrais parler des heures de ce qui sépare un Américain et sa folie idéologique, d’un Français.

Là-bas, on dirait que tout le monde se connaît. Tu connais un tel, qui lui-même connaît un tel… À l’époque, ils n’avaient jamais vu de Français, c’était tout nouveau. Avec du recul, je pense que j’étais un des pionniers sur la West Coast. Comme c’était vraiment nouveau, ça se faisait au feeling. Il n’y avait pas d’histoire d’oseille, c’était pour du pur kiff, je te paye un burger, un spliff, une tise, et c’est parti ! C’est ce que j’aimais, tu ne retrouveras pas ce truc aujourd’hui. Maintenant, c’est facile de rapper avec un cainri, c’est une histoire d’argent ; on s’en fout de savoir si tu es crédible ou non. Quand j’ai rencontré ces gens, c’était du vrai. Ma première connexion sérieuse en Californie, c’était avec Prodeje de South Central Cartel, qui m’a présenté à Spice 1. Après, Prodeje a passé un deal en distribution avec Tomas. Ensuite Spice1 m’a connecté avec MC Eiht, tout va hyper vite. Ces connexions se font souvent en studio, mais il arrive que je rencontre les gars dehors, puis leur envoie le truc après. Le noyau dur, c’était toute l’équipe de South Central Cartel. On va en soirée avec eux, dans le quartier pour de vrai. Une fois on s’est retrouvés en soirée dans une espèce de trap house sur South Central, avec des keufs, des maquereaux, des putes… J’étais dans un film ! J’ai réellement ridé le truc, et ce très tôt ; à cette époque c’était inimaginable pour certaines personnes. Les choses ont commencé à devenir sérieuses quand j’ai rencontré Kurupt. Là, c’était un niveau au-dessus. Je n’avais aucune limite, j’y allais au feeling et au culot, c’est comme ça que j’ai rencontré Snoop Dogg, qui m’a été présenté par Kurupt et sa femme. Mon plus grand regret, énorme même, est de ne pas avoir rappé avec Pimp C. Juste avant qu’il meure, j’ai eu l’honneur de connaître sa mère Momma C, qui était importante dans son bizz. Elle était sa manageuse à un moment, et je devais rapper avec Pimp C, mais il est malheureusement parti avant.

«  Je suis un pur produit de France, et pour rien au monde je n’irais vivre en Californie, je l’ai su dès mes premiers voyages. »

2005 – 2011

Un jeune sérieux dans ses affaires

Après Ange ou Démon quand je rentre en France, je charbonne, je magouille à droite à gauche et je reprends l’école à côté. Je coffre au max mon argent, je revenais des États-Unis, j’avais plein d’idées dans le crâne et j’y retournais le plus régulièrement possible. J’ai fait la connaissance de Kayse, l’ex Reciprok, à ce moment. C’est un mec que je respectais déjà énormément. J’allais chez lui et il me voyait charbonner, il me faisait la leçon quand il me voyait arriver chez lui avec des sacs de dope. Il était d’une autre époque, celle du bizz d’armes et des embrouilles de reurtis. Moi, il me voyait comme un ovni, un petit nègre de Grigny qui se trimballait avec des sachets de coke. Mes idées étaient alors tellement folles que tu pouvais facilement me prendre pour un dingue, je bossais avec un label de mexicain, je côtoyais South Central Cartel… Bref. Lui était très organisé, hyper calme, il avait une cogite incroyable et voulait me sortir de ce tourbillon, structurer ma vie, canaliser mes ambitions et me faire arrêter toutes mes conneries. Kayse bossait avec des gens du Moyen-Orient et des Canadiens, il faisait aussi des allers-retours en Angleterre. C’est lui qui a eu l’idée de faire La Conquête du monde ! Moi, je n’avais pas réellement de plan, j’allais faire une sorte de second Ange ou démon, avec les nouvelles têtes que je connaissais aux États-Unis, mais c’était brouillon. Il m’a dit « écoute, je bosse avec des gens qui seront probablement intéressés par un projet, je vais te les présenter. »

C’est là que j’ai rencontré Arié, qui est encore le manager d’Amir Haddad aujourd’hui –star montante de la pop- et qui était alors manager et tourneur pour pas mal de têtes dans la variété, la pop ou la musique urbaine française. C’est un fou malade, je l’adore. J’ai acheté mes parts dans cette société, Kol Records, où il y avait donc lui, Kayse et Gad, un ex trader de New York, un tueur à gage dans le business et le lobbying. J’étais donc la quatrième tête, le petit con avec des idées plein le crâne, des contacts, un argot bizarre, une science du liquide, et beaucoup de culot. Cette société organisait des événements musicaux ou autres un peu partout dans le monde. Là, j’étais dans le truc, c’était devenu réel. J’avais des idées, et j’avais une oreille, car je me dopais à la musique : du rap, de la pop, de la soul… Même du métal ou de la country. Je n’avais aucune prétention mais malgré ma jeunesse j’ai pu imposer ma connaissance et mon savoir-faire. Il ne suffit pas d’acheter des parts dans une société juteuse et de se branler. Non ! J’ai charbonné, et putain on a kiffé ! Arié est de la génération de Kayse, c’est le genre de feuj qui peut te persuader que son briquet est passé entre les mains de Michael Jackson et Johnny Halliday. Il est tellement fort que tu vas y croire. Il m’a tout appris dans ce bizz, tout !

Comme j’avais quelques connexions, j’étais « porteur d’affaires » pour des shows de rappeurs américains en Europe et au Moyen-Orient. J’arrangeais aussi des featurings de Français ou d’étrangers avec des cainris de mon catalogue. J’ai vu qu’il y avait de l’oseille à se faire de ce côté-là. Il y avait toujours un « fan de » qui voulait se faire un kiff et s’offrir un feat avec son idole, ou alors avec des cainris un peu sur la paille, des fois accros au crack et prêts à tourner dans tel ou tel bled pour une misère. C’était parfois compliqué, les Américains s’en battaient les couilles du bon fonctionnement du business, notamment sur des featurings : ils posaient bourrés, défoncés… Des fois, c’était naze, mais de l’autre côté, le fan était tellement content de voir le nom de son idole à côté du sien. Ce bizz n’a pas fait que du bien, mais bon, c’est comme le crack : c’est sale certes, mais si tu ne fais pas le sale boulot un autre va le faire et prendre les pesos à ta place. Tout est une histoire d’argent.

La conquête du monde par un Grignois

Kayse m’a apaisé, et m’a guidé, c’était un O.G, il était deux générations au-dessus de moi. À la base, il ne devait pas poser sur La Conquête du monde, il pensait faire seulement des compos. Un jour, on a bricolé des trucs de je lui ai dit « Vas-y, à ton tour ! » Il me répond « Je rappe aussi sur le projet ? » Je lui ai demandé s’il était sérieux… Où serait le kiff s’il ne rappait pas ? Moi je n’ai jamais pris la musique au sérieux et c’est ce qui a pénalisé ma pseudo carrière. Je voulais juste vivre, voyager, rencontrer des gens, kiffer. Bref je l’ai poussé à rapper avec moi sur le truc. C’était un mec marqué par la vie, le quartier, la taule et les déceptions, et j’ai réussi à lui tirer quelques sourires, c’était le plus important pour moi. Sincèrement, je voyais le rap comme un hobby et j’ai aujourd’hui un petit regret de ne pas l’avoir pris au sérieux. J’étais focus sur ma nouvelle structure, j’y avais mis des billes, et j’ai vécu à travers le monde, donc la musique j’en faisais quand j’avais envie, entre deux voyages. Tu sais… Le but c’est de sortir du quartier. Les gens qui te disent l’inverse, ce ne sont pas des vrais bougs du bando. Tu crois que je veux voir ma descendance vivre dans la même merde que moi ?

Pour moi, mon projet le plus mal écrit était celui-ci, le plus important : La Conquête du monde. À cette époque, je gagnais plutôt bien ma vie, mon hustle en France tournait bien et je faisais des pesos à droite à gauche avec ma société d’événementiel. Bizarrement, quand tout va bien, je n’ai pas d’inspi et ça se sent dans mes sons, comme si je n’avais rien à raconter. Si j’avais fait de la pop j’aurais tout tué, car j’étais heureux ! [Rires] Mais ma musique est à l’image de ce que je vis, je n’arrive pas à me mentir à moi-même. Déjà que je suis un éternel insatisfait, je n’arrive pas à kiffer ma musique… Je pense avoir un truc intéressant mais je ne suis pas fan de ma propre musique. Je mets n’importe qui au défi de trouver un statut sur mes réseaux sociaux où je fais le fanfaron : « J’ai du lourd qui arrive, je suis le plus chaud, etc. »

Bref, à ce moment, c’est fini les magouilles, j’étais dans le clair. Je n’étais plus à Grigny, mais mon daron, mes soss et ma famille y étaient, donc j’y traînais encore. Grigny, tu y es attaché à vie. C’est un monde à part, avec des gens à part. Parfois, le mal t’attire, alors que deux jours avant tu foulais le paradis. Mais je sentais les regards changer sur moi au quartier, on me prend pour je ne sais quoi. Ils étaient parfois admiratifs, parfois jaloux. Par moment, j’avais l’impression d’être déconnecté, et dès que je revenais dans le cartel, comme on l’appelle chez nous, ça me remettait les pendules à l’heure. En repartant, j’avais une vision différente des choses. J’ai une haine contre les gens qui ont grandi dans la merde, et qui lorsqu’ils en sortent, oublient d’où ils viennent, et dénigrent même les gens avec qui ils ont grandi. Les pires sont ceux qui utilisent la misère de leur quartier pour se glorifier, mais n’en ont en fait rien à foutre. Moi, j’ai de l’amour ma ville, c’est inexplicable, elle est comme un pays.

Grigny bénéficie d’une crédibilité suprématique. La ville est réellement légendaire. Des anciennes équipes du secteur ont fait du sale ici, et pour ne pas se faire goomer dans le 91, des bougs disaient qu’ils venaient de Grigny. Le rap que l’on pratique ne pouvait pas péter. Il faut dire la vérité : on a eu ce que l’on devait avoir. On a voulu faire ce que l’on sait faire, nos influences ont donné naissance à ce que l’on a craché quand on était en studio. Les O.G ont le respect et la reconnaissance, mais n’ont pas la gloire. Ce que l’on faisait, c’était la jungle par rapport au rap mainstream, on était trop marginaux, aussi bien dans les années 1990 qu’en 2012. Code 147 et Baron OG sont vraiment le « JC » ici, l’an zéro. Tout a commencé quand ils sont arrivés. Après, le plus important dans l’histoire de Grigny c’est que l’on est restés réels, on n’a pas essayé de faire ce que les autres faisaient. LMC Click et La Comera en sont l’exemple. La ville n’a pas ce qu’elle mérite, mais en même temps, certaines personnes ont ce qu’elles méritent. Trop d’ego, trop de certitudes sur sa supériorité… Le syndrome du Grignois qui se pense plus speed que la normal. On est indéniablement dans le top cinq des villes qui ont le plus influencé le rap, particulièrement sur les cinq à huit dernières années, environ. Ils marchent comme nous, parlent comme nous, volent nos mots. Ce sont des putains de jack swaggers ces flocos ! Mais respecte notre truc, fais un clin d’œil ou donne un peu de force à ceux qui sont en place dans le quartier, musicalement ! La moitié de la France utilise des mots ou s’inspire de choses qui à la base viennent de chez nous, de nos grands frères. Mais je crois dur comme fer qu’un jour cela sera dit de la meilleure des façons par quelqu’un. Ce ne sera probablement pas par moi, mais un jour, j’espère qu’ils en sauront un peu plus sur notre histoire. Grigny le mérite.

 

 

«  Grigny est indéniablement dans le top cinq des villes qui ont le plus influencé le rap français »

Une web-série et Blow

À la base, pour Blow, il s’agissait de faire une mixtape pour éclairer mon univers, faire savoir qui était Gizo Evoracci avant la sortie de La Conquête du monde. Ce n’était rien de plus qu’une mixtape avec des exclus, des faces B et des freestyles, dans les règles de l’art. Pour cette tape, j’étais fou, j’étais dans des histoires abracadabrantesques, dans le dope deal à fond… J’avais la dalle, réellement. J’ai voulu montrer aux petits mecs qui snobaient notre mathématique que certes, j’ai un projet avec plein de cainris qui arrive en indépendant, mais… « Hey, poto ! Je kicke ! » Blow avait été foutu gratuitement sur Internet, et suite à son succès on m’a demandé une sortie physique, qui s’est effectivement faite, avec Musicast. Sur Blow, il y a un titre avec Snoop Dogg, que j’avais revu en juin 2008, me semble-t-il. Avec du recul, c’est une sacrée histoire. Je faisais des morceaux, j’étais souvent dans des studios qui accueillaient beaucoup de rappeurs, et j’étais le petit Frenchie, côtoyant le gratin du rap californien. J’ai kiffé avec Kurupt sur un son, et un jour, alors qu’il était avec Snoop en voiture, il lui a fait écouter. Snoop Dogg a kiffé notre collaboration, à Kurupt et moi. Il a aussi kiffé ma petite histoire, et le délire de French independant, qui essaie de s’en sortir. Il m’a contacté quand j’étais au Moyen-Orient, m’a dit qu’il avait un peu de temps avant sa tournée et qu’il nous invitait. Kayse, moi-même et notre équipe sommes donc partis là-bas. On a été accueillis par la femme de Kurupt à l’époque, Gail Gotti, dans une immense baraque avec un terrain de basket à l’intérieur. Il y avait Problem, un petit de Kurupt, et d’autres négros bizarres. Je me suis retrouvé à jouer à la console avec Snoop Dogg et Kurupt, chez lui. On a passé un bon moment là-bas, avant d’entrer en studio. À la base, Snoop devait poser sur un morceau, mais au final il a posé sur deux : « Retour aux sources », où il faisait un petit refrain et un host de malade à la fin, puis le fameux « Live and learn », avec LV, la voix du refrain de « Gangsta’s Paradise » de Coolio. Un vrai O.G ce vieux ! Les gens ont longtemps cru que ma collaboration avec Snoop était « Retour aux sources », mais ce n’était pas ce titre qui devait péter.

Il y a eu des moments mémorables dans ce studio, que je ne peux pas raconter. Pour l’anecdote par exemple, Snoop pétait les plombs quand il entendait des sons que l’on avait fait avec d’autres rappeurs, il prenait les lyrics au premier degré et avait l’impression que les gars l’insultaient sur des morceaux… Quand on a joué un titre en particulier, il est sorti en furie. Il y a parfois des beefs internes qu’on ne peut pas comprendre sans être dans leur matrice. Le message que je retiens de Snoop est « live and learn. » Il nous dit en somme : « quand je vous regarde les gars, je vois dans vos yeux la même flamme que quand j’étais plus jeune. Vous avez la dalle. Je ne comprends rien à ce que tu dis, mais dans tes yeux et ton attitude je me revois plus jeune… Et j’ai la sensation d’avoir affaire à un real French nigga, pas un négro essayant de ressemble à un autre négro. » Cela m’a marqué et m’a fait comprendre qu’en France, on a notre truc, et qu’il faut à tout prix le conserver, que ce soit dans la musique ou le lifestyle.

De 2007 à 2009 j’ai aussi mis en ligne les vidéos de ma web-série. Je crois que j’étais le premier en France à faire ce délire de Web TV. J’ai eu très peu de vues, les gens ne captaient pas au début, ils prenaient ça pour des vidéos de backstage ou même des vidéos de vacances. Je n’avais pas de réel modèle et suis incapable de dire qui m’a influencé pour faire ce délire. Pour moi c’était avant-gardiste de faire ça, et comme je vivais des trucs de fou, je voulais les partager. Je faisais moi-même le montage avec un logiciel merdique, entre deux aéroports, et je postais parfois des trucs sans calculer l’effet que ça allait avoir. Avec du recul, on me prenait pour un fou. À un moment, je suis à Los Angeles dans une des rues les plus dangereuses de Californie avec des Crips, après je suis aux Maldives, après au Moyen-Orient et encore après avec des mafieux russes… C’était parfois un peu bâclé, mais je ne regrette rien, je faisais au feeling.

Je n’ai pas tellement poussé le truc avec Blow non plus, je voulais juste développer mon blase en France, sans réelle ambition financière. J’avais plus une ambition médiatique, pour ce qui allait arriver après, à savoir La Conquête du monde. Mais tout a capoté au moment où on devait avoir un deal en France et aux États-Unis. Comme en interne on avait avancé sans contrat sur ce projet, ça a particulièrement posé problèmes à mes associés et chacun a voulu tirer la couverture à lui. Je suis aujourd’hui le seul à être en bons termes avec strictement tout le monde. Le petit regret que j’ai, c’est de ne pas être allé au bout du truc. Le projet a vieilli et il fallait que je passe à autre chose. J’ai pris l’initiative de mettre en ligne La Conquête du monde plus tard malgré le fait qu’il ait pris de l’âge, pour boucler la boucle et passer à autre chose.

« Je suis conscient que ma musique ne marchera probablement jamais. Mais au fond, ai-je déjà fait de la musique pour qu’elle marche ? »

2012 – 2017

Overdose

Overdose, c’était avant la fin de la pseudo belle vie, le retour à la réalité. J’ai repris mes mauvaises habitudes, je ridais beaucoup avec des Russes, et quand j’étais en France j’étais souvent au quartier. Cette mixtape est réellement à l’image de ce mot, « mixtape ». Les morceaux sont mal mixés, ça a été enregistré dans quinze appartements différents… Bref, j’avais des trucs à dire et je crois que c’est sur ce projet que j’ai écrit mes meilleurs textes. Je m’en foutais des retours, rien n’était calculé, je voulais écrire ma vie et de belles choses saupoudrées de dope. La dope a foutu ma vie en l’air, mais l’a en même temps enjolivée. Il suffit d’écouter « Black Pharaon », « Pablo Picasso » ou « La Folie des grandeurs » pour y voir clair.

C’est à ce moment que j’ai connu Madizm via Seno, ou via le manager de Seno, je ne me souviens plus. Eux se checkaient sur le net, et Madizm et moi nous sommes vus en live. On a sympathisé, j’avais un peu de pesos, on a bossé ensemble dans un grand studio à Levallois-Perret. J’ai investi un peu dans cette aventure, à un moment où je voulais que tous mes business deviennent clean. J’ai ouvert une pizzeria par exemple, et j’avais un bureau collé à son studio. J’ai un énorme respect pour Madizm, son travail et sa folie. C’est un fou, il a vécu un moment sur L.A comme moi, et j’adore ce type car il est extrêmement cultivé ! Donc il m’a envoyé une palette d’instrus, et j’ai écrit un morceau qui s’appelle « Overdose ». Il m’a pris pour un ovni quand il a écouté ce titre. [Rires]

 

Le rappeur russe Roma Jigan qui pose sur Overdose, je l’ai connu par le biais d’Igor Ivanovich, un mafieux russe avec qui j’ai sympathisé de fou, et qui kiffait le rap grâce à mon associé Arié. Il avait de l’argent à injecter et voulait s’amuser. Igor, son équipe et moi nous sommes rencontrés lors d’un événement à Jérusalem ; on a passé une soirée ensemble, puis il m’a proposé de faire quelque chose avec Roma, son artiste. Je me suis hyper bien entendu avec lui et tout est arrivé rapidement après : des concerts au Moyen-Orient organisés par lui et son équipe, des émissions de télé en Russie… C’était une aventure de fou, c’est pour ce genre d’aventures que je fais de la musique. Qu’est-ce qu’un renoi de Grigny va faire avec un Russe ? La musique nous a rassemblés. Je flippais parce qu’il y a des clichés qui disent que les Russes n’aiment pas les négros. Mais putain… J’ai été reçu comme un roi ! Roma est comme mon frère maintenant. Le rap russe est nouveau, je ne connaissais vraiment pas, mais il y a du talent là-bas.

Je suis conscient que ma musique ne marchera probablement jamais. Mais au fond, ai-je déjà fait de la musique pour qu’elle marche ? Existe-t-il un single soupe ou un morceau à l’eau de rose pour vendre depuis mes débuts en 2003 ? Je sais le faire, mais je n’ai pas envie, et je n’aime pas me voir dans cette position. Puis ça attirerait un public auquel je vais mentir. J’ai grandi dans la merde, avec un daron alcoolo qui magouillait et me bousillait, une daronne qui m’a abandonné jeune, un beau-père fourré à l’héroïne. Grigny n’a pas arrangé les choses. Que puis-je raconter à part ça ? En privé, plein d’artistes qui ont pété m’ont fait des louanges sur le morceau « J’régularize », mais j’étais trop crack, trop sale. Ça ne plaît pas quand tu parles de ça, mais c’est ce que je voyais tout le temps, c’était réel. Mon meilleur ami de l’époque, Mimo, avec qui j’ai monté le collectif CrackHood Mafia, vivait dans le dix-huitième, la capitale du crack et de la dope. Je ridais avec Desty Corleone, un des précurseurs du gangsta rap en France selon moi. Il était comme moi, marginal en tous points et bien entendu dans le rap. Ça me fait un peu rire quand maintenant je vois que le dope lyricism est devenu presque mainstream, alors qu’avant on te fermait les portes pour ça. Je n’ai pas peur de dire que j’ai déjà fumé du crack que j’ai déjà pris de la coke. Tous ces bouffons, quand ils prennent du pilon ou de la dope pour la revendre, ils ne la goûtent pas ? Il y a des trucs illogiques dans leurs textes mais bref je ne leurs en veux pas, le plus important est qu’ils sortent du quartier et de la misère. Les vrai bougs qui sont dans le truc captent certaines incohérences dans les discours de mecs aux lyrics un peu farfelus. Si tu brasses autant que ce que tu dis grâce à la dope, pourquoi tu rappes encore négro ? Tu mens aux petits, et un jour tu vas te faire allumer, parce qu’il y a plus fou que toi.

Une fois, j’ai empiété sur le bizz d’un ancien, qui était là depuis un moment. Ce qui m’a sauvé, c’est que je connaissais du monde. On peut dire la vérité, ce mec-là m’a convoqué pour me dire en gros, « soit tu bosses pour moi, soit tu vas mal finir ! » Il m’a dit où ma daronne taffait et là j’ai capté que ce n’était pas la même cour. Même les négros hyper deep qui étaient avec moi m’ont dit « là, frérot, c’est du sérieux. » Des mecs sont dans le business vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils peuvent t’allumer toi et toute ta famille. J’ai revu mon bizz à la baisse. Tout ça pour dire qu’il ne faut pas péter plus haut que son cul. Il y a une différence entre un gangster et des débrouillards, et ça c’est ce que je suis. Appelle ça comme tu veux, un scarla, un O.G, mais je ne suis pas un gangster. Un gangster vit du matin au soir pour ça, c’est son métier. Il faut que les gens comprennent : ça pue sa mère de vendre ou de prendre de la dope. À la base ce n’est pas fait pour se payer des habits de luxe ou fourrer des meufs, c’est pour aider les parents à payer les factures et partir définitivement du quartier.

Anastasis

À l’origine, Anastasis devait être un EP, parce que je voulais être productif et sortir trois projets avant fin 2017. Mais avec l’accumulation des titres, c’est devenu un LP, ou une mixtape… Mais en 2017 les mixtapes sont faites un peu comme des albums. En tous cas c’est le premier volet d’une trilogie. Le premier extrait, « Mort » était une manière de couper avec tout ce que j’avais fait avant et de montrer un nouveau départ. Il fait la transition, et j’ai voulu qu’il soit bien visuellement. Le morceau avait déjà un an et demi à la sortie du clip, et devait donner son titre au projet : Mort. En fait, Anastasis veut dire « résurrection » et je considère ce projet comme une sorte de résurrection après tout ce que j’ai pu faire, c’est comme si je recommençais à zéro musicalement. C’est la première fois que je me suis pris la tête à faire un projet convenable, je trouvais mes trucs d’avant un peu brouillons. Là, j’essaie de faire les choses bien visuellement, j’essaie d’avoir une communication claire. Aujourd’hui, je travaille avec Jonas, membre de l’ancien groupe SWC, et avec Jamal. Ils m’aident aussi un peu financièrement, et j’ai l’impression que là je prends un tournant dans le sens où tout est pro : j’ai une attachée de presse, la communication est carrée, visuellement on n’est pas dégueulasses, je pense qu’il y aura un peu de merchandising. On est dans une bonne dynamique et j’espère faire de la scène. J’ai fait un bout de chemin dans la musique et j’ai le même discours qu’au début : j’attends juste que l’on reconnaisse un peu mon art. Et là j’ai envie de le faire à ma façon, de la meilleure des manières, voilà ma dynamique. Je n’ai pas de réelle attente, je veux juste faire de la scène, faire de la musique, faire ma merde ! Je pense que maintenant j’ai une petite carte intéressante à jouer. J’ai une autre discipline de travail dans la musique, mais je ne me prends pas la tête et essaie de faire du bon travail. Maintenant, j’ai un taf de responsable, j’ai un petit restaurant à côté, et avec ça c’est compliqué de trouver du temps pour la musique. Mais malgré ça, je n’ai plus le boulet de mes projets que je traînais. À chaque fois que je faisais écouter un truc aux gens, on me disait « alors, le projet avec Snoop, ça sort quand ? » Je n’ai plus cette pression, donc je peux faire les choses différemment, prendre mon temps. J’aborde la musique autrement.

Pour Anastasis, j’ai été énormément aidé par Marvin Garcia, anciennement connu sous le nom de Lil Thug. Les titres où je chante vraiment, c’est lui qui m’a aidé pour les mélodies, et il a aussi mixé cent pour cent des morceaux. Pour moi, c’est un génie qui n’a pas encore été mis sous les projecteurs. Il peut faire de la pop, de la k-pop, du rap, du cloud… En fait il peut tout faire. Moi j’ai cet univers un peu roots, ghetto, qu’il n’a pas, et je crois que nos deux identités mêlées peuvent faire des trucs de fou. On est à trente pourcents de ce que l’on peut faire. J’ai aussi invité Alkpote que je connais depuis très longtemps. Il était venu vers moi à l’époque du titre « Le Turlupin » et après on devait collaborer, mais ça ne s’est pas fait. On s’est souvent croisés mais on ne parlait jamais musique. Un jour on était posés chez moi et je lui ai fait écouter « Kareem Abdul Jabbar » sur lequel j’avais posé mes deux couplets à la base, donc le titre était bouclé. En fait il a pété les plombs dessus et m’a dit « laisse-moi un trou dessus, et fais-moi confiance », j’ai accepté et il a enregistré ce couplet. Je pense qu’Alkpote est le père de toute la vague actuelle : les 13 Block, les Niska… Personne ne peut nier qu’il est le plus chaud dans ce délire. Il a toujours été dans cette mathématique un peu noire, malheureusement ça commence à fonctionner pour lui un peu tard. Sur l’EP on retrouve aussi Snoop sur un titre dont il a refait un refrain après que je lui ai fait écouter la prod. Elle est de Didaï, qui fait vraiment le type de musique que je kiffe, il joue de la guitare, il maîtrise la talkbox, et il m’a fait un truc que je trouve très bien. Snoop a validé et a refait un petit truc sur le refrain, que j’ai ajouté au projet. J’ai invité Baron OG pour finir le morceau, c’est un vrai triple O.G de chez nous, un grand frère, très respecté chez nous et que je respecte aussi artistiquement.

« Je suis Gizo Evoracci, il faut qu’on m’accepte comme cela car je ne vais pas me brider. Si c’est destiné à l’underground, je serai un Underground King comme Pimp C. »

Jeezo Christ, un œil dans le rétroviseur

Je suis hyper croyant, Cap-Verdien d’une famille majoritairement chrétienne, mais ma musique a toujours été provocante. Depuis mes débuts, je fais attention à ne pas tomber dans la provocation facile. Tout ce que je dis je l’assume, et je suis en mesure de m’expliquer sur pourquoi je dis telle ou telle chose. Le fond de tout ça, si on cogite, est positif. Là je suis très noir mais j’arriverai à un truc plus positif, où on comprendra pourquoi j’ai eu ce passage sombre. Mon rapport et ma vision de la religion sont particuliers. Le week-end je suis avec ma belle-famille musulmane. Tous les matins je vois mon père prier devant une photo de Jésus avant d’aller au travail. Le vendredi je fais shabbat avec mes associés. Mes lyrics font peur quand tu ne me connais pas, puis l’humain a toujours peur de ce qu’il ne connaît pas. C’est encore pire religieusement. Mon associé Arié, m’a dit une phrase dont je me souviendrai toujours : « Gizo, au début tu me faisais flipper avec tes textes, mais quand on te connaît et quand on comprend ta vie… On comprend ta facilité à taquiner un Musulman, un Juif ou un Chrétien dans tes textes. Tu as évolué avec les trois religions. » En une phrase il a tout résumé. J’ai vu les conflits entre Israël et la Palestine, j’étais parfois à Jérusalem quand ça chauffait grave. Le matin je jouais au foot avec des Palestiniens, l’après-midi j’étais au bureau avec des Juifs. C’est peut-être abstrait dit comme ça, mais c’était ma vie.

Aujourd’hui, selon moi, je suis le plus connu des inconnus au bataillon. J’ai probablement fait beaucoup plus grâce à la musique que beaucoup d’artistes. C’est pour ça que je ne pourrais jamais regretter d’avoir fait de la musique. Je ne me suis jamais menti, j’ai toujours fait ce que je voulais, au feeling, et putain, j’ai fait des rencontres de malade aux quatre coins du monde. Ça n’a pas de prix, ça vaut plus que tous leurs disques d’or ! En toute honnêteté je n’étais pas bankable. Trop sale ! On nous a approchés uniquement quand j’ai fait La Conquête du monde car le délire « mec des banlieues populaires qui ,parti de rien, conquiert le monde » faisait un peu vendre. Mais ça ne s’est pas fait. J’ai eu des propositions pour un projet solo en major pendant la réalisation de La Conquête du monde, mais j’étais focus sur cet album. Puis, il aurait été bizarre aux yeux de Kayse et de mes associés de répondre positivement à ces propositions, qui n’étaient pas non plus folles. Je n’en ai d’ailleurs jamais parlé à Kayse de peur de jeter un froid. Il l’a su longtemps après et l’a bien pris.

Je n’ai jamais eu de vraie opportunité médiatique parce que je m’en foutais, et parce que j’avais l’impression que les médias s’en foutaient aussi, alors qu’ils voyaient ce que je faisais. Même récemment, je pense avoir sorti des trucs pas dégueulasses visuellement, mais je ne sais pas… Ils ne jouent pas réellement le jeu. Après malheureusement, j’ai le syndrome du Grignois : je suis trop fier, et je déteste demander. Je ne cracherai jamais dans la soupe s’ils jouent le jeu, je serais hyper content, mais je ne sais pas… Je ne devais pas être assez « bien » ou assez « intéressant » pour eux. On fait du rap, une musique marginale de base. Je suis sans filtre depuis mes débuts, et le serai jusqu’à la fin. Des artistes comme Booba, Kaaris ou PNL ont percé en faisant ce type de musique. Effectivement je suis un peu plus extrême qu’eux, mais c’est moi, c’est ma vie, mon vécu, ce que je vois. Je rappe comme je parle avec mes gens, je suis juste vrai et sans filtre. Ma musique n’est pas faite pour les mêmes auditeurs que celle de Maître Gims. Au final, je suis devenu la personne dont ma daronne me disait de me méfier, mais j’ai de l’amour pour ma gueule ! [Rires] J’ai de l’amour pour mes nègres, mes barbus et mes feujs, ils m’aiment comme cela et je ne changerai pas. Si les autres n’aiment pas, qu’ils n’écoutent pas. Certains choquent en parlant mal de la femme, en disant « pipi caca bite » dans leurs textes… Moi c’est un autre registre.

Je n’ai jamais pu édulcorer ma musique. J’y ai pensé… mais je n’y arrive pas. Déjà que je n’aime pas ma musique, mais si je me dis que je dois faire plus light… Wow. Ça va être compliqué ! Je suis Gizo Evoracci, il faut qu’on m’accepte comme cela car je ne vais pas me brider. Si c’est destiné à l’underground, je serai un Underground King comme Pimp C, et quand ces rappeurs auront besoin de sale ou de crédibilité sur leur son, ils m’appelleront et je viendrai avec plaisir… S’ils ont un arc-en-ciel de billets ! [Rires] Mon cursus est bizarre, comme ma vie. Mais le temps m’a épuisé et je n’aime pas parler de moi comme un vieux. Si tu regardes derrière, tu peux te crasher, il faut avancer encore et encore. Tu n’as pas le choix, sinon la vie te bouffe. Elle est une succession de choix, et je veux juste n’avoir aucun regret, faire les choses jusqu’au bout. Si un jour je sens que je suis rincé, j’arrêterai sans hésiter. Quand tu as besoin de rapper, c’est que tu as franchi la limite, il faut en avoir envie, pas en avoir besoin.

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