L’art de la séduction selon Krisy
Conversation

L’art de la séduction selon Krisy

Dans l’ombre de son studio, Krisy aka De La Fuentes a contribué au succès du premier album de Damso Batterie Faible, produit son hit « Paris c’est loin » en featuring avec Booba, vu défiler « le tout rap belge. » Et même s’il préfère les coulisses aux artifices du décor, Krisy est un rappeur flamboyant lui aussi. Rencontre.

Photographie : Lokmane

Paris, vendredi 7 avril. Krisy et son équipe débarquent de Bruxelles en voiture. Il sont cinq. Joequaker le manageur, Hervé-Clément Shema le photographe, Prinski le DJ, Nixon le soleil accroché aux Grillz et Krisy. Il a le sommeil encore lové sous le pli de ses paupières un peu clauses. Son bonjour est doux, lumineux. Sans grandes effusions.

Il lance la marche. Ses dreadlocks blondes ont du mal à rester disciplinées sous sa casquette bleue. On pense à toutes ces choses nées dans sa tête, on se rappelle que notre imagination est un paysage de sources et de branches. Surtout que, Krisy a de grands rêves. Il veut construire la Tour Eiffel du rap de son pays.

Alors en attendant d’y arriver Krisy se forme à l’Université Libre de Youtube, apprend avec les yeux, joue les alchimistes avec Damso. Il affûte son jeu. Et s’il y en a un pour lequel il est doué, c’est la séduction. « Un art qui se transmet de père en fils », une technique qu’il ne maîtrise pas que dans ses chansons. N’en déplaise à certains, Krisy est un « Jeune Julio » comme il aime à la dire dans son tout dernier E.P  Paradis d’amour.


Abcdr du Son : Quand on se lance dans un projet comme celui-ci, est-ce qu’on est soi-même dans une sorte de « paradis » ?

Krisy : Non du tout. J’ai juste eu un idée, sur le moment. J’ai ensuite fait ça en un mois et j’ai sorti l’EP.

A : Il y a ici un certain onirisme…

K : [Il réfléchit] C’est une sorte de rêve tout le long. Mais à la fin tu te réveilles et tu vois qu’il ne faut pas trop se fier au rêve.

A : Pourquoi ?

K : Parce que c’est dangereux.

A : Donc tu invites les gens à l’amour avec ce titre « Vol vers » et puis tu les réveilles vers le septième titre « Elle, me parle » !

K : « Elle » c’est comme ma mère m’a toujours dit : « la femme du diable. » Elle me parle et sur le morceau suivant, tu te réveilles. L’amour c’est dangereux quand même. Il faut faire attention. Et puis sinon on va encore dire : « c’est le gars qui vient chanter l’amour, sans morale à la fin », alors qu’il y a une morale à l’amour je pense. Les derniers morceaux que j’ai sortis, c’était souvent à propos de la femme, ça tournait autour de l’amour. Du coup on m’appelle le « Trey Songz » ou un truc du style.

A : C’est mieux le « Julio » comme dans tes chansons.

K : Ouais, le jeune Julio. Ça c’est le papa. Julio Iglesias, c’est le daron. [Rires] « Julio et sa gogo danseuse » et « Jeune Julio », ce sont vraiment des morceaux à part. On le retrouve en bonus de Paradis d’amour mais j’aurais pu faire un E.P avec ces deux titres. J’y ai pensé, j’avais même une reprise de Julio Iglesias en tête que je voulais reprendre. Peut-être que je le ferai.

A : Mais pourquoi lui ?

K : Je ne sais pas. Un jour je suis tombé sur un live où il faisait son morceau « Manuela », ça m’a pris direct. Aujourd’hui j’écoute ça normal, comme si c’était du Migos.

A : Le Jeune Julio, c’est quel genre de séducteur ?

K : Ça dépend des femmes. Il y a toutes sortes de femmes donc il y a toutes sortes de techniques. Mais sinon, je me rapproche plus de l’agent OSS 117. Un peu d’humour, un peu de danse…

A : C’est complet.

K : On essaie. Un peu de cuisine aussi.

A : Il faut nourrir les esprits.

K : Et les femmes aussi.

A : Et sinon cette pochette avec un cœur, c’est pour Kanye et son album 808s and Heartbreak ?

K : On m’en a parlé mais non. C’est juste l’imagination. Je suis allé sur Photoshop et j’ai commencé à assembler des images. Je suis tombé sur ce cœur, j’ai mis l’espace derrière pour représenter le paradis et j’ai ajouté le nuage pour adoucir un peu. C’est moi qui ai fait cette pochette parce que j’avais annoncé que je sortirai un nouveau projet le 14 février. Je n’avais que deux morceaux à ce moment-là mais j’aime bien me lancer des petits défis. Je vais sur Youtube, je regarde des tutos à fond…

A : Tu as été formé à « L’Université Libre de Youtube. »

K : Ouais, ça c’était une réponse à un tweet. On m’avait demandé comment j’avais appris à mixer les morceaux. J’avais répondu « à l’Université Libre de Youtube. » Je n’ai jamais été une personne douée à l’école. Je n’étais pas fait pour ça. Être assis, écouter le prof, ce n’était pas mon truc. J’apprends avec les yeux.

A : C’est beau cette phrase.

K : Merci beaucoup. [Penseur] Ah ouais ?

A : Oui, très.

K : Damn ! On va reprendre ça pour un morceau.

A : Dans la narration, sur Paradis d’amour tu as choisi de raconter toute une histoire sur plusieurs titres.

K : J’ai toujours été dans le storytelling et ça, c’est parce que j’ai surtout grandi avec un album de Disiz, Jeu de société.

« Il y a plume, le cœur et puis on se laisse aller, on se livre. »

A : Tu installes aussi une ambiance. Je pense notamment au morceau « Discussion nocturne. »

K : Sur « Discussion Nocturne » et « Érotiquement vôtre », j’ai essayé de retranscrire l’ambiance des vieux films érotiques, le téléphone rose des années septante. Vous dites septante ici ?

A : On dit soixante-dix. Mais c’est joli septante, ça sonne exotique. 

K : Ouais voilà. [Rires]

A : « Discussion nocturne » m’a fait penser à un autre artiste de variété française, Didier Barbelivien…

K : [Il grimace] Ouch… Shout out à Didier mais ça, je ne connais pas du tout. Je suis vraiment entré dans le monde francophone en 2011 on va dire. Je parle néerlandais donc j’étais dans un univers néerlandophone et anglophone. Et puis vu que j’étais dans le skate, j’écoutais du rock H24. Limp Bizkit, Blink 182, Sum 41. Ensuite, je suis tombé sur les Method Man, Busta Rhymes, les trucs comme ça.

A : Mais où est passé le côté rock ?

K : Le lifestyle du rock, je n’étais pas prêt pour ça. C’est trop turn up. Et puis crier des trucs… Non. J’aime entendre une personne se défouler mais moi, je suis plus slow down. Mais pour en revenir à la musique francophone, j’ai découvert le rap grâce à la chaîne MCM. À l’époque il n’y avait pas Internet, on devait attendre les clips sur MCM. Doc Gynéco, IAM, Solaar, Disiz… C’était les quatre qui passaient en rotation.

A : Des artistes qui ont tous une belle plume…

K : C’est vraiment cette école-là qui m’a marqué. Et puis après, j’ai découvert les Sages Po’, etc.

A : Ce mot « plume » me rappelle à cette conversation qu’on avait eu avec Damso et toi pour un autre média. Damso parlait de la plume qui ne ment pas.

K : On ne se force jamais. Ce n’est ni la prod, ni nous-même. C’est la plume. La plume, le cœur et on se laisse aller. On se livre. Ça dépend du mood aussi. De l’humeur dans laquelle on est quand on écrit. On peut travailler sur certains morceaux pendant des mois. Et pour d’autres, en quatre heures c’est fini.

A : Un exemple ? 

K : « Débrouillard », on l’a fait en une journée. Genre en six heures intenses et on n’est pas revenus dessus. Pour un morceau comme « Amnésie », ça a pris beaucoup plus de temps.

A : Et dans ton cas ?

K : Pour « Discussion nocturne », ça s’est fait en trois heures. Et pour le reste, ce n’est pas encore sorti. Il y a des sons que je travaille depuis trois ans, ça sortira en septembre. Ça sera sur mon album Euphoria.

A : Trois ans !

K : Ouais, Euphoria, je travaille dessus depuis trop longtemps. C’est un projet qui sortira avec une bande dessinée à la rentrée.

A : Comment fait-on pour rester accroché ? 

K : La passion je pense. Et puis à chaque fois que je réécoute un morceau, je me rappelle des premières sensations. De cette euphorie et de cette joie surtout. Ce projet, c’est un projet rempli de joie.

A : C’est très lumineux ce que tu fais.

K : Oui, il faut. On se rapproche toujours de Dieu. Il faut rester à côté de lui. Là-bas, il fait beau. [Sourire]

A : Te souviens-tu de ta première rencontre avec Damso ?

K : La rencontre, c’était il y a presque dix ans. [Il réfléchit, s’enfonce un peu plus dans sa chaise] On avait un ami en commun, on chillait, buvait… C’est comme ça qu’on a créé des liens. Ensuite, t’entends qu’il rappe et voilà. Mais la rencontre exacte, impossible de te dire. Entre temps, il s’est passé trop de soirées.

A : Ensuite, on ne se rappelle que des soirées où l’on n’a pas bu…

K : Ouais. Aujourd’hui je ne me rappelle que des sessions parce que c’est complètement sobre là-bas. Quand on enregistre, c’est clean. Il vient pour travailler, on n’a pas trop le temps de s’amuser.

A : Et la toute première session ?

K : On a fait « Huit horizontal », qui n’est jamais sorti, et « Débrouillard. » Je me rappellerai de cette session à vie. C’est là qu’on a créé une sorte d’alchimie, qu’on a senti qu’on allait faire des gros morceaux, surtout après « Débrouillard. » Le morceau est sorti un ou deux ans plus tard. Ensuite il y a eu « Bruxelles vie » et la suite qu’on connaît.

A : Vous étiez donc en avance sur ce qui allait marcher…

k : C’est plus une question de travail. Le travail qui a été fait au niveau du mix, du posage de la voix. Pour moi ce titre fait partie des classiques de Damso. Ce morceau, il a une âme. Tu sens que Damso était dans la débrouille. Quand il est venu enregistrer, il a tout fait en une seule fois. Il est arrivé dans la cabine : couplet-refrain, couplet-refrain. Ça filait. Je l’ai laissé partir et puis à un moment, je l’ai quand même arrêté parce qu’il allait trop loin. [Rires]

A : Ça va, ce n’était pas trop dur de l’arrêter ?

K : Non. Et puis j’aimais bien voir ça. [Son visage s’illumine, NDLR] Il était vraiment motivé et je sentais qu’il irait loin.

A : Tu fais aussi partie de cette aventure.

K : Oui mais je ne le mets pas forcément en avant. Tout ce qui est célébrité, ça me dérange. Dernièrement avec mon pote Nixon, on a vu le film sur Claude François. Ce n’est pas une vie ! Je n’ai pas envie d’avoir trente personnes qui me demandent un selfie. C’est compliqué ça.

« C’est lorsque tu es dans l’envers du décor que tu gardes les pieds sur terre »

A : En étant toi-même rappeur, tu es exposé…

K : Ouais, mais c’est pour ça que je ne sors pas beaucoup de vidéos. Ça m’arrive de temps en temps, quand j’ai une idée qui peut faire la différence. Mais je ne vais jamais sortir un clip pour sortir un clip. Sur un projet comme Menthe à l’eau, qui a fonctionné à mon échelle, j’aurais pu faire un bon petit court-métrage, mais non. C’est cool d’être un peu derrière et puis après tu passes un peu devant : « oh, salut ! »

A : Où te positionnes-tu alors ? 

K : L’envers du décor. Parfois j’arrive et je tape deux ou trois morceaux sur scène et mais je retourne vite derrière parce qu’il y a du travail. Et puis, c’est là où tu as les pieds sur terre. Quand tu es sur scène, tu peux vite t’accrocher au décor mais s’il tombe c’est fini. Dépression, tout ça. Après j’aime bien être au micro mais… [Il marque une longue pause] Franchement sinon, j’aurais déjà tout fait pour être connu. Là déjà, c’est cool. Je viens à Paris pour un concert, c’est incroyable ! Après, ça prendra peut-être malgré moi mais je ne cherche pas forcément ça. Et je pense justement que les gens aiment bien ça.

A : Mais il y a quand même cette envie d’écrire ? 

K : Ouais. Mais j’écris aussi pour d’autres personnes donc ça va.

A : Pour qui ? 

K : Ah, voilà ! Je savais. [Il prend un air mystérieux] Peut-être qu’un jour tu verras mon nom dans les crédits. Tu as sans doute même déjà kiffé un titre que j’ai écrit. C’est le secret. J’aimerais bien qu’on fasse un film sur moi plus tard, un film qui raconterait à quel point…

A : Toi, tu veux écrire une légende…

K : Une légende en Belgique surtout. On veut marquer l’histoire. Sans vouloir manquer de respect aux plus anciens, les Gandhi, Scylla etc. La culture rap, elle commence vraiment maintenant chez nous. Il y a énormément de rappeurs même si en France, vous n’en connaissez peut-être que dix pourcent. [Il regarde ses acolytes installés dans la pièce] Nixon, qui est là par exemple, c’est un gars que j’ai découvert sur Youtube en 2011 ou 2012. Il vient de signer sur le premier label hollandais TopNotch. Il y a Les Alchimistes aussi. Je vous conseille vraiment d’écouter ça. Ils ont ce côté rock. Sur scène ça crie sur des grosses prods, ça se met torse nu, ça saute. C’est un peu dans le style des $uicideboy$, Denzel Curry mais il font ça à leur façon. Pour moi ce sont les prochains.

A : Avec combien d’artistes travailles-tu ?

K : Je ne pourrais pas te dire. Il faudrait regarder dans mon disque dur. Mais en Belgique, on va dire que j’ai vu la plupart des artistes.

A : Tu penses qu’ils viennent parce que tu es l’ingé de Damso ?

Il y en a qui viennent pour ça, d’autres pour le travail, certains pour les prods. Ça dépend. Ceux qui veulent vraiment réussir, ils viennent chez moi en se disant « ouais il va faire la même chose qu’avec Damso. » Sauf que Damso, c’était comme un diamant brut. J’ai taillé un peu à gauche et à droite mais, en soi, je n’ai pas fait grand chose. Il y a des gens c’est des bâtons de bois. Ils viennent chez moi : « transforme-moi en diamant. » C’est impossible.

A : Tu as aussi été approché par des français…

K : J’ai travaillé avec PLK et Zeurti du Panama Bende, Deen Burbigo, Volts Face, Alpha Wann…

[Nixon intervient et mentionne Dany Dan]

K : Non ça c’était avant. Je voulais faire un feat avec lui et je l’avais invité à Bruxelles en 2012 ou 2013. Sauf qu’on était au studio, il y avait du monde, on avait ramené de la boisson… Il fallait que je passe par là. Maintenant si je fais un feat avec un artiste, je sais exactement comment ça doit se passer.

A : Depuis « Paris c’est loin », Booba t’a-t-il commandé des prods ?

K : Quand il est passé au studio pour écouter le projet de Damso, il est reparti avec deux, trois choses.

A : Donc il y a peut-être des titres qui vont arriver ?

K : On ne sait jamais. Il y a plein de choses qui peuvent et qui vont sûrement arriver.

A : Et sur le dernier album de Damso, Ipséité, comment ça s’est passé ? 

K : Au niveau des enregistrements, Damso prenait beaucoup plus de temps pour écrire les morceaux. Il voulait vraiment aller plus loin dans les thèmes. Pour le test mix on a envoyé un premier morceau à Nikolafève – NK.F – l’ingé de PNL. Son mix était génial, d’un niveau supérieur parce que nous on est assez limités en matériel. J’ai donc conseillé à Damso de faire tout son projet chez lui et quatre-vingt-dix-neuf pourcent du mix a donc été fait chez Niko. Moi je me suis occupé des enregistrements, de faire en sorte que les voix soient bien nettoyées pour qu’il termine le travail comme il faut.

A : Niveau matos, tu geekes un peu ?

K : Pas trop. Je geeke en surface. Ce monde est trop vaste et tu peux vite te perdre. NK m’a donné sa configuration et je vais reprendre la même.

A : Il t’a filé d’autres tips ?

K : Ouais, mais pas énormément parce qu’il aime bien ce que je fais. Je lui ai quand même demandé s’il ne faisait pas des stages. Mais comme il travaille avec beaucoup de monde, il m’a dit qu’on pouvait se faire des Skype. Nico, c’est un senseï. Le travail qu’il fait pour PNL est incroyable. Mais c’est le cas pour beaucoup d’artistes en fait. Ce qui fait Drake, c’est son ingé, Noah Shebib. Pour Kanye West, il y a Mike Dean. Pour Kendrick Lamar ou Ab-Soul, il y a Derek Ali.

A : Bon alors, OK tu aimes être dans l’ombre. Mais tu as quand même sorti beaucoup de projets !

K : Ouais, six. C’est génial parce que le septième ça sera Euphoria. C’est terrible que ça soit le septième projet ! Je n’y avais pas pensé, ça me motive encore plus. Il faudra quatorze titres alors.

A : Ou vingt et un ?

K : Ouais non.. ça c’est beaucoup trop. C’est More Life ton idée. Là, c’est une playlist.


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