Kofs, identités remarquables
Interview

Kofs, identités remarquables

Couronné avec Chouf du prix d’interprétation masculine du festival de Carthage, le rappeur KOFS, issu d’une scène marseillaise « en bombe », s’est entretenu avec l’Abcdr du Son à l’occasion de la sortie de son premier album, V.

Photographie : Comm

KOFS a récupéré du personnage de Réda – le « méchant » de Chouf – le charisme sombre, de la variet – qu’il écoute selon ses dires encore plus que le rap français – la « voix à Garou » et de son clippeur Comm, fatigué des « clips de cité », la veste en cuir et l’univers gothico-complotiste. Quelques accusations de satanisme plus tard, le rappeur sort un album étonnamment diversifié, mais sans le moindre travestissement. La musique et la religion, les femmes et les armes, la violence et les valeurs : KOFS affronte les contradictions aussi brutalement que les prods. « Mon plus grand péché cette année c’est mon album », l’intro annonce, frontale, la couleur. Et l’homme est le même dans la vie comme sur disque, nulle esquive, ni condescendance ni mépris envers la personne qu’il a en face de lui. Au fur et à mesure de la rencontre avec Foued Nabba se dégage un mélange de gamberge et de spontanéité. Et surtout, une profonde humanité, qui donnerait presque tort à tout le propos pessimiste de son album.

Images

Abcdr du son: Je voulais commencer par le moment Chouf dans ta carrière. Au début tu ne devais faire que la BO du film, puis tu as obtenu le rôle de Réda, l’un des rôles principaux, douze jours avant le tournage paraît-il…

KOFS : Karim Dridi m’appelle effectivement pour la BO et le jour où on enregistre au studio, il me dit : « pourquoi tu ne participes pas au casting ? » Je ne suis pas bête, j’y vais. J’avais faim, je voulais absolument jouer. Karim a kiffé direct ma manière de faire, il me faisait passer des castings avec des mecs, je ne vais pas donner de noms, mais c’était des stars pour moi. Et un jour, il avait sélectionné huit personnes, il fait une réunion dans un théâtre et annonce que personne n’est sûr de rester dans le film. Je suis le seul qui suis resté.

A: Il dit en effet dans une interview que l’acteur qui devait jouer Réda, Ali Bougheraba [comédien et metteur en scène marseillais, NDLR] te demandait même des conseils.

K: Alors, il ne faut pas que ce soit mal interprété : c’est vrai, mais moi aussi je lui demandais des conseils. J’étais super content quand je suis arrivé et qu’il jouait ce personnage, je devais alors jouer son bras droit, et j’étais dans l’état d’esprit : chacun son rôle. Mais quand je jouais ce rôle de bras droit, Rachid, c’est comme si… j’avais enfilé un costume trop serré. Je n’arrivais pas à jouer comme je voulais. Je n’arrivais pas à être « sous » lui. Dès qu’ils m’ont fait passer de Rachid [joué finalement par Oussagaza, un autre rappeur d’Air Bel, NDLR] à Réda, je me sentais beaucoup mieux. Mais il faut savoir que j’ai beaucoup appris de lui, j’aimais beaucoup le regarder jouer Réda pour ensuite le réinterpréter à ma façon. Sauf qu’aux yeux de Karim, j’amenais quelque chose de plus crédible.

A: Tu as pensé quoi du film en définitive ?

K: Mais il est extraordinaire. Je ne m’y attendais pas. La première fois que je l’ai vu, c’était au festival de Cannes et j’ai réalisé à quel point le travail avait payé, et ce grâce à Karim. On m’avait déjà dit : « Karim ce n’est pas le plus gentil, mais dans le travail, c’est le plus fort. » J’ai compris de quoi il parlait par la suite. À un moment donné, il a son caractère, mais on ne peut rien lui reprocher en termes de taf. Ses acteurs, il les aime pendant le tournage. C’est plus qu’un réalisateur, il va te manager, rentrer dans ton cerveau… Si on a tous bien joué dans Chouf, crois-moi, c’est grâce à lui. Il a un truc dans le cinéma que j’aime beaucoup, parce que j’ai la même chose dans la musique, qui est qu’il ne baisse jamais son froc. Je l’ai déjà vu dans un festival refuser de passer son film parce que l’équipe ne voulait pas qu’il monte le son à un moment du film, l’intro avec la chanson de Casey. C’était tellement un ouf qu’il le montait lui-même dans la salle, pendant la projection. Après c’est peut-être ça qui le plombe dans le cinéma, le fait qu’il s’en batte les couilles.

A: C’est le prix de l’intégrité ! Dans quelle mesure cette expérience au cinéma a joué sur ton rap ensuite ?

K: Ça m’a permis de plus m’assumer, cinématographiquement parlant. Dans la musique, que tu le veuilles ou non, il y a de plus en plus de cinéma, avec les clips. Ça m’a fait me dire : ça reste des images, du cinéma justement, donc si j’ai envie de clipper dans un cimetière, dans une église, je le fais. Parce que quand on vient de quartier, on a des limites dans nos têtes : il ne faudrait pas rentrer ou clipper dans ces endroits. Le fait d’être passé par le cinéma m’a fait aller au-delà de ces limites.

A: C’est vrai qu’il y a ces dernières années dans tes clips cet imaginaire visuel des films d’horreurs, dans « Paradis » par exemple, ça vient de Comm ou de toi ?

K: Je sortais du cinéma, j’ai essayé de faire des clips plus classiques et ça ne collait pas. On m’a alors présenté Comm, qui est aujourd’hui mon clippeur. On partageait la même vision des choses : je voulais poursuivre ma lancée « cinéma », et Comm en avait marre des clips « cité. » C’est trop facile pour moi aujourd’hui de rapper avec trente personnes derrière. Il m’a carrément donné une liste de films et de livres à lire : je devais regarder Constantine et lire Le Prince de Machiavel.

Comm : L’idée avec Le Prince c’était de le placer dans un état d’esprit où il s’assume. Qu’il se conditionne en mode tueur. Même s’il vient du cinéma, dans le rap tu ne peux pas inventer complètement un personnage, tu ne peux que grossir des traits. Je lui ai fait lire Machiavel pour  qu’il prenne entièrement parti dans ce qu’il fait. Le problème dans le rap aujourd’hui c’est que les artistes deviennent souvent des parodies d’eux-mêmes. KOFS m’a dit : je vis dans le quartier, je ne vais pas répéter dans mes clips ce que je dis déjà dans ma musique. C’est cette répétition qui est parodique. Il fallait donc trouver un imaginaire qui permette de mieux comprendre sa musique tout en étant un peu en décalage.

A: Il y a eu le virage Sofiane avec la série #JeSuisPasséChezSo, où il a redonné une visibilité,  au niveau « national », à ce type de clips dont vous vouliez vous éloigner.

K: Mais lui, il l’a ramené à l’extrême, et il l’a bien fait ! Elle est importante cette idée d’extrême. Sofiane a été une des causes : il le fait très bien, pourquoi le faire aussi ? Et il est humainement comme ça, il est dans le partage. Moi je ne suis pas dans le mélange. Sofiane est très sociable : quand il arrive avec douze milles personnes autour de lui, ce n’est pas hypocrite. D’ailleurs si ça a marché pour lui, c’est parce qu’il est comme ça. Si tu t’inventes, ça ne marche pas. Pour moi, c’était pareil, on a essayé d’apporter un nouvel extrême. Un mois après, on clippe « Paradis » dans des endroits que je trouve cinématographiquement trop beaux – les églises obscures, les tombes sous le soleil. Le soir-même de sa sortie, Comm me dit : « j’ai déjà la vision pour le deuxième. Au troisième, on se fait contacter par des maisons de disque. » C’est ce qu’il s’est passé par A+B.

A: Le deuxième c’est « Maître Cohen », et on voit Marteau [personnage de Chouf joué par Zine Darar, NDLR] et Oussagaza, un autre rappeur-acteur d’Air Bel puisque vous étiez ensemble dans le groupe 11.43.

K: C’est vrai, après tu sais comment c’est dans la musique, aucun groupe ne tient. J’avais une vision des choses différente des leurs, j’ai décidé de faire ma musique seul. Ils n’auraient peut-être pas assumé mon bad buzz. Parce que quand j’ai lancé mon premier clip, tout le monde a dit « c’est un bad buzz », avec accusations de satanisme etc. Donc nous sommes toujours en bons termes, mais rapper en groupe, je le faisais depuis mes quatorze ans, j’avais besoin d’autre chose.

Air Bel

A: Aujourd’hui vous avez pris des virages musicaux très différents pour ceux qu’on connaît [Naps, Sidouh, Sahim, Oussagaza, YL etc., NDLR] alors que vous venez tous du même endroit. Air Bel ferait presque penser à des quartiers comme le Pont de Sèvres à une époque, avec une concentration dense de rappeurs au mètre carré. Comment tu expliques ça ? 

K: En fait, le rap à Marseille a été divisé en trois périodes et trois secteurs. Le centre ville pour IAM, la FF ; puis les quartiers nord avec Black Marché, Kalif etc., mais ça ne prenait pas tant que ça. Puis il y a eu la clé JuL. Quand il arrive, il prend la relève des quartiers nord, et dirige le regard vers le sud. On ne fait pas du tout la même musique, mais je n’oublie pas que la caméra tournée vers nous, les quartiers sud, c’est lui qui l’a ramenée en premier. Pour en revenir à Air Bel, on est un quartier où il y a beaucoup de talents tout simplement parce qu’on a travaillé pendant longtemps. Comme des chiens. Naps et moi, on a négligé nos vies pour ça.

A: Vous disiez même 11.43, « onze crois-en toi. »

K: Oui, c’était le message. Et regarde aujourd’hui ça a fini onze « croix-retournée-sataniste » dans mes clips. [Rires] Il n’y a pas que le rap d’ailleurs, il y avait le foot aussi, avec Yannick Sagbo [attaquant international ivoirien, formé au Sporting Club d’Air Bel, NDLR], son grand-frère, Guy Demel… Et Patrick Fiori au début. [Qui a fait un featuring avec Soprano « Chez nous (Plan d’Aou, Air Bel) » NDLR] À Air Bel, on était un concentré d’artistes, mais jamais dans la lumière. Le déclic c’est JuL, le premier à péter dans les quartiers sud.

A: Ça fait plaisir de l’entendre. Mais dans la période quartiers nord, tu as zappé mais c’était Psy4 surtout !

K: Je l’ai pas zappé, c’est qu’eux c’était encore plus chaud parce qu’ils ont existé en même temps que la FF. Je croyais même que c’était des mecs du centre ville quand j’étais jeune. Et tu ne peux pas les situer, parce que Soprano, Alonzo ils existent toujours. Vincenzo aussi, dans un autre domaine et qu’on ne cite pas assez. Vincenzo je le kiffe, mais le monde de la musique est dur. Si tu ne te mets pas dans certains codes, les gens ne le suivent pas. Il a voulu rester lui-même et ils n’ont pas suivi. Il a été un peu méprisé.

A: Un peu comme Menzo de la FF, dans un autre style.

K: [Brusquement] Menzo ? Tu veux que je te dise un truc ? Menzo c’est le meilleur. Quand j’étais jeune et jusqu’à maintenant quand j’écoute les projets de la FF, si je te dis que pour moi c’est le plus fort ?

A: … Tu es le premier que j’entends dire ça.

K: Je sais. Désolé. Mais Menzo, il rappait ma vie. Trop bien. Menzo à Marseille c’était… une dinguerie. Encore aujourd’hui, je l’ai croisé sur un chantier récemment, et je n’ai pas eu la gamberge de lui dire. J’aurais dû. En vrai, tu vas me dire Luciano, je l’ai dit quand j’étais plus jeune, mais c’était parce que je voulais faire comme tout le monde. On va pas se mentir. [Il sourit à Lars-N] Mon ingé son a envie de me cracher dessus là. [Rires] Sat et Don Cho, je les kiffe tous, mais le fait que tout le monde disait que Menzo était le plus nul, ça m’a encore plus donné envie de dire que c’était mon préféré.

A: Pour revenir à Psy4, je pensais à un son comme « Secrétaire » où tu as la même énergie qu’un Alonzo qui rappe, l’humour aussi, tu ouvres le morceau avec « Je suis devenu obèse avec des miettes », je me demandais si c’était une influence pour ta musique.

K: Pour les miettes, c’est parce qu’elles sont trop souvent méprisées. C’est une réponse à ces gens, leur dire : « nous on a construit des repas avec des miettes, des festins même. » Avec presque rien. Et pour Alonzo : ce n’est pas pour la musique, c’est pour la vie. Depuis que je suis dans le rap on va dire… « Confirmé dans la street » c’est lui qui m’a présenté avec le son « Trakeur » sur Capo dei Capi. Même mon manager m’a découvert avec ça. C’est beau ! On reste souvent tous les deux, on va en studio ensemble, donc il est possible que musicalement parlant, ça se ressemble. Si je ressemble à mon frère, tant mieux. C’est pas comme si tu m’avais dit que je ressemblais au facteur. C’est logique, c’est touchant.

Violence, vécu, voix

A: Pour parler de ton album, mais toujours de cinéma, tu l’appelles V, tu connais V pour Vendetta, notamment la tirade où il se présente avec une allitération en v ? 

K: Je vais te dire un vrai truc. J’annonce la sortie de mon album, avec la pochette. Et là Zaka [Zaka 2054, producteur marseillais, chef de projet d’Alonzo, NDLR] nous envoie la tirade, en disant « oh, bien joué ! » Je la montre à Comm puisqu’on a trouvé le titre ensemble : on a halluciné, parce qu’on n’avait jamais vu ce film. Il a vieilli un peu, mais avec le temps, j’ai kiffé cette tirade. C’est le même concept ici. Pour la pochette de Fifou, on a pris deux personnes qu’on a immolées pour avoir cet effet de feu et former un V avec leurs bras. Ce n’est pas moi, je n’ai pas voulu prendre le risque. [Rires] On voulait un titre global, et, surtout, se différencier. Je crois que ce qu’on déteste le plus avec Comm, c’est de faire comme les autres. Quand il m’a proposé « V », je me suis dit : je n’ai jamais vu un titre d’album avec une lettre, donc j’ai accepté.

Comm : On ne voulait pas un mot qui ferme l’album dans une seule direction – du genre « Violence » qui est un des morceaux, il y a trop d’émotions différentes sur l’album, il fallait un titre plus ouvert. La violence, la vengeance, la rancœur, les valeurs : quand tu vois la cover, tu peux t’attendre à ce que tout soit traité, et tu ne sais pas exactement comment.

A: Le refrain de « Violence », le premier titre dévoilé de l’album, joue complètement avec les représentations qu’on a des rappeurs comme gens violents justement.

K: Quand nous, on porte une kalash dans un clip, c’est vu comme de la violence, quand c’est Tony Montana qui s’en met plein le nez dans un film, c’est de l’art. Mais nous, on se revendique vrais. Donc à un moment donné, il ne faut pas te plaindre. À longueur de journée tu dis « oui on vend la pure, oui on les fume », pourquoi tu veux que ce soit pris comme un film ? C’est un film dans ce cas-là. Je vais te donner mon avis personnel : si je sors la kalash plus souvent, c’est que j’ai eu une vie qui m’a fait le faire. Je rappe mon vécu c’est tout. Tu vas parler à n’importe quel rappeur il te dira pareil : dans ce cas-là, pourquoi tu viens te plaindre, si c’est ton vécu ? Tu dis que c’est ta vie et tu veux qu’on le prenne pour un film. Moi je ne me plains pas. On me dit que je suis violent, je dis : oui je suis violent. On me dit que je suis un vendeur de drogue, je dis : oui je suis un vendeur de drogue. Je le dis dans ma musique !

« On me dit que je suis violent, je dis : oui je suis violent. On me dit que je suis un vendeur de drogue, je dis : oui je suis un vendeur de drogue. Je le dis dans ma musique ! »

A: Tu as dit dans une interview que tu écris avant d’entendre la musique, que c’est surtout ton vécu qui déclenche ton écriture, pas la prod, c’est ça ?

K: Non tu comprends rien toi. [Rires] Ce que je voulais dire, c’était que les punchlines que j’estime les plus fortes, ce sont celles que j’ai déjà dans la tête. Mes formules les plus percutantes je ne les trouve jamais en studio. Par contre, je peux être en train parler avec Comm et Lars-N et d’un coup : je la prononce, je leur dis. Je ne la note même pas, elle était en moi, elle le reste. Par exemple quand je dis dans « Eau froide » : « je me méfie des gens comme toi j’oublie pas que la vodka a la couleur de l’eau », je savais que j’allais le dire. Je l’ai compris en voyant de la vodka, en me disant « même couleur, c’est traître » et j’ai fait le lien. Une autre qui m’est venue comme ça c’est « Quand vous me dites les meilleurs partent les premiers dois-je comprendre que le Seigneur est mauvais ? » Cette phrase-là, elle m’a régalée parce que j’ai confirmé les affirmations des haters qui me prennent pour un sataniste. J’ai juste posé une question ! C’est vous qui dites ça, est-ce que vous sous-entendez que Dieu est mauvais alors ? Cette question est une réponse en même temps : évidemment que non, Dieu n’est pas mauvais. Alors arrêtez avec cette interprétation de merde. C’est ça que je voulais dire sur Rapélite : ce sont des phrases que j’ai déjà dans la tête, qui me sont venues ailleurs de la musique.

A: L’album frappe surtout par l’évolution qu’il marque avec tes précédents projets, il y a une très forte diversification du flow, des sonorités. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

K: En fait, cette musique-là, je savais déjà la faire. Mais dans ce milieu, il faut savoir qu’il y a un phénomène de « fausse progression. » J’explique : quand tu es dans le rap, même les mecs qui savent chanter, ils vont commencer par rapper des trucs hardcore. Parce que le rap vient de la rue, donc tu dois commencer par la rue. Tu regardes le Soprano de Street Skillz, il n’y a personne qui kicke comme lui. Alonzo, pareil, avant qu’il arrive à « Papa allô. » Ce cheminement est obligatoire, sinon tu es un rappeur à buzz. Faire des morceaux plus ouverts, commerciaux comme ils disent, je savais le faire, mais il y a un temps pour tout. D’abord, on se met en mode violence. Puis pour cet album, je voulais surprendre en prenant le contre-pied. Mais, c’est important : je ne voulais pas me travestir malgré cette ouverture.

A: Oui, le risque de la diversification, ce n’est pas aussi de perdre son originalité, dans un rap qui a parfois tendance à s’uniformiser ? Quand tu dis « moins d’ennemis que de remix de Bella Ciao ». [Rires]

K: Non, je reste moi-même, par les images, les thèmes, ma manière de le dire.

A: Et ta voix ? « J’ai volé la voix à Garou » tu dis, c’est à cause de cette voix si particulière qu’il n’y a que Lars-N qui peut t’enregistrer ?

K : Oui c’est à cause de ma voix, très grave. Même des gars que je payais quatre ou cinq fois plus que lui, qui étaient reconnus par tout le monde du rap, ils n’arrivaient pas à m’enregistrer aussi bien que Lars-N. Il n’y a que lui qui arrive à taper dans ce que je veux exactement : garder un rendu assez brut, mais avec quelques effets, qui jouent beaucoup. Et il est réceptif, il a des idées. Quand j’enregistre un morceau, je fais la réalisation finale avec Comm, mais la base c’est avec Lars-N. Je commence à écrire quatre mesures, et si ça pue la merde il va me dire laisse tomber. Direct.

A: C’est vrai que dans ton album, même si tu en avais utilisé avant, il y a beaucoup d’auto-tune surtout sur les refrains, avec ta voix ça doit être une galère pour les ingés.

K: Exact. L’auto-tune c’est fait pour les voix douces. Et les gens qui chantent faux surtout. Or j’ai certaines notions en chant, je chante juste, ce qui fait que tu ne l’entends pas parfois, ça m’handicape pour les effets que je veux obtenir. Mais ça, c’était avant Lars-N. Maintenant l’auto-tune je le drive, c’est un jouet. Par contre dans d’autres studios, chez Kore par exemple quand on a enregistré « 9 milli » [featuring avec Sadek sur la BO de Taxi 5, NLDR] j’ai galéré. Il s’est dit « KOFS, l’auto-tune il ne sait pas l’utiliser », là où Lars-N sait gérer une foule de petits détails, comme mettre le son plus fort à des moments, etc. Kore est plus habitué à produire des rappeurs qui ont la voix douce. Sauf Lacrim qui a la voix très rauque, et qu’il gère super bien d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi moi il n’y arrive pas du coup. Peut-être que je suis ingérable. [Rires]

A: Tu dis que tu as des bases en chant, tu as pris des cours ?

K: Je suis autodidacte, j’ai des bases dans le sens où j’arrive à tenir des notes sans auto-tune, dans le grave hein, je ne monte jamais dans l’aigu. Il faut savoir qu’à l’origine je suis d’une génération de rap qui n’avait pas cet instrument. Donc à un moment donné de ma carrière, j’ai dû faire sans – tu caches un peu les défauts avec la reverb et certains effets, mais c’est tout. J’ai appris sur le tas, tu es obligé au début, tu n’as pas de studio. L’exemple que j’ai souvent en tête, c’est Soprano : c’est le premier à avoir assumé d’introduire du chant dans le rap. Au début, tout le monde le critiquait, en associant le chant à du « commercial. » Aujourd’hui tout est commercial, mais avant il y avait beaucoup cette idée que si tu chantes, t’es « commercial », tu te rappelles ? Il a assumé, il a continué, et ce que tout le monde fait aujourd’hui, il l’a fait il y a des années.

A: En plus il l’a fait à un moment où ce n’était pas du tout légitime parce que c’était vu comme un truc de meuf de chanter.

K: De ouf. Il a assumé. Quand tu sais ce que tu es de toutes façons, tu t’en fous. Je pense que j’aurais fait comme lui.

« Un DZ bosniaque »

A: C’est marrant, SCH sa référence c’est l’Italie, toi c’est plutôt les pays de l’Est. Dès « Eau froide » tu as une phrase pas mal : « Frère je ne comprends pas dis-moi ce qu’on a tous à sucer Poutine. »

K: Je trouvais qu’il revenait énormément dans les morceaux de rap. Les rappeurs en parlaient comme si c’était leur gars, alors qu’ils ne connaissaient R à la politique. « Oui Poutine, c’est un vrai » etc. Mais les gars vous ne savez pas ce qu’il a fait ! En fait je pense que ça vient de l’époque où dans les quartiers, on détestait tous Sarko. Poutine l’avait défoncé à ce moment, ça nous a fait tous plaisir. Après ce côté lâche je n’aime pas forcément, parce que ça reste le président de leur pays.

A: Ouais bon après Sarko…

K: Oui qu’il aille niquer tous ses morts, mais ça reste notre pays quand même, on ne peut pas être Français quand on veut. Mais bref, je trouvais que ça revenait beaucoup dans le rap « ouais j’ai la kalash à Poutine » etc. Même moi je l’ai dit. D’ailleurs je ne rappe pas « qu’est-ce que vous avez tous à sucer Poutine », mais qu’est-ce qu’on a tous. Je m’inclus.

A: Une autre référence à la Russie, c’est un titre qui porte un nom aux consonances de l’est, « Koschtowski. » À Marseille il y a un commerçant qui s’appelle Nicolas Koschtowski et tu répètes plusieurs fois dans l’album « je suis avec Nico, je suis avec Stéphane. » Tu parles d’eux ?

K: Mais toi t’es une tueuse. [Rires] Je suis choqué. Ce sont ces deux personnes-là qui m’ont vu naître, j’ai grandi avec eux, dormi avec eux, mangé avec eux, voyagé avec eux. C’est ma deuxième famille. J’ai une première famille algérienne, une deuxième russe. Nicolas et Stéphane ce sont les garçons de cette famille, j’étais obligé de… En fait, c’est plus qu’une dédicace, c’est ma façon d’être, c’est ce qui m’a inspiré, ce sont des gens avec qui je suis souvent, c’est normal qu’ils soient présents dans l’album.

A: Un des meilleurs titres est fondé aussi sur une référence à l’Est, c’est « Elena. » Tu peux revenir sur l’écriture de ce morceau ?

K: « Elena », contrairement à ce qu’on peut croire, je l’ai écrit super rapidement, enregistré en deux-deux. Je voulais parler d’une meuf dans la forme, et d’une arme dans le fond. Au début je joue beaucoup sur les deux lectures. « La première fois que je t’ai vue c’était dans une cave », avec tout l’imaginaire) on pense surtout qu’il s’agit d’une meuf – j’ai dû un peu forcer d’ailleurs l’écriture. Puis on comprend petit à petit que je parle d’une arme. Comm et Lars-N ont validé direct. En fait je te dis que je l’ai écrit très vite, mais j’ai dû travailler. Si tu fais attention il y a des placements super tendus, et je dois tenir pour garder une ligne directrice, ne rien manquer.

A: Il y a un autre morceau intéressant c’est « Je saigne » et qui fait penser à une version actualisée de « La Lettre » de Shurik’n.

K: Moi aussi. Dis clairement que je le pompe ! [Rires] Non ça peut faire penser en termes de thème c’est vrai. Mais je n’aurais jamais cette prétention-là. Parce que « La Lettre » de Shurik’n, c’est quelque chose. C’est… Il ne faut pas comparer Kofs et Shurik’n ! Ce morceau, je l’ai conçu à une période où beaucoup de choses me revenaient de mon père. Que ce soit des anniversaires, des conversations avec ma mère, des remarques avec mes frères et sœurs « tu te rappelles quand papa faisait ça. » Donc quand j’arrivais au studio, j’étais dans une certaine ambiance. Même si je rigolais avec tout le monde, je pensais encore à mon père. J’aime écrire seul en plus. Ce moment-là, ça a glissé, parce que j’avais envie de dire tellement de choses. Premier couplet, j’écris que ce que mon père m’a transmis ; deuxième, je ne voulais pas faire la même chose, j’ai fait une transition et j’écris ce que je dirais au petit. Ce titre, je ne voulais pas le mettre dans l’album au début.

A: Pourquoi ?

K: Parce que je suis fou. Donc Comm m’a dit d’arrêter d’être fou. D’ailleurs, la plupart des morceaux qui ressortent de l’album, ce sont ceux que je ne voulais pas mettre à l’origine. S’il y a de la merde c’est moi, s’il y a des bons titres c’est lui. [Rires]

« Après Chouf j’ai connu une descente. Je me suis juré que tous les gens qui m’auront laissé en chien à ce moment, j’allais les faire payer. »

A: Il y a la référence aux Koschtowski et aussi, sur « Alicante » notamment, à Maurice, tu peux nous parler de lui ?

K: Maurice, c’est une personne qui m’a tendu la main aussi. C’est entre guillemets, mon sauveur. Quant tu es au quartier, que personne ne te calcule, parce que tu n’as ni les fonds ni le buzz, lui était là. Il m’a dit « t’as rien ? Avec moi tu vas avoir. Mais tu vas travailler comme jamais. » Il m’emmène au studio, me présente à Lars-N. Pour faire clair, les dépannages c’est lui, « je me couche à Air Bel je me lève à Venise », c’est grâce à lui. Tu sais, je n’en ai jamais parlé, mais après Chouf j’ai connu une descente. Amicalement parlant, c’était très dur. Quand j’ai connu cette chute, je me suis juré que tous les gens qui m’auront laissé en chien à ce moment, tôt ou tard j’allais les faire payer. Comment, je ne savais pas. Maurice m’a prêté de l’argent le temps de signer, un studio, un endroit où dormir si tu veux savoir, où manger. Tout ce qui a fait que j’ai pu me relever, la tête haute.

A: C’est vrai qu’on le ressent dans l’album que tu as eu un moment de… gamberge, avant de repartir.

K: L’album c’était ça l’idée : vous avez vu, je me suis relevé. Mais je suis comme ça dans tout ce que je fais. Quoique je fasse, je gagne beaucoup, puis je me retrouve en chien. Je fais un film, je finis au festival de Cannes ; puis je retombe. Mais quand tu es en chien et jeune, tu pardonnes. Quand tu commences à grandir, tu les regardes revenir – il faut savoir qu’ils reviennent – et tu ne pardonnes plus. Mes amis m’ont lâché en l’espace de deux mois. Je n’avais plus rien. Mais j’ai vu les vrais visages, j’ai pu faire le tri, et aujourd’hui n’être entouré que de bonnes personnes, qui veulent mon bien. Ça se ressent dans l’album. J’ai été déçu. Et j’en ai déçus, j’en ai conscience : dans l’outro je dis « je t’ai trahi ne m’en veux pas je ne suis qu’un homme. » On est des serpents nous. On se faufile. Aujourd’hui je fais de la musique, demain tu me verras filmer sur un plateau télé, je ferais des clips avec Comm s’il faut. Je me relève, coûte que coûte. Pas le choix.

A: Ce point de vue critique sur les proches, on le retrouve dans ton discours sur la prison dans l’album. Tu as une vision très noire de l’être humain.

K: Parce que l’être humain est noir. Et ingrat.

A: À un moment tu regrettes même « dommage qu’on ne soit pas tous solidaires comme les Kabyles. »

K: Ma sœur habite en Kabylie, j’y suis allé déjà deux ou trois fois. J’ai vu leur fonctionnement. Ici, quand un Algérien meurt, la famille doit payer pour le rapatriement. Sept, huit milles euros. Tu me dis que j’ai une vision sombre, comment tu veux que je sois joyeux dans un monde où on fait de l’argent sur un mort. Où un billet d’avion pour un mort est plus cher que pour un vivant. À partir de là, j’ai toutes les raisons d’être pessimiste. Mais les Kabyles, quand il y a un mort, ils font une liste où chacun donne deux euros : la famille du mec qui est mort ne paye rien. Cette solidarité, je kiffe, malheureusement on ne la retrouve pas partout. Je l’ai vu d’ailleurs chez un autre peuple : les Bosniaques. Moi je suis un DZ bosniaque ! Je te jure. Ils s’entraident beaucoup, ne se laissent jamais tomber – pas tous, il y a toujours des exceptions, hein, mais je kiffe.

Caractère

A: Il n’y a qu’un seul featuring dans l’album, « Caractère », et il paraît logique puisque c’est  avec SCH, suite à ton apparition à la fin du clip de « Otto. »

K: Il est d’Aubagne, je suis d’Air Bel. On est à dix minutes en voiture. On vient des mêmes endroits, on a donc la même gamberge. L’univers, la façon de parler nous relie. En vrai pour un mec de cité, c’est toujours le même scénario : tu grandis, tu vois que l’école ce n’est… enfin, on te fait comprendre que l’école ce n’est pas fait pour toi, tu sors, tu vois des gens faire de l’argent, puis garde à vue etc. Je voulais ce feat parce que je répète, j’aime les gens qui se mélangent mais pas avec tout et n’importe quoi. Je ne me mélange pas pour le buzz. Je ne ramène que SCH parce que c’est cohérent ! Je ne vais pas dire à Soprano « frérot tape-moi un refrain », même si c’est un gars de Marseille et que ça va me faire plus de ventes. Je ne voulais pas tromper mon public.

A: « Cohérent » c’est aussi le mot que nous a dit SCH à ton propos lorsque nous l’avons interviewé il y a un mois.

K: C’est le but, d’être cohérent, musicalement comme dans la vie. Parce qu’on est comme ça dans la vie aussi : là tu me vois arriver, je ne vais pas me saper en cramé des cités puis en gothique. Quoique je mets des vestes en cuir parfois [Rires] et je kiffe les gothiques, ils sont solidaires entre eux aussi, parce qu’ils sont exclus et pas bien vus, avec leur dégaine, leur délire bizarre. J’aime bien quand c’est à part de toutes façons.

A: Et cette cohérence entre la vie et l’art, ce n’est propre qu’au rap ? Le travail d’acteur, ce n’est pas justement de pouvoir sortir complètement de ce qu’on est ?

K: Oui, ce n’est que pour le rap. Demain dans le cinéma je pourrais différencier. Je ne suis pas « français » dans ma tête, dans le sens où je n’ai pas toutes ces catégories, ce n’est pas parce que j’ai fait la caillera que je ferais la caillera partout. Je me connais, je n’ai jamais trahi personne, j’irais jouer un schmit s’il le faut. En tant qu’acteur, on est amené selon le personnage à développer des parties de soi qu’on ne connaît même pas. En musique, si tu es un rappeur qui a construit un personnage depuis le début, tu peux faire ce que tu veux. Mais moi, je suis de ceux qui prétendent dire la vérité. Je n’ai pas d’autre choix que la cohérence.

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