Kaaris : « J’ai envie de montrer mon bonheur »
Interview

Kaaris : « J’ai envie de montrer mon bonheur »

Papa, acteur, musicien : le Kaaris que l’on rencontre est apaisé et déconneur. De retour avec Okou Gnakouri, un troisième album où il s’essaye à d’autres genres que la trap de ses débuts, le natif de Sevran explique ses choix de carrière. Et sa peur de la mort.

Photographie : David Delaplace.

Abcdr du Son : La première chose qui nous frappe en écoutant ton troisième album, c’est la variété des productions.

Kaaris : C’est vrai. Il y a certains morceaux qui sont totalement chantés par exemple, c’est un choix de ma part. J’avais envie de tester des nouvelles sonorités. Ça s’est fait naturellement : après avoir fait des morceaux hardcores comme “Blow” ou  “Nador”, je me suis dis que j’allais tester des nouvelles choses, et j’en ai parlé avec des producteurs.

A : On a senti un vrai changement avec “Bambou” en fait.

K : C’est la première fois que je chante sur tout un morceau oui. Mais c’est parce que je me suis rendu compte que je pouvais le faire. Des fois on a du mal à passer certaines étapes dans une carrière, ou alors on ne sait pas que l’on est capable de faire certaines choses, et là j’ai eu un déclic. Je suis rentré en studio et j’ai chanté sur toute l’instru de “Bambou”. Je voulais faire quelque chose de plus mélodieux et de plus chanté. Après ça, je me suis dis que j’allais continuer là-dessus avec d’autres morceaux.

A : Comment t’es-tu rendu compte que tu pouvais chanter?

K : C’est un mécanisme qui vient petit à petit : j’avais déjà fait le refrain de “Or Noir”, ensuite celui de “Zone De Transit” avec plus de chant, et ensuite j’ai essayé “Bambou” sur tout le morceau. Je n’ai pas pris de cours de chant mais on m’a guidé en studio, un peu comme tous les artistes le font.

A : C’est ton premier projet qui n’est pas fait par Therapy depuis Or Noir. Musicalement c’était un choix de ta part?

K : Exactement. Je voulais explorer d’autres horizons. Si tu vas chercher Therapy, c’est pour avoir de la musique très sombre. Si tu veux des sonorités comme “Tchoin” ou “Poussière”, ce n’est pas du tout le style de Therapy. Et il fallait bien que je teste.

A : Tu avais peur qu’on te catégorise comme quelqu’un qui fait de la trap d’il y a trois-quatre ans?

K : Les gens peuvent me catégoriser s’ils veulent mais, pour moi, le plus important c’est de sortir mes morceaux. Avec “Blow” et “Nador” j’ai prouvé que je pouvais faire autre chose. Après si quelqu’un vient me dire que c’est du rap il y a 3-4 ans, il a le droit de le penser. Mais je sais qu’il y a d’autres personnes qui kiffent aussi. Mes flows, mes couplets, mes refrains sont différents de ce que je faisais à l’époque. Et je pense que j’étais en avance à l’époque et que je le suis toujours aujourd’hui. Mais je ne me pose pas trop la question.

A : Tu as d’ailleurs dit en interview que tu avais l’impression que les gens étaient beaucoup plus durs avec toi qu’avec les autres rappeurs. C’est à dire?

K : Je peux faire des freestyles de fils de lâche, rapper des trucs de ouf, on ne va rien me lâcher. Les autres vont rapper le son de leur album, on va être sympas avec eux. Moi je suis dans des batailles, j’ai rien à voir avec les autres, mon parcours est totalement différent. Personne ne peut se comparer à moi là-dessus. D’autres rappeurs auraient un dixième de ce que je vis, ils ne vendraient même pas de disque, Booba serait sur leurs dos, ils ne survivraient pas. Je suis unique là-dessus et je le pense. Dès que je prépare un truc les gens disent que c’est pété, mais ça me donne la niaque et ça me donne envie de continuer.

A : Tu lis les commentaires sur les réseaux sociaux?

K : Bien sur, ça m’arrive, je suis comme tout le monde, je suis un humain. En vérité, je suis tellement forgé – et je pense que c’est pareil pour les autres artistes – que ça me fait trop rire. Tu as des gens qui sont dans des analyses pas possibles, ils pensent que ça va te toucher alors que pas du tout.

A : Ça ne fait pas mal de charbonner pour se prendre un avis expéditif?

K : Il faut que tu saches qu’il y a des gens qui sont sur Internet uniquement pour ça. Le mauvais commentaire, c’est leur raison de vivre. Si tu t’arrêtes là-dessus tu es mort. Moi ça me fait marrer. Parce qu’après, je rentre dans ma Mercedes GT et je m’en vais [Rires].

A : Tu n’avais pas d’appréhension avant de sortir des morceaux un peu dancehall?

K : La musique fait que tout se mélange. Les rappeurs chantent maintenant, regarde Young Thug : il chante et pourtant c’est un rappeur. Donc des instrus à consonance Caribéennes, je ne vois pas le mal.

A : Tu trouves ces influences dans le rap français ou américain

K : Je m’inspire beaucoup du rap américain. Mais je crois que le rap français et le rap américain n’ont plus rien à voir aujourd’hui.

A : Pourquoi?

K : Avant, les Américains sortaient des hits et on se les prenait en pleine gueule tout le temps. Aujourd’hui, tu n’entends plus ces morceaux parce que je crois que le rap français a pris beaucoup d’ampleur. Même en boîte, on dirait que les morceaux de rap français marchent mieux que les morceaux américains. Je reprends l’exemple de Young Thug : il est seulement écouté par les fans de rap US, pas le grand public. En club les gens danseront sur un morceau de Jul ou “Nador”…  c’est une vraie évolution.

A : Tu es parti à Atlanta pour shooter ton clip avec Gucci Mane. C’était comment là-bas?

K : Les Etats Unis c’est incroyable. Et la rencontre avec Gucci était top même si je ne parle pas trop anglais. Il avait l’air respectueux, c’était cool. Je suis content d’y être allé et d’avoir rappé avec le patron de là-bas. Parce que c’est vraiment le chef : si tu ne passes pas par lui, tu ne fais rien. Je l’ai vraiment ressenti. Même le mec qui nous guidait en ville nous le disait. “Ici c’est Gucci qui gère”.

A : Le fait qu’il ai accepté de se déplacer pour faire ce clip, c’est une validation pour toi?

K : Carrément oui. Il nous a bien accueilli. Il aurait pu venir faire son truc et se barrer, mais il a vraiment été vers nous. Il avait entendu parler du morceau “Comme Gucci Mane” d’ailleurs et il m’a remercié. Il m’a dit “Thank you for the respect” [Sourire].

A : L’autre grand événement de ta carrière et de ta vie, c’est que tu es papa depuis peu. Est-ce que ça a changé quelque chose pour toi ?

K : Dans ma vie personnelle, oui. J’ai plus de responsabilité. J’ai quelqu’un à ma charge, c’est un être humain, et c’est quelque chose d’important et de fragile. Il faut s’en occuper, il n’y en a plus que pour ma pomme. Mais au niveau de ma musique, ça n’a rien changé. Là je vais repartir sur une mixtape elle va être hardcore, t’inquiète pas !

A : Donc ta vie privée n’influence pas tes textes?

K : Non et heureusement. Quand je rentre chez moi et que j’entends la voix de ma fille, c’est une bouffée d’amour et de tendresse. Si je commence à rester dans cet esprit-là pour mes morceaux, je suis mort ! Je vais te faire des musiques tu vas rien comprendre, je vais commencer à faire des titres pires que R Kelly, ça va partir en zouk [Rires].

A : Tu ne te sens pas plus responsable dans ta musique?

K : Pourquoi est-ce je me sentirais plus responsable dans ma musique? Elle n’a tué personne! Je fais du rap hardcore et c’est tout.

A : Sur ce disque tu as quand même l’air d’être un peu plus doux.

K : On me le dit tellement que je vais finir par dire que je suis d’accord !

A : Donc rien n’est calculé dans ta musique?

K : Exactement. Preuve en est, j’arrive à tourner sur Skyrock avec un morceau comme “Blow”. C’est ma petite victoire. Pour tourner sur Skyrock, certains sont obligés de faire des grands écarts musicaux de ouf. Moi, mes fesses elles sont serrées [Sourire]. Ça prouve aussi qu’ils ne sont pas aussi fermés qu’on le pense. Quand ils ont un coup de coeur pour un morceau ils le passent même si le titre ne rentre pas dans les cases.

A : On a déjà évoqué le cinéma avec toi dans l’année. Mais avec du recul, en quoi être acteur et ne pas avoir le premier rôle comme quand tu rappes a été différent pour toi?

K : En fait, ça prouve qu’il ne faut pas toujours avoir envie d’être devant. Tu peux être en deuxième ou en troisième position et être bien à ta place. Dans ce film-là, ma position m’allait très bien. Et puis, à mon niveau à moi, faire un film avec des acteurs comme ça, c’était que du positif. Je sais qu’il y a des acteurs qui passent des castings toute leur vie et qui n’arriveront jamais peut être à faire ça. Et moi, parce que je fais de la musique, j’arrive jusque-là. C’est une vraie chance que j’ai.

A : Les acteurs de Braqueurs t’ont appris des choses?

K : La musicalité dans le cinéma. Il y a un rythme dans une réplique, une petite musique, que tu dois réussir à capter, sinon ça sonne faux. C’est différent de quand tu rappes parce qu’on t’impose un texte. Et il faut vivre ce texte. D’ailleurs, il ne suffit pas d’être méchant pour jouer un méchant. Je pense même que ceux qui jouent des méchants au cinéma sont les plus gentils dans la vie. Beaucoup de gens pensent que comme je fais du rap, des titres hardcore, c’était facile pour moi. C’est complètement faux. Même la plus grosse caillera, tu la mets devant une caméra, elle va être perdue.

A : Tu avais moins de certitudes que dans le rap?

K : Même dans le rap, je n’ai pas de certitudes. J’essaie d’être toujours bon dans ce que je fais mais je n’ai pas de certitudes. Même si j’en ai plus dans le rap, c’est vrai. Mais rien n’est jamais sûr : je ne me repose pas sur mes acquis, sinon je serais encore en train de faire des morceaux comme “Zoo”.

A : Et si on va encore plus loin, est-ce que tu doutes parfois?

K : Bien sûr, comme tout le monde. Je doute tout le temps. Je fais un morceau, une heure avant que le clip sorte, je suis encore en train de me dire “putain, mais là on n’aurait pas dû faire ça !”. Je l’ai fais pour “Blow”, “Nador”, même pour “Zoo”. Je suis comme ça, c’est tout.

A : Et quand les commentaires sortent comment tu gères?

K : Tu sais, une fois que c’est parti, c’est parti. Et puis, sur mes derniers projets, je n’ai pas été jugé par rapport à ma performance donc, en vérité, je me suis mis ça dans la tête et je relativise. Et les premiers qui commentent en général sont ceux qui ne sont pas contents. C’est comme pour les Présidentielles : tu as des mecs qui soutiennent un type mais ils ne vont pas aller voter. Et après il va se faire niquer. Par contre, ceux qui sont contre, ils vont y aller.

A : On a vu tes dernières interviews, et on a l’impression que tu es plus détendu.

K : On me le dit depuis un moment ça. Si ça continue, je vais être trop détendu, en mode tout flasque dans mon canapé [Rires]. Non, je suis juste moi, tout à fait normal.

A : Quand on regarde tes premières interviews, tu étais juste beaucoup plus fermé.

K : Oui, parce que ne comprenais pas ce qu’il se passait. Or Noir et “Zoo”, en matière d’explosion dans le rap français, il y en a eu peu comme ça. Tout le monde m’est tombé dessus et je n’allais pas arriver et faire le fanfaron. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait donc je me suis mis un peu dans ma bulle. Et dès que j’ai commencé à faire des petits sourires, on a commencé à me dire que j’avais changé, mais c’est juste que je suis normal : maintenant j’ai digéré, j’ai assimilé ce qu’il s’est passé. Je ne vais plus me prendre la tête.

A : Ce succès, ça t’avais fais peur à l’époque?

K : C’est pas de la peur, mais c’est juste que c’était un milieu que je ne connaissais pas, notamment pour les médias, et c’est comme ça que je voulais me comporter à l’époque. J’étais dans ma petite carapace et je ne voulais pas dire de bêtise. Aujourd’hui, j’ai fait tellement de trucs que revenir avec une gueule froide comme les rappeurs des années 80, ça ne sert à rien. Certains rappeurs aujourd’hui ont des têtes, tu les vois ils sont arrogants. On dirait qu’ils ont tout fait alors que ce n’est pas vrai. Même si tu as tout fait, tu n’as même pas à être arrogant.

A : Le Kaaris de la vraie vie est différent de celui du rap, il y a un personnage?

K : Ah non c’est le même. Là comme je te parle, je parle pareil à la maison. A part que je suis à poil chez moi (rires).

A : Parce qu’à tes débuts, ce qui fascinait les gens, c’était justement le personnage, très dur, très froid. Tu es un peu moins comme ça maintenant.

K : Oui mais bon. Moi je me sens bien dans ma vie, je ne vois pas pourquoi j’irais encore faire la gueule. C’est pas grave si ça les fascine, ils iront prendre un autre mec qui tire la tronche.

A : Il y a même des gens qui sont encore surpris quand tu te prends en photos avec ta fille sur Instagram par exemple.

K : J’ai ma fille, j’ai envie de la montrer aux gens. J’ai envie de montrer mon bonheur c’est tout.

A : Est-ce que tu penses toujours arrêter le rap assez rapidement comme tu l’as dis en début de carrière?

K : Oui, je ne pense ne pas rapper trop longtemps, mais j’ai encore d’autres projets à faire. Je suis déjà à un âge avancé, j’ai 36 ans, je ne vais pas continuer éternellement.

A : Tu as peur de ne plus être pertinent?

K : Non, c’est juste que je n’arrive pas à me projeter. Après, peut être que tu reviendras dans quelques années et que je serai toujours là.

A : Tu n’es pas du genre à dire que le rap c’est ta vie en quelque sorte.

K : Non, ma fille c’est ma vie! Je ne vais pas te dire que c’est le rap, je serais un enculé ! Tu as quelqu’un avec toi qui a la même tête que toi, et surtout qui n’a pas de force. C’est beaucoup plus important. Par exemple, je me souviens, j’étais en vacances avec elle à la plage et il y avait une mouche sur son nez. La mouche lui cassait les couilles et elle ne pouvait rien faire. Une mouche. C’est dire! Tu sens dans ses yeux qu’elle a besoin de toi. C’est un délire, je ne peux pas dire que le rap c’est ma vie. Ma fille, je lui donne tout. La black card, tout ! [Rires]

A : Tu te vois faire quoi plus tard du coup. Acteur?

K : Pourquoi pas, j’aimerais bien ! Mais c’est un milieu fermé en France, et je suis loin d’être un bon acteur. Et il faut le dire je suis noir, donc c’est plus dur en France. Je ne serai jamais l’espoir masculin du cinéma français.

A : Le racisme, c’est un sujet qui te touche beaucoup.

K : Bien sûr, il y en a énormément. Regarde le monde dans lequel on vit. Les extrêmes sont partout, ils prennent le pouvoir. Tout le monde se replie sur soi-même.

A : Tu as vu ce qu’a fait Bernard De La Villardière d’ailleurs?

K : Le mec ne sait pas s’y prendre. Déjà quand tu dis que “tu es chez toi”, ça veut dire que les autres ne sont pas chez eux. Mais même si tu es “chez toi”, quand t’arrives dans un endroit ou tu n’es jamais venu, tu parles aux gens qui sont déjà là. Ce ne sont pas des imbéciles quand même. Tu arrives avec ta caméra, tu sors les lumières, c’est normal que les types se demandent ce qu’il se passe ! C’est pour ça qu’ils lui ont expliqué comment ça se passe.

A : Entre Serge Aurier, toi, Teddy Tamgho, il se passe des choses à Sevran.

K : Oui, c’est bien qu’il se passe des trucs positifs là-bas. Je marche au Canada et les mecs qui passent dans la rue me disent “Sevran !”. Je marche aux Etats Unis à New York, dans un magasin, les mecs font pareil. Pareil au Maghreb, partout. On a été placé sur la carte. Je ne pensais pas qu’en le plaçant dans mes morceaux ça aurait cet effet.

A : Du coup quand tu rappes tu as l’impression de travailler? Certains disent que c’est plus une passion qu’un métier.

K : Je suis d’accord avec eux. C’est vraiment une passion je pense. Un travail c’est quelque chose de plus ordonné. Par exemple le cinéma c’est un travail. Au cinéma, tu es à l’heure : tu te réveilles le matin, tu dois être à six heures sur le plateau, tu as une heure de fin de tournage. C’est pas ça la musique. La musique, tu te lances quand tu as envie de te lancer. Ce n’est pas comme le travail de quelqu’un qui se tape des transports pour aller bosser le matin. Mais ça fait quand même manger donc c’est une activité qui te fait vivre. Mais pas sous la même forme.

A : Quand on t’entends, on a l’impression que ton expérience au cinéma t’as appris énormément de choses.

K : Oui, notamment sur la rigueur. Le tournage était en février, c’était une vraie galère, on était dehors dans le froid à essayer de se réchauffer en attendant de tourner. Si ce n’est pas le cinéma, qui va m’obliger à faire ça? Personne.

A : Tu as dit en interview que tu pensais souvent à la mort.

K : J’y pense tout le temps. Je pense à ce que les gens font quand toi tu es mort. Je pense à la vie de tes proches quand tu n’es plus là, comment ils réagissent par rapport à ça. Ça a l’air angoissant hein? Mais oui, quand je rentre chez moi, c’est mon angoisse. A mon avis, tout le monde y pense. Mais il y a peut être des gens qui y réfléchissent seulement avant que ça leur arrive. Moi ce n’est pas le cas.


Ecoutez l’épisode de NoFun qui décrypte Okou Gnakouri, troisième album solo de Kaaris désormais dans les bacs.

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