Jukebox Champions
Interview

Jukebox Champions

Deux platines, deux MPCs, et un décor tout en vidéo : les Jukebox Champions offrent des shows ludiques, festifs et ancrés dans leur époque. Un paradoxe pour ce duo franco-anglais à la recherche d’un son vintage.

Blanka et Fade, duo qui compose les Jukebox Champions, sont un petit paradoxe à eux seuls. D’un côté, ces producteurs et DJs s’inscrivent dans leur temps avec un jeu de scène mêlant performance sur platines et MPCs, et scénographie visuelle appuyée par de la vidéo. De l’autre, avec leurs inspirations plutôt portées vers le son vintage de la soul et du funk d’il y a un demi-siècle et du rap des années 90, Fade, l’anglais de 26 ans, et Blanka, le français de 31 ans, donnent l’impression d’être en décalage avec les tendances musicales de 2014. Leur album Don’t Rock The Jukebox est une mixture enjouée de plein de styles musicaux, mais dont aucun morceau ne semble dépasser la fin du millénaire dernier. A l’époque numérique du mode shuffle, le « jukebox » de leur nom n’a réellement rien d’anodin.

C’est sur scène que les deux compères dépassent cette contradiction. Leurs shows rappellent parfois des artistes comme AraabMuzik avec leur gout pour les boites à rythmes tournées vers le public, parfois C2C pour cette volonté de faire du matériel de studio de vrais instruments taillés pour le live. Avec des vidéos virales soignées et une musique franchement festive et bon esprit, les Jukebox Champions commencent à voir leur cote grimper. L’occasion était donc idéale, quelques heures avant l’une des dates de leur tournée, de parler de leurs parcours et de leurs projets.

Abcdrduson : Je me posais la question : comment doit-on vous présenter ? « MPC artists » ? DJs ? Musiciens ?

Blanka : On est d’abord des producteurs passionnés de MPC, de vieilles machines et accessoirement aussi DJs. Plein d’autres choses aussi. Perso, je suis ingénieur du son. Fade, lui, fait des vidéos et s’occupe de pas mal de choses pour son groupe ASM, A State of Mind.

A : Blanka, tu viens de Marseille, et toi Fade, de Nottingham. Comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Fade : C’est grâce à nos autres groupes, la Fine Equipe et A State of Mind. On a commencé à bosser sur des projets communs, puis Blanka a été ingénieur son sur la tournée d’ASM. Avec la tournée, on s’est rapproché et on a commencé à bosser ensemble. L’idée est venue du fait qu’on était tous les deux fans de MPCs, il y a un an et demi à peu près.

B : Ça s’est fait au fil du temps, après la tournée ensemble avec ASM. On a vu qu’on avait les mêmes influences et puis ça s’est fait petit à petit. Mais on a eu cette idée assez rapidement.

A : Comment êtes-vous passés de produire à avoir votre propre show, avec les MPCs et les platines ?

F : Je ne sais pas si on peut parler d’un changement de statut. Dès le départ, perso, j’étais DJ plus que producteur. De fil en aiguille, j’ai mixé sur scène, c’est vraiment une super expérience. J’adore bouger pour les tournées aussi. Tu sais, j’ai commencé avec ASM quand j’avais dix-sept ans, et depuis, j’ai continué à mixer sur scène. Il y a vraiment eu une évolution naturelle, j’ai voulu être les deux à la fois, producteur et DJ, et ça s’est fait comme ça. Je n’ai jamais eu à choisir l’un ou l’autre, ou à passer de l’un à l’autre. C’est un ensemble : je suis musicien, alors je fais ma musique, je fais des tournées.

B : Après, la vérité c’est aussi que maintenant, les trois-quarts des revenus d’un musicien, c’est la tournée. J’adore tourner, c’est un truc qui me passionne, j’adore faire de la musique un peu partout mais c’est vrai que maintenant notre principal revenu en tant que musiciens, c’est la tournée.

« J’adore tourner, c’est un truc qui me passionne, mais c’est vrai que maintenant notre principal revenu en tant que musiciens, c’est la tournée. »

Blanka

F : [comprenant que Blanka parle d’oseille] Tu parles d’argent, là ? Ce gars, il est toujours en train de parler d’argent [Blanka rit]

B : D’ailleurs on a fait un morceau exprès sur ce thème dans notre show qui s’appelle « Money ». Non je blague, on l’avait fait avant. Mais bon, c’est vrai que ça aide pas mal, même si on aime beaucoup ça, qu’on aime faire des shows et que c’est super bien.

F : D’ailleurs je pense que c’est le meilleur moyen de créer du lien avec le public.

B : C’est vrai, rencontrer les gens qui écoutent ta musique, ça aide à réaliser que ce que tu fais a une portée. Des fois, on est allé à des endroits où on ne pensait pas du tout que les gens connaitraient nos morceaux.

A : Qui sont vos influences en termes de production et de DJing ?

B : En termes de production, je dirai Jay Dee, même si son style est très large. C’est plus une façon générale de penser le morceau. Il y a aussi Q-Tip indéniablement, bien qu’il soit moins connu pour ses prods que pour ses talents de rappeur. En termes de DJing, je dirai Q-Bert. Même s’il est « old school » il reste l’un des piliers du mouvement.

F : Moi, côté production, l’une de mes plus grandes influences, c’est la musique de la Motown. Ce swing, cette sensation, la manière dont ils mixaient leur musique : ce qu’ils faisaient était incroyable. Aujourd’hui, trop de musique donne vraiment l’impression de sortir d’un ordinateur. J’ai été influencé par beaucoup de trucs hip-hop aussi, avec cette culture de la boucle et du sample, mais j’essaie vraiment de faire une musique quelque part entre le hip-hop et la Motown. Avec du groove donné par le jeu de vrais instruments, mais aussi avec ces boucles qui font que ça sonne hip-hop.

A : Comment vous travaillez sur un morceau ?

F : Plutôt mal [rires]. C’est un peu à celui qui a une idée de lancer le projet. Et ensuite, ou on bosse dessus ensemble en studio, ou alors, l’un commence et l’autre se greffe au projet par la suite. Il n’y a pas vraiment de technique particulière. Ça dépend vraiment de l’inspiration en fait.

B : Il n’y a pas vraiment de règle, ça peut partir de Fade, ou d’une idée à moi, d’une batterie, d’un sample, de n’importe quoi. Ou alors, on compose quelque chose qui va évoluer ensuite. On fait aussi pas mal intervenir de gens qu’on connait qui sont de notre famille musicale, comme les cuivres que connait bien Fade. C’est lui qui a amené dans le projet Marco et Paulo, deux anglais qui sont super forts, ou Marine Thibault, qui est intervenue à la flûte sur l’album. On essaie de faire participer le maximum de gens pour que ça devienne un morceau à part entière en fait.

A : Donc, vous n‘utilisez pas forcément des samples? Ça peut être des musiciens ?

F : Le truc c’est que, pour plusieurs raisons, on ne peut plus vraiment utiliser de sample pour le produit fini. Au début du projet, on utilise des samples bien sûr, c’est dans notre nature, c’est nos racines. Mais à cause des droits d’auteurs et autres, c’est de plus en plus compliqué de sortir un morceau avec. Et plus tu deviens connu, plus c’est dangereux de les utiliser…

B :  Ah ouais, tu dis que t’es connu, toi? [rires]

F :  Je disais « plus tu deviens connu » [rires]. Donc, ouais, dans le meilleur des mondes, si on pouvait, on n’utiliserait que des samples mais bon, à l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. Enfin… Peut-être que oui, peut-être que non ! [sourire]

A : Globalement les titres de votre EP ont une grosse couleur soul, funk, jazz. Est ce que vous pensez explorer d’autres genres pour vos prochains projets ?

F : Pour moi, on a vraiment exploré plusieurs genres avec l’album. Du reggae aussi, du swing. Là, on pense à se tourner un peu vers la bossa nova. On en écoute tous les deux, et on n’a pas essayé ce style. Mais, tu vois, toutes ces musiques-là, ce sont différents genres qui se retrouvent dans une même famille musicale. Si on veut y mettre un nom, ce serait de la « musique noire ». Donc on va rester autour de ces genres-là, tout simplement parce que c’est ce qu’on aime et ce qu’on écoute. Mais bon, on ne sait jamais, on verra bien, il n’y a pas d’obligation.

B : Il peut y avoir des exceptions. Comme pour notre vidéo pour Vice par exemple, c’est du classique. C’est vraiment au coup de cœur. Quand il y a un truc qui nous marque ou quelque chose qui nous plaît, on fonctionne surtout comme ça quoi.

A : Votre travail dépend vraiment de votre matériel. Dans quelle mesure est-ce que vous incluez aussi un peu d’humain, d’erreurs ?

F : Il y a des producteurs qui viennent sur scène et qui appuient juste sur « play ». D’autres où tout le show est millimétré. Avec notre spectacle, on essaie d’être prêts pour le live, donc pour l’humain. Comme quand tu vas voir un bœuf, un groupe à un concert de rock, ou autre. A chaque fois, on fait un truc différent, on improvise. Perso, je ne sais pas nécessairement ce que Blanka va jouer et vice versa. C’est ça qui est cool et qui rend la chose intéressante pour nous et pour le public aussi je pense. Et c’est là aussi que la magie opère.

B : C’est souvent comme ça qu’on a des idées. A force de faire des morceaux en studio, on les répète, et ensuite quand on les fait sur scène, ils vont évoluer. Il y a même des accidents qui arrivent parfois, et on se dit, « ah putain là c’est pas mal, y’a un truc à faire avec ça« , et du coup on étend les morceaux. Ils peuvent changer vachement parce qu’on les a joué en live et qu’on a senti qu’il y avait un truc à faire.

« Avec notre spectacle, on essaie d’être prêts pour le live, donc pour l’humain. »

Fade

A : Les MPCs, c’est vraiment du matériel de studio. De quelle manière vous essayez de créer quelque chose de visuel ? 

F : On a développé une vraie scénographie pour tout ce qui est platines et MPCs avec notamment une projection sur grand écran. Ça c’est un premier truc. Ce qu’on fait aussi, c’est de tourner les MPCs face au public, comme ça les gens peuvent voir tout ce qu’on fait, ça n’aurait rien à voir si on se tenait tout le temps derrière l’ordinateur. D’ailleurs, pas d’ordi sur scène. On en a pour la vidéo, mais ils sont cachés. Pour nous, la scène, c’est vraiment un moyen d’interagir avec le public, alors on fait tout ce qu’on peut pour la rendre intéressante à voir.

B : On a aussi des chorégraphies. On bouge pas mal sur scène. Vraiment, on se tient jamais sur scène sans rien faire. Entre les featurings et tout ça, en fait il y a toujours quelque chose qui se passe sur scène, on bouge tout le temps de place. C’est vraiment pas statique comme show.

A : Les artistes mettant en avant les platines et les MPCs sont de plus en plus populaires. On a C2C et Chinese Man ici, AraabMuzik aux Etats-Unis. Comment vous expliquez que ça se popularise autant ?

F : D’une part, la technologie s’est vraiment améliorée. Avant, si tu mixais, il te fallait ta pile de vinyles là, à côté de toi. Alors que maintenant, avec Serato ou Traktor, c’est devenu beaucoup plus facile d’utiliser une platine. En plus, les nouveaux MPCs et sampleurs qui sortent sont beaucoup plus pensés par rapport à la scène. Pour moi, c’est dû à la fois à l’avancement technologique, et au mélange des rôles dans l’industrie musicale : un producteur n’est plus seulement un producteur. Maintenant, les gens n’achètent plus trop de CDs, donc il n’y a que la tournée qui te permet de te faire salaire.

B : Tu parles d’argent toi maintenant ? [sourire]

F : Je parle d’argent hypothétique [rires]. Vu que tout le monde fait des tournées maintenant, et plus régulièrement, ça a permis de vraiment augmenter la qualité des shows. En tant qu’artiste, si tu veux pouvoir tourner pas mal, il faut t’assurer que ton spectacle est de qualité égale à celui des autres. On est vraiment à une époque intéressante pour le public, vu comment augmente la qualité des shows. On sort des critères habituels, chaque artiste cherche un moyen de se différencier, ce qui rend les spectacles encore plus intéressants.

B : Je pense aussi que ça vient de l’évolution dans la manière de faire de la musique. Les gens font de la musique différemment en fait maintenant. C’est comme avec le skate ou n’importe quelle discipline, quand tu vois un grand frère faire de la MPC, tu sais que le petit frère va être pareil mais peut-être un poil au-dessus et du coup le niveau monte, monte, monte. Ce qui fait qu’après, ce truc de jouer en live, c’est mélanger le coté musical à la performance. Il y en a qui sont plus du côté performance, comme AraabMuzik. D’un autre coté, il y en a qui sont plus musicaux, comme Exile. Donc ça donne toute une palette de nouvelles choses qui sont super bien sur scène.

A : Vous ne venez pas du même pays : est-ce que c’est facile de se comprendre parfois ? Pas seulement à cause de la langue, mais aussi de vos vécus différents.

F : Non, pas vraiment. Notre vécu, c’est la culture hip-hop et c’est universel. Il n’y a pas de grosse différence culturelle. Quelques-unes, hein, mais rien de bien méchant. C’est ça qui rend le projet intéressant aussi.

A : Il y a un artiste avec lequel vous aimeriez travailler ?

B : Charles Bradley, il nous donne la chair de poule quand il chante !

A : Quels sont vos projets pour cette année ?

F : Une séparation. [rires]

B : La Fine Équipe prépare un nouvel EP qui sortira bientôt, avec des influences « kaytranadiennes », et ASM travaille leur prochain album qui s’annonce énorme. La nouvelle tournée aussi, avec la nouvelle scéno’, les nouveaux featurings. Plein de belles dates, de festivals. Je pense qu’on va bien s’éclater cette année.

F : La plus grosse partie de l’année va être prise par la tournée mais j’espère qu’on aura quand même le temps de bosser sur quelques nouveaux morceaux et de nouvelles vidéos.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*