JL
Interview

JL

Resté dans l’ombre depuis des années, JL a connu un certain nombre de désillusions avant de finaliser aujourd’hui son premier album solo sur son propre label Mic Processor. Rencontre très simple avec un MC discret qui se défend de chercher célébrité et notoriété, préférant garder justement les pieds sur
terre.

Photographie : Tcho (Antidote)

Abcdr : Comment es-tu venu au Hip-Hop ? Par le rap ? 

JL : En fait, je suis venu au Hip-Hop, non pas par le rap, mais par le Deejaying. C’était vraiment ce que je voulais faire au départ. En 1989-90, j’ai commencé par m’acheter des disques et des platines et avant même de rapper, je voulais être DJ.

A : Quels étaient tes modèles ?

J : En fait j’avais pas vraiment de modèles en Deejaying….enfin, si, on va dire Terminator X parce que le groupe que j’ai kiffé au début c’était Public Enemy. Bon, après, rétrospectivement parlant, c’était pas un monstre de technique, mais voilà, c’était le DJ de Public Enemy.

A : Sur l »I.N.T.R.U.S’ tu dis « …au M.I.C comme EJM dangereux », c’est uniquement pour la forme où EJM fait partie des gens qui t’ont inspiré, que tu as admiré ? 

J : Ah…[admiratif]. EJM c’est un vrai gars, à l’époque, pfff… Bon après c’était pour la forme, ça sonnait bien, mais c’est aussi un gars que j’aime beaucoup. J’ai même fait un morceau avec lui, il y a trois ans de cela. Le morceau sortira à mon avis jamais…Enfin, peut-être sur un Lost Tapes, un jour ! (rires)

A : Pour continuer sur ce sujet quelles sont tes sources d’inspiration et influences ?

J : Moi, les premiers groupes que j’ai kiffé c’était Public Enemy, beaucoup BDP (Boogie Down Production), l’album Ghetto Music m’a notamment beaucoup marqué. Mais, à vrai dire, plus qu’un seul groupe à vrai dire, beaucoup de choses m’ont marqué et influencé. J’écoute vraiment de tout niveau rap et pas spécialement du hardcore ou des trucs posés, j’aime un peu tout…

A : Ton premier label c’est Arsenal Records, comment s’est présenté cette opportunité ?

J : En fait au départ, j’étais à la recherche d’un studio pour faire ma première maquette et je suis tombé par hasard sur Lumumba, DJ de La Cliqua à l’époque. Le courant est bien passé entre nous, j’ai été chez lui pour enregistrer cette première maquette et il a bien aimé ce que je faisais. Il a donc fait passer la maquette à Brian (J.R. Ewing) et Chimiste, et ils m’ont signé.

A : Mais au final, tu n’as rien sorti sur Arsenal ?

J : En fait les premiers morceaux de mon premier maxi devaient sortir via Arsenal. Ils ont été enregistrés à cette époque là, chez eux.

A : Que retiens-tu de cette expérience ?

J : C’était la première fois que j’allais dans un vrai studio, ou j’entendais les vrais termes propres à un enregistrement dans un studio. J’ai appris à bosser en studio et à me dépenser en studio. Après, niveau business, ça m’a aussi appris pas mal de choses, notamment à ne pas signer vite, à pas me faire arnaquer. Plus globalement, je pense que cette expérience m’a beaucoup appris, et pas uniquement au niveau musical.

A : Le fait qu’Arsenal s’arrête beaucoup plus tôt que prévu, j’imagine que c’était une grosse déception pour toi…

J : Ouais, c’était clairement une déception. J’étais jeune et quand on te propose un truc comme ça à cet age là, tu crois que ta vie elle va changer, tu crois que t’as eu raison d’arrêter l’école. Sur le coup, j’étais assez dégoûté, mais ça m’a pas arrêté…

A : Ensuite, il y a eu la mixtape Bâtiment B, sur le label du même nom…

J : Ouais… en fait j’ai eu cette opportunité via mon ancien manager qui m’a parlé de cette mixtape. Ça c’est bien passé et Oxmo avait bien accroché, donc bien…

A : La connexion avec Oxmo t’a permis de figurer sur la compilation Hostile 2000 avec Langue de chat et Keujah ?

J : Tout à fait. Pour l’anecdote, mon manager de l’époque m’a appelé à trois heures du matin en me disant « demain après-midi, rendez-vous en studio pour un morceau« . Moi j’étais prêt et j’ai rencontré LDC et Keujah à ce moment là. Ils roulent toujours avec moi aujourd’hui.

A : Qu’est-ce que tu attendais d’une telle opportunité ? Une meilleure exposition ?

J : En fait j’avais aucune attente spécifique par rapport à ce morceau. Je l’ai fait parce que cette opportunité s’est présentée, point. Je savais très bien qu’il n’y aurait pas de retombées exceptionnelles, et d’ailleurs c’est ce qui s’est passé. Ça m’a juste fait un petit nom et voilà. J’ai pas été repéré par un label ou quoi que ce soit. Mais c’était cool.

A : Tu as sorti ton premier maxi Alors c’est ça le rap ? en auto production, et dès le départ on a eu l’impression que tu voulais rester en marge du milieu du rap, dans un rôle d’observateur…

J : En fait, le fait d’avoir été échaudé après ma première signature m’a amené à prendre un peu plus de recul. Si jamais j’avais sorti un premier maxi sur un label, je n’aurais peut-être pas dit la même chose, mais là, après avoir vécu pendant trois ans avec un espoir, qui au final n’a pas abouti, ça a été dur. Ça m’a peut-être amené un truc comme ça.

A : On te sent extrêmement réaliste, les pieds sur terre, presque désabusé du milieu du rap et de ses apparences trompeuses. Tu considères que c’est un élément important de tes textes ?

J : A l’époque peut-être oui, disons que j’étais bien plus aigri qu’aujourd’hui. Après, ce sentiment là est toujours présent dans mes textes aujourd’hui, mais il est sûrement moins prononcé. D’ailleurs il y a des gens qui ont jugé que je me la racontais, que je donnais des conseils. Mais non, c’était juste ce que je pensais, rien de plus…

A : Quelles ont été les réactions qui ont suivi la sortie de ce maxi ? Un peu de tout apparemment…

J : Dans l’ensemble j’ai eu des bons retours. Comme je te disais, certains ont pensé que je me prenais pour un redresseur de tort alors que ce n’était vraiment pas mon objectif.

« Notre objectif, c’est de monter un vrai label, aux bases solides, pour pouvoir sortir ce qu’on veut et injecter dans la musique ce que, nous, on a envie d’écouter. »

A : Le label Mic Processor a été monté pour sortir ce premier maxi ? Quel est l’objectif à terme de ce label ?

J : Oui, à l’époque, Mic Processor, c’était moi, Jacob [NDLR: manager actuel de JL], DJ Sek et Brice, qui est parti depuis. Le label avait été monté essentiellement pour sortir mes maxis. On s’est dit que si personne ne voulait sortir nos maxis, on le ferait nous-même. Après, notre objectif, c’est de monter un vrai label, aux bases solides, pour pouvoir sortir ce qu’on veut et injecter dans la musique ce que, nous, on a envie d’écouter. Pour l’instant, on n’a pas cette prétention là et on n’a clairement pas les épaules pour, mais dans le futur, sait-on jamais…

A : Aujourd’hui, l’indépendance c’est un choix assumé, ou une obligation pour exister, faute d’opportunité ?

J : C’est vraiment une obligation aujourd’hui. Franchement, si aujourd’hui je pouvais avoir un label plus important avec moins de contraintes financières, je serais très content. Après aujourd’hui, il s’avère qu’on n’a pas de structures derrière nous, donc l’indépendance c’est le seul moyen pour faire ce qu’on à faire, véhiculer ce qu’on a envie de véhiculer. Après si demain un label vient me voir, veut mettre de l’argent sur moi et les gens qui m’entourent, et si ce contrat est honnête, me proposant pas de choses que je n’ai pas envie de faire, moi je serais tout à fait partant.

A : Que penses-tu de la crise traversée par les majors ? Quelles en sont tes raisons à ton avis ?

J : Oulah… [NDLR :étonné, il s’arrête un moment] …J’ai du mal à trouver une solution. Je pense que le téléchargement est une raison…mais bon après je me pose pas mal de questions : Est-ce que si tu baissais le prix des disques les gens téléchargeraient moins ? Ou est-ce que le téléchargement est rentré dans les mœurs et du coup les gens veulent plus acheter ? Les maisons de disque prennent de toute façon trop d’argent. Quand tu vois des maisons de disque niquer des budgets sur des clips au Brésil alors qu’il n’y a pas de vrai intérêt et que ça n’a aucun rapport avec la chanson à proprement parler, tu te dis qu’il y a une merde quelque part…

A : Quelle approche as-tu des mixtapes ? C’est une opportunité à saisir, l’occasion de se faire connaître du public ?

J : Je suis pas un mec qui fait beaucoup de mixtapes, principalement parce que j’écris pas vite. Si j’étais plus prolifique, j’en ferais sûrement plus… (il s’arrête) Enfin, ici on n’est pas aux États-Unis, où le mec il fait des centaines de mixtapes et il sait qu’il va avoir un contrat après. Ici, c’est différent, tu peux faire cent vingt mille mixtapes et toujours rapper dans ta cave. Après les mixtapes te permettent aussi de te lâcher et de sortir des trucs plus légers.

A : Après Alors c’est ça le rap ? / Mon coin de paradis, tu sors un second maxi L’I.N.T.R.U.S / Faut de tout. Tu crois en la logique du maxi, forme de progression logique avant l’album qui est une forme d’aboutissement ? C’est une logique qui est de plus en plus remise en cause…

J : Moi j’y crois, mais je sais aussi qu’aujourd’hui, quand tu es indépendant, c’est pas une solution parce que les maxis vinyles de rap ne se vendent pas. Nous on le fait parce qu’on aime ça et qu’on a été éduqué comme ça, mais à mon avis, plus ça va aller, plus ça va se perdre. Tu sais que ça coûte cher de presser des vinyles et l’argent revient pas toujours.

A : Tu es le seul invité « officiel » sur « Top départ » l’album de Rocé (Manu Key apparaît aussi sur le morceau caché terminant l’album), comment c’est faite cette connexion ? Via Chronowax ? (distributeur du premier maxi de JL et de Top Départ)

J : Non, rien à voir avec Chronowax. Je connaissais Rocé bien avant. En fait j’avais enregistré ma première mixtape, avec mon tout premier groupe, chez Rocé. C’était il y a des années de ça. On s’est bien entendu alors on a continué à faire quelques trucs ensemble.

A : Reprendre « J’arrive mais personne m’attend », c’est un constat lucide et assumé ou plutôt une forme de déception amère ?

J : Non, c’était pas du tout une forme de déception. Quand je l’ai écrit et dit, les choses se présentaient comme ça. J’étais juste réaliste, point.

A : Tu dis aussi « pour être heureux, je vis caché, c’est ça ma solution », être en retrait, cela ne te semble pas contradictoire avec cette volonté de se mettre en avant, qui est inhérente au rap ?

J : Oui, quelque part c’est contradictoire, mais ce n’est pas ça qui va t’empêcher de le faire. Ca dépend ce que tu veux véhiculer et comment tu comptes t’y prendre. A mon avis les gens n’ont pas besoin de me voir, connaître ma gueule, c’est pas ce qui doit compter, au moins au départ. Au pire ça viendra par la suite.

A : Qu’est-ce que tu attends du rap aujourd’hui ?

J : Le rap, pour moi c’est vraiment du kif. Voilà, après, j’essaie de faire de la bonne musique, j’ai pas de plan de carrière ou quoi que ce soit. J’essaie de faire les choses au feeling, au coup par coup, avec les gens c’est pareil.

A : Tu as sorti il y a peu un nouveau maxi vinyle, le troisième avant l’album, Ma place au soleil / Saoulé. ‘Saoulé’ est musicalement assez différent de ce que tu avais pu faire auparavant, c’est une autre facette que tu souhaites exposer avant l’album ?

J : Non, en fait ça c’est fait très simplement. Sek avait fait la production, il me l’a fait écouté et j’ai kiffé, alors j’ai posé dessus. Il n’y avait pas de stratégie derrière, les choses se sont présentées comme ça.

A : Qui sont Vulkain et Ruddy Lapoz qui apparaissent sur ‘Saoulé’ ?

J : En fait Vulkain fait partie d’un groupe, 808 Mob, et Ruddy Lapoz d’un autre groupe qui s’appelle Les classés. Tous les deux sont partis de leurs groupes respectifs pour monter un projet avec moi et un autre à deux. Ils ont prévu d’ici janvier de sortir un EP sur Mic Processor et par la suite un album. Ils bossent en ce moment dessus.

A : La date de sortie de ton album est-elle fixée ?

J : On n’a pas encore fixé de date précise. Mais aujourd’hui on a déjà bien avancé, j’ai aujourd’hui quasiment tous les morceaux, il faut désormais juste terminer le tout.

A : Quelle a été ta démarche pour ce premier album ?

J : Il n’y avait pas de vraie démarche au départ. J’ai simplement fait des morceaux petit à petit, et je me suis rendu compte quand j’avais quasiment terminé toutes les maquettes qu’il y avait un fil conducteur entre tous ces titres. Un fil conducteur qui au départ n’était pas prévu. Tu comprendras ce que je veux dire en écoutant l’album.

A : Qui assurera la production de ton album ?

J : DJ Sek assure 90% des productions de l’album, Ruddy Lapoz, Le Gang du Lyonnais et DJ Karz, le DJ de Rocé, font le reste.

A : Qu’est-ce qui tourne actuellement sur ta platine ou dans ton walkman ?

J : J’ai acheté le dernier album de Masta Ace, A long hot summer et le dernier De La Soul Grind Date qu’on m’a prêté. Voilà, en ce moment c’est principalement ça…

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