L’amnelife du B.A.B
Interview

L’amnelife du B.A.B

En 2011, ce n’était qu’un blaze inconnu qui avait retenu notre attention parmi la flopée d’invités du Grand Banditisme Paris 1 de Hype & Sazamyzy. Six ans plus tard, Le B.A.B a cinq projets à son actif. Le dernier – Amnelife : Le Grand Paris – vient de voir le jour et confirme tout le bien qu’on pense du rappeur francilien.

Photographie : Roy Robinson

A : Quels sont les premiers rappeurs que tu as écoutés ?

B : Le premier, je crois que c’est MC Hammer, vers 1991. Ensuite, il y a eu NWA… Mais je n’écoutais pas énormément de rap au début. En 1993, on est partis à New York avec ma sœur. J’avais une tante qui étudiait là-bas. On a eu l’occasion de découvrir pas mal de trucs qu’on ne connaissait pas ici. On a ramené des CD, des cassettes… J’avais pris le tout premier Mobb Deep, du Tupac… Ma sœur écoutait pas mal de new jack aussi. Un cousin de Meudon faisait du rap avec Less du 9. Il me ramenait des cassettes, des freestyles… C’est lui qui m’a vraiment donné le virus. Les premiers freestyles m’ayant marqué sont les leurs en fait. Après, évidemment : Time Bomb, la FF, IAM… J’écoutais Générations. D’ailleurs, à l’époque, Générations partageait sa fréquence avec Paris Jazz, il me semble. Donc tôt le matin, tu avais un peu de son, ensuite, il y avait du jazz toute la journée et vers dix-huit heures, Générations reprenait le contrôle jusqu’à minuit. J’ai commencé à écrire vers treize ans et j’ai fait mon premier son à quinze ou seize ans. On est partis une fois avec un pote voir mon cousin. Il enregistrait des morceaux à Bastille. Du coup, on a posé un freestyle là-bas. Ensuite, j’ai enregistré quelques sons avec mon cousin à Meudon. En 2000, à dix-sept ans, je suis parti au Niger pendant deux ans. J’ai monté un groupe avec des mecs que j’ai rencontrés là-bas. On faisait des scènes dans les centres culturels, les palais des congrès… Je suis revenu et je n’ai pas trop rappé pendant assez longtemps. Je cherchais des sons et j’avais du mal à en trouver. Du coup, j’ai acheté du matos et j’ai commencé à en produire. Je me suis vraiment remis à rapper en 2011 et plus sérieusement en 2014.

A : Ton cousin a sorti des sons ?

B : Il a fait pas mal de radios avec Less du 9. Pour l’anecdote, il existe plusieurs versions du morceau « Nique le monopole des grands ». Il était sur l’une d’entre elles. Mais il s’est embrouillé avec eux et c’est finalement Sat qui a récupéré son couplet. Maintenant, il a une barbe comme ça, il ne veut plus entendre parler de musique, je pense que là où il est, il n’en a plus rien à foutre et c’est tant mieux. [Sourire]

A : Au Niger, les gens avaient connaissance de ce qui se faisait dans le rap français ?

B : Ils savaient ce qui marchait mais, là-bas, ils sont beaucoup axés sur les Etats-Unis. C’est au Niger que j’ai connu Master P, Cash Money… Alors que ça ne marchait pas en France où moi-même, j’étais obnubilé par New York, Mobb Deep, Nas… On a fait pas mal de sons mais on n’a pas enregistré grand-chose parce que c’était une galère. Par contre, on a fait des concerts à la pelle. Enregistrer un morceau, ça revenait à cent ou deux cents euros. On était des lycéens, on n’allait pas payer ce prix, surtout là-bas. On prenait des cachets dans les concerts. Ce sont les seules fois où j’ai été payé pour du rap. [Sourire] C’était magnifique. J’ai été deux ans au lycée là-bas, mais pas dans un lycée français. Je n’allais pas trop à l’école. C’était une punition d’être envoyé au bled mais, finalement, c’était cool. J’étais à Niamey, c’est pas mal si t’as un peu de sous mais il fait super chaud, un truc de fous. Au mois de mai, il fait cinquante degrés, quarante la nuit…

A : Tu as continué la musique une fois revenu en France ?

B : Quand je suis rentré, j’ai fait quelques morceaux, toujours avec les mêmes gens. Rien de sérieux. On avait une séance collective de quatre ou cinq heures chaque samedi à Châtillon, au studio Mouvement Authentique. Parfois, on posait des sons, parfois, on se contentait de fumer. [Sourire] D.Ego nous a enregistré, le pauvre. [Rires] Beaucoup de rappeurs traînaient dans le coin : Sultan, Radikal MC, La Cohorte, Chroma…

A : D.Ego m’avait fait part du manque de sérieux de pas mal de jeunes qu’il enregistrait… C’étaient vous ?

B : [Sourire] C’est fort possible. C’est vrai qu’on abusait un peu parfois. A un moment, j’étais dans un studio au Kremlin-Bicêtre où j’ai enregistré quelques séances pour des mecs. C’est là que j’ai réalisé que c’était une galère. Surtout quand tu fais des séances nocturnes. Déjà, quand tu n’aimes pas la musique de la personne, c’est compliqué. Il y a ceux qui ont besoin de boire, de fumer… Ceux qui viennent avec leurs quinze potes. D’autres qui enregistrent un demi-morceau en huit heures… Je n’étais pas ingé’ son, je dépannais juste. Sincèrement, c’est une galère. Je me souviens d’un gars me disant : « Ouais, est-ce que tu peux me mettre la voix grave ? J’ai envie d’avoir une voix comme Booba. » Mais comment tu veux que je te fasse ça !? [Rires] Les gens sont fascinés par lui, c’est incroyable.

A : Quand est-ce que tu t’es vraiment réinvesti dans la musique ?

B : Vers 2011. J’ai acheté des machines, j’ai commencé à la toucher à la MPC, à Cubase… J’ai produit entièrement le premier Amnelife à part deux sons où c’est de la co-production, « Ma Drogue » notamment. Les deux premiers Amnelife, c’était un peu du bidouillage sur le plan des finitions. C’était assez amateur. Je vois les défauts, surtout sur le un, je me dis souvent : « J’aurais pu mieux poser… » Mais, en même temps, j’ai ressenti une bonne vibe sur le moment et c’est l’essentiel. Le premier volume a été fait à l’instinct, j’ai passé un cap depuis sur le plan des flows et des sonorités. J’ai choisi de meilleurs beatmakers que moi. Il ne font que ça. Et puis au-delà de la composition, il y a le mixage qui joue énormément. Tu prends certains sons d’Amnelife 3 rien qu’en écoutant l’instru’, ça pète, c’est en place. Ça te fait progresser. Je n’étais pas capable d’avoir le même rendu qu’eux. Tu as des mecs de vingt ans qui te font des instru’ de malade à la chaîne sur Sounclick. Sur le volume 4, Just4You, il y a une prod’ de Johnny Juliano. C’est un cainri que j’ai suivi pendant longtemps. C’est un tueur. J’ai retrouvé dans des productions mainstream des choses que j’entendais chez lui des années avant. Il n’est pas passé inaperçu chez les grands producteurs, c’est évident.

Babio le B.A.B, Hype & Sazamyzy - « Ma Drogue »

A : On a pu te remarquer sur le morceau « Ma Drogue » avec Hype & Sazamyzy en 2011. Tu les as rencontrés comment ?

B : Au studio du Kremlin. J’étais souvent là-bas pendant les sessions de GB Paris 1. Je leur ai proposé quelques sons et ils en ont pris deux. Quelques mois après, je les appelés pour faire le son « Ma Drogue », ils l’ont kiffé et il s’est retrouvé sur mon projet et le leur. On a passé quelques soirées sympathiques au studio, on fumait de la beuh et on rigolait bien. C’était une bonne époque mais j’ai vite arrêté d’enregistrer les gens parce que j’ai vu que ça n’était pas mon délire. Je suis trop capricieux et j’aime trop le micro pour ça. Je n’avais pas assez de recul.

« Quand tu es en train de créer, il ne faut pas se prendre la tête sur la façon dont les gens vont le percevoir. »

A : Tu es passé de ton home-studio à un studio classique sur tes derniers projets, ça change les habitudes de travail ?

B : Je travaille de la même façon mais ce n’est pas pareil. Quand tu es chez toi, tu te réveilles à deux heure du matin, tu veux faire un son, tu le fais. Tu peux cueillir l’inspiration. Là, il y a beaucoup de séances où je n’ai rien en arrivant à part une prod’ et une idée en tête. Mais je viens là [Un studio à Bastille, ndlr] toutes les semaines et je travaille souvent directement en studio parce que je n’ai pas forcément le temps de me mettre dedans le reste de la semaine. Si c’est bien, je garde, sinon je jette et je refais autre chose. Sur ce projet, la majorité des textes ont été écrits sur place. Avant, je me prenais grave la tête, je faisais beaucoup de réécriture. Plus le temps avance, moins je le fais. Je préfère enregistrer le son et l’écarter s’il ne me plaît pas, plutôt que de revenir des dizaines de fois dessus. Parce que plus tu vas faire de sons, plus l’exigence va monter d’elle-même. Mais c’est quand même une bonne expérience de parfois revisiter un texte, re-rentrer dedans, corriger ce qui ne va pas, récupérer quelques phases qui valent le coup. Mais il ne faut pas que ça aille à l’encontre de ton plaisir. Quand ça devient trop du taf, je perds le plaisir de faire du son. C’est bien de ne pas être à l’arrache mais il ne faut pas trop calculer. Faut savoir cueillir l’inspiration au bon moment et ce n’est pas toujours évident. Heureusement, on a les smartphones aujourd’hui. Quand il y a une phase qui me vient, je note direct pour ne pas la perdre. Et quand je vais arriver en studio et lancer un son, je vais fouiller dans mon téléphone et peut-être qu’il y a une phase qui va me faire partir dans un délire et développer l’inspiration. Après, je vais peut-être même l’enlever du texte final mais elle aura servi de point de départ. C’est cool de pouvoir se permettre d’écrire en studio. Dans tous les cas, il faut que j’aie déjà une prod’ en tête pour avoir une direction. Pour le volume cinq, il n’y a pas vraiment eu de calcul. Ma seule ambition, c’était de partir sur des sons différents pour me forcer à trouver de nouvelles façons de poser. Je pars davantage sur des flows plus chantés. C’est venu presque naturellement. Sur le volume trois, Le Cœur de la ville, j’avais déjà chantonné un peu sur un titre et sur certains refrains. Je pense que je vais tendre vers ça à l’avenir même si je conserve ce goût pour le kickage qui sera toujours présent.

A : Tu as un projet en collaboration avec le rappeur Lo.Swing qui va bientôt sortir également.

B : C’est un pote, il a rappé en français pour le projet qu’on a fait ensemble alors qu’il avait toujours rappé en anglais jusqu’à présent. C’est son délire, il est devenu anglophone par la force des choses avec les voyages, les expériences… Il a plutôt bien fait la transition, ça glisse. Il a dû reprendre des automatismes au niveau des intonations, des placements… Il est bon. On se posait chez lui, on faisait un son en une heure sans but précis et, en une semaine, on s’est retrouvés avec cinq des sept sons qui seront sur l’EP. C’est différent d’Amnelife dans les prod’ et l’intention. C’est un projet sans refrain, juste du kickage.

A : Tu es attentif aux avis de ton entourage et des auditeurs ou tu t’en affranchis ?

B : J’écoute les avis mais il ne faut pas se focaliser dessus. Quand tu es en train de créer, il ne faut pas se prendre la tête sur la façon dont les gens vont le percevoir. Tu es dans ton truc et tu le fais. Après, tu commences à gérer le reste. Une fois que j’ai plein de titres, je vois ce qui est cohérent avec le reste ou pas pour construire un projet. Mais avant tout, je fais du son. C’est après seulement que les intègre dans un cadre.

A : Tu es quel type de rappeur en cabine ?

B : J’ai besoin d’échauffement. Quand j’arrive en cabine, il faut que je fasse pas mal de prises avant d’être dedans. Ça ne me pose pas de problème de refaire des prises jusqu’à ce qu’elles soient bonnes. S’il en faut trente, j’en fais trente. Parfois, je pose en une fois, d’autres fois, je coupe. Ça dépend de la vitesse du son, du nombre de mots que j’essaie d’imbriquer dans une phase. En réalité, tu n’as pas vraiment de règle définie. Tu fais en fonction de comment les choses se passent. Chaque son, chaque rime apporte quelque chose de différent.

A : Le thème parisien revient assez souvent dans ta musique…

B : Je n’ai pas un lien viscéral à Paris mais j’ai habité un peu partout en Île de France. Il n’y a rien de profond sur Paris en lui-même, c’est juste le décor, un contexte. Je n’ai pas de scène préférée en région parisienne. Toutes les départements ont eu leur période. Le 91 a été chaud à une époque, le 94 pareil, le 92 avec l’école Beat 2 Boul… Ce sont des mecs que j’ai écoutés plus jeune mais je n’ai jamais eu de rappeur préféré. Il y a beaucoup d’influences qui se sont entremêlées avec ma personnalité. Mais quand tu fais du son, tu ne penses pas à correspondre à telle ou telle scène, ce n’est pas le genre de questions qu’il faut se poser. Du moment qu’elle me ressemble, je pourrai défendre ma musique partout.