La Hyène qui avançait sans meute
Interview

La Hyène qui avançait sans meute

Depuis le début des années 2000, La Hyène a vu passer quelques générations de rappeurs. Sa musique, elle, n’a pas bougé d’un iota : un rap de rue franc, direct, sans concession. Peu coutumier de l’exercice promotionnel, le rappeur de Champigny revient sur sa carrière et sur sa conception du rap pour l’Abcdr.

Abcdrduson : Cela fait maintenant une quinzaine d’années que tu es dans le rap, avec la sortie en 2004 d’Ennemi d’état. À ce moment, quelle était la scène rap à Champigny, ta ville ? 

La Hyène : Avant Ennemi d’état j’avais sorti un premier maxi, en 2001, mais c’est effectivement en 2004 que je sors mon premier album officiel. À Champigny, en même temps que 400 Hyènes il y avait le collectif L’émeute, qui rassemblait plusieurs groupes, dont Le Clan Bla, qui est précurseur du mouvement. Moi à ce moment j’étais très jeune, je devais avoir dix-sept ans et le rap m’est tombé dessus comme ça. Je n’écoutais pas trop de rap français quand j’étais gamin. Je m’y suis mis quand est arrivée la vague Time Bomb. Ils ont ramené des nouveaux flows qui m’ont parlé et qui m’ont fait dire « pourquoi pas ? » Mes premiers freestyles je les enregistrais avec deux postes cassette en face l’un de l’autre. [Rires] Plus tard, j’ai eu un pote qui a investi dans un home studio et m’en a fait profiter pour Ennemi d’état. C’était au quartier.

A : Si tu n’étais pas très enthousiasmé par le rap français, peut-être écoutais-tu davantage de rap américain ? Qui citerais-tu ?

L : J’ai kiffé la grosse vague Wu-Tang dans un premier temps, puis après la vague Queensbridge. Mobb Deep c’était mon truc… Et d’ailleurs 400 Hyènes s’inscrit dans cet univers-là, assez sombre.

A : Tu t’es fait connaître avec 400 Hyènes, mais le groupe s’est pourtant formé après ta première sortie en solo. Comment cela se fait-il ? 

L : K-Push a emménagé dans ma cité alors que je rappais déjà de mon côté. On s’est lié d’amitié donc il me voyait faire ma musique et c’est moi qui l’ai sollicité pour faire un groupe ensemble. C’est aussi simple que ça.

A : Il y a aussi un autre nom qui est très important dans ton parcours : Belli Blanco.

L : Oui, il est très important et Belli Blanco est encore là aujourd’hui, derrière tout ce que je fais même s’il n’exerce plus au micro. Il gravitait autour de nous à l’époque, tout comme un autre mec, Latino, et ce qui est fou c’est qu’en tant d’années, nous n’avons réussi à faire qu’un seul morceau tous les quatre, qui s’appelle « Inséparables 2 ». Même dans « Inséparables » première version, il manquait quelqu’un : moi.

A : Lorsque vous vous lancez dans le rap, avez-vous déjà un pied dans l’industrie musicale de par des fréquentations qui sont dans le milieu ?

L : On a tout fait seuls, disons au culot, en découvrant. Un jour on se met en tête de faire un clip, comment on fait ? On veut sortir un projet, il faut aller voir un distributeur. Pour fabriquer les disques, faut faire ci, pour éditer faut faire ça. On a tout fait tous seuls, avec nos budgets.

A : Cette autonomie a un air de leitmotiv quand on observe ta trajectoire, tu t’es assez peu mélangé.

L : Je ne force pas les rencontres, ni les fréquentations, et je suis toujours resté avec un petit groupe d’amis. On a fait l’aventure ensemble, sans se mélanger certes, mais ce n’est pas non plus spécialement voulu. Je veux dire, on a nos trains de vie, on reste souvent au quartier et voilà, c’est comme ça.

A : En 2006, vous êtes tout de même invités sur Talents Fâchés vol.3, comment s’est faite la connexion avec Ikbal ? 

L : J’avais déjà fait un petit freestyle sur Talents Fâchés vol.2, et par la suite Ikbal m’a invité à chaque fois dans la mesure où c’est quelqu’un avec qui je m’entends bien. C’était toujours avec plaisir.

A : Toujours autour de 2006, il s’est passé quelque chose d’intéressant : vous avez été invités à débattre sur Générations avec François Hollande. Pourquoi ?

L : En fait, ça s’est fait à notre propre initiative, suite aux émeutes de 2005 alors que nous étions à l’aube de l’élection présidentielle. Un soir, je me suis mis en tête d’écrire une lettre à François Hollande [alors Premier secrétaire du Parti Socialiste, NDLR] en lui demandant d’expliquer ce qu’il proposait comme alternative à Sarkozy. Un de mes amis travaillait avec lui et lui a fait lire la lettre. Le PS nous a fait venir à Solferino directement, où on a parlé. Ils cherchaient à savoir ce que l’on voulait faire exactement, alors j’ai demandé un débat en radio, que Hollande a accepté. J’ai décidé que ça se ferait à Générations parce que les auditeurs de Générations étaient la cible du débat. On a organisé ça, et même si derrière ça a un peu été récupéré, c’était vraiment notre démarche.

A : Dans ta musique, tu ne caches pas tes convictions, politiques, sociales, voire géopolitiques. Penses-tu que tes positions ont pu te causer du tort en termes d’exposition médiatique ?

L : C’est évident, carrément. Quand j’ai fait le morceau « Palestine », on me l’a dit. Des directeurs de radios me l’ont dit : « on ne peut pas t’inviter parce que tu as des positions trop hardcore » et je pense que ça a joué. Après, je ne vais pas entrer dans une forme de paranoïa mais c’est sûr que ça n’aide pas, ça et mes positions sur la police, puis sur d’autres trucs encore. Mais je dis ce que j’ai envie de dire, et comme j’ai envie de le dire, je ne me cache pas derrière mon stylo…

A : Le conflit israélo-palestinien est d’ailleurs à nouveau abordé sur Thugz Mixtape, et le sera encore par la suite a priori…

L : J’aimerais ne plus avoir à l’aborder, ce serait synonyme de paix. Mais je suis l’actualité, et j’écris dans mon temps, or aujourd’hui le problème n’est pas réglé, et j’ai envie d’en parler. Mais je souhaite sincèrement que ça se règle.

« Je ne force pas les rencontres, ni les fréquentations, et je suis toujours resté avec un petit groupe d’amis. »

A : Nous évoquions une exposition médiatique amoindrie, mais à côté de ça c’est le lot de plein d’autres rappeurs aussi. K-Push et toi, à l’époque, n’avez-vous pas cultivé la marginalité, notamment à travers votre slogan « groupe le plus hardcore de France » ? 

L : « Groupe le plus hardcore » c’est quelque chose qui nous a été dit et que l’on a utilisé ensuite comme slogan pour l’album Péril Jeune. On l’a un peu fait pour titiller le « rap game », et ça nous a valu de rencontrer Ekoué. C’est à partir de cette phrase là qu’il s’intéresse à notre travail, il me l’a dit. Il a vu cette phrase un peu arrogante et a voulu vérifier, suite à quoi il nous  directement contactés ! Il a kiffé ce que l’on faisait et nous a invités sur sa compilation Sous les pavés la rage. Ensuite on est devenus amis.

A : Et vous avez encore des liens étroits puisque tu es au casting des Derniers Parisiens, et que tu tournes avec La Rumeur sur scène aussi…

L : Oui, j’ai fait la majorité de leurs concerts, ils me font intervenir sur quelques morceaux. Au-delà de la musique ce sont des amis, on est à un autre stade.

A : Cette expérience de la scène te donne envie d’en faire davantage ?

L : Oui, il n’y a pas mieux que la scène. Après, je n’ai pas de tourneur, je ne pense pas que je puisse remplir beaucoup de salles… Je ne sais pas ce qu’il en est en fait, vu que je n’ai pas fait de concert en mon nom propre. Mais en tous cas ça doit être quelque chose de voir le public se déplacer pour toi. Là j’en profite, je rencontre le public de La Rumeur, qui est différent du mien. Parfois, je pense que par mes textes je choque les gens aux concerts de La Rumeur, en tous cas c’est l’impression que j’ai. En fait, on dit la même chose, mais différemment.

A : L’écriture du groupe est plus esthétisée que la tienne, qui est brutale.

L : Exactement, c’est ça. Mais c’est justement ça qui crée aussi des surprises, des découvertes intéressantes en concert.

A : Te concernant, il n’y a pas que l’écriture qui est brutale. Ton interprétation est très agressive aussi…

L : J’essaie d’interpréter mes textes avec conviction. Tu ne peux pas faire un morceau sur ta maman et le rapper comme s’il parlait de la police. J’essaie de vivre le texte, c’est comme ça que tu captives les gens, et pus moi, je fais la musique pour moi, les morceaux que je fais je les aime, et pour ça il faut que mon interprétation soit crédible, sinon je n‘y croirais pas moi-même.

A : Revenons-en à ton parcours. En 2012, tu sors Ma violence vol.1, pourquoi ce retour en solo ?

L : K-Push s’est un peu éloigné du rap pour des raisons personnelles, donc il fallait que je continue de porter l’étendard seul. La démarche d’un album solo est différente, tu fais ce que tu veux, et comme c’est en solo que j’ai commencé, c’est un exercice que j’ai toujours aimé. La transition s’est faite naturellement, je n’ai pas arrêté le rap quand K-Push s’en est éloigné en fait.

A : Sur Thugz mixtape tu dis tout de même que ça te manque de ne plus rapper avec ton ami ! 

L : Oui, bien sûr que ça me manque. Jouer au tennis tout seul c’est quand même moins bien qu’à deux ! [Rires] Et je préfère même le foot au tennis, j’aime le collectif, les aventures que l’on partage. K-Push est mon ami, et c’est mon binôme en musique, donc évidemment que ça me manque. Et pour les gens qui connaissent 400 Hyènes, ils attendent forcément le moment où K-Push arrive, or maintenant c’est moi qui monopolise le morceau entièrement !

A : Après ce retour en solo, Rohff te propose de faire un morceau dans le cadre de sa série CPLS. Est-ce que tu as ressenti un impact particulier qu’aurait eu ce titre ?

L : Oui, ça n’a rien à voir avec ce à quoi j’étais habitué. C’est comme passer sur Tf1… Je n’ai pas envie de dire que c’est un nouveau départ, mais en tous cas plein de gens m’ont découvert avec ce son, et croient que mon premier titre est « CPLS ». Ça m’a remotivé d’ailleurs de voir que je pouvais intéresser la nouvelle génération.

A :  Rohff t’invite pour CPLS, tu as rappé avec Salif, Sefyu, Express D… Il semble impossible que tu n’aies jamais eu de contacts avec des majors à un moment ou à un autre, qu’en est-il ? Tu dis ne pas avoir signé car tu as « brisé [tes] chaînes comme Django », c’est la vision que tu as des maisons de disques ? 

L : Si tu analyses un peu le parcours des artistes, entre le projet qu’ils sortent en indé et le projet qu’ils sortent en maison de disque, tu vois tout de suite la différence. Il y a forcément quelque chose qui bride. Lorsque nous avons sorti l’album L’Esprit du clan avec 400 Hyènes, nous étions en pourparlers avec une maison de disque. Ils étaient d’accord pour nous signer, mais nous ont demandé d’enlever un morceau : « Les funérailles de Skyrock »avec Ekoué. On a dit qu’on n’enlèverait rien du tout, puis on est partis. C’est un exemple concret de ce qui peut t’arriver en maison de disque.

A : La Rumeur constitue le meilleur contre-exemple, Demi Portion nous en parlait comme un modèle l’an dernier à ce niveau-là.

L : Oui, c’est clair, c’est un exemple pour tout le rap français sur ce point, c’est évident. Je pense même que ce sont les seuls, sans vouloir faire offense aux autres, il y en a peut-être que je ne connais pas, mais c’est vrai qu’eux sont un exemple.

« C’est important de maîtriser tous les langages : j’ai réussi à débattre avec François Hollande, comme je suis capable de parler avec la pire caillera de n’importe où.  »

A : Tu sembles porter un regard extrêmement critique sur la production actuelle du rap français et sur ses tendances, qu’est ce qui te déplaît autant ?

L : Ce qui me déplaît, c’est l’appellation « rap français ». Tu ne peux pas la donner à n’importe qui, à n’importe quoi. À partir du moment où un mec rappe sur un instru de zouk ou de zumba, personnellement ça me dérange que l’on appelle ça du rap. Je n’ai rien contre ce style de musique, de toute façon c’est le public qui valide ou non, et si les gens aiment ça tant mieux, mais pour moi ce n’est plus du rap. Il y a des gens qui en écoutant ma musique me disent que « c’est trop du rap », c’est un paradoxe de fou quand même ! C’est comme si je venais dans un match de foot avec une raquette, j’invente une nouvelle règle et on me laisse jouer. [Rires]

A : Tu utilises cette métaphore dans ta mixtape : on a laissé la télécommande aux enfants alors ils ont mis les dessins animés. Mais le rap a toujours été la musique des jeunes, non ? Son évolution est très logique.

L : Oui, je vois ce que tu veux dire… Mais quand tu regardes le rap français, ce qu’il a été, qui l’a défendu… Aujourd’hui on n’est plus là-dedans. Nous, on a connu les premières heures du rap français, donc notre regard est différent de celui des plus jeunes, qui eux ne connaissent le rap que tel qu’il est aujourd’hui. Ça nous fait un peu mal de voir le rap dénaturé parce qu’on s’est battus pour le défendre, des groupes ont arrêté, des rappeurs exceptionnels ont mis fin à leur carrière, et je ne sens pas le respect des nouvelles générations pour ce qu’ont fait les anciens. C’est vraiment de l’ignorance. Après, je dis ça, moi j’en joue, ça me fait rire autant que la phrase sur les dessins animés t’a fait rire toi. Mais dans mon cœur, il n’y a pas de problème, il y a de la place pour tout le monde. Les jeunes font leur truc, ils arrivent à sortir de leur situation sociale, et ça, ça me fait plaisir. Après je suis un peu dans le rôle du dernier gardien du temple, et j’en joue mais ça ne reste que de la musique.

A : Thugz mixtape sort alors que tu prépares depuis un moment l’album annoncé Thugs of anarchy. Est-ce que cette mixtape sort pour faire patienter l’auditeur ou bien voulais tu vraiment préparer le terrain avant l’album ?

L : C’est un peu des deux. Entre le ramadan pendant lequel je ne fais pas de musique du tout, la coupe du monde qui arrive et les vacances d’été ensuite, je me suis dit que si je ne balançais pas quelque chose rapidement, j’allais vite tomber aux oubliettes. Ça va très vite maintenant. J’ai donc voulu sortir un truc rapide, et l’essentiel des morceaux était destiné à Thugs of anarchy. Et aussi, comme j’avais laissé entendre que l’album serait mon dernier projet, je voyais l’échéance arrivait un peu trop vite, alors je me suis offert du répit ! [Rires]

A : Concernant l’album, tu sais vers quoi tu te diriges ? 

L : Ce sera la même direction que la Thugz mixtape. Je vais essayer de faire tout ce que je sais faire, au mieux. Mais je pars du principe que je me fais plaisir d’abord à moi. Je ne suis pas à la quête d’un public, et je ne vais pas me travestir pour être aimé. Je suis content de voir que les gens aiment Thugz mixtape et que ça correspond à ce qu’ils attendaient, un projet de rap français. Je dis ça modestement, ce sont des messages que je reçois. Donc quelque part je ne me suis pas trompé, il y a une frange du public qui m’attend.

A : Pour ce disque tu n’as bénéficié de presque aucune promotion, mais il y a tout de même une interview réalisée par Akli Mellouli, dans laquelle tu dis « les mots sont la clé de beaucoup de choses et la langue française est très riche. » Peux-tu développer cette idée ? 

L : La langue française est riche, comme toutes les langues en vérité, mais c’est clair qu’au niveau littéraire elle a contribué à la renommée de la France dans le monde. C’est quelque chose de reconnu, mais je ne veux pas parler du côté littéraire, je vais donner un exemple très simple. Quand tu vas chez le docteur, tu lui dis « j’ai mal ici » et lui te demande si ça te « pique », si ça te « gratte », si ça te « chauffe ». Il faut que tu sortes le terme précis pour que lui puisse diagnostiquer ce que tu as. Si tu n’emploies pas les bons mots, au bon moment, tu ne te feras pas comprendre aussi bien. C’est aussi important de maîtriser tous les langages. J’ai réussi à débattre avec François Hollande, comme je suis capable de parler avec la pire caillera de n’importe où. Je maîtrise un peu tous ces domaines, et ça part de la langue française, donc je dis aux jeunes que c’est la clé, qu’il faut apprendre. C’est sur qu’au départ, on n’en a pas envie, parce que franchement c’est chiant l’école, moi-même ça me saoulait, mais avec le recul c’est essentiel. Tu vas à un entretien sans savoir parler, c’est cuit. Tu vas draguer une fille sans savoir aligner trois mots, si elle te suit c’est qu’elle a un problème ! [Rires] C’est dans ce sens-là que je disais que les mots sont la clé.

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