Insight
Interview

Insight

Lundi 30 Septembre 2002, en passage en France pendant plusieurs semaines, le rappeur, producteur et MC de Boston Insight, prend le temps de nous retracer son parcours musical, et nous présente en même temps son nouvel album, prévu pour fin-Janvier 2003, intitulé « Maysun Project ». VO

Abcdr : Tu peux te présenter ? 

Insight : Je m’appelle Insight. Je fais de la musique depuis maintenant plus de 15 ans. J’ai commencé à me mettre à la musique dans les années 1985-1986 avant de débuter réellement en 1989-1990.

A : Comment es-tu venu au Hip-Hop ? Tu as commencé par le rap ?

I : J’ai commencé en enregistrant de la musique à la radio et à rapper dessus, là c’était vraiment le tout début ! [rires] Nan, après j’avais des platines de merde et j’essayais de scratcher là-dessus.

A : Dans le morceau ‘Interview’, tu dis « I remember Grandmaster flash when it first came out on cassette, my sister bought it on wax, my mother had a turntable », quelle importance accordes-tu au fait d’avoir grandi au sein d’une famille très intéressée par la musique ? Ça a sûrement influencé ta perception de la musique

I : Oui, quasiment toute ma famille fait de la musique. C’est bizarre parce que tu ne réalises pas ça forcément, et pourtant bien c’est le cas. Tu te rends compte « ah mais oui, je fais de la musique ! ».

A : Tu produis, tu es aussi DJ et MC, être un artiste complet, capable de tout gérer, c’est crucial pour toi ?

I : C’est important dans le sens où le Hip-Hop se compose de plusieurs éléments, et lorsque tu t’occupes à la fois de la musique et de l’écriture des paroles, c’est plus facile parce que tu as bien la musique en tête. En étant à la fois producteur et Mc, tu sais être exigeant à la fois au niveau de la production et au niveau emceeing. En plus, c’est difficile de trouver quelqu’un qui te corresponde vraiment, qui sente les même choses que toi. J’aime quand le beat sonne d’une certaine façon, même chose pour les rimes. J’ai beaucoup de choses à montrer dans le monde entier, et le meilleur moyen pour ça c’est de continuer à faire mon truc.

A : Pour ce qui est des productions, tu sembles apprécier de créer des atmosphères très différentes, parfois assez posés, parfois très sombres, et refuser de te cantonner dans un style précis.

I : Oui, à vrai dire, je n’aime pas cette idée que le public sache à l’avance ce que je vais faire. J’aime surprendre. Quand le premier single, ‘True to the game’, est sorti, les gens ont commencé à penser que j’allais continuer à sortir des beats, posés, jazzy. Et c’est là que j’ai eu envie de sortir un morceau très différent, bien plus brut, afin de faire bien comprendre aux gens que je ne suis pas un de ces gars qui va se contenter de choses simples et mélodieuses. Je veux que les gens devinent ce que je vais sortir, et que le public soit excité par ces sorties.

« Boston est comme beaucoup d’autres villes, mais il existe à Boston des structures, des distributeurs qui permettent de mieux faire connaître la scène indépendante. »

A : On a vu de nombreux artistes émerger de la scène de Boston ces dernières années, des gens comme Edan, Akrobatik, Reks, Mr Lif. Comment expliques-tu que Boston soit devenu si productif en terme de rap ?

I : Boston est comme beaucoup d’autres villes, mais il existe à Boston des structures, des distributeurs qui permettent de mieux faire connaître la scène indépendante. C’est à la fois positif et négatif. Négatif, parce que les labels et les distributeurs pensent qu’on peut créer des MCs comme ça, et les placer comme on le ferait pour une entreprise. Il est aussi plus facile pour eux de prendre les MCs qui sont ici, que d’aller à la recherche d’autres artistes. C’est positif par contre pour les MCs qui peuvent par ce biais sortir leurs disques, et se faire connaître. Boston avait aussi par le passé, beaucoup de MCs qui n’ont pas pu bénéficier de ce soutien, car à l’époque ces ressources n’existaient pas.

A : Tu as fait pas mal de choses avec Mr Lif, est-ce que tu envisages de faire un album entier avec lui ?

I : Aujourd’hui Mr Lif est chez Def Jux, et ils ont une approche musicale et une vision des choses très différente de la mienne. Lif fait des trucs avec El-P. Il n’est pas assez autour de moi pour qu’on forme une vraie équipe. Je suis aussi occupé de mon coté, après bien sûr j’aimerais monter un projet comme celui-ci, mais j’ai appris qu’il est préférable de travailler avec les gens qui sont proches de toi, et de travailler vraiment comme une équipe. Je n’aime pas trop placer deux-trois morceaux ici et là, quand tu travailles de cette façon, les gens ne peuvent pas voir ton travail dans sa globalité. Comme sur l’album de Mr Lif, I Phantom, beaucoup de gens n’ont pas compris où je voulais en venir avec ces productions. Certaines prods ont été conçues avec une réelle volonté de coller à l’esprit des morceaux. Un titre comme ‘Status’, notamment, a été mal compris. La production sonnait « cheap » car dans ce titre on disait qu’on était fauché.

A : Tu peux nous présenter ton album à venir, Maysun Project ?

I : J’aime catégoriser mes projets par thème. Mon premier album, Updated Software était une espèce de collage de tout ce que j’avais pu faire, sans dégager un thème précis. Au contraire, Maysun Project s’applique à exposer dans le détail mes convictions politiques. En fait, je n’aime pas mélanger les thèmes au sein d’un même album. Quand dans le futur, tu auras écouté plein de mes albums, tu connaîtras mon opinion sur plein de choses, la politique, la technologie. Les Emcees ne font pas trop ça, ils font plutôt des albums avec une certaine variété dans les thèmes. De ce point de vue là, je conçois peut-être mes albums comme certains font des morceaux.

« J’aimerais sortir un album de spoken word.  »

A : En se penchant plus sur ton LP Updated Software, et en visitant ton site web très complet, on se dit que tu es vraiment un fan de technologies et d’Internet

I : Ah oui, sur le CD d’Updated Software j’avais fait ce petit programme avec les beats. En fait, il y a eu Updated Software 2.5 et Updated Software 3.0, ce dernier c’était vraiment le vrai. Il y avait cette idée d’uploader des morceaux sur une nouvelle version. Sinon, oui, je suis bien intéressé par la technologie, j’ai été électricien pendant quatre ans, j’avais fait les études pour. Je vais aussi concevoir mon propre sampler. J’aurais déjà du l’avoir terminé, mais j’ai fait plus de musique, et le temps m’a manqué pour terminer tout ça.

A : Certains voient en Internet un moyen efficace d’assurer la distribution et la promotion de leurs disques, qu’en penses-tu ?

I : Je connais beaucoup de gens qui n’aiment pas Internet, les majors ont aussi des problèmes avec les sites qui proposent des échanges de fichiers musicaux. Ca les touche parce que quelque part ils se disent que ce système a une répercussion sur les ventes. Mais, en réalité, les gens qui ont téléchargé un album, ils ne l’auraient pas acheté. Pour les artistes, c’est plutôt positif, ça leur permet de se faire connaître et d’entrer en contact avec leur public. Internet, pour moi, c’est un gros plus, ça me permet d’être en relation avec pas mal de gens, je gère aussi mes voyages par ce biais, et je fais même des ventes. Au niveau ventes ça me permet d’éviter que des rapaces viennent se servir dans mes poches. Là, je suis directement en contact avec les gens qui achètent mes disques, et ça c’est très intéressant. En ce sens, Internet est un outil formidable qui devrait être même plus utilisé. Mais dans le même temps, il faut de l’argent pour réaliser un bon site web, et certains préfèrent utiliser cet argent d’une autre manière, dans des séances studios par exemple.

A : Quels projets as-tu pour les années à venir ?

I : J’ai terminé d’enregistrer le Maysun Project qui devrait sortir début 2003. J’ai aussi un autre album solo à venir. Je vais aussi participer au projet Saturday Night Agenda. Le single où je suis avec KRS-One est sorti. Pete Rock, Big Daddy Kane et beaucoup d’autres artistes seront sur cet opus. Il y aura un premier et un second volume. Je viens aussi de terminer l’album avec mon groupe, Electric Company, composé de cinq membres. Dans le même temps, j’ai quelques projets parallèles. J’aimerais par exemple sortir un album de spoken word.

A : Qu’est-ce que tu connais de la scène rap française ? 

I : En fait, c’est la quatrième fois que je viens en France, et je connais un peu la scène française. La dernière fois, j’ai vu DJ Manifest. Je connais aussi Kohndo, j’aime beaucoup ce qu’il fait. Il mériterait bien plus de reconnaissance que ce qu’il a aujourd’hui. J’ai tout de suite remarqué chez lui sa capacité à bien articuler, et la confiance qu’il peut avoir dans sa voix, son style aussi. A partir de là, quand je l’ai rencontré, même si je ne parle pas bien français, j’ai pu ressentir sa vibe. Et, en plus c’est vraiment quelqu’un de tranquille et d’ouvert… Sinon, plus généralement, j’ai l’impression que vous avez vous aussi vos faux MCs, ceux qui se la racontent. Vous avez aussi des gens qui ont réussi, ont de l’argent, et se croient plus grands que le Hip-Hop.

A : Quelles sont tes références musicales ?

I : Quand j’ai commencé à faire de la musique, il y avait cet italien du Massachusetts, Rocco Compano, il était à la fois DJ et MC. Il m’a beaucoup inspiré dans le sens où il m’a fait croire en moi. Avant cela, je ne pensais pas pouvoir être bon dans ces différents domaines. A partir du moment où j’ai oublié cette notion, j’ai commencé à m’améliorer. En termes de style, un album comme « Funky Technician » (ndlr : de Lord Finesse & DJ Mike Smooth) m’avait marqué. Les beats étaient terribles, les scratches pareil, et il y avait un style propre et une vraie sincérité. Avant cela, le Marley Marl et le Juice Crew, ça c’était vraiment incroyable ! J’aime vraiment bien la période 1987 à 1994, ce sont des années musicalement riches, qui m’ont beaucoup influencées. Aujourd’hui, c’est différent, les sorties ne m’excitent plus comme par le passé. A cette époque, chaque artiste avait vraiment son propre son, un style. C’était le cas pour Pete Rock, Public Enemy utilisait des guitares, et avait ce fond politique, A Tribe Called Quest était très mélodieux et porteur d’un certain humour, Brand Nubian avait aussi son style, c’est ce qui manque aujourd’hui

A : Tu as commencé à l’évoquer, mais quel est ton opinion quand à l’évolution du Hip-Hop ?

I : C’est de pire en pire, à vrai dire je me dis que ça ne peut que s’améliorer.

A : C’est vrai que beaucoup de disques sortent tous les jours, et pas mal sont moyens, mais on peut quand même encore trouver de très bonnes choses

I : Je pense que beaucoup d’artistes ont la capacité de faire du bon Hip-Hop, mais ils essaient trop de suivre le style du moment et de l’imiter. En se conformant aux clichés du moment, ils gâchent le Hip-Hop, et visent plutôt un public qui ne se soucie même pas des fondations du Hip-Hop. Pour moi, ça craint à cause de ça. Le public aussi se doit d’être plus critique, et doit se forger sa propre opinion.

Personnellement, je me sens réellement investi d’une mission au sein du Hip-Hop. Si quelqu’un me retirait la possibilité de faire du Hip-Hop, 95% de ma journée serait perdu. Ceux qui pourrissent le Hip-Hop, pourrissent ma passion, et forcément quand je vois des merdes sortir, des wack MCs, je le prends comme une attaque personnelle.

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