Le son Imhotep
Rétrospective

Le son Imhotep

La sortie de Kheper, deuxième album solo de l’architecte Imhotep, nous a offert une occasion attendue de longue date : rencontrer la figure la plus mystique d’IAM. Portrait au travers d’une sélection de dix morceaux mêlant époques, influences et contextes.

Photographie : Jérôme Bourgeois

Il est 17h30, la pluie tombe depuis une bonne heure dans le quartier du Chemin Vert. Tranquillement abrité dans un café, nous retrouvons Imhotep, de passage à Paris pour quelques jours. Une petite pression, deux-trois pronostics sur les premières rencontres de l’Euro et quelques anecdotes sur le quartier lancent définitivement la machine. Le dictaphone est enclenché. Et on débute la revue de notre sélection de dix morceaux, tous produits par l’architecte Imhotep.

IAM « Tam-Tam de l’Afrique » (1991)

I : J’ai produit ce morceau, principalement avec Shurik’N. Les percussions sont jouées par Solo [NDLR : Souleymane Doumbia], le percussionniste de Salif Keita… et aussi un vieux copain. Je l’avais croisé à Paris quand on avait enregistré l’album …De la planète Mars. Il est venu tout naturellement jouer sur ce morceau. C’est un super percussionniste. Ce morceau, c’était le premier extrait de notre premier album. Je me souviens que Shurik’N était arrivé avec l’idée de prendre cette boucle du morceau de Stevie Wonder : « Pastime paradise ». On avait trouvé un petit changement mélodique de Miriam Takeda qui s’enchaînait bien. Et voilà, on avait construit le morceau à partir de ça.

IAM « Pharaon reviens » (1993)

A : Les crédits ne sont pas nominatifs sur cet album, mais on reconnait ton style de production…

I : C’était encore l’époque où on signait toutes les productions « Musique : IAM ». On était inscrit à la SACEM en tant que compositeurs et groupes. Toutes nos musiques étaient signées comme telles. On a changé ça à partir de L’école du micro d’argent. J’ai coproduit ce morceau avec Akhenaton. Cette volonté de sampler tout de suite des musiques orientales a servi de liant au sein du groupe. Ça a été notre marque de fabrique et notre leitmotiv d’inspiration musicale. L’insertion des paroles au début du morceau c’est quelque chose qui a été bien impulsé par Kheops. Il cherchait des vieux disques aux marchés aux puces pour rajouter des phrases dans nos morceaux.

À l’époque, j’étais le seul à pouvoir manipuler les machines, notamment le sampler. Akhenaton m’amenait du coup des boucles qu’il fallait sampler et caler.  Je proposais derrière des lignes de basse, des rythmes, des arrangements. En général, Akhenaton arrivait avec une idée assez claire. Ils ont chacun – Akhenaton, Shurik’N, Kheops – appris par la suite à manipuler eux-mêmes les machines. Du coup, ils arrivaient avec des bases de morceaux déjà construits. C’est moi qui leur ai fait faire leurs premiers pas à l’époque où les notices étaient encore en japonais. Assez rapidement, ils ont été autonomes. Une MPC 3000 c’est assez simple d’utilisation. Après, j’avais mes petites ficelles, mes petits secrets de fabrication. Je ne leur ai pas tout dit, j’en ai gardé un peu pour moi quand même [rires].

A : Du coup, à l’époque du premier album de Shurik’N, Où je vis, tu as réalisé ses idées en termes de productions ?

I : J’ai fait la réalisation de l’album, oui. J’ai changé certains sons qui manquaient de dynamisme, calé quelques rythmiques. J’ai donné un petit coup de pouce au niveau programmation et mixage. Mais toute la conception artistique est de Shurik’N.

IAM « La Saga » (1997)

A : Tu es le producteur unique de ce morceau ?

I : Tout à fait. On a fait ce morceau à New York. On était en enregistrement là-bas pour faire L’école du micro d’argent. En fait j’avais trouvé le vinyle avec le sample sur un marché de Manhattan. Un petit bouquiniste qui vendait des disques d’occasion. L’après-midi je trouvais le disque, le soir je le samplais et dans la nuit j’avais fait le morceau. Le lendemain, ils ont entendu ça au studio et ils étaient en folie. Il y avait Timbo et Dreddy [NDLR : Royal Fam] avec nous. Le soir-même le morceau était enregistré. Parfois, tu passes quinze jours à peaufiner, composer, écrire. Mais là, en quarante-huit heures c’était bouclé.

A : Tu avais fait le morceau en pensant aux invités ?

I : Pas du tout. On s’était fait une petite annexe dans le studio pour pouvoir composer. Tout avait été fait à la volée. C’était très spontané. Il aurait pu passer n’importe qui dans le studio, s’il avait eu le niveau, on l’aurait pris. Je me souviens d’autant plus de ces moments que ce morceau, c’était le premier clip extrait de L’école.

IAM - « Elle donne son corps avant son nom » (1997)

I : Ce morceau c’est un sample de Syl Johnson. Quelques années après, à partir du même titre, RZA avait samplé un autre bout pour faire un morceau pour Ghostface. À cette époque-là, on se permettait de sampler tout et n’importe quoi. On n’avait pas encore conscience du danger. On faisait un morceau et on se disait qu’on allait demander les autorisations plus tard. On était un peu naïfs. Après quelques procès et gros chèques, on s’est calmés. À titre personnel, ça a mis un vrai coup de frein à ma création. C’est l’une des raisons qui ont fait que j’ai été moins présent sur Revoir un printemps. Il fallait maquiller certains samples, les rejouer.

Je suis un fanatique du sample. Franchement, je suis prêt à payer pour un sample, quitte à abandonner une partie de mes droits. Pourquoi ? Parce que c’est le son que je veux. On a essayé de rejouer des trucs avec des musiciens, des orchestres… mais c’est autre chose, c’est un autre métier. Bon, je sample encore des trucs en cachette.

A : Quelle est la solution à tes yeux ? Hacher d’avantage tes samples ?

I : Oui, par exemple. Tout est bon pour ne pas se faire choper. Tu prends des fractions de phases instrumentales que tu vas modifier. Maintenant, tu as même mieux. Un outil fatal qui te permet de dissocier les instruments d’un même sample. C’est juste monstrueux. Tu peux extraire la batterie et juste la batterie. Le logiciel va t’extraire ça. Même chose pour une partie de guitare, si elle est jouée en majeur, tu peux la ressortir en mineur. C’est l’outil des pirateurs de sample. Je suis bien décidé à m’y mettre. Et je ne me ferai plus attraper ! [rires]

A : Le prochain album d’IAM avec justement ce thème fort d’Ennio Morricone s’inscrit comme un contre-pied à cette volonté de dissimuler les samples ?

I : On a cru pleinement à ce concept à partir du moment où on a eu la réponse d’Ennio Morricone. Il nous a dit qu’il aimait l’idée et le projet. Il nous a validés l’approche. À partir de là, on a commencé à faire partir des demandes plus précises d’autorisations sur des thèmes, des samples. On s’est aperçu à ce moment-là que les différents éditeurs des musiques de films étaient très gourmands. Et qu’on n’aurait pas les moyens de réaliser l’album entier à partir de musiques de Morricone. C’est tout simplement trop cher. Du coup, on va essayer d’en garder deux ou trois. Quitte à garder un concept un peu cinématographique, avec des thématiques propres à Morricone. C’est un peu compliqué à gérer.

A : Quelle implication as-tu sur ce projet ? Comment est-ce que vous vous êtes organisés à ce stade ? 

I : Pour l’instant, chacun amène ses productions. La deuxième étape ça va être de reprendre le tout, d’apporter des arrangements. Je vais m’occuper de tout ça. Il y aura aussi une partie de travail collectif, même si les idées vont venir de différentes personnes. Un peu comme ce qu’on avait fait pour L’école du micro d’argent. On s’est donnés jusqu’à septembre pour proposer des instrus, maquetter. Après, on va vraiment se mettre à l’écriture et faire l’album. Si tout va bien, on aura mixé en janvier et l’album sortira en avril.

IAM « Tiens » (2003)

I : Ce morceau, honnêtement, je ne pensais pas qu’ils allaient le sélectionner. Je le trouvais un peu trop spé’ avec son piano super rapide. Et puis bizarrement, c’est un des rares qui a franchi le cap de toutes les maquettes pour finir sur l’album. C’est un titre que j’écoute toujours aujourd’hui et que j’assume totalement. La thématique qu’ils ont choisi pour ce morceau – avec un côté très rentre-dedans – colle très bien avec la production. C’est un morceau plus dépouillé que le reste de l’album. Revoir un printemps, c’est un album que je trouve dense. Il est complexe et difficile d’accès, chargé au niveau des textes comme au niveau des sons.

Freeman & K-Rhyme le Roi « Force Invisible » (1999)

A : Quand tu proposes des productions à quelqu’un comme Freeman qui a une voix atypique, tu orientes un peu le type de sons que tu vas lui donner ?

I : Je ne fais plus ça maintenant sauf très rares exceptions. Par exemple sur le dernier album de Shurik’N, j’ai fait deux morceaux. Il y a une production, j’étais certain qu’il allait la kiffer –  « Tant que le clic » – par contre, l’autre, « Le Sud », ça m’a surpris qu’il la prenne. C’est un morceau complètement à part. Il n’est pas dans la teneur globale de l’album. Je suis parti sur un vieux sample pour faire ce titre. Il est sorti comme ça, funky à l’ancienne.

Maintenant, je fais tout écouter. Tu peux avoir des surprises, bonnes ou mauvaises. Il y a un côté assez immédiat et imprévisible quand tu fais écouter des morceaux. Je préfère ne rien prévoir. Je fais mes trucs du mieux que je peux. Déjà, pour les kiffer moi. Et ensuite je les propose.

Imhotep « Balaphone’s Fiend » (1998)

A : Comment avais-tu travaillé sur cet album solo ?

I : Dans mes albums solos il y a parfois des débuts de morceaux que j’avais travaillés et proposés dans d’autres projets. Pour IAM ou pour Chroniques de Mars par exemple. Et finalement, ces morceaux ne sont pas retenus pour un certain nombre de raisons. Mais comme j’aime bien le sample, je les reprends et les retravaille pour mes projets solos.

Ce premier album solo c’était un peu mon jardin secret. Je pars toujours d’un ou deux samples principaux qui me guident ensuite dans la construction. Et quand je commence, je ne sais jamais où je vais vraiment aller. Ça m’est aussi arrivé d’avoir un super sample mais ça ne colle pas. Des mois ou des années après, je le manipule différemment. L’inspiration, il ne faut pas la forcer. Il faut laisser venir le truc, que ça reste naturel.

Tout en étant légitime dans le Hip-Hop, au travers de mon statut de vétéran du beatmaking, je suis toujours considéré comme une espèce d’extra-terrestre avec ces projets solos. Projets qui sont un peu en marge du Hip-Hop. Et ce même si après il y a eu des étiquettes Trip-Hop, Lounge ou autre chose. Comme il n’y avait pas de nom qui correspondait à ma musique, j’en avais trouvé un: l’ethnotronica. Il y avait bien l’electronica. Et comme j’avais samplé des musiques ethniques, ça me semblait bien coller.

A : Quelle est l’origine du titre : Blue Print ?

I : Ce titre est une référence purement architecturale. Le Blue Print c’est le premier plan de l’architecte. Et comme cet album était le premier de ma carrière solo, il faisait office de prototype. J’aime bien cette expression de l’architecte sonore.

Imhotep « Pow-Wow in BeringBow » (2012)

I : Ce morceau, au départ, c’est un sample de berimbau [NDLR : instrument à corde, très utilisé au Brésil], pris dans un morceau de capoeira. Il y a aussi un chant diphonique de Mongolie. Dans un break on a les chants de pow-wow d’Amérique du nord. Les samples sont un peu transformés, quant aux rythmes ce sont des vieux classiques de breakdance. C’est la combinaison de tous ces éléments qui donne cette ambiance un peu particulière, entre Hip-Hop et capoeira.

A : Qu’est-ce que tu attends de Kheper ?

I : J’aimerais bien le défendre sur scène, qu’il donne lieu à des rencontres et des expériences scéniques. Avec des musiciens, des chorégraphes, des rappeurs. L’album en tant que tel est livré. J’espère qu’il retrouvera le public qui m’a suivi depuis Blue Print. J’aimerais aussi faire découvrir cet album à l’international. Sincèrement, c’était une des lacunes de Blue Print, il est resté en France. Alors que la musicale instrumentale, qui ne connait pas les barrières de la langue, a cette capacité à dépasser les frontières. Mon premier album était très imprégné de l’atmosphère d’Essaouira. Il était très centré sur la musique méditerranéenne. Ça change pas mal avec Kheper qui part un peu tous azimuts.

Akhenaton, Freeman, Le Rat « Mégotrip » (1998)

I : Ce morceau, c’est un vieux sample que j’avais travaillé à la dernière minute. Je l’avais récupéré à New York au moment où on terminait le mixage de L’école du micro d’argent. On avait fait le morceau « Le retour du S*!# Squad » et il fallait un inédit pour la face B. Du coup, j’avais ressorti ce sample et les gars m’avaient demandé de le rebosser.

Quand tu fais trente-cinq instrus et qu’IAM n’en garde que cinq, c’est sûr que ça pourrait paraître frustrant. Mais les trente qu’ils n’ont pas choisis, je les garde et j’en retravaille certains. Et subitement, tu as un autre projet, d’autres rappeurs, ou mes albums solos… ce n’est jamais perdu. Sur Chroniques de Mars II, tu as quelques instrus qui étaient au départ pour IAM. Et qui finalement ne sont pas restés dans la course. Le morceau de Keny Arkana et L’Algérino, « Face aux passions », c’était le cas.

Faf LaRage « A cet instant précis » (1999)

I : Au départ, je ne devais pas produire de morceaux pour cet album. Mais un jour où Faf était en train d’écrire, il a écouté un de mes sons et il a voulu le prendre. Le sample d’origine vient d’Erik Satie.

A : Si tu devais retenir un morceau dans l’ensemble de ta discographie, ce serait lequel ?

I : Je pense que ce serait « L’école du micro d’argent », la version sauvage. Avec le chant d’Amérique du nord et la méditation tibétaine. Il est basé sur des samples un peu ethniques et j’aime bien le côté hypnotique et lancinant. Avec les mêmes échantillons j’aurais pu faire un morceau complètement différent, plutôt pour Blue Print. Je trouve en plus qu’il y a une bonne cohérence globale sur ce morceau. Entre l’instru, le choix du thème et l’écriture autour ; ils ont amené le morceau à un autre niveau.

A : Tu as des références dans le registre du Hip-Hop instrumental ?

I : Pas vraiment, non. Même si, dans un autre registre, le premier album de Massive Attack m’avait bien calmé. J’aime aussi beaucoup le son des Chemical Brothers. Ils bossent beaucoup avec des vieilles bécanes, MPC 3000 et SP 1200. Ils sont super créatifs et en plus sur scène c’est juste monstrueux. Je préfère écouter complètement autre chose généralement. De la world ou de la musique ethnique, ça m’inspire davantage.

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