Heskis, palper l’infini
Conversation

Heskis, palper l’infini

Après plusieurs années passées à kicker dans les Open Mic, les premières réalisations avec son groupe 5 Majeur, le jeune doué Heskis se présente aujourd’hui seul avec ses démons sur son tout premier EP « GG Allin ».
Conversation.

A : On a le droit d’être fragile en 2017 ? 

H : Je suis pour cette fragilité dans la musique. Drake et toutes ces conneries, ça a pris possession de mon âme. Même les trucs comme Spooky Black. Il a un projet où il s’appelle Corbin avec Bobby Raps. C’est le genre de musique dont je raffole. Je trouve ça fantastique. Et sinon j’aime aussi tous ces trucs à l’ancienne : les D’Angelo, Erykah Badu. « Brown Sugar» et « Voodoo », c’est presque biblique. Il y a aussi cette nana dont j’adore la musique : Minnie Riperton. Les rares fois où j’en parle, les gens me regardent en mode « sérieusement ? ». C’est vrai que ça peut sembler bien éloigné de ma musique. Et en même temps, je peux m’exploser sur du gros punk.

A : « GG Allin » c’est d’ailleurs pour cette figure ténébreuse du punk aux postures transgressives. Il était connu pour s’automutiler, chanter nu, déféquer sur scène…

H : Il y a cette vidéo d’une heure où tu le suis sur sa dernière journée avant qu’il ne crève d’une overdose, il était sacrément turn up GG ! En réalité, ce nom c’est plus un big up à mon pote Ramsès. C’est le mec qui m’a mis dans la musique. Il a montré au gamin que j’étais, les premiers magazines de skate avec tout dedans. Il m’envoyait plein de skeuds par la poste aussi. J’étais dans mon bled de campagne vers Chartres et lui à Marseille. Ce qui m’a frappé dans ce qu’il m’a montré de GG c’était ce côté « être soi-même jusqu’au bout ». Mon pote Rams il incarne ça aussi, il est sans concession. Après je n’ai ni l’envie ou la prétention de me revendiquer punk. Mais ça va un peu à l’inverse de ce qui se passe dans la culture aujourd’hui où tout est très lissé. C’est un doigt d’honneur à cette volonté d’être dans le vent. Après, je suis un rappeur donc c’est tout ce que j’espère. Mais je ne plierai pas pour ça en revanche.

A : « Bonjour c’est un doigt d’honneur de vous rencontrer » comme dit JeanJass. [Sur le titre « Rvre », NDLR]

H : Yes ! Elle est géniale cette phase. Avec JeanJass et Caba, 5 Majeur, Fixpen Sill, Lomepal, on fait partie de la même famille de rappeurs. On a une démarche qui assez similaire et des influences communes. On aussi est très portés sur l’egotrip. Je pense que ça fait partie du délire New York, ce truc très Dipset, très « regarde je brille et je t’emmerde ».

A : Toi, tu es le « Jeune, doué et fier » ! 

H : Ouais, ça c’était sur le morceau « JDF » qu’on a fait avec JeanJass bien avant l’EP. Au début, je ne voulais même pas le sortir ce son. Je trouvais ça trop boom-bap, trop classique et dans la lignée de ce qu’on avait fait avec 5 Majeur. J’aimais bien le texte mais j’avais la sensation de me mettre un peu trop à poil aussi parce que j’y parle pas mal de mon père. Je ne savais pas trop quoi en penser en fait. C’est très difficile d’avoir un regard objectif sur soi-même. Je passe mon temps à me scruter à la loupe et j’ai tendance à me concentrer sur ce qui ne va pas, sur les morceaux que je n’ose pas sortir. Heureusement que j’ai des potes pour me décoincer un peu et me dire de laisser glisser.

« Avec le recul je me rends compte qu’avoir passé un an sur un six titres, ce n’est pas possible.  »

A : Ça semble douloureux de réussir à sortir un projet dans ces conditions.

H : C’est assez chronophage on va dire. Mais ça m’a permis de réaliser une chose : je peux rendre tout ça plus efficient. Avec le recul je me rends compte qu’avoir passé un an sur un six titres, ce n’est pas possible. Après c’était mon premier EP, il fallait que je me trouve. J’essaie peut-être de me rassurer mais je pense qu’à l’avenir ça va rouler. Je travaille déjà sur un nouveau projet. Si tout se passe bien ça sortira avant la fin 2017.

A : C’est comme si tu étais encore dans ce long couloir à la fin de la vidéo de ton titre « Akira ».

H : Dans une zone de transit. Ouais, il y a pas mal de ça effectivement. Beaucoup de fumée et d’ombre. On ne sait pas trop. J’ai été assez surpris de constater que les plus jeunes, ceux nés après 95-96, ne connaissent pas « Akira » alors que c’est vraiment un film hyper avant-gardiste. On voit encore l’influence de cet univers « Neo Tokyo » dans la mode, le design et la musique aujourd’hui. Et pour moi c’était un symbole assez fort aussi avec ces jeunes mecs complètement désœuvrés et blasés dans un monde qui n’a pas grand chose à leur proposer. Ça peut ressembler à ce que l’on vit maintenant.

A : Cette sensation d’être « Perdu dans l’espace périphérique. Noyé dans une atmosphère grave hystérique ».

H : C’est surtout cette image dans « Akira » pour parler de moi au milieu de tout ce bordel. La circulation, le mouvement et ce poids. On peut vraiment se sentir isolé dans toute cette effervescence, être comme étranger face à cette hystérie ambiante. Il y a aussi cette idée intéressante que j’ai développé un peu malgré moi sur l’EP et que tu retrouves notamment sur « Akira » : la thématique de puissance.

A : Tu as notamment cette phrase dans « Cluedo » où tu parles d’avoir la « puissance d’une arme à feux sous l’index »

H : C’est un peu moins bateau que de dire « le savoir est une arme » mais ça revient peut-être au même. La puissance elle est dans ta tête, pas dans tes bras. J’aime bien ce truc des différents niveaux de lecture. Je peux comprendre que les gens ne voient que le côté egotrip dans mes chansons mais je parle beaucoup de mes angoisses en vrai. C’est pour ça que c’est toujours entrecoupé par des phrases egotrip ou des phrases qui vont aller sur cette thématique de puissance.

A : Brouiller les pistes.

H : Je ne voulais surtout pas arriver avec une sorte de palette, « hey regardez moi ! je sais faire ça et je suis un rappeur technique». Je trouvais ça chiant comme la mort. En plus, au départ je viens vraiment de l’univers du freestyle. J’ai vécu à Rennes puis à Nantes, j’ai écumé les Open Mic pendant des années. Avec 5 Majeur, pareil. On a aussi ce côté performance et kickage. Ça me tenait à coeur d’arriver avec une vraie proposition. En plus je suis le moins technique de mes potes, moins qu’un Vidji ou qu’un Nekfeu.

A : Vous avez une chose en commun : il y a cette mélancolie qui colle à vos titres.

H : Je trouve aussi. Après, Fixpen au premier abord, ça ne donne pas forcément cette impression parce qu’ils ont ce côté second degré. Mais il y a ce passage dans « Edelweiss » où Vidji résume assez bien cette pensée. Le beat s’arrête, l’instru s’intensifie et Vidji part sur un long truc. Il raconte son rapport au rap, à quel point ça bouffe sa vie et l’inquiétude que ça nourrit chez ses parents. Il parle des yeux de sa mère et dit : « Ma mère me fait les yeux doux bien qu’elle n’ait que les siens pour pleurer mon sort /Constater ma haine, me voir manquer ses vieux jours/Deviendrais-je insensible ?/Ferais-je partie des gens qui se jettent dans le vide pour se sentir vivants ?/Des fois je voudrais qu’on me comprenne en dix langues pour plaider ma cause/Mais on voudrait pas passer pour des démagos alors on s’aide en silence ». Vidji est l’un des meilleurs, c’est l’un des mecs que je trouve le plus fort aujourd’hui.

A : Il y a Nubi aussi.

H : Nubi, rappeur de légende ! Nubi et Salif, deux gars qui m’ont grave baffé. Je suis assez content parce qu’à l’époque on disait : « Nubi c’est le plus gros gâchis du rap français ». J’ai entendu ça pendant dix ans et aujourd’hui, il y a beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération, parmi ceux qui font partie des plus chauds, qui font référence à Nubi. Je trouve ça vraiment fabuleux. C’est ça le but de l’Art : faire un truc qui va rester et influencer les gens. Je t’avoue que mon premier espoir c’est de réussir à rester dans le crâne des gens. C’est très sincère quand je dis ça. Il y a cette idée de vouloir palper l’infini. On la retrouve chez absolument tous les artistes à mon avis.

« Le mot adulte est un mot avec lequel je suis très fâché.  »

A : Dans tes textes, tu parles beaucoup de Dieu.

H : Je ne m’étais jamais fait la réflexion mais c’est vrai que ça parle pas mal de Dieu et du Diable aussi. J’ai écrit une partie de L’EP au moment des attentats. Le morceau « GG Allin » je l’ai enregistré le 12 novembre, la veille du Bataclan. Le jour où ça a tiré, j’étais allé voir des potes et le lendemain je suis retourné en studio. On a écrit « Hautes cimes » et fini « Akira ». Donc il y a peut-être un peu de ça parce que c’était un moment assez spécial. Des mecs qui débarquent avec des flingues pour tuer des gens au nom de Dieu. Tu te poses des questions.

A : Tu crois en Dieu ? 

H : C’est une très bonne question. En fait je ne crois pas en un truc défini mais je pense qu’il y a une espèce de force créatrice. C’est très personnel comme avis, je ne cherche pas à persuader qui que ce soi. J’ai juste la sensation que tout est un peu trop bien fait pour que ça soi du hasard. Je suis quelqu’un de très rationnel et en même temps, j’ai comme un feeling : ça me paraît bizarre. Après je ne cherche pas à mettre de mots dessus, je ne cherche pas à dire aux gens que ça existe. Mais je le ressens un peu c’est tout. Souvent les gens ont choisi leur camp là-dessus. Moi je n’ai jamais trop su.

A : Ça semble dur de grandir aussi.

H : L’EP parle beaucoup de ça. Le mot adulte, c’est un mot avec lequel je suis très fâché. Le monde des adultes, pour le moment je suis encore en guerre avec. Je ne veux pas me laisser faire.

A : On ressent presque parfois ce besoin de retourner dans le ventre de sa mère.

H : Putain, à qui le dis-tu ? Cette phrase si j’avais pu l’écrire mot pour mot, je l’aurais fait. C’est cliché à mort de dire ça mais on vit dans un monde sacrément violent et agressif où tu aurais un paquet de raisons de vouloir te foutre à l’abri. Et puis je trouve ça beau l’innocence et le fait de ne pas savoir.

A : C’est assez brutal chez toi, tu tues l’enfant.

H : « Que le gosse que j’étais repose en paix ». Dans ce truc-là, j’explique que ce n’est même pas moi qui a fait ça. C’est ce monde de merde ! Après, le truc c’est de réussir à comprendre comment ce monde nous influence et quelle place ça nous laisse vraiment pour être nous-même. Ce sont des thématiques sans fin. Je trouve ça hyper intéressant de parler de ces trucs-là parce qu’on cherche tous à évoluer.

A : Alors en attendant, on cherche le moment.

H : On ne va pas se mentir, on ne m’entendra jamais sur des gros sons clinquants raconter que c’est la teuf et que tout va bien parce que je suis quelqu’un de torturé et qu’il y aura toujours un peu de ça dans ma musique. Mais ouais, on cherche le créneau, l’ouverture. On cherche la lumière.

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