Grems à l’air libre
Interview

Grems à l’air libre

Suivre Grems dans sa musique et ses envies revient à s’aventurer dans un labyrinthe. Après vingt années de carrière et un passage à la quarantaine, Mickael Eveno avait pourtant besoin de faire le point : revisiter ses origines, constater son présent, et continuer à regarder vers l’avenir. Rencontre sur la plage à Biarritz.

Photographie : Brice Bossavie

Paris, Bruxelles, Londres, Bali, Biarritz. Telles sont les différentes destinations et lieux de résidences de Mickaël Eveno, a.k.a Grems. Un parcours géographique aussi compliqué et dense que la discographie du rappeur parisien, figure du rap alternatif des années 2000, inventeur du deepkho (mélange de rap et de deep house) et graphiste dans la vie de tous les jours. Pour comprendre un peu mieux le retour de Grems au format album solo, cinq années après son album Vampire il fallait aller rencontrer l’homme dans sa tanière : un petit appartement envahi de cartons de déménagement, à quelques centaines de mètres des plages d’Anglet, où il réside en famille accompagné de son gros chat roux Moody. En référence au DJ house de Detroit Moodymann. Évidemment.

Abcdrduson : Tu as déclaré au moment de la sortie de ton album Vampire en 2013 que ce serait ton dernier. Et pourtant tu es de retour avec un album solo. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? 

G : J’avais en effet dit que j’arrêtais de faire des albums solos mais que je continuais à faire des EP’s et des projets de groupe avec détachement. Malgré ce qu’on peut entendre aujourd’hui, c’est différent du reste un album, tu écoutes un disque, tu fais un voyage, tu n’en gardes pas qu’un ou deux morceaux. Et pour un artiste, c’est beaucoup de travail pour construire ça. À l’époque je n’avais tout simplement plus envie de me mettre dans ce mood. Pour Sans Titre #7, c’est différent, il y a une petite histoire personnelle derrière qui explique mon retour à ce format. Depuis dix ans, je vis un événement compliqué avec ma première fille, une histoire pas jolie, le combat d’une vie pour un père. Mais elle a toujours été le moteur de ma « folie » comme les médias l’appellent – je dirais plutôt ma force – et grâce à elle j’ai une force illimitée que j’ai plus ou moins appris à canaliser avec le temps. Je voulais lui faire honneur et lui montrer qu’elle avait fait de moi un homme, et j’ai donc voulu faire un disque avec comme seul leitmotiv ma fille, mes filles. Mais je ne suis pas vraiment de retour, je suis même jamais vraiment parti, puisque j’ai sorti plusieurs mixtapes et EPs. Sans Titre #7 est en fait un imprévisible projet qui est né il y a deux ans par cet objectif personnel et grâce à mes amis et partenaires dans la musique comme RRobin, Le Jouage, Kurtis Blo…

A : Le disque a d’ailleurs changé de nom, il devait s’intituler Apple à la base.

G : Oui c’était justement en référence à ma fille, puisque c’est son prénom. Sauf que j’ai vécu un très gros retournement de situation au moment de finir l’album : je pars une semaine en studio en novembre 2017 pour finaliser le disque à Lyon chez JFX studio, le titre n’a pas changé, et je repasse en procédure pour la garde de ma fille. Quelques jours plus tard, le disque est prêt, le mastering est fait et… j’appelle le greffe afin de connaître le jugement de cette fameuse audience. Au téléphone la personne m’annonce que j’ai récupéré la garde de ma fille après dix ans de combat. J’ai halluciné. C’était la première fois après dix années compliquées qu’on me donnait raison. Cette nouvelle, ça m’a complètement vidé pendant dix jours dans le bon sens du terme. Le disque était parfait, mais le titre n’était plus approprié avec le concept et l’histoire. La raison pour laquelle je faisais ce disque s’était réalisée avant même qu’il soit sorti ! J’ai alors décidé de ne pas l’appeler Apple pour ne pas donner l’opportunité de semer une quelconque discorde autour d’elle. Et même sur les textes je n’ai jamais souhaité de mal à la personne en face pour faire ça intelligemment. Donc j’ai gardé le titre pour le morceau sur ma fille à la fin du disque, mais j’ai revu le concept. L’idée de l’appeler juste Sans Titre #7 m’est venue des expressionnistes abstraits, Cy Twonbli, De Kooning, Pollock… Dans leurs expositions les oeuvres s’appellent comme ça. Étant un grand fan de peinture abstraite, j’ai trouvé le clin d’oeil évident.

«  Il y a une science du n’importe quoi, une science de la caisse claire tordue, une science du off-beat. »

A : Du coup, qu’est-ce qui rattache ce disque à tes filles ? En l’écoutant tu n’en parles pas tant que ça dans le disque.

G : Le leitmotiv général, la force, la réflexion. Je parle aussi d’elles sur plusieurs morceaux. Tout est lié, le discours que j’y tiens provient forcément de l’oeil d’un père et pas d’un ado. C’est une sorte de témoignage de ma musique et de ma connerie qu’elle gardera à vie. [Sourire] Mais pour plus tard. Il est hors de question que je leur fasse écouter des trucs comme ça pour l’instant. C’est interdit le rap chez moi avec mes enfants. De Maître Gims à Grems, j’interdis totalement. [Sourire] Tu regardes Katy Perry qui fait youpi si tu veux mais pas de rap.

A : Tu n’a pas envie qu’elles écoutent la musique que tu fais ?

G : Non. Elles peuvent me voir un jour sur scène mais sinon il faut attendre qu’elles grandissent. De toute façon elles vont forcément le voir, il y a des traces. Mais le but de Sans Titre #7 c’est de laisser une trace : c’est un peu un remix de ce que j’ai pu faire dans ma carrière. J’ai pris un shaker et je me suis dit « et si je faisais un vrai truc pour de vrai avec tout ce que je sais faire? »

A : Tu as d’ailleurs marqué sur Instagram qu’on pourrait presque considérer Sans Titre #7 comme ton premier album. Pourquoi ?

G : C’est en tout cas un début de cycle pour moi. Dans ma manière de travailler j’ai fonctionné différemment : au lieu de me concentrer pendant six mois, je me suis donné plus de temps, en faisant plus de morceaux un peu à l’improviste, jusqu’à en avoir 80 et prendre le temps de tout écouter. Et c’était voulu : je me disais que si je faisais un album de 25 morceaux et que j’arrivais à en jeter 70 j’allais être fier de moi à l’âge où j’en suis. Et comme le disque m’a pris deux années j’ai pu aussi écouter des morceaux qui allaient vieillir, ou pas. Et ça je ne l’avais jamais fait dans ma vie. J’ai pu avoir vachement de recul sur les paroles, la musique… Je ne dis pas qu’il n’y a pas de part d’impro dans le disque, il y en a toujours, mais elle est ridicule par rapport au reste de ma discographie.

 

A : C’est un album dans lequel tu résumes tout ce que tu as pu faire durant toute ta carrière en quelque sorte.

G : Ce disque est a la fois un point final et une nouvelle vision dans ma manière de fonctionner. J’ai juste regardé tout ce que j’ai fait, j’ai essayé de le comprendre, je crois l’avoir compris, et je me suis dis : « putain j’ai pas fait de carrière. » Ou alors ça s’appelle une carrière d’entrainement. À force de réécouter certain de mes anciens projets j’avais un petit goût d’inachevé sur certaines choses et je ne voulais pas avoir de regrets. Du coup j’ai eu envie de faire un condensé de tout ce que j’ai appris dans le rap, avec relâchement et recul contrairement à avant où j’apprenais tout le temps parce que j’avais l’impression de manquer de technique et d’apprentissage. J’ai donc décidé d’aller dans les exercices que je maitrise le plus, tout en faisant des morceaux inspirés par des recherches accidentelles que j’ai pu faire dans ma carrière et sur lesquelles on ne pouvait pas mettre le nom d’un style. Il y a quatre à cinq morceaux sur ce disque où c’est vraiment, vraiment hyper chelou. [Rires] À chaque fois que je faisais des morceaux, je faisais tellement de trucs différents que je demandais conseil à mes potes pendant la composition de cet album. Ils m’ont dit : « Mais c’est ça Grems, faire des trucs chelous. Assume ton personnage pour de vrai ! » Du coup j’ai essayé de chasser tout ce que je n’aimais pas dans ma musique, garder tout ce que j’aimais bien, et assumer ce que je n’assumais pas forcément sur les autres projets.

A : Qu’est-ce que tu n’assumais pas ?

G : Le personnage Grems à fond. Le fait de par exemple de chantonner sans artifice d’effet sur la voix, juste en mettant une saturation, ou de faire un morceau hyper saturé comme “Suicidal”. Ou alors des folies, comme l’interlude « Tu Say » où je fais n’importe quoi dans la musique comme en vidéo en cassant des mac en slow motion. Ce sont des parti pris qui n’étaient pas assumés avant. Si j’avais fait un morceau comme “Suicidal” avant, j’aurais mis la voix super forte, et on l’aurait fait « pour de faux » sous couvert d’humour. Après les gens peuvent écouter le disque et se dire « mais c’est n’importe quoi ». Sauf que c’est du n’importe quoi dosé, bien mis en forme. Tu peux faire du jazz avec du n’importe quoi. Il y a une science du n’importe quoi, une science de la caisse claire tordue, une science du off-beat. C’est comme la peinture abstraite, pour beaucoup c’est n’importe quoi, mais c’est tout sauf du n’importe quoi.

A : Qu’est-ce qui t’intéresse dans le n’importe quoi ?

G : Le relâché. On est parfois trop sérieux avec la musique. Allons-y, brisons les règles d’un coup quand on les connais, cassons tout ! [Rires] J’adore faire ça, je trouve ça plus génial que d’avoir le même cheminement, le même fonctionnement, et le même succès classique que tout le monde. En fait ce qui m’intéresse dans la musique c’est le processus. Le résultat je ne m’attarde pas vraiment dessus parce que j’enchaine continuellement sur autre chose. Après le processus et le résultat, tu as le succès. Mais moi le succès, je m’en bats les couilles ! C’est vraiment quelque chose qui ne m’intéresse pas. J’ai un rapport très bizarre avec les fans, si tu me fais un compliment je ne sais pas trop où me foutre, du coup je remercie vachement et je ne sais pas cultiver l’inaccessibilité comme les gens connus d’aujourd’hui. J’arrive devant une salle de concert, j’ai envie de dire « Allez-y rentrez tous gratuit! » [Sourire]

A : En parlant de briser les règles, Sans Titre #7 nécessite plusieurs écoutes pour être bien compris.

G : C’est du jazz quoi. [Rires] La musique est pas évidente et mon écriture non plus parce qu’elle part d’un défaut que j’ai entretenu et mis à son avantage. Il y a des défauts de syntaxe par exemple pour privilégier la forme au fond, c’est un peu mon côté esthétique. J’aime bien les trucs tirés par les cheveux où tu te poses plein de questions, mais où en même temps tout a été hyper réfléchi par l’artiste. Par exemple Georges Perec qui écrit un livre sans « e » ça me rend fou. Du coup je peux te mettre deux mots qui n’ont pas l’habitude d’être ensemble dans une phrase et qui pourraient choquer, mais comme c’est musical ça te choque moins. C’est un parti pris quoi, il va falloir s’habituer au disque. Il n’y a pas de changement mais il y a des choses plus abouties, réfléchies, mais aussi plus déglinguées. Et moins de haine en général surtout. Je suppose que c’est l’âge. J’ai plus de recul…

A : Il y en a toujours un peu quand même.

G : Dans pratiquement tout le rap il y a de la haine, c’est le Ying et le Yang. Quel rappeur ne fait pas pareil que moi ? Mais c’est vrai qu’avant je jouais aussi moi-même à un jeu avec les médias et le game. Comme la critique n’arrivait pas à mettre de case sur ma musique, ils me décrivaient souvent comme “le fou”, “l’ovni”, “l’alternatif… “. Je me suis dit : “Putain il y a quoi de si différent des autres ? c’est ridicule quand même !” Du coup je me suis pris au jeu du théâtre. Autant dire n’importe quoi et faire le fou, cela me permettait de me protéger aussi. Alors souvent devant les médias je disais des choses brutes de décoffrage, en sur-jouant et en pensant quand même que la plupart comprendrait l’humour. Bon ça n’a pas totalement marché. [Rires] Ça m’a couté quelques désaccords et fait passer un peu pour un hater parfois, mais ça m’a aussi ouvert d’autres portes inaccessibles et vachement protégées. J’ai pris le rap pour une passion et c’est grâce au public que je me suis concentré sur ma musique plutôt que sur les autres. C’est en ça que je dis que j’ai moins de haine dans ma musique : mon public m’a fait réaliser que c’était du sérieux et je me suis donc concentré pour soigner mon public plutôt que de tirer à balle réelles sur le rap français.

« Tu peux être noble et ne pas dépendre du même modèle que tout le monde, c’est vachement cool. »

A : Tu ne te sens jamais dépassé par les jeunes ? Tu en égratignes une partie sur “Babyliss”…

G : Le daron qui fait de la qualité il y en a. Ce n’est pas de notre faute si les autres se sont affichés. Mais à l’inverse c’est vrai que tu as aussi des jeunes rappeurs qui arrivent et disent « nique sa mère les vieux ! » Si il n’y a plus de respect pour les plus vieux ou pas d’intérêt pour les origines du rap, ça n’a plus de logique. Par contre si tu as vécu plusieurs époques, la naissance et la mort de certains artistes ou mouvements à plusieurs reprises, tu as une autre vision du truc. Tu leur dis : « Cette mode là, elle va passer, fais attention. Tu vas faire moins de vues à un moment”. Et ils te répondent : « Vous dites que ça va passer, mais vous voyez bien que ce n’est pas le cas. » Ben si mon gars. Le nombre de groupes qu’on a vus, qui sont arrivés, qui ont fait un mois et demi de buzz, avant de disparaître ou de se séparer… On peut avoir envie de toucher au succès mais il faut aussi en accepter sa réalité. Il n’y a personne qui explique dans le milieu à quel point c’est dangereux de faire du rap, mentalement et psychologiquement. Est-ce qu’on parle des trois quarts des rappeurs qui ont vrillé du jour au lendemain ? La drogue, le succès, l’ego, toute cette vie là, c’est pas la fête. Et ceux qui disparaissent et qu’on ne voit pas ce sont souvent des gens qui ont vrillé. Tu peux devenir fou avec ça, c’est hyper compliqué le rapport avec les écrans, les streams, la visibilité, les commentaires, la fête, les meufs, les rapports à l’argent… putain, c’est un beau merdier. Et ça on ne l’explique pas aux jeunes qui arrivent dans la musique.

A : Elle ressemblait à quoi ta jeunesse ?

G : Elle était compliquée pour faire du rap. Au début en tout cas. Quand j’étais à l’école des Beaux Arts à Bordeaux, j’étais pile dans les années 2000, et les blogs n’existaient pas. On arrivait dans le rap, il fallait payer ou monter à Paris pour mettre ta mixtape à des gens comme Dan De Ticaret, sinon tu n’avais pas de distribution nationale. On a ensuite vécu le début des forums et des blogs et ça a été une nouvelle ouverture pour le rap. C’était hyper intéressant parce que tu pouvais promouvoir et vendre ta musique toi même, sans limite de frontière. Tu pouvais tout gérer et être ton propre média. Il y a ensuite eu l’arrivée du piratage et du peer to peer qui a permis une ouverture d’esprit musicale folle, on fouillait dans les disques durs des gens pour écouter de la musique à laquelle on n’avait jamais eu accès avant. On se disait : « Putain c’est génial Internet. Tu peux devenir encore plus intelligent que l’intelligence ». En fait c’est l’inverse qui s’est passé.

A : Ça a eu un effet sur la musique tu crois ?

G : Quand tu vois l’uniformité du son, oui. Musicalement, ça s’est relativement appauvri en ce moment. Après il y a des trucs super intéressants, on a toujours notre lot de modernisme et de folie. Du moment qu’on cherche un petit peu on va trouver des mecs excellents qui défoncent mais ce sont des gens qu’il faut aller chercher. Aujourd’hui j’ai plus l’impression que les gens prennent ce que leur voisin prennent et regardent ce que les autres regardent.

A : On a l’impression que tu observes encore énormément ce qu’il se fait aujourd’hui. Il y a des rappeurs qui, passé un certain âge, arrêtent d’écouter ce qu’il se passe dans la musique.

G : Oui mais tu es mort si tu n’évolues pas ou si tu ne cherches pas à comprendre pourquoi la musique évolue dans un sens spécifique. Aujourd’hui on est tellement dans une nouvelle époque que quand tu es plus vieux, même si tu as vécu d’autres choses que les gens, tu ne peux pas avoir de regard sur tout ce qu’il se passe actuellement et te prétendre au dessus uniquement parce que tu connais d’autres choses. Il faut tout écouter et être le plus curieux possible, et ne pas tirer de conclusions. Tu ne peux jamais dire « c’est bon j’ai tout fait, je suis au top de mon art » vu l’époque et tous les changements que l’on vit. Comme ça va encore plus vite aujourd’hui, le succès, le progrès, si tu es rationnel tu sais que tu dois t’adapter. Tu dois juste dire « Je fais mon taff. »

A : Comment vis-tu le fait d’être toujours à part dans le milieu ?

G : Je n’ai pas de problème avec ça, je n’en ai plus. J’ai déjà eu l’occasion depuis toutes ces années de vivre des hauts et des bas, mais comme je le dis le rap ce n’est pas mon métier. Si je fais le pour et le contre, le rap m’a apporté quand même plus de positif que de négatif malgré ma position. Ce n’est pas des désaccords de visions musicales qui vont m’arrêter. Tu es payé pour faire des shows, tu échanges avec des MCs de ouf, tu es validé par les Anglais parce que tu fais un style hybride, tu fait le tour du monde avec le rap… Je trouve que c’est cool, c’est du bonus. Tu as plein de protagonistes du rap, et tu as des moines dans la colline. J’ai l’âge du moine de la colline, avec du recul, et en plus je continue à avoir un public qui m’écoute. C’est positif pour moi de faire des morceaux à 300-600 000 vues. Je débarque, j’ai pas de copains, j’insulte tout le game, je poste de ma page et je fais des chiffres. [Rires] Il y a quelque chose de vrai qui se passe et qui ne rentre pas dans les quotas et les règles. C’est important que des artistes existent pour montrer que tu peux être connu en ayant un succès différent qui existe. Tu peux être noble et ne pas dépendre du même modèle que tout le monde, c’est vachement cool. Ce qu’il faut montrer c’est que personne n’est dépendant de ce système là :  la musique française elle dépend de notre capacité à arrêter de s’uniformiser aux autres et de faire sa propre musique en enlevant le plus de règles possibles.

A : Comment vois-tu l’émergence de jeunes qui font une musique qui ressemble à la tienne (dans l’intention) de mélanger les genres comme Roméo Elvis, Hyacinthe ou Lomepal ? Ils touchent aujourd’hui un plus grand public, alors qu’à ton époque ce n’était pas forcément bien compris.

G : Roméo Elvis m’a invité sur son album et ça m’a fait plaisir, ça respectait un peu le procédé de rappeler qui faisait ça avant. C’est un peu l’exception à la règle des gens qui ne se rappellent pas [Rires]. Je suis en tout cas content de voir que des jeunes comme lui fassent des albums et marchent, il y a des trucs très similaires dans la recherche ou dans ce que j’ai pu faire, même si moi je ne sais pas chanter. Mais en dehors de certains artistes, je trouve encore que dévier reste une crainte chez les jeunes. Ça leur fait peur. Je vois des artistes qui veulent mélanger du rock et du rap en jouant de la guitare sur scène. Ça défonce, c’est cool, et ça montre à tous les autres rappeurs que tu es vraiment musicien. Mais tu ne peux pas dire que tu mélanges du rock et du rap juste avec une guitare acoustique. Peut-on vraiment dire qu’on fait tel ou tel style quand on ramène deux ingrédients et qu’on les uniformise de la même manière que tous les autres après ? À la fin c’est la même galette qui sort quand même.

A : Tous ces nouveaux artistes rappellent un peu le “rap alternatif” des années 2000-2005 qui n’a pas été toujours compris. Et là ils remplissent les salles. Finalement ce que vous avez fait a eu un impact.

G : Ça peut rappeler notre scène alternative, en effet, et c’est vachement cool pour eux, ils souffrent moins des étiquettes de styles ou de couleurs que nous à notre époque. Et puis c’est aussi parce que ces jeunes ont grandi avec moins de racisme, moins de différences dans le fond. C’est agréable de voir que c’est de plus en plus mélangé : les styles, les origines des gens, les milieux sociaux… La vraie différence entre nos deux générations c’est qu’on ne savait pas vraiment ce qu’on faisait à l’époque ni où ça allait aller. La vision de vente ou de game n’existait pas dans nos têtes et la passion devait rester passion. Pour la nouvelle génération par contre le rap est un vrai métier à leurs yeux et c’est en ça qu’il y a quand même un sacré fossé entre nous et eux. Aujourd’hui le défaut à mes yeux c’est que peu font du rap avec leur coeur, tout n’est que personnage fantasmé et mensonges pour la punch. Le rap devient scénario pour un clip ou pour une image.

A : Il y a trop de personnage et pas assez de musique ?

G : Il y a plus d’images que de son maintenant, beaucoup de gens regardent la musique plus qu’ils ne l’écoutent. Tu sais j’envie énormément les rappeurs qui ne montrent pas leur gueule. Comme par hasard, tout ceux qui font ça font tous un truc musicalement bien dans leurs styles. Aujourd’hui, j’aurais aimé être un rappeur qui n’a jamais montré sa gueule pour plein de raisons. Pour tout ce que les images engrangent de mal, tout ce qu’on ne voit pas forcément au premier abord. D’ailleurs plus ça va moins j’ai envie de montrer ma gueule. Le concept c’est qu’à la fin de cet album on voit de moins en moins ma tête.

A : Est-ce que tu as l’impression qu’avec l’âge, la paternité, tu es un peu plus tranquille, même dans ta musique? Tu ne t’amuses pas plus au final ?

G : Franchement oui. Je m’amuse plus car il n’y a aucune pression, c’est de l’ultra bonus pour moi. J’ai tellement bossé la technique que maintenant je peux la mettre au service de la musique et m’amuser. Le but de cet album, c’est que Moodymann écoute mon disque et me dise “What up Doe!” [Sourire] J’espère avoir fait un beau disque comme The Unseen de Quasimoto avec une histoire, un cheminement, pas une usine à single. Juste un classique.

A : C’est ça les bons albums ?

G : J’estime que c’est ça. Tu comprends mieux pourquoi j’ai mis ”Fantomas” en premier : pour ne pas dévoiler tout ce que le disque allait être. C’est beaucoup plus taré au final. Et je sais de quoi je parle. Le côté challenge, compétition, tu le fais sauter aux trois quarts et le côté sarcastique de mon personnage tu le gardes mais tu le prends avec plus de recul sur les choses. Le but ce n’est pas de faire des gros singles, c’est juste de l’écouter en entier et se dire à la fin : « Mais ce mec est fou ». [Rires]

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*