Frencizzle, la musique sans pression
Interview

Frencizzle, la musique sans pression

Beatmaker prolifique, Frencizzle est également DJ résident au Nouveau Casino en parallèle de son propre métier. Ainsi présenté, le Tourangeau d’adoption semble être stakhanoviste. Pourtant, dans la musique, son seul leitmotiv est le plaisir, et il ne s’est jamais pris au sérieux.

Photographies : Tsar Madoff

Abcdrduson : Tu es originaire de Châteauroux, une ville qui n’est pas spécialement connue pour sa scène rap, comment en es-tu venu à t’intéresser à cette musique ?

Frencizzle : En fait, à Châteauroux, il y a eu un groupe de rap à l’époque, c’était DBH, un groupe très axé West Coast, mais sinon c’était assez vide en rap, comme ville. Par contre, il y avait chaque année le festival Multirythme, pour lequel des groupes de Paris venaient souvent. Il y a eu Poison, Toyer, La Brigade, Mystik, Youssoupha… Quand j’ai vu plus ou moins ce que c’était, j’ai commencé à m’intéresser au rap, mais le truc qui m’a vraiment mis dedans, c’est que j’étais fainéant ! Je n’étais pas sportif, je regardais des mangas et je jouais aux jeux-vidéo, donc quand j’ai eu mon premier ordinateur en 2005, je ne savais pas quoi faire dessus, j’ai téléchargé un logiciel et j’ai commencé à me lancer.

A : Tu n’écoutais pas plus de rap que ça ?

F : Non. C’était encore le début d’Internet, il n’y avait pas beaucoup de sites pour digger, et c’était super long pour télécharger. Le seul moyen, c’était de prendre les samplers dans les R.A.P, Groove, les trucs comme ça. C’est à partir de ces magazines que j’ai commencé à m’intéresser. Je les achetais pour le rap français, et ça ne me faisait pas kiffer plus que ça, parce que ça ne représentait pas ma vie. Paris, Châteauroux, ça n’avait rien à voir, c’était le jour et la nuit… Ok une cité c’est une cité, mais une cité à Paris ce n’est pas pareil qu’à Châteauroux, je ne me reconnaissais pas dans le truc. Après il y a eu Rap US, la version de Rap Mag dédiée au rap américain. Là, ça m’a plus parlé, c’était plus funky, plus groovy, au niveau son, ça me parlait plus. Je me rappelle, le premier son rap que j’ai dû entendre c’était « Doggystyle » de Snoop qui passait à la télé et qui était super funky, et j’ai retrouvé quelques morceaux comme ça dans les samplers, donc j’ai accroché direct !

A : À défaut d’écouter du rap, qu’écoutais-tu, ou du moins qu’entendais-tu à la maison étant jeune ?

F : C’est compliqué. Ma mère avait une platine vinyle, et était très influencée par la musique black. Elle-même est noire, et avait les disques de Funkadelic, Prince, Lionel Richie, tous ces trucs-là. Mais moi, j’étais plus un mec devant la télé, donc c’était Charly et Lulu, c’était l’eurodance, des trucs comme ça. Les gros morceaux dance, c’était ça mon kiff.

A : Tu disais donc avoir commencé à écouter du rap pour les sonorités funky que tu pouvais retrouver…

F : [Il interrompt] C’est ce qui m’a fait découvrir ! Après ce qui m’a fait accrocher carrément, c’est quand j’ai entendu Cuizinier. Il avait sorti les mixtapes Pour les filles, et ça reprenait exactement tout ce que je kiffais : il y avait des gros samples eurodance, et il rappait dessus.

A : Cuizinier est donc une référence, quelles seraient les autres que tu citerais ?

F : Je dirais Xzibit, qui m’a mis une grosse claque quand j’ai acheté son album. Il y a aussi UGK, et Vita de chez Murder Inc. Records, qui est sur le morceau « Burn » de Mobb Deep. Elle kickait sale, elle avait des clips c’était Hollywood, elle sortait avec des bigoudis sur la tête et tout ! C’était un truc de fou ! Après j’ai eu une très grosse épriode dirty south, donc il y a eu les Mike Jones, les Paul Wall, tout ça, mais en y réfléchissant, la plus grande claque que je me suis mangée, je pense que c’est l’époque 2000 de Cash Money. Tout ce qui était Hot Boys, Mannie Fresh… Ça c’est vraiment les gros trucs qui m’ont matrixé à mort.

A : Lorsque tu disposes de ton premier ordinateur, tu commences à trafiquer des beats sur Fruity Loops ?

F : Non, je commence par Hip Hop Ejay, mais je vois que c’est super limité : tu ne peux pas créer tes mélodies ni rien… Donc j’ai cherché quelque chose pour pouvoir faire ça, et le truc le moins cher et le plus cracké, c’était Fruity Loops. J’ai testé Reason mais j’ai lâché l’affaire direct ! Fruity Loops, c’était la révélation.

A : Tu débutes en créant des beats pour t’amuser, et comment en viens-tu à placer une prod un jour, ou même à faire écouter ton travail à autrui ? 

F : C’était l’époque Myspace, où tu pouvais mettre cinq prods sur le player je crois. J’en avais mis deux ou trois, et j’ai été contacté par BKR un rappeur qui était sur Lyon à l’époque. Il bossait sur le projet de Lil’2004, un groupe lyonnais en relation avec Butter Bullet, Charly Greane et tout ça. Ils avaient déjà leur truc, et BKR a tilté sur une prod, qui est devenue le morceau « Cheesy Pop Deluxe ». Par la suite, comme j’écoutais pas mal de Dipset, j’essayais de sampler des petites voix pitchées ou des morceaux super connus, comme ils faisaient. J’avais samplé « Boys » de Sabrina, Dj All Star l’a entendu et m’a contacté dans la foulée en me disant qu’Express voulait poser dessus. Ce sont là mes premiers placements.

A : Y a-t-il eu un déclic qui t’a poussé à envisager d’être plus sérieux dans la production ? 

F : Jusqu’à aujourd’hui non, je ne prends toujours pas ça au sérieux. Je me dis que les mecs ne prenaient pas ça au sérieux il y a vingt ans, pourquoi est-ce que l’on devrait nous ? Ok Puff Daddy a fait fortune, ok Master P a fait fortune, mais ce sont des exceptions. En France je ne pense pas qu’on puisse être dans cette optique-là, le territoire est beaucoup trop petit, c’est impossible de faire comme eux. Donc je n’ai pas la prétention de vouloir faire quelque chose de très grand, je fais de la musique, ça plaît : tant mieux, ça ne plaît pas : tant pis. Je ne vais pas chercher à forcer le truc.

A : En France, le statut du beatmaker semble assez ingrat, dans la mesure où il fait une grande partie du travail, mais ne bénéficie pas de l’exposition. Par ailleurs les beatmakers n’ont pas toujours l’air d’être bien rémunérés. Est-ce que cette vision des choses t’a freiné ? 

F : Ca ne peut pas me freiner, parce qu’à côté j’ai toujours travaillé. Dans tous les cas je me dis que je suis tranquille. Après, c’est sûr que si tu ne fais que des prods de rap, chez toi, sans faire entrer d’argent, ça peut te freiner… Mais il y a des alternatives. On a l’image du beatmaker qui fait ses prods, puis va les placer, ce qui est en gros un travail de commercial, or aujourd’hui avec Internet, on a des outils illimités. Tu peux faire ton site, tu peux faire ta promo, il y a des rappeurs partout dans le monde donc leur nombre ne te limite pas non plus. Il y a des plateformes sur lesquelles tu peux placer des prods et récupérer de l’argent. En vrai, celui qui fait des instrus et n’arrive pas à faire d’argent, c’est soit qu’il est nul, soit qu’il n’a pas réfléchi à un bon business plan.

A : As-tu rapidement accompli les démarches de professionalisation, comme t’inscrire à la Sacem, créer une adresse mail, ce genre de choses, ou est-ce venu en voyant que tu pouvais te faire avoir ?

F : En France, tu ne te fais jamais vraiment avoir, à moins de placer un méga tube. Mais sur des morceaux lambdas, il n’y a pas réellement de manque à gagner. Un titre qui ne passe pas en radio, en télé ou sur scène, il ne te rapporte rien…

A : Quel est ton avis sur les gens qui font des « Young Thug type beat », des « Travis Scott type beat » et les mettent en vente ? 

F : C’est du génie ! Aujourd’hui, combien de beatmaker peuvent rentrer mille balles en une journée ? Tu as l’outil informatique, tu fais vingt-cinq prods, tu les vends à vingt balles, et tu laisses faire. Ce n’est pas pour faire du gros placement, mais tu fais entrer de l’argent. Après, le problème du type beat, c’est que tu n’as pas de style à toi, tu es un robot qui es là pour satisfaire l’envie du moment, c’est le seul problème que je trouve au type beat. C’est plus industriel qu’artistique, c’est pour l’argent.

« Je n’ai pas la prétention de vouloir faire quelque chose de très grand. Je fais de la musique, si ça plaît tant mieux. »

A : Après que DJ All Star vienne vers toi, de fil en aiguille tu collabores avec beaucoup de têtes du XIXe arrondissement, y avait-il un feeling musical particulier ? 

F : Dipset ! Le XIXe à l’époque, c’était Dipset, c’était Harlem, à fond. Express, c’était le Max B du XIXe.

A : Pourquoi cette scène a été si peu mise en avant ? 

F : C’était une période où le rap français était très axé sur les clash, c’était Sinik, Booba, Rohff, La Fouine, du coup il n’y avait pas grand monde qui bénéficiait d’une grosse exposition. Après je ne m’intéresse pas de près au rap français, donc je n’ai pas le recul pour analyser le truc, mais c’était aussi une époque de transition, d’un rap très new-yorkais au dirty. Le XIXe était super Harlem au moment où le dirty arrive, donc les gens se tournaient plus vers la nouveauté. Je pense que ça a été ça le problème. Jusqu’à 2010 au moins, le XIXe est resté axé sur New York, donc il n’a pas eu cette transition.

A : Sur Paris, tu as aussi étroitement collaboré avec Riski. Quel regard portes-tu sur lui, sur sa musique et sa place dans le paysage rap français ?

F : On m’a présenté Riski sur le clip de « Je ne t’aime plus » de Rhod DLB. C’est la première fois que je l’ai vu, on a échangé vite fait, mais moi je suis toujours un peu en recul, donc j’écoutais beaucoup et ne parlais pas trop, et je pense que c’est ce qu’il a dû kiffer. Je parle de ce que je connais, quand je ne sais pas, je ne dis rien… Il a vu que je savais faire les choses, que je savais bosser et aussi que j’étais sélectif sur les rappeurs avec lesquels je voulais bosser. On est restés en contact et quand il a bossé sur Riski [Titre de son album solo alors que Riski se fait encore appeler Metek, NDLR], il m’a juste dit : « Je veux tel type d’ambiance », sans me donner réellement la direction. Il m’a donné des images, m’a demandé d’imaginer ceci ou cela. Il y a quand même la guitare au début de « Katoucha » qu’il m’a envoyée, en me disant de faire quelque chose avec, mais ce que je voulais, j’avais carte blanche. C’est là que j’ai compris le truc, lui il ne voit pas comme les autres rappeurs. Eux sont super cadrés, ils veulent une prod type… Lui non, il m’a clairement dit « fais ce que tu veux ! » Et c’est ça le plus important je pense. Tout le monde veut des prods type, alors que le beatmaker devrait faire ce qu’il veut et proposer au rappeur. S’il aime bien, il essaie de faire quelque chose, sinon, tant pis. C’est de la musique, et si ça ne plaît pas aujourd’hui, ça plaira peut-être dans dix ans. Mais dans tous les cas, il ne faut pas essayer d’entrer dans un moule, sinon tu fais un truc générique, pas quelque choqe qui t’appartient. Riski m’a apporté quelque chose : faire la musique que je veux faire, la musique qui me plaît. J’ai été super libre, et c’est vrai pour tous les morceaux que l’on a faits.

A : N’as-tu jamais ressenti le besoin d’aller t’installer à Paris pour développer ton activité ?

F : Non jamais, vu que je travaillais à côté je ne me suis jamais dit « faisons-ça à un autre niveau. » Puis, de ma chambre j’ai réussi à placer pour Chief Keef, Gucci Mane, Booba… Pourquoi monter à Paris ?

A : Est-ce que quitter Châteauroux pour Tours a eu un quelconque impact sur ton activité de beatmaker ou de DJ ?

F : J’ai quitté Châteauroux parce que c’est une ville vieillissante, il n’y avait plus de taff dans mon secteur. Quand j’arrive à Tours, ça ne change pas tout de suite. Il y a plusieurs petits groupes, j’analyse un peu et regarde lequel est susceptible de faire quelque chose de bien et qui me ressemble. C’est là que je tombe sur Les Chimistes, qui commencent à faire quelque chose, sans non plus être encadrés comme maintenant. Le groupe était encore en pleine formation et c’est lorsqu’il est formé définitivement que ça commence plus ou moins à changer. Après, pour ce qui est de mon activité de DJ, je pense que c’est un coup de chance : un soir, je mixais dans un bar et B.E Labeu [rappeur et organisateur de soirées au Nouveau Casino, NDLR] m’a vu et a constaté que je ramenais du monde, il m’a proposé de faire un essai au Nouveau Casino et c’est parti de là.

A : Aujourd’hui, tu sembles être affilié à deux collectifs, Les Chimistes d’une part, et Nohell de l’autre. Veux-tu bien clarifier ce que sont ces deux entités ?

F : Les Chimistes concrètement c’est Youno et Obi en terme de rap, Salim et Djibril qui s’occupent de la communication, Madoff qui rassemble le groupe et gère le textile, Holos et moi pour les prods, et enfin moi seul comme DJ. Quant à Nohell, c’est un collectif tout récent, qui doit avoir à peine deux ans. Il ya beaucoup de gens qui gravitent autour de nous, on essaie de générer un mouvement hip hop sur Paris, la semaine. Il y a plein de soirée le week-end, Nohell en fait aussi, mais plus axées electro, alors que le jeudi c’est hip hop. On essaie d’inviter des groupes, des entités, pour venir partager cette culture. Aujourd’hui, c’est super difficile d’avoir des scènes quand tu n’es pas très connu, donc on essaie d’offrir cette chance-là, et on fait la fête ! Tout simplement.

A : Revenons sur ton rôle de beatmaker, et notamment sur tes connexions aux États-Unis. La première fois que tu es en contact avec un rappeur américain, qui est-ce et comment cela se passe-t-il ? 

F : Je ne me souviens pas de comment ça s’est fait, mais je me souviens de qui c’était. C’était à l’époque du jerk, il s’agit de Cali Boy, je ne me rappelle plus le titre du morceau mais il y avait un clip, avec une meuf qui fait du jerk. Après, en Amérique du Nord il y a eu le Canadien Wong Sifou, avec qui j’ai fait un morceau. Ensuite, le truc le plus significatif c’était avec l’équipe du Young Riot Squad, le groupe du petit frère de Stack Bundles, Young Stack. Voilà, c’était les premiers Américains. J’étais quand même axé dirty, et j’ai bossé par la suite avec G Fame, des gars de Little Haïti, et c’était vraiment là le truc majeur, parce que je passais en boite de nuit. Chaque année Slave Child fêtait son anniversaire au King of Diamond, donc il y avait toujours un morceau à nous qui passait là-bas.

A : Mais alors, comment gères-tu ce genre de placements ? Comment par exemple arrives-tu à tirer un bénéfice de ce morceau qui passe en boîte à Miami ?

F : Je suis payé cash quand j’envoie la prod, après je ne touche plus rien.. Je ne veux pas dire que je me fais carotter ou que ce soit, puisque aujourd’hui je vis bien et n’ai pas de soucis à ce niveau. Si un jour je dois raiment percer et faire un gros truc… Ok… Mais je n’y trouve pas vraiment mon intérêt en fait. Mon intérêt à moi c’est juste d’être écouté, et pas forcément de faire un business. L’argent, mine de rien, c’est un truc qui pourrit le milieu.

A : Après ces premières connexions américaines, tu as collaboré avec d’autres têtes là-bas. Cela t’intéresse plus que de travailler avec des Français ? 

F : Le truc, c’est quand j’ai commencé à vouloir placer des prods à des Français, ça sonnait trop américain, donc j’avais beaucoup de refus. Les Américains, eux, n’ont pas cherché à refuser quoi que ce soit. Ils sont dans un délire où ils aiment bien ce qui est lointain, foreign comme ils disent. Gucci, Vuitton, toutes ces conneries-là… Tu leurs sors « je suis de France et je fais des prods », ils ne vont pas chercher à comprendre qui t’es, ils écoutent la musique, si elle est bien, ils posent. Ils ne cherchent pas plus loin.

A : Est-ce que tu as tissé des liens au-delà du simple envoi de beats avec certains d’entre eux ? 

F : Je ne suis pas dans une optique de faire ami-ami. Mon anglais n’est pas parfait, j’ai même des lacunes, donc je suis super limité au niveau de la discussion… Ça va tourner autour du beat et du morceau.

A : Tu étais signé chez Glo Gang il y a quelques années, ce qui paraissait étrange pour un mec résidant si loin de Chicago. Quelles étaient les conditions de ce deal ?

F : J’avais un contrat de management. Concrétement, j’envoyais des prods, ils posaient dessus, et j’étais payé. Voilà. Depuis 2014 je n’ai pas renouvelé, donc je ne suis plus en management chez eux, même si je reste affilié au Glo Gang. Je suis toujours en contact avec eux, j’échange avec Brandon Zehrer, le manager. Après, je ne pense pas travailler avec eux maintenant, parce que j’essaie de viser autre chose que tout ce qui est trap, drill… Je leur envoie moins de choses et j’essaie de perfectionner une nouvelle musicalité.

A : Que retiens-tu de cette expérience ?

F : Je retiens que le rap américain est quand même super sectaire. Si tu fais des choses bien, ça peut t’ouvrir toutes les portes, mais au contraire bosser avec une personne peut t’en fermer. J’étais avec Glo Gang, Glo Gang était avec Gucci Mane, donc ça m’a ouvert cette porte là sur le Bricksquad. Mais par exemple, même si ça n’a pas été le cas, ça m’aurait fermé la porte Young Jeezy. Il y a des choses à savoir. Quand tu bosses avec certains rappeurs, tu ne peux pas aller bosser avec d’autres, et c’est un truc à apprendre super vite.

A : À propos de Chief Keef, il a plus ou moins révolutionné le rap en n’étant qu’un adolescent. Quel regard portes-tu sur lui et as-tu senti tôt son potentiel ?

F : Si on parle de ses premiers morceaux connus, on peut dire qu’il est le daron des Lil Uzi Vert, Lil Yachty et toute cette nouvelle scène. Après, concrètement le Chief Keef d’aujourd’hui, ce qu’il fait c’est du Lil B en plus rythmé. Lil B a tenté tellement de choses, on peut dire qu’il est le daron de tout le monde aussi. Chief Keef c’est un peu pareil, il a fait des morceaux expérimentaux. Ce que l’on retient de lui c’est surtout son album, avec « I don’t like », « 3Hunna » tout ça… Mais c’est un projet label, donc il était fait pour plaire dans tous les cas. Quand tu prends ses propres projets, ses mixtapes, c’est totalement du Lil B, c’est très expérimental, un morceau comme « Fanetto » par exemple… Il y a une filiation. Puis à cette période, c’est Lil B, Soulja Boy et Chief Keef qui ont amené quelque chose de nouveau. C’était travaillé mais ça restait brut, les mixes m’étaient pas génialissimes, mais les prods étaient fraîches et simples.

«  Il y a des morceaux imparfaits qui tabassent, la musique n’est pas faite pour être parfaite. »

A : Qui sont tes producteurs préférés, en France ou aux États-Unis ?

F : En France, je n’en ai pas car je me suis intéressé tardivement à ça, donc je ne pourrais pas dire. Aux États-Unis, le top du top pour moi c’est Mannie Fresh. Après il y a Mr. Marcelo de l’équipe No Limit. Dernièrement j’ai bien aimé J-Green, qui a notamment fait des morceaux pour Three-Six Mafia.

A : C’est très sudiste tout ça !

F : Ouais, on reste dans le sud. Les autres coins, il manque un truc pour moi. C’est bien mais… Ça ne me parle pas autant !

A : Et au niveau du rap mainstream, tu n’as jamais pris une claque par un Timbaland ou un Pharell ?

F : Timbaland il a des bons morceaux, mais ça ne m’a jamais plu plus que ça. Les gens crient au génie, peut-être, mais moi quand j’ai écouté du rap, ce n’était pas ce qui me parlait. Je ne me suis jamais réellement penché dessus.

A : N’ayant pas de culture rap à la base, est- ce que tu as cherché à « combler des lacunes » à un moment donné, à te documenter et à écouter un maximum de choses ?

F : J’ai essayé à un moment, à la fin du lycée, j’ai acheté pas mal d’albums pour comprendre le mécanisme, comment se séquençaient les morceaux rap, d’où venaient les samples et pourquoi. J’ai écouté pas mal de rap new-yorkais en fin de compte, parce qu’il n’y avait pas trop de choix en magasin pour le sud ou même la Californie. Du coup j’ai diggé beaucoup la scène new-yorkaise au début. Il y a des très bons trucs, et d’autres auxquels j’ai eu du mal à accrocher. Les gens vont dire que je suis fou, mais par exemple le Wu-Tang je n’ai pas accroché, je trouve ça difficile. La scène West me parle plus et se rapproche du dirty, il y a les mêmes codes.

A : Aujourd’hui tu sembles êtres plus actif comme DJ que comme beatmaker, non ?

F : C’est ce que l’on pourrait croire puisque j’ai une résidence au Nouveau Casino, et qu’on me voit beaucoup là-bas. Mais après j’ai des petites pépites cachées, jamais sorties, et d’autres trucs qui vont arriver. Le morceau de Chief Keef et Gucci Mane qui est sorti récemment, il date de 2014…

A : T’arrives-t-il de jouer ta propre musique en club ?

F : Je pourrais, mais je me dis que quand tu es DJ, tu es là pour l’entertainment. Les gens viennent après avoir passé une semaine de merde au taff, ou une semaine de cours, et ils sont là pour décompresser. Le DJ, il est là pour faire découvrir de nouvelles chansons, de nouveaux artistes. Donc ce que j’essaie de faire, c’est de jouer ce que les gens veulent entendre, et en même temps de leur apporter de la nouveauté. À l’époque, les DJ te faisaient découvrir des choses… Si tu viens avec une playlist Deezer, c’est chiant… Tout le monde peut le faire.

A : Tes sets reposent exclusivement sur du rap ?

F : Le jeudi, oui, on fait Nohell 4 Hip Hop donc c’est forcément rap. Après, il peut m’arriver de jouer du RnB… Mais tout ce qui dans la soirée va être plus expérimental : baile funk, dancehall, tout ça, c’est plus DANG qui va passer ça. Moi je suis vraiment hip hop.

A : Pour le cas du Nouveau Casino c’est un peu particulier puisque c’est votre soirée, mais en général lorsque tu joues en club, as-tu la sensation que le rap est plus accepté ?

F : En vrai, il y a une évolution, mais le problème qui existe est juste vestimentaire. Aujourd’hui, quand tu allumes ta radio, concrètement tu n’as que du hip hop qui passe, les filles écoutent du hip hop aussi. C’est juste que les gérants des établissements ne veulent pas voir de mecs en jogging. C’est juste ça.

A : Comme tu dis, désormais le rap est partout, on en entend tout le temps. Toi qui es friand de musique populaire –et particulièrement d’eurodance-, est-ce que tu constates une ouverture nouvelle dans le rap ? Avec cette possibilité d’apporter des sonorités ultra accessibles, sans ce que ce soit mal vu par le public rap.

F : En fait le hip hop est en constante évolution. Le rap west coast s’est construit sur des breakbeats de funk ou de disco, à New York, on samplait des morceau de soul… Après c’est cyclique, tous les dix, quinze ans on revient sur un style, on sample ou on essaie de reproduire quelque chose qui rappelle une période donnée. L’eurodance en vrai on en a samplé des millions de fois mais personne n’est au courant… Rien que le kit de drums, les kicks, les snares, les clap, ils viennent de ça. Il y a même des bases de données complètes qui viennent de l’eurodance. Le crunk c’est de l’eurodance en moins joyeux. Lil Jon, il faisait de l’eurodance sauf qu’au lieu de chanter il crie dessus. Je pense que par la suite il se peut qu’on sample et qu’on s’inspire de l’eurodance pour faire de nouveaux morceaux.

A : Comment procèdes-tu aujourd’hui pour digger ?

F : Je cherche toujours des trucs. Ce que je fais en général c’est que je tape « musique années 1990’s », « musique années 1970’s », « musique années 2000’s » et ça me sort des playlists. En général ce sont des trucs par localisation, et j’aime bien chercher de la musique étrangère. La funk japonaise est super développée par exemple. J’aime bien sampler des trucs espagnols et portugais aussi, je l’ai fait récemment pour Lil Debbie. Je peux sampler un peu tout et n’importe quoi, d’un OST de manga à un titre super connu.

A : La construction d’une prod te prend-elle beaucoup de temps ?

F : Non ! Avant ça pouvait me prendre un certain temps, maintenant que je bosse en binôme avec GSnype ça m’en prend moins. Le truc c’est que même aujourd’hui en vrai je ne me déchire pas tant que ça, tout se fait à l’instinct. Si ça sonne bien je garde, sinon je mets de côté et parfois je reviens dessus. Mais je ne cherche pas réellement la perfection. À quoi bon ? Il y a des morceaux imparfaits qui tabassent, la musique n’est pas faite pour être parfaite.

A : Par rapport à GSnype, comment se passe votre collaboration concrètement, et pourquoi avoir choisi de vous associer ?

F : GSnype était mon voisin à Châteauroux, il habitait le bloc en face du mien. Lui voulait faire du rap et il avait un gros synthé. Moi je n’avais jamais testé le synthé mais j’ai essayé de faire des prods avec le sien. Puis à un moment je lui ai dit de faire des prods aussi et de mettre un peu le rap de côté. Je lui ai expliqué quelques trucs, je lui ai montré le b-a ba de Fruity Loops. On a décidé de s’associer le jour où il est parti en Thaïlande. Je lui ai dit « va voir Seth Gueko dans son bar, dis-lui que tu viens de ma part et on va essayer de placer des trucs. » Il y est effectivement allé et a fait des écouter des prods à Seth Gueko et à Jason Voriz. Seth Gueko n’a pas utilisé les prods, mais GSnype a gardé un bon contact avec Voriz. La première fois que mon nom et celui de GSnype sont associés sur une prod ça doit être « Winston Wolf ». C’est à ce moment qu’on a décidé de réellement s’assembler. On a fait des bons trucs ensemble : le morceau de La Chat c’est avec lui, « Felix Eboué » c’est avec lui. Le seul problème c’est que je suis crédité tout seul à chaque fois, c’est pour ça qu’on a changé le tag et ajouté son blase au mien. Sans ça, on ne peut pas savoir qu’il est à la prod… C’est un peu relou vis-à-vis de lui. Il fait une partie du taff et ce n’est pas reconnu, ça me saoule. Après, ça va venir avec le temps et le jour où j’arrêterai il reprendra tout.

A : Est-ce que tu as été tenté d’accompagner des artistes au-delà du simple envoi de beats, pour aller vers de la production au sens plus large ?

F : J’ai voulu à une époque, mais c’est compliqué parce que l’artiste a sa vision et en fait je ne vois pas vraiment l’intérêt de diriger l’artiste. Le producteur, son boulot c’est déjà de développer l’artiste. Moi j’ai surtout travaillé avec des artistes qui savaient où ils voulaient aller et ce qu’ils voulaient faire.

A : Il y a eu quand-même cette période de collaboration avec Liza Monet…

F : J’avais envie de l’accompagner vers le chant et le story-telling, ce qu’elle fait plus ou moins aujourd’hui. Elle fait des trucs plus mainstream, plus chantés. Je ne vais pas dire que c’est mieux, mais je suis quasiment sûr qu’elle préfère ce qu’elle fait maintenant. Elle peut faire écouter ce qu’elle veut réellement, alors qu’au début il s’agissait de jeter un pavé dans la mare, « regardez, je suis là ! »

A : Le fait d’avoir produit « Felix Eboué » a eu un impact pour toi ? On imagine sans peine que filer une prod à Booba facilite certaines choses.

F : Il y a eu de ça… Mais après je ne suis pas allé dans le sens du vent, je ne suis pas allé voir les autres en disant « j’ai produit pour Booba ! » Les gens me voient au Nouveau Casino, ils se disent « ah c’est lui qui a fait « Felix Eboué » ? » puis c’est tout. Et c’est mieux comme ça je pense.

A : Dans les quelques interviews que tu as données, tu précisais ne pas être un « producteur de trap », tu disais ne pas vouloir être catalogué comme ça. En 2017, alors que le rap n’a jamais paru aussi varié, il y a pourtant cette manie de tout étiqueter : cloud rap, trap music, afro trap, drill music, etc. Est-ce que c’est quelque chose d’handicapant ?

F : C’est handicapant sans l’être. Admettons que tu sois catégorisé dans la trap : les gens te voient comme ça, et après tu lâches des missiles dans des registres qui n’ont rien à voir, ça permet de créer la surprise. Et sinon, être catégorisé trap peut te permettre des placements qui te mettent en lumière aussi, c’est intéressant et tu peux l’exploiter. Mais si tu le fais mal par contre tu vas vraiment rester dans cette catégorie. Moi, en dix ans j’ai dû faire cinq morceaux vraiment trap.

A : Ce sont ceux qui ont été le plus entendus.

F : Et ce ne sont pas forcément les meilleurs. Mais après, la musique en soi tu devrais même pas la classer. Tout évolue super vite, les styles, les sonorités, l’avis du public… Il n’y a pas de pression à se mettre, fais ta musique, ne cherche pas plus loin. Ta musique si elle doit plaire, elle plaira. Fais ton truc, ne cherche pas à plaire à la masse.

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