Fred Yaddaden
Interview

Fred Yaddaden

Beatmaker du collectif stéphanois La Cinquième Kolonne sous le pseudonyme de Defré Baccara, Fred Yaddaden a depuis la séparation du groupe repris son nom d’état-civil et rejoint le label LZO. « The Shadow of a rose », son premier album entièrement instrumental, y est sorti il y a quelques mois.

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Abcdr du Son : Quand nous t’avions interviewé en 2003, tu évoluais sous le pseudonyme de Defré Baccara. Aujourd’hui tu reviens sous celui de Fred Yaddaden. Pourquoi ce changement ?

Fred Yaddaden : Ça faisait un petit moment que je voulais changer de nom, j’étais un peu lassé de ce « Defré Baccara ». J’ai donc profité de mon album The Shadow of a Rose pour passer le cap. Je suis allé au plus simple et j’ai finalement opté pour mon état civil. Et comme ce disque est quand même différent de ce que je pouvais produire habituellement, je voulais un minimum opérer une cassure et dissocier mon « côté rap-rap » et mon « côté abstract hip hop/downtempo/c’que tu veux« . Mais après réflexion, j’ai malgré tout décidé de conserver mon pseudonyme originel : je continuerai à signer « Defré Baccara » pour les rares instrus que je filerai aux rappeurs. C’est donc une manière de dissocier mes différentes envies musicales et, surtout, de maintenir une cohérence sous chacun de mes noms.

A : Comment différencierais-tu le Defré Baccara qui produit pour des rappeurs du Fred Yaddaden producteur d' »abstract hip-hop » ? La différence est très forte au niveau de l’approche musicale ?

F : Oui, c’est vraiment différent, ne serait-ce que pour le travail que ça représente. En gros, une musique pour un rappeur peut me prendre 2-3 heures, alors que je peux passer 3 jours à faire un morceau instrumental. Mais jamais l’inverse. Une instru pour un rappeur implique naturellement la voix d’une tierce personne sur ma musique, si bien que je peux laisser le champ libre et « libérer » de la place pour le MC. Je ne vais pas me sentir forcé d’empiler dix milles samples pour éviter toute redondance, c’est le rappeur qui fera ce travail… en théorie.

Un morceau « Fred Yaddaden » est beaucoup plus difficile et long à construire. Je passe beaucoup plus de temps à chercher des samples et je me prends un peu plus la tête dans la réalisation. Sachant que je conçois ces morceaux sans me dire que quelqu’un viendra chanter dessus, je fais en sorte que ces titres se suffisent à eux-mêmes, d’où l’ajout constant de samples afin d’éviter que la chanson ne tourne trop en rond. C’est finalement des heures de recherches pour seulement une poignée d’heures de travail sur mon sampleur. Le truc jouissif, c’est que c’est sans limite. C’est-à-dire qu’au niveau de la création, je ne me pose pas la question de savoir à qui je vais bien pouvoir filer mon son pour qu’il rappe dessus, j’ai zéro contrainte et le champ des possibles est inépuisable.

Et pour terminer, continuer à signer Defré Baccara et donc à faire du rap pur et dur, c’est un peu ma cours de récréation. Je kiffe toujours autant le rap et c’est mon petit bol d’air de faire du boom bap.

A : Il semble que The Shadow of a rose ait eu une histoire assez compliquée… Peux-tu retracer la genèse de cet album ?

F : Effectivement, j’ai mis énormément de temps à le sortir. C’est pas tant la réalisation du projet qui m’a pris du temps mais plutôt sa sortie. J’ai terminé le mix autour de juin 2005 et le mastering était prêt six mois après. Donc début 2006, j’ai mon album entre les mains et je me demande ce que je vais en faire. A cette époque, je me retrouve seul. Mon ancien groupe de rap, La Cinquième Kolonne, n’existe plus et il n’y a donc plus aucune structure – si petite qu’elle fût – derrière. Je ne suis en contact sérieux avec personne, je n’envisage pas forcément de démarcher des tas de gens…Bref, j’ai un peu la tête sous l’eau, à me demander si j’aurai le courage de gérer la sortie d’un disque tout seul. Je suis partagé entre l’idée de le mettre gratuitement sur le net, d’en faire des CD-R, d’en presser 500 en me demandant comment je vais les vendre, de le mettre au fond d’un tiroir…Courant 2006 et durant une bonne année, je délaisse un peu la musique pour diverses raisons, je ne m’occupe plus du tout de mon album, sans que ce soit vraiment calculé.

J’essaie ensuite de réagir, motivé par l’idée que c’est dommage de le voir croupir dans un coin. Avec l’aide de Lartizan et Rémi, qui posaient les bases de LZO Records, on s’en va démarcher quelques labels. On fait ça un peu timidement : on envoie des Cds, mais aucun retour concluant. Je suis un peu désabusé.

En parallèle, j’avais filé mon album terminé à Wax Tailor qui passait en concert vers Lyon. C’était en Juin 2005, pour la tournée de son premier album. Après m’avoir dit qu’il avait beaucoup aimé le CD, on est restés en contact. On s’appelait et s’échangeait des mails de temps à autres. Je le tenais au courant de ma « non-actualité ». Jusqu’au jour où il me parle de son envie de développer son label, vers 2008. On se capte, on parle d’une éventuelle sortie chez lui, il me propose entre temps de remixer Ursula Rucker sur l’un des ses maxis, qui sortira en mai 2008. Le temps passant et voyant que ça allait être tendu de gérer d’autres artistes que lui, je repars finalement avec mon CD dans la poche.

On est début 2009 et je repars voir Lartizan et LZO Records qui commençaient à bien se mettre en place, au moins au niveau de leur démarche et ambitions. On papote un peu et on arrive rapidement à se mettre d’accord sur une sortie. Tout s’est enchaîné ensuite très vite. Le CD est parti au pressage durant l’été et en septembre, je les avais entre les mains. On a, depuis, chopé une distribution nationale d’où l’annonce d’une sortie « officielle » le 26 Janvier 2010…4 ans pour sortir un album, c’est quand même fatiguant, même si je dois en partie cette durée à ma fainéantise et mon dilettantisme.

« Je voulais laisser ce projet en l’état, que ça corresponde à l’époque où je l’avais fait, avec ses défauts et ses qualités. »

A : Quel impact a eu le remix fait pour Wax Tailor, à la fois pour toi et sur ta carrière ? Ça sonne un peu comme une marque de reconnaissance de la qualité de ton travail, non ?

F : Ouais, je sais pas trop en fait. Je le dis pas trop mais je suis super content d’avoir pu poser un remix sur un maxi de Wax Tailor, c’est cool. Après, comme je connais le bonhomme, ça atténue énormément le côté « Wouah ! Wax Tailor ! Il est archi connu, c’est énorme de bosser avec lui ! ». C’est la réaction qu’ont les gens que je côtoie quand je leur dis qu’il m’a appelé pour un remix.

Au niveau de l’impact, si j’ai bien tout compris, ce maxi était une commande de Wagram. Je ne sais pas qui devait s’occuper de la promo mais j’ai l’impression que c’est passé assez inaperçu. Je n’en ai entendu parler nulle part et je n’ai quasi eu aucun retour sur ma présence sur le maxi. Mais le vraiment très bon côté de la chose, c’est que mon album arrivant quelques mois après, enfin un an après, je pouvais dans ma bio glisser ma participation à ce maxi. On va dire que sur le CV, ça le fait plutôt bien. C’était la première fois que je posais le nom « Fred Yaddaden » et c’était une bonne première marche. Ensuite, quant à la reconnaissance de la qualité de mon boulot, j’ai encore tout à faire. Ça met toujours en confiance d’être contacté de près par Wax Tailor mais c’est pas suffisant pour que j’en sois pleinement satisfait.

A : Pendant ces (quasi) 5 ans où ton album est fini mais ne sort pas, tu le réécoutes ? Tu n’as jamais envie de modifier des choses dessus ?

F : Oui, je le réécoute, pas énormément mais je me le passe quand même plusieurs fois au casque. Une fois que j’avais fini le master, je m’étais dit que je n’y toucherai plus, même si certaines choses m’énervent et sont plus ou moins mal faites. Je voulais laisser ce projet en l’état, que ça corresponde à l’époque où je l’avais fait, avec ses défauts et ses qualités. Et modifier certains trucs nécessitait obligatoirement de nouvelles sessions de mix et mastering par la suite, et je n’en avais aucune envie.

A : Ça te fait quel effet de voir les gens le découvrir et t’en parler aujourd’hui alors que, d’une certaine façon, tu vis avec depuis presque cinq ans ?

F : Mon plus gros souci était de me « replonger » dans mon album, savoir le pourquoi du comment, pourquoi j’ai mis tel ou tel titre… C’était vraiment enterré pour moi…Après, c’est comme un second souffle, je me suis dit : « Enfin ! Je vais avoir des retours autres que ceux de mes potes. ». C’est finalement motivant. Et voir que quatre ans après, les mecs kiffent, ça m’a un peu soulagé, l’épreuve du temps n’est pas trop rude.

A : D’une certaine façon, sa sortie te permet de tourner une page ?

F : Oui, c’est un vrai soulagement. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai persévéré pour le sortir. J’avais vraiment l’impression que s’il ne sortait pas, je ne pourrai pas passer au projet suivant. Enchaîner les projets, c’est une continuité, une suite logique entre chaque disque. Si je ne posais pas la première pierre, j’aurai du mal à aller plus loin. Et, autre chose, j’aurai été sacrément frustré et déçu de ne jamais voir ce disque dans les bacs. J’ai passé du temps dessus et j’avais vraiment à cœur de le proposer au public et de voir les réactions, qui sont très positives pour le moment. Je suis donc dans les conditions idéales pour poursuivre sur un second long format.

« Je reviens toujours à la même méthode de travail : je pars toujours d’une boucle, que ce soit un léger break de batterie, deux notes de piano ou une grosse boucle bien rentre-dedans.  »

A : L’album a été entièrement produit sur MPC ? 

F : Oui, entièrement avec ma MPC 2000 XL. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un sampleur/séquenceur. En gros c’est une machine qui permet d’intégrer des sons pris sur d’autres enregistrements et, en mélangeant tous ces bouts de musique, on crée notre propre morceau. Sachant qu’on peut retoucher chaque son (les accélérer ou les ralentir, changer la note, découper une mélodie et jouer ainsi chaque note dans l’ordre qu’on veut, etc…), les possibilités sont presque sans fin. J’ai également rajouté un ou deux sons de ma Groove Box (MC-303) histoire de…

A : Depuis 2003, ta manière de travailler a-t-elle évolué ? 

F : Finalement, non. Je reviens toujours à la même méthode de travail, à savoir que je pars toujours d’une boucle, que ce soit un léger break de batterie, deux notes de piano ou une grosse boucle bien rentre-dedans. C’est souvent la base du morceau fini et ça sert de fil conducteur tout le long du titre. Ensuite je viens rajouter autant de samples que je le souhaite. Et une fois tout ça mis à plat, je passe un peu de temps à séquencer le tout bien comme il faut, faire des petits breaks, balancer le sample au moment où il faut… Et je suis toujours sur MPC, sans rien à côté. Je suis juste passé au modèle au-dessus par contre, à savoir que je bosse sur MPC 2500 maintenant. C’est donc toujours le sampling à 99%. Et ce que je voyais comme une limite en ne bossant que sur une seule machine, j’en ai finalement fait mon atout. On m’a dit plusieurs fois que ma musique avait une texture assez intimiste, que c’était assez épuré. Comme je ne peux pas mettre beaucoup d’effets sur mes sons et que je ne rajoute aucune partie jouée, le résultat peut donc paraître légèrement différent de ce que la plupart des mecs proposent. Par la force des choses, je fais au plus simple, sans trop de fioritures autour et ça donne finalement une certaine couleur à ma musique.

A : Tu nous disais aussi en 2003 ne pas être attaché à la notion de groupe. Comment as-tu vécu la fin de la 5e Kolonne ?

F : Bon, ça m’a un peu fait chier mais pas plus que ça. Je me disais qu’on pouvait encore faire de bons morceaux et qu’on était qu’au début de nos possibilités. Après, j’ai toujours plus ou moins évolué en marge du groupe : je ne les suivais pas en concert, je ne passais pas énormément de temps avec le reste du groupe, notamment lors de la conception de notre album puisque j’étais sur Poitiers à cette époque. Je n’étais pas autant investi que je l’aurais souhaité et du coup, la fin du voyage m’a beaucoup moins affecté que d’autres… A titre personnel, je suis content d’avoir participé à l’aventure, d’autant plus qu’on s’est quittés avec l’album Derrière nos feuilles blanches qui a eu un bon petit accueil. Après, pas de regrets ou de nostalgie. Je pense qu’on était voué à se séparer tôt ou tard vu les aspirations et envies musicales de chacun.

« Le truc marrant, c’est que j’ai l’impression que moins un rappeur est connu et carré, plus il te casse les couilles à vouloir ci ou ça… »

A : En dehors de la réalisation de cet album, que s’est-il passé pour toi sur le plan artistique, ces dernières années ? 

F : Et bien c’était un peu la traversée du désert. Un vrai gros ras-le-bol du rap, pas d’envie particulière d’en faire et surtout, j’étais dépité de voir comment des gars pouvaient saccager mon travail lors de sessions studio. Je n’arrivais pas à reconnaître mon instru sur les disques terminés. Mauvais mixage, aucune communication, manque de sérieux ; ça m’a vite gonflé. Et par-dessus tout, mon disque qui ne sortait toujours pas, ça me minait pas mal le moral. Je n’ai, du coup, fait que quelques morceaux avec notamment Circa Diem (le groupe d’Omen-Graphizm, qui a fait ma pochette) et Memphis Reigns, rappeur américain avec qui je crevais d’envie de bosser. Et aussi le remix sur l’un des maxis de Wax Tailor, le truc qu’il ne fallait pas que je loupe.

A : Par rapport au massacre de tes instrus en studio, il y a une anecdote, un moment qui t’aurait particulièrement dégoûté ?

F : Pour faire au plus simple, tu prends tous les mecs avec qui j’ai bossé, y compris mon ancien groupe, tu enlèves Matew Star et Circa Diem, et tu retrouves tous les moments où j’ai été dégoûté du résultat. Hormis quelques exceptions où des mecs comme Fred Dudouet ou Reptile mixent tes sons (morceaux avec Fisto ou Eska Crew), le reste du temps, le résultat est vraiment dégueulasse. C’est abusé comment pour certains rappeurs ou des ingés son du dimanche, le beatmaker c’est le petit nègre à qui tu prends un son, tu lui casses les couilles pour qu’il rebosse le morceau mais tu zappes tout durant le mixage, tu le déclares même pas à la SDRM, tu lui files pas de ronds, tu lui envoies même pas de CD une fois le projet terminé… Et le truc marrant, c’est que j’ai l’impression que moins un rappeur est connu et carré, plus il te casse les couilles à vouloir ci ou ça…

A : En dehors de la production de beats, est-ce que tu effectues aussi des travaux « sur commande » pour des films, de l’habillage sonore ou des publicités ?

F : Ben moi je suis OK mais personne n’a l’air OK pour me le demander… Non, aucune proposition de ce côté-ci même si réaliser une BO de film reste mon plus grand rêve.

A : Aujourd’hui, quelle place occupe le rap dans ta vie de producteur ? Et d’auditeur ?

F : Ça reste LA musique qui me fait le plus vibrer. J’en écoute encore énormément et je décortique toujours autant le travail des beatmakers, que ce soit en tant que producteur ou auditeur. L’un ne va pas sans l’autre d’ailleurs. Quand j’écoute « passivement » du rap, en plus de me demander si le son est bon, j’ai toujours ce rapport particulier au beatmaker en me demandant si techniquement je suis capable de faire la même chose. J’y puise quand même pas mal d’idées de sampling et de construction de morceaux. Souvent on me demande de quoi je m’inspire pour faire mes morceaux… J’écoute tout un tas de styles différents mais je pense que le rap reste ma principale source d’inspiration. Sinon, quand je parle de rap, je parle uniquement de rap américain. Mon niveau d’anglais étant très médiocre, je ne comprends strictement rien à ce qu’ils racontent et, hormis quelques exceptions, c’est bien mieux comme ça. J’ai pas le temps de me dire que ces rappeurs sont inintéressants, je prends leurs voix comme un instrument supplémentaire. Ça peut paraître totalement con et absurde mais c’est peut-être en partie pour ça que j’en écoute toujours autant.

A : Pourquoi avoir appelé ton album « The Shadow of a rose » ?

F : Ça reprend tout simplement le passage d’un morceau de Pearls Before Swine que j’ai samplé pour mon intro. C’est l’idée générale de mon disque, « l’ombre d’une rose« , la rose symbolisant la personne aimée et son ombre, son départ.

A : On ne retrouve pas d’explications « titres par titres » dans le livret, comme peuvent le faire certains producteurs. Pourquoi ce choix ?

F : J’aurai pu le faire mais sur un plan technique uniquement, comment j’ai construit le morceau… Après, expliquer le pourquoi du comment, pour de la musique instrumentale, j’ai du mal, je trouve ça con. Ça fait un peu branlette cérébrale et très « Regardez ! Ce que je fais est très conceptuel, chaque son a une signification propre, rien n’est anodin !« . Je ne suis pas très curieux des motivations des artistes. Quand je tombais sur des explications de projets instrumentaux, ça me passait vraiment au-dessus, j’ai jamais rien compris, j’avais l’impression d’écouter un disque totalement différent.

J’ai une vision très terre-à-terre de la musique, et le seul critère qui prévaut est l’esthétisme qui en ressort. En gros : est-ce que ça sonne ou pas ? D’une part, en tant qu’auditeur, je me fous de savoir ce que le producteur a voulu transmettre comme idées, je veux simplement que la musique me parle et après je fais ma sauce et j’en retire ce que je veux. Et c’est pour ça que je ne donne que très peu d’explications concernant mon album bien qu’il y en ait une pour chaque titre. Je suis un peu allergique au fait « d’expliquer la musique », je veux juste la ressentir. Et du coup, je présente mon album de la même façon que j’écoute la musique. Je donne juste quelques clés de départ, pour présenter l’idée générale et j’espère que c’est bien suffisant.

A : Si « The Shadow of a rose » devait raconter une histoire, ce serait quoi ?

F : Ce serait l »histoire d’une personne célibataire qui, au bout d’un certain temps, rencontre quelqu’un. Ils vivent envers et contre tout de belles choses mais très vite, ça devient laborieux et l’un des deux décide de partir. Il y en a un qui reste sur le carreau, et l’autre on sait pas trop. Une histoire super originale quoi ! [rires]

« Je voulais vraiment faire un disque de chevet que t’écoutes au casque, donc seul. Une sorte de musique de chambre version abstract hip hop.  »

A : L’album reste pourtant constamment grave, un peu triste et mélancolique, comme s’il n’y avait pas réellement de moments heureux dans cet amour. C’est quelque chose que tu as fait consciemment ?

F : Non, pas du tout. On me l’avait fait remarquer une fois le disque terminé. Et si on ne m’avait rien dit, je ne pense pas que j’aurai relevé. Et c’est vrai qu’en tenant compte de ce que l’album est censé raconter… c’est pas une histoire d’amour hyper funky ! Le morceau ‘Trois mois’ est peut-être bien le seul qui pourrait caractériser ces petits moments suspendus où t’es sur ton nuage. Mais même à la fin, avec le dialogue, il y a un moment de doute. Je ne sais pas trop du coup… Probablement que les moments heureux – dans mon album – ne sont pas vécus pleinement parce qu’il y a toujours ces interrogations, ce doute quant à la relation et le chemin qu’elle peut potentiellement prendre [sourire].

A : Si on se place dans cette optique d’un album retraçant une relation, la treizième piste de l’album, ‘Golden Omen ?’ est le moment où elle bascule (sample de voix avec un homme qui quitte une femme)… Dans ce cas, pourquoi l’avoir intitulée ‘Golden Omen ?’ ?

F : « Golden Omen? », si je dis pas trop de conneries, ça veut dire, littéralement,  « Avenir radieux ? », le point d’interrogation ayant son importance. Le dialogue laisse en suspens la séparation…c’est fini, pas fini ? Y en a un qui veut mettre fin à cette histoire, l’autre pas. C’est ce genre de moments dans une relation où tout ne va pas comme on veut. Alors soit on s’assoit et on discute et on voit ce qu’on peut faire pour sauver le navire, soit on arrête tout avant de se manger un mur qui est inévitable… Et le titre de ce morceau est aussi un double clin d’œil, mais c’est accessoire [sourire].

A : L’album a quelque chose de très intime et personnel. De mon point de vue, c’est un disque qu’on écoute seul, pas avec d’autres personnes… Tu le voyais de cette façon aussi ?

F : Oui ! Je voulais vraiment en faire un disque de chevet que t’écoutes au casque, donc seul. Une sorte de musique de chambre version abstract hip hop. C’est toujours en référence à comment moi, auditeur, je peux écouter de la musique et comment j’aime en écouter.

A : Tu penses que The Shadow of a rose est adaptable sur scène ?

F : Oui, ça doit être possible de faire quelque chose de pas trop chiant mais je le verrais alors plus comme un spectacle vivant qu’un concert pur et dur. A moins de monter un vrai spectacle – qui demande donc du temps et beaucoup de moyens, je ne vois pas vraiment l’intérêt de rester deux heures derrière ses platines, sa MPC ou son laptop. C’est pas le truc auquel je rêve d’assister, quelle que soit la notoriété de l’artiste. Mais bon, pour l’instant, je n’ai de toute façon aucune envie particulière, je ne tiens pas forcément à défendre ma musique sur scène et encore moins pour cet album.

A : Pourquoi ? Besoin de passer rapidement à autre chose ?

F : C’est en grande partie pour ça, oui. J’ai envie de nouveauté, de faire autre chose, bosser sur un autre projet, et consacrer mon temps uniquement à ça. Ça fait 4-5 ans que j’ai mon album terminé sous le coude, et j’ai envie de faire autre chose. Non pas que j’en sois lassé, mais j’ai envie d’un truc plus frais.

A : D’où proviennent les samples de voix (films, dialogues…) que l’on entend dans l’album ?

F : Joker ! [sourire]

A : Je crois que ‘One’ sample un monologue du film « Seul contre tous ». C’est ça ? Pourquoi ce choix ? Quel regard portes-tu sur ce film ?

F : Ouais, c’est bien ça, ça vient du film de Gaspar Noé. Pourquoi ce choix ? C’est juste qu’à l’époque, ce passage m’avait beaucoup interpellé. Je sortais de l’adolescence et j’étais à fond dans ma période « De toute façon, on est seul dans la vie, personne me comprend et sait qui je suis, et inversement … », un vrai truc d’ado à la con [rire]. Et j’ai gardé ce monologue dans un coin en disant que je l’utiliserai pour un morceau. Je l’ai mis en clôture du disque pour vraiment boucler la boucle : on finit comme on avait commencé, seul. Après, aujourd’hui, je ne partage pas vraiment cette vision assez pessimiste, j’ai juste repris ce passage pour servir le contenu de mon album et lui trouver une fin. Et pour le film, je l’ai vu il y a bien longtemps et j’en garde un bon souvenir. Faudrait peut-être que je le remate aujourd’hui, avec 10 ans de plus.

A : Quel sens ont tous ces samples vocaux pour toi, à la fois en eux-mêmes et quant à leur place dans la structure de l’album ? (pourquoi les avoir placés à tel moment ?…)

F : Ça rejoint un peu ce que je disais avant, concernant la musique instrumentale et les éventuelles idées qu’elle peut transmettre : j’y crois pas trop. Il fallait donc que j’utilise des mots, du langage parlé pour aiguiller un peu l’auditeur et pour que le projet reste cohérent. Après, les avoir placés à tel moment et pas à un autre, ça s’est fait naturellement. Je faisais un morceau dans telle optique et je savais avant même de commencer que j’allais insérer un dialogue, ou que ce dialogue servirait de passerelle entre deux morceaux. Ils viennent illustrer les différentes étapes de cette histoire amoureuse, de manière plus intelligible et évidente qu’un morceau purement instrumental. Pour l’anecdote dont tout le monde se fout, je n’ai trouvé aucun de ces dialogues. C’est mon pote Rémi qui, après lui avoir expliqué l’idée de mon album, m’a ramené la quasi totalité des parties parlées. C’est un peu le featuring non crédité de l’album !

« Pour tout dire, j’ai jamais écouté le « Lovage » de Dan the Automator. Tout comme je n’ai jamais écouté d’albums de DJ Krush, Massive Attack ou encore DJ Shadow, que je connais seulement par son premier album. »

A : Il n’y a absolument pas de scratches sur le disque. C’est un choix réfléchi ou pas ?

F : Non, en fait c’est plus par dépit qu’il n’y en a pas. Bon, déjà je ne suis pas DJ, je sais juste faire des scratches ultra simples, « à la DJ Premier ». Et, surtout, je n’avais rien pour enregistrer mes scratches. Je bosse pas sur PC et je n’ai pas d’enregistreur. Les 3 scratches qui se courent après dans l’album, je les enregistrais dans le vide, dans ma MPC. C’est-à-dire que j’enclenchais le fonction « record » de mon sampleur, et je scratchais sans instru derrière. C’était un peu galère et j’ai pas insisté du coup… A l’avenir, j’en mettrais probablement mais je veux que ça reste assez discret, et je pense que je ferai intervenir une personne extérieure. J’irai sans doute frapper à la porte de DJ O’Legg, qui était le DJ de La Cinquième Kolonne.

A : Quels ont été tes influences et tes modèles pendant la conception de l’album ? Nico me disait qu’il lui rappelait parfois le « Lovage » de Dan the Automator, pour l’atmosphère et la façon de lier les morceaux… Qu’en penses-tu ?

F : Pour tout dire j’ai jamais écouté le Lovage de Dan the Automator. Tout comme je n’ai jamais écouté d’albums de DJ Krush, Massive Attack ou encore DJ Shadow, que je connais seulement par son premier album. C’est souvent des noms qui sont revenus quand on parlait de ma musique. Sauf que je connais très peu voire pas du tout ces mecs… Niveau influence, je ne sais pas du coup. Je ne pensais pas forcément à un album en particulier en faisant le mien. Il y a bien quelques morceaux qui m’ont profondément marqué, à tel point que je me disais : « Allez ! Quand je serai grand, je ferai exactement la même chose ! ». Et je dois me poser devant mon sampleur avec tous ces morceaux en tête, sans vraiment m’en rendre compte. Et il en sort ce qu’il en ressort. Un morceau comme ’86’, que j’ai fait vers 2002, je sais pas trop d’où ça m’est venu par exemple. J’écoutais essentiellement du rap à l’époque et quand tu regardes le résultat, le titre fini est aux antipodes du rap. Et je n’arrive pas à rattacher ce morceau à une chanson qui m’aurait particulièrement influencé. Ça doit être la somme d’un mélange bâtard de tout ce que j’ai emmagasiné comme musique depuis quelques années.

A : Quels sont tes projets, maintenant que cet album est sorti ?

F  : Replonger dans un second long format, ressusciter Nina Simone et Nick Drake pour que je puisse les inviter, et ne pas attendre 4 ans avant de sortir mon prochain album. Et puis tout simplement continuer de faire de la musique et m’amuser un peu.

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