Flynt : « Je ne m’invente pas une vie »
Interview

Flynt : « Je ne m’invente pas une vie »

Il y a cinq ans sortait J’éclaire ma ville, le premier album de Flynt. Un disque où le sens avait plus de poids que le sample. Itinéraire bis, son second long format, sort demain, lundi 15 octobre. Rencontre avec son auteur.

Flynt pourrait être un horloger suisse. Le rappeur est à l’image de l’homme, précis et soucieux du détail. Son nouvel album Itinéraire bis, drapé de l’étendard de l’autoproduction, s’inscrit dans la droite lignée du premier J’éclaire ma ville. Avec une démarche d’artisan, décidé à peaufiner méticuleusement son précieux jusqu’à lui donner l’éclat voulu. Après avoir écouté quelques extraits d’Itinéraire Bis, nous avons pu retrouver Flynt dans un petit café de banlieue, tôt le matin – une interview matinale, le seul principe en dit déjà long sur le bonhomme. Nous avons partagé un moment posé et détendu, qui nous a permis de revenir sur le processus de création de son auteur, sa démarche d’indépendant et la relation entretenue avec son public. Éclairage.


Abcdr : Sur « Haut la main », premier extrait de ton nouvel album, tu dis : « Mon public écoute encore J’éclaire ma ville comme si c’était sorti la veille. » Quel regard tu portes aujourd’hui sur ce premier album ?

Flynt : [NDLR : Posément, il choisit ses mots avec précaution] Ce premier album, c’était une belle aventure. Une aventure à la fois artistique, humaine et professionnelle. Je savais déjà faire des disques avant J’éclaire ma ville, j’en avais déjà fait. Mais là, c’était un album. C’est autre chose qu’une compilation ou un maxi.

Cet album m’a permis de faire de la scène, de faire des vrais concerts où les gens venaient pour moi. Avant J’éclaire ma ville, j’avais fait essentiellement des petits sets de vingt minutes sur des plateaux indés. J’éclaire ma ville m’a permis de franchir un cap et m’a donné l’opportunité de bien travailler la scène. J’ai pu faire des concerts « Flynt » d’une heure à une heure et demie un peu partout en France. On a aussi été en Belgique, en Suisse, en Allemagne, on a fait la Maroquinerie et le Trabendo…

Ce que je retiens de tout ça, c’est que c’est vraiment mortel lorsque ta musique rencontre son public. Par exemple, j’étais à Rennes au mois de mai dernier et la salle était pleine. Cinq ans presque jour pour jour après J’éclaire ma ville, sans actualité, j’ai rempli la salle et fait un concert avec une ambiance incroyable. Je parle de Rennes, mais c’était pareil à Toulouse, à Genève ou à Valenciennes qui sont les dernières dates que j’ai faites en 2011/2012.

Quand je dis que j’ai un public en or, ce n’est pas pour faire de la lèche, c’est vrai. J’étais au Bataclan pour le concert Can I kick It 3 il y a quelques jours, et les gens étaient contents de me voir et me l’ont fait sentir. Ils reprenaient les paroles, ils avaient la banane. Avant que je monte sur scène, ils avaient scandé mon nom. Ça m’a fait quelque chose tout ça. J’ai conscience que c’est une vraie chance de pouvoir faire de la scène, de pouvoir sortir des disques, c’est pas banal en fait. Même si on remplit des petites salles de 300-400 personnes et même si je fais des concerts par intermittence, ça reste une chance et j’essaie d’en profiter un maximum. Pour le nouvel album, on prépare une tournée, il y a des dates jusqu’à la fin de l’année. Je suis très content – et quelque part toujours surpris – de pouvoir vivre ça.

« C’est le public qui m’a poussé à sortir ce deuxième album. »

A : La relation que tu peux avoir avec ton public a servi de moteur et de motivation majeure pour t’amener à sortir ce deuxième long format ?

F : Oui, c’est le public qui m’a poussé à sortir ce deuxième album. Je me suis senti poussé par mon public, par tous les témoignages de sympathie que je reçois depuis cinq ans. Les gens que je croisais en concert, dans la rue ou ailleurs, le mot qu’ils m’ont le plus souvent dit depuis cinq ans c’est « merci« . Quand tu entends ça tout le temps, tu te dis que tu ne peux pas t’arrêter là.

Après J’éclaire ma ville, je suis un peu reparti de zéro. J’avais l’expérience du premier album, mais je suis reparti de zéro au niveau de mon équipe et financièrement aussi. Mon équipe de scène a complètement changé. Au niveau des beatmakers, à part Soul Children, la plupart de ceux avec qui je bossais ont arrêté ou sont partis dans d’autres directions. Au niveau de la production aussi, j’ai arrêté ma collaboration avec LRP. Ça n’était pas simple du coup.

On me parle souvent d’un retour quand on évoque mon nouvel album, mais pour moi il s’agit plutôt d’un rappel. C’est le rappel du public, comme si j’avais quitté la scène et qu’on me demandait de revenir pour donner une suite au spectacle. Évidemment, j’aime ça, je pense que j’ai quelque chose à apporter, mais je le fais aussi parce qu’il y a du répondant, un public qui veut entendre la suite.

A : Sur « La balade des indépendants », tu reviens sur l’ensemble du travail – colossal – à mener pour sortir un album en indé’. La première question qu’on pourrait se poser c’est de se demander si après J’éclaire ma ville, tu n’as pas cherché justement à t’en extraire et à signer quelque part ? 

F : Non, pas du tout. C’est essentiel pour moi d’être libre et indépendant dans ce que je fais. Je pense que je n’ai ni le style de rap ni la personnalité pour plaire à une maison de disques et je pense qu’ils n’ont ni le style ni la personnalité pour me plaire, du coup tout le monde est content. J’ai quand même eu une rencontre avec un directeur artistique d’un label ; label que je ne citerais pas, ça ne semble pas utile. Je connais quelqu’un qui m’avait convaincu d’aller le rencontrer, en me disant que le label venait de rouvrir et que mon nouvel album pourrait peut-être les intéresser. Je n’étais pas plus intéressé que ça, j’avais déjà mon projet bien avancé et bien défini dans ma tête mais je me suis dit que j’allais quand même voir, c’est toujours intéressant de rencontrer et de discuter avec des professionnels. Le rendez-vous s’est très mal passé. Il n’y a pas eu du tout de friction entre nous, par correction pour la personne qui avait organisé ce rendez-vous et qui était présente lors de la rencontre. Je ne suis pas monté sur mes grands chevaux. Mais je me suis senti très mal pendant plusieurs jours après ce rendez-vous. La façon dont il présentait les choses, son discours, sa façon de me parler, sa façon de parler de rap et de musique en général… j’ai eu le sentiment de me faire violer. Un viol de convictions et d’idées.

À part ce petit épisode qui date d’il y a quelques mois, je n’ai jamais eu la volonté particulière de signer quelque part. J’ai décidé d’y aller tout seul. Alors, oui, c’est long et difficile. Quand tu es signé en tant qu’artiste, que tu as la logistique, des équipes pour te driver, pour gérer tout à 360 degrés, tu peux te concentrer sur ton rap. Moi, j’ai besoin d’être complètement maître de mon truc, plus il y a de monde qui intervient moins j’ai confiance. J’ai peut-être du mal à déléguer en fait. Quand tu fais ce choix, mieux vaut croire en soi, être bien entouré, ne jamais lâcher parce que tu as trop d’occasions de baisser les bras quand tu vois la montagne que tu as à grimper. Et puis mieux vaut avoir de l’oseille aussi et un peu de chance.

Pourquoi j’en ai parlé dans le teaser de l’album et dans le morceau « La balade des indépendants » ? J’étais à La Miroiterie il y a quelques mois et plein de mecs m’ont demandé : « alors, ça sort quand ? » Du coup, j’ai eu l’idée d’en faire un morceau qui répondrait à cette question. C’est un morceau qui explique un peu la cuisine des indépendants et pourquoi réaliser un disque peut prendre autant de temps. On a écrit le titre avec Nasme et Dino et puis c’est en l’enregistrant que l’idée m’est venue d’annoncer mon album de cette manière en répondant à la question « Ça sort quand ?« . Alors, j’ai adapté le couplet de l’album à l’instant T pour le teaser, les paroles ne sont pas tout à fait les mêmes sur le morceau.

Tu sais, je ne m’invente pas une vie, ce que je raconte dans mes morceaux, c’est ce que je vis, et depuis deux ans, j’ai complètement la tête dans le guidon de cet album, alors forcément j’en parle aussi. Itinéraire bis est complètement autoproduit, là où J’éclaire ma ville était une coproduction. Et ça fait quand même une grosse différence.

J’ai pensé ce projet d’album de manière globale. À partir du moment où je me suis mis dedans, je me suis mis dans la peau du mec qui doit écrire, mais aussi dans celle du mec qui doit produire. Et quand tu passes du temps sur la production, tu n’en passes pas à écrire. Avoir les deux casquettes, ça prend plus de temps pour tout faire. D’un point de vue financier, ça n’a pas toujours été évident non plus. J’ai eu la chance d’être très bien entouré et de travailler avec des gens avec qui ça c’est très bien passé, des professionnels que j’apprécie et qui m’apprécient et qui m’ont fait confiance. Ils m’ont vraiment énormément aidé, Reptile, Soulchildren, Nosé, Sébi… heureusement que j’ai pu compter sur eux. J’avais une certaine pression pour cet album c’est vrai, mais la pression la plus forte que j’ai eu c’est en tant que producteur : sortir le disque dans les temps, comme je le voulais, en ayant trouvé l’argent pour le financer et qu’artistiquement tout soit comme je voulais.

De mai 2007 à fin 2009, je n’ai pas écrit une ligne. Je faisais des concerts quand ça se présentait, je menais ma vie, j’ai fondé une famille, j’ai souffert d’une double hernie discale aussi qui m’a immobilisé un long moment… Bref, je n’avais pas du tout envie d’écrire. J’avais dit beaucoup de choses dans J’éclaire ma ville. J’ai ressenti le besoin de vivre pour pouvoir ressortir des choses. C’est à la fin 2009 que je me suis demandé quelles options se présentaient à moi pour un deuxième album. Au final, le choix a été vite fait. Je savais que j’allais être en indépendant, et encore plus vu qu’avec J’éclaire ma ville il y avait eu des aspects de la coproduction qui m’avaient clairement saoulé. Du coup, je me suis dit que sur ce coup-là, j’allais y aller tout seul et que j’allais leur montrer de quoi j’étais capable. Je suis parti avec un état d’esprit plutôt revanchard.

« Je veux m’affranchir de certaines étiquettes qui peuvent coller au rap, je ne me reconnais pas là-dedans. »

A : Certaines rencontres inattendues t’ont aussi permis d’avancer…

F : Je parlais de chance tout à l’heure, j’en ai eu au cours de ce projet. Par exemple, un jour, j’ai rencontré un jeune dans le RER. Il est venu me saluer et me remercier pour ce que je faisais. À ce moment-là, j’étais en train de chercher à monter une boutique en ligne pour vendre mes disques et des t-shirts et mettre en place mon petit merchandising d’indépendant, parce que je savais que ça allait être important pour mon projet. On discute un peu entre deux stations, je lui demande ce qu’il fait dans la vie et il me dit qu’il est webmaster et qu’il bosse dans telle boîte. Moi je lui dis que je cherche justement à monter une boutique en ligne mais que c’est compliqué. Du coup, il me propose de m’aider. Moi, je lui dis que c’est vraiment important pour moi, et que je ne veux pas un truc vite fait, qu’il faut que ce soit propre et fonctionnel pour que ça marche parce que mon disque en dépend… Je lui dis aussi que je pars de zéro, que je n’ai pas de sous actuellement pour ça et que bref c’est un peu une galère dans laquelle il va s’embarquer s’il se lance là-dedans, je le préviens quoi. Finalement, on a échangé les contacts et puis on a bossé ensemble, il a créé la boutique comme il l’avait dit. Et quand j’ai commencé à gagner un peu d’argent avec, je lui en ai filé. Je lui dois une fière chandelle, c’est devenu mon pote maintenant. Ça a pris un an pour la mettre en place mais ça fonctionne et grâce à cette boutique et grâce à lui, j’ai pu commencer à réaliser mon disque concrètement. Cette boutique fait pleinement partie de l’histoire de cet album, c’est un peu sa face cachée. Après, ce n’est pas un truc de ouf non plus au niveau des ventes mais modestement c’est ce qui m’a permis d’avancer sur l’artistique, d’enregistrer, de mixer et de masteriser. J’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer.

C’est une belle boucle quelque part. Quelqu’un qui aime ce que je fais m’achète un t-shirt ou un disque, sans intermédiaire, sur le site, cet argent je le réinjecte pour réaliser des morceaux, qu’il prendra plaisir j’espère à écouter. Je sais que certaines personnes ont critiqué le fait que je parle de la boutique dans « Haut la main » ou dans le teaser du dernier Can I Kick it. Mais ils ne se rendent pas compte. Ils ne réalisent pas que derrière moi il n’y a personne, que monter cette boutique c’était un vrai boulot et que sans ça il n’y aurait pas eu de disque. La boutique ne représente pas l’intégralité du financement de l’album, mais quand même 35 à 40%. Pour démarrer c’était l’idéal et c’est le fruit de mon travail, j’en suis fier.

J’ai eu pas mal de petits coups de chance tu vois, genre pour la pochette de l’album. Je m’y suis pris un peu tard, j’avais fait des photos à la va-vite, j’étais plus focalisé sur le travail pour boucler les titres et le mix. Et puis à une semaine de la date butoir, je me rends compte que je n’ai aucune photo valable, rien qui me plaisait, en tout cas rien pour une pochette. Et juste à ce moment-là, je ne mens pas, genre trente minutes après que je me sois vraiment rendu compte que ça craignait et qu’il fallait que je refasse d’urgence des photos, je reçois un mail d’un photographe qui s’appelle Léo Ridet. Je ne le connaissais pas. Il me dit simplement que si j’ai besoin de photos un jour, je peux faire appel à lui. Truc de ouf parce que je ne savais pas trop à qui demander à ce moment-là. Du coup je lui réponds « OK on peut se voir demain ?« . On s’est vu trois jours après, on a fait le shooting et on a sorti la photo de la pochette ce jour-là. In extremis. Le coup de pouce du destin quoi. Pareil avec Musicast, heureusement qu’ils étaient là, leur soutien a été très important et c’est aussi grâce à eux que je peux sortir ce disque. En vrai j’ai porté l’album tout seul comme un grand mais sans toutes les personnes que j’ai citées et j’en oublie, eh bien il n’y aurait pas eu de disque. C’est une belle aventure Itinéraire Bis avant même la sortie, même si ça a été long. J’ai eu beaucoup de soutiens et je ne veux pas l’oublier.

A : Parmi les thèmes récurrents d’Itinéraire bis, on trouve cette volonté de définir ta vision du Hip-Hop, de bien définir les principes qui te correspondent.

F : Sur un morceau comme « Les clichés ont la peau dure », j’ai voulu tordre le cou aux clichés, à certaines idées toutes faites qu’on peut se faire du rap et de ses acteurs (« j’ai des couplets aiguisés car les clichés ont la peau dure. ») Ma source d’inspiration de ce morceau c’est la déclaration de paix du Hip-Hop initiée par KRS-One et quelques autres oldtimers. Je suis tombé dessus un jour. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est écrit dans cette déclaration, mais elle a le mérite d’exister et de véhiculer des valeurs positives. Je me suis reconnu dans pas mal de ces valeurs. Du coup, j’ai eu envie de faire un couplet qui parlerait des valeurs positives que j’associe au Hip-Hop. Ça ne veut pas dire que je suis ou que je représente tout ça, mais à mes yeux, si tu portes ces valeurs, il n’y a pas plus Hip-Hop que toi, comme je dis dans le morceau.

Je ne me reconnais pas dans l’image qui colle généralement aux acteurs du rap. Et on est plein à ne pas se retrouver dans cette vision globale donnée du rap par les non-initiés ou dans l’image que renvoie une majorité de rappeurs eux-mêmes. Quand tu dis que tu fais du rap à quelqu’un que tu ne connais pas et qui n’y connait pas grand-chose, il y a comme un malaise, les gens te prennent pour un ouf ou pour un voyou, dans leur tête ils se disent « garde la pêche » j’en suis sûr, ils te regardent autrement. Le morceau « En froid » suit un peu la même thématique. Dessus, je dis : « j’ai jamais aimé claquer l’oseille dans les clubs, j’ai jamais voulu être un thug, moi je voulais avoir un DEUG je me suis accroché aux études et ça m’a pas rendu riche mais j’regrette pas que ma mère n’ait jamais eu à venir me chercher au poste ou à me parler derrière une vitre mon pote. » Un des premiers thèmes que j’ai abordé dans ce disque c’est ça, je me suis dit, je vais casser les clichés, je ne ressemble pas au portrait-robot qu’on se fait du rappeur.

A : Sur ce même morceau, tu dis « moi, j’ai rien fait dans la rue à part jouer au football… »

F : Oui, je suis en froid avec certains codes du rap et de la rue. Je veux m’affranchir de certaines étiquettes qui peuvent coller au rap, je ne me reconnais pas là-dedans. Il y avait déjà ce côté-là dans J’éclaire ma ville, j’ai peut-être appuyé davantage là-dessus sur cet album. Il y a aussi un autre morceau qui est plutôt sur la famille où je dis : « chez moi c’est propre et rangé, il y a à boire et à manger, je fais le ménage et la lessive avec fierté. » Oui, je fais le ménage et la lessive chez moi, je m’occupe de mon môme et de ma femme, oui et donc je ne devrais pas en parler parce que je fais du rap ? J’assume les rôles que j’ai dans ma vie. Je ne traîne pas dans les halls, je ne représente pas la streetlife aujourd’hui. Je traînais dehors quand j’avais entre cinq et vingt ans aujourd’hui j’en ai trente-cinq. Et je le dis sans problème. Bref, même dans des morceaux qui ne sont pas faits pour casser les clichés, il y a des passages qui prennent à contre-pied certaines tendances et certains codes du rap. Après je ne suis pas totalement en dehors des codes du rap non plus, je fais des morceaux très egotrip par exemple, et ça c’est très spécifique au rap.

A : « Haut la main » est le premier extrait d’Itinéraire bis. Quelles sont les raisons qui t’ont amené à faire de ce morceau le premier single ? Au-delà de l’énorme production de Nodey…

F : Plusieurs raisons. La première en effet c’est l’instru, super efficace pour arriver, même si ce beat a dérouté pas mal de monde. Je me suis rendu compte que beaucoup de gens s’attendaient à ce que je débarque avec un petit piano comme à l’époque de Skunk Anthology. Nodey, qui a produit cette instru, est vraiment un excellent beatmaker.

Le premier truc que j’ai trouvé dans ce morceau, c’est le titre. Je voulais à la base faire un son qui claque en live, un morceau destiné au public. Ce morceau traite aussi de la réussite, et l’expression l’emporter haut la main faisait sens. « Haut la main », c’est à la fois un titre qui parle de la réussite et qui harangue le public à lever haut la main. Ce titre est vraiment adressé à mon public. Je leur dis dessus que cet album va être la continuité du premier, l’instru est peut-être différente, mais ça reste la suite logique. J’ai eu quelques échos, de gens qui ne comprenaient pas l’instru, ça m’a fait réellement chier. Comment peut-on ne pas se prendre cette instru en pleine tronche ? Je ne comprends pas ! Bref, je casse aussi les clichés d’une certaine manière avec ce titre, je dis que ma réussite c’est voir mon public en concert lever bien haut la main, alors oui je veux gagner de l’argent avec ma musique mais la véritable réussite c’est de prendre du plaisir et d’en donner. On est loin d’un discours convenu dans le rap je trouve. Le refrain résume tout ce qui m’a amené à faire ce nouvel album, écoute-le bien, décortique-le, c’est un très bon résumé de la réalité de mon rap. Et c’est aussi pour cette raison que j’ai choisi de faire de ce morceau le premier extrait. « Haut la main » fait vraiment le lien avec J’éclaire ma ville. En gros je dis au public qui m’est resté fidèle que moi aussi je lui suis resté fidèle.

A : Tu es en train de clipper le morceau ?

F : Oui, on a pris des images du concert du Bataclan, on va en prendre aussi pendant le concert à La Miroiterie le 13 octobre [NDLR : Interview menée le mardi 2 octobre]. On voulait amener ce côté live. On aurait aimé sortir le clip plus tôt avec Tcho qui le réalise mais je n’avais pas de concert prévu avant, du coup on a attendu un peu et puis le concert de la Miroiterie s’annonce comme un concert de ouf.

« Itinéraire Bis est un cran au-dessus de J’éclaire ma ville, et je le pense sincèrement. »

A : Comme tu nous disais en début d’interview, tu as revu par la force des choses une bonne partie de ton équipe de beatmakers…

F : Oui, enfin il y a encore Soul Children. Ils ont produit la moitié de l’album, j’ai enregistré le disque chez eux. Ils m’ont mis le pied à l’étrier en me donnant les deux premiers instrus de l’album. Après, en effet Keumaï ou Ayastan avec qui j’avais fait des titres  comme « 1 pour la plume » ou « J’éclaire ma ville » avaient plus ou moins arrêté de faire du son. C’était mes beatmakers de cœur, ceux sur qui je comptais.

C’est long de trouver des instrus qui te plaisent vraiment. J’ai mis trois ans et demi pour trouver treize instrus. Mais je ne regrette aucun de mes choix, toutes les instrus sont d’un très haut niveau. J’ai eu la chance de faire de bonnes rencontres. On retrouve donc aussi Nodey, qui avait produit le morceau « Rap théorie » sur la compilation de DJ Blaiz’ Appelle-moi MC. Il y a Just Music de Marseille, des potes de Nosé 132 qui a fait ma pochette et est à l’origine de la marque Wicked One. Il y a aussi Fays Winner et Angeflex que je ne connaissais pas à la base. Ils m’ont envoyé des sons par Internet et j’en ai gardé deux. Je les remercie de m’avoir sollicité. J’ai reçu énormément de sons par Internet et ce sont les deux seuls que j’ai conservés. Je considère que la relation avec les beatmakers c’est quelque chose de primordial. S’ils n’étaient pas là, il n’y aurait pas eu d’album. Pour moi, c’est aussi leurs morceaux et il faut qu’ils en soient contents. Je les tenais au courant à chacune des étapes de l’avancement des morceaux. Quand je trouvais le titre, le refrain, un couplet, je les informais, pareil pour les mixs et la réalisation de chaque titre. Les bonnes collaborations font les bons titres.

A : Justement, tu avais donné aux beatmakers une certaine direction musicale vers laquelle tu souhaitais aller ?

F : Non, il n’y avait pas de direction artistique prédéfinie. Je dis toujours aux beatmakers de faire ce qu’ils aiment et ce qu’ils savent faire. Ma seule direction c’était : il faut que l’instru défonce, que ça fasse bouger la tête, que ça fasse le meilleur morceau possible et que cet album soit encore meilleur que J’éclaire ma ville. Il fallait que l’album soit homogène et il l’est. Itinéraire Bis est un cran au-dessus de J’éclaire ma ville, et je le pense sincèrement.

Le seul truc où j’ai voulu prendre une direction particulière, c’est au niveau du flow. J’ai souvent entendu que mon flow était monocorde et linéaire. J’ai essayé d’améliorer ce point-là. Mais il est vrai qu’Itinéraire bis est plus ouvert au final même si ce n’était pas une volonté au départ. On peut considérer qu’il y a plus de diversité que dans J’éclaire ma ville. Sur le premier album, au niveau des invités on va dire qu’il n’y avait que des gens de la même école, et plus précisément du dix-huitième arrondissement. Là c’est différent, c’est vrai que c’est plus ouvert. J’ai invité Taïro et Tiwony, il y a aussi Calamity Jeanne qui a une voix superbe, loin de ce que le pauvre R&B français nous sert actuellement. Moi-même je chantonne sur un track, j’ai écrit un refrain chanté en anglais. C’est vrai que c’est plus ouvert mais tout s’est fait de manière simple et évidente avec tout le monde.

Mais s’il y a plus de diversité au niveau des invités, ce n’est pas forcément pour m’ouvrir à d’autres publics. De la même façon, si j’ai invité OrelSan ce n’est pas pour m’ouvrir à son public. J’avais eu l’occasion de le rencontrer par hasard en studio deux ans plus tôt, on s’est échangé des amabilités et nos contacts et puis il m’a dit que ce serait bien qu’on fasse un titre ensemble un jour. Je ne savais même pas qu’il connaissait ce que je faisais. Je l’ai appelé, on a bavardé plusieurs heures, et un jour je lui ai proposé de faire un titre pour mon album après m’être rendu compte que ça pourrait coller. C’est un mec qui est vraiment cool en plus d’être talentueux et très professionnel. Les gens peuvent considérer qu’OrelSan et moi, c’est un peu le jour et la nuit. J’ai une voix grave et plutôt rocailleuse, il a une voix beaucoup aiguë, un timbre de voix très différent. Je suis à 100% indépendant et lui évolue dans d’autres mondes aujourd’hui, on ne vient pas de la même école, on ne représente pas tout à fait les mêmes choses mais le morceau tient la route et on se complète bien.

« Je me sens plus proche d’OrelSan que de 80% des mecs dont on dit que je suis sur le même créneau. »

A : Effectivement, OrelSan sur un album de Flynt ça ne semblait pas l’évidence même…

F : Tant mieux si c’est surprenant. Pour moi, maintenant que je le connais un peu, ça sonne comme une évidence. Je sais que ça va faire grincer des dents, mais je me sens plus proche de lui – qui est abordable, simple et professionnel – que de 80% des mecs dont on dit que je suis sur le même créneau. Des mecs avec qui humainement ça ne passe pas toujours, artistiquement pareil, voire parfois pas du tout. On se retrouve sur un morceau cohérent. Je comprends que ça puisse dérouter mais que les gens écoutent déjà le titre. Je n’ai pas la même originalité que lui, il a son univers, j’ai le mien et ça fonctionne. J’ai lu que certains s’offusquaient de sa présence sur mon disque. Ça me fait bien marrer. Je remarque qu’en fait certaines personnes de mon propre public croient me connaître mais en fait ils me connaissent mal ou alors ils connaissent mal Orelsan.

A : Tu peux nous expliquer le choix du titre : Itinéraire bis ? On peut imaginer plusieurs sens et explications derrière cet intitulé.

F : Le sens principal est lié au chemin que j’ai pris dans la musique. Un chemin où tu roules moins vite, une petite route sinueuse avec des virages, pas mal de montées, ce n’est pas une autoroute. Mais tu as une liberté plus forte, tu peux t’arrêter, tourner à droite, à gauche quand tu veux comme tu veux. Tu fais ton propre chemin quoi. Ce titre illustre la longueur et la complexité du chemin, mais aussi cette liberté de mouvement. J’éclaire ma ville c’était aussi un peu mon itinéraire, ma vie. Le Bis est là dans le sens rappel, et dans le sens du second volet.

Le disque a failli s’appeler Yo. J’ai pas mal hésité entre ces deux titres. Je pensais au titre Yo après avoir écrit le morceau « Les clichés ont la peur dure ». Yo, c’est le mot de contact, le grand classique du rap, il a traversé les époques. C’est très Hip-Hop comme terme. C’est un mot de bienvenue, c’est un salut. J’ai sondé mon entourage et pas mal de potes m’ont dit que ce n’était pas si clair que ça. Avec le recul, je ne regrette pas. Itinéraire bis c’est très bien.

A : On retrouve pas mal de références au foot, comme sur ton premier album. Tu dis notamment « C’est mon gros mais ce n’est pas Pierre Menès, il ne casse pas de sucre sur mon dos… » ou encore « après 31 ans j’ai quitté Paris comme Georges Weah. »

F : Oui, et il y en a d’autres, sur « J’en ai marre de voir ta gueule », je dis : « j’ai des velléités de départ comme un bon joueur de Ligue 1. » J’aime bien le foot et il y a beaucoup de parallèles à faire et de similitudes entre un artiste et un sportif. Le physique, le mental, le fait de créer quelque chose, le rapport au public, la préparation… Thème que j’avais notamment abordé sur « Comme sur un playground ».

A : En 2007, tu nous disais que « la promo, l’exposition médiatique, ça fait pratiquement tout le travail quand tu vois les grosses merdes qui sortent et qui cartonnent. » En 2012, tu dresses le même constat ?

F : Oui, ça fait beaucoup, je le pense toujours. Mais les choses ont tellement changé depuis 2007. Les oldtimers comme moi, nous sommes obligés de nous adapter, aux réseaux sociaux, à YouTube. La plupart des magasins indépendants ont fermé, la presse Hip-Hop n’existe pratiquement plus à part sur le net et à part le magazine International Hip-Hop, les radios comme 88.2 ont changé aussi, le CD va devenir très bientôt une antiquité. Tu as un peu un retour au vinyle mais globalement le modèle a changé, la façon d’amener des disques et des titres aussi. Le public a lui aussi changé, il s’est élargi, il est à la fois plus jeune et plus ancien. Qu’on le veuille ou non, c’est comme ça. La promo fait beaucoup oui… mais pour moi qui que tu sois, que tu aies une grosse exposition médiatique ou pas, quand tu as rencontré ton public tu as gagné. La promo ça aide forcément, je le vois moi sur le lancement de mon disque, je travaille avec MPC [NDLR : agence de promotion Hip-Hop] et leur travail est précieux.

A : As-tu des attentes particulières autour de ce nouvel album ? J’imagine que tu as hâte de le jouer sur scène.

F : J’aimerais déjà que cet album plaise, que l’on dise que ce sont des bons morceaux de rap. Et puis, oui, prendre ma petite bande de potes et faire des scènes. Avoir la fierté d’être allé au bout de mon projet tout en gagnant un peu d’argent pour pouvoir continuer. Je ne néglige pas cette dimension pour ce nouvel album, même si ce n’est pas le but premier.

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