Dosseh : « Je peux te faire danser et penser »
Interview

Dosseh : « Je peux te faire danser et penser »

Après dix années de rap, Dosseh est enfin en passe d’acquérir un nouveau statut, celui qu’une flopée d’auditeurs lui promettaient depuis ses premiers projets. Discussion à tête reposée avec un artiste qui a un plan.

2015

Dosseh : Après Perestroïka, il y aura Summer Crack Vol. 3 cet été et Yuri plus tard dans l’année. J’ai toujours été un bosseur mais je ne disposais pas de l’infrastructure qui me permettait d’être aussi productif que je le voulais. Maintenant que je l’ai, je ne vais pas me gêner. Aujourd’hui, je n’ai que le rap dans ma vie. J’ai un studio à disposition et je viens enregistrer quand je le veux. Avant, je payais entre 150 et 200 euros la séance. Pour dix séances, ça fait 2000 balles à sortir de ta poche, sachant que l’argent ne tombe pas des arbres… C’était plus compliqué.

A comme Argent

D : Quand ça fait plusieurs années que tu essayes de monter un business, tu as envie que ça paie au bout d’un moment. Quand est-ce que je vais arriver devant la daronne et lui dire « je t’ai acheté une maison » ? Même à titre personnel, tu as envie de bien vivre de ton activité, d’être à l’aise, de ne pas être obligé de penser à faire des plans tordus pour avoir de l’argent.
Plus largement, j’ai toujours eu une âme d’entrepreneur. Mon frère [NDLR : Pit Baccardi] est aussi comme ça. Je pense que ça vient de nos parents qui sont comme ça. De mon côté, l’indépendance a amplifié ce trait de caractère. Tu es obligé d’entreprendre des projets pour exister en indépendant. Plus largement, ce qui m’intéresse, c’est faire des affaires. Je crois que je préfère faire des affaires que rapper. Et je kiffe rapper hein ! Si je n’avais pas été rappeur, j’aurais fait des affaires. Je ne peux pas faire mes trente-cinq heures dans un boulot qui ne m’intéresse pas. Et j’ai fait plein de petits boulots, des trucs de phoning, des trucs alimentaires. Je n’ai jamais été gardé dans ces boulots parce que je n’ai jamais pris ça au sérieux. C’était comme si j’allais en cours : le jour où tu es trop fatigué pour te lever, tu n’y vas pas [Rires]. J’ai besoin d’être investi, plus que passionné. Demain, je pourrai gérer un business de pneus s’il le faut. J’ai juste besoin de sentir que c’est moi qui suis en charge.

B comme Booba

D : Les gens m’ont énormément parlé de Autopsie et Lunatic. « Dosseh, tu aurais dû exploser après ça ». Il y a des raisons si ça ne s’est pas passé comme ça mais tu te doutes bien que c’est indépendant de ma volonté. Si ça ne s’est pas fait c’est que ça ne devait pas se faire à ce moment-là, tout simplement. Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que je n’aurais pas été prêt artistiquement. J’étais un talent brut qui s’est taillé petit à petit. À l’époque de Autopsie, je ne mettais pas encore assez d’intelligence dans mon talent et je n’aurais pas pu transformer l’essai. C’est pour le plan artistique. Sur le plan privé, j’ai aussi eu des galères sur lesquelles je ne me suis jamais étendu mais qui m’ont empêché d’embrayer. Les gens ont du mal à comprendre que l’équation n’est pas aussi simple que « featuring avec Booba = succès instantané ». Mais bon, ce type de remarques n’est pas méchant. Ce qui m’a dérangé, ce sont les propos des gens du milieu, rappeurs, producteurs ou médias, qui ont dit que j’étais mort. Comment, en étant dans le business, peut-on considérer qu’une collaboration, qu’elle ait lieu avec Jean-Jacques ou avec Booba, est plus déterminante dans la carrière d’un artiste qu’une bonne signature en maison de disques ? Si tu es un professionnel de la musique et que tu penses ça, tu es bête. D’ailleurs, soyons sérieux, qui a vraiment su gérer le virage post-Booba ? Kaaris. Pourquoi ? Parce qu’il a été encadré directement. Il a pu bosser avec Therapy qui est quand même derrière de gros succès comme celui de Sefyu. C’est différent quand tu es encadré.

C comme Chant

D : C’est venu naturellement. J’écoute beaucoup de rap américain et les rappeurs chantent de plus en plus, mettent de plus en plus de mélodies dans leurs sons. D’ailleurs, c’est leur grande force : même quand ils envoient du gros son, il y a toujours une mélodie qui rend le morceau cool, qui fait qu’une meuf peut kiffer le morceau, que quelqu’un qui ne suit pas le rap peut kiffer le morceau. J’ai toujours aimé ça chez les américains mais, avant, je n’arrivais pas à retranscrire mes influences dans ma musique. La première fois que je me suis lâché, c’était sur la première version de « Miley », le titre de Joke. J’avais posé un premier couplet chantonné, crapuleux mais chantonné. On avait tous kiffé en studio mais, en le réécoutant, on s’est dit que c’était pas le plus pertinent pour ce morceau. J’ai finalement posé un couplet de rap pur mais on avait en tête de garder ce délire pour la suite. Je voulais utiliser ça pour montrer aux gens que je me renouvelle, c’est super important.

D comme Def Jam France

D : Il y a aussi un aspect psychologique dans la musique. À partir du moment où tu signes, il y a plein de gens qui ne te calculaient pas qui vont commencer à s’intéresser à toi. En plus, Def Jam est un peu le label du moment : Lacrim, Joke, Kaaris… Ce sont les mecs qui ont le buzz. Le fait que mon nom soit associé à tout cela lui donne une brillance qu’il n’avait pas avant. D’ailleurs, on parle tellement de Def Jam que plein de gens pensaient que Gradur était aussi signé ici ! A côté de ça, il faut ajouter le travail fourni : on a été très actif depuis « Illuminati ».

E comme Ecriture

D : Je ne suis pas à la recherche de la punchline ou de l’image super marquante. Je pense simplement qu’au bout d’un moment tu as des automatismes qui se mettent en place et ça devient ta manière d’écrire, tout simplement. Par exemple, j’ai de très bons retours sur “Bando” mais c’est un texte que j’ai écrit en one shot au studio. A la limite, je vais plus me prendre la tête sur les flows que sur l’écriture en elle-même aujourd’hui.

I comme Illuminati

D : Depuis quelques années, les internautes sont devenus fous avec ces histoires d’illuminatis, de francs-maçons et de reptiliens. J’ai remarqué que, quand un artiste passait un cap, les gens voyaient forcément une conspiration occulte derrière plutôt que de se réjouir pour lui. Ils s’imaginent qu’une signature à Def Jam veut forcément dire une cérémonie dans un lieu secret avec des mecs en toges [rires]. Même avant de signer et de mettre un pied dans l’industrie, je ne comprenais pas comment les gens pouvaient croire à ça, je les trouvais stupides. Après, je suis conscient que le monde est dirigé depuis la nuit des temps par des grands groupes de pouvoirs, par des grandes familles. Maintenant, ça devient n’importe quoi quand les gens s’excitent dès qu’un mec fait un triangle avec ses mains dans un clip à 3’36. Calmez-vous ! Les rappeurs sont des gens normaux, qui viennent de quartier pour la plupart, qui rappent, qui bossent et, un jour, ça finit par marcher pour eux. Fin. Les gens n’arrivent pas à concevoir que le taf puisse payer. Personne ne peut nier que ce qui m’arrive est le fruit de dix années de charbon.

J comme Joke

D : Quand on a fait « Miley », c’était du gagnant-gagnant. Je pense que ça lui a permis d’être validé par une partie plus street du public et, de mon côté, ça m’a permis d’être découvert par son public qui était sûrement un peu plus jeune que le mien. Le morceau m’a clairement apporté et, même en termes d’images, ça associe ton nom à quelque chose de frais. Quand je suis arrivé, je n’avais pas pour but d’assassiner Joke sur son morceau, comme c’est le cas de certains rappeurs quand ils collaborent. Je suis venu en cainri, pour faire un bête de morceau. À notre niveau, essayons de faire un hit. On n’a pas fait ce morceau pour donner une leçon de rap aux gens. Il y a d’’autres types de morceaux pour ça. On voulait juste faire un banger, un truc très orienté strip-club Atlanta.

K comme Karma

D : J’aimerais retenter l’expérience cinématographique. J’ai énormément de projets mais j’ai appris quelque chose ces dernières années : on ne peut pas poursuivre deux lièvres à la fois. En m’engageant dans l’aventure Perestroïka, l’idée était d’abord de faire de « Dosseh le rappeur » un personnage fort, une marque. Une fois que ce sera fait, ce sera plus simple de faire autre chose. Je bâtis ce que j’ai à bâtir et, à partir du moment où j’aurais posé le toit, je pourrais penser à ajouter une terrasse avec un sol en marbre [rires].

M comme Manager

D : Je connais Oumar depuis près de huit ans. Je l’ai vu évoluer dans son business. Je l’ai vu prendre des artistes inconnus comme Dixon et arriver à les faire exister. Ensuite, j’ai vu ce qu’il a fait avec Joke. Au début, je ne comprenais pas du tout Joke. Je me disais : « mais qu’est-ce qu’il raconte frère ? C’est un ouf lui ! » [rires]. C’était pas méchant, c’est juste que je ne connaissais pas son univers, qu’il venait de Montpellier… C’était un choix surprenant de le signer pour moi. J’ai vu le truc se travailler et j’ai compris qu’il était bon. Derrière le rappeur, j’ai aussi vu le boulot réalisé par Oumar. Mine de rien, Joke a été super bien travaillé : il y a encore deux ans et demi, il n’y avait qu’une partie du milieu hipster qui le connaissait mais, dans le rap, il était inconnu au bataillon. Aujourd’hui, il fait partie des têtes d’affiche ou, en tout cas, de ceux qui sont en passe de le devenir. J’ai réalisé qu’Oumar était vraiment chaud et que c’était quelqu’un qui pouvait vraiment t’apporter quelque chose.

O comme Orléans

D : J’ai toujours représenté Orléans. Depuis que je rappe, je crie « Orléans » et « 45 » partout où je vais. Sur chacun de mes projets, il y a des gars d’Orléans invités. J’ai toujours consacré au moins un morceau à cette ville. Dans les Summer Crack, il y avait des mecs d’Orléans qui avaient des morceaux solos. Les gens qui disent que je me mets à parler d’Orléans depuis peu n’ont jamais écouté ce que j’ai fait dans le passé. On ne peut rien me dire là-dessus. Sur Perestroïka, il y a d’ailleurs le titre « Orlins » avec Ppros et Mckoy. Pour la petite histoire, je connais Ppros depuis super longtemps et il rappait avant moi. J’ai eu de longues discussions avec lui dans lesquelles je lui disais de profiter du fait que j’avais un pied dans la musique. On va dire que la conversation a mûri ces derniers temps et, depuis un an et demi, il est en train de faire monter sa côte.

P comme Province

D : Je ne pense pas que ce soit un pur hasard si de plus en plus de rappeurs de Province connaissent le succès. Je pense que le rap s’est ouvert. Des gens comme Médine ou moi ont crédibilisé le fait de venir de Province. C’est pour ça qu’il n’y a plus de complexe d’infériorité entre la Province et Paris. Psychologiquement, le fait qu’un mec d’Orléans ou du Havre rappe aussi bien qu’un parisien a contribué à ouvrir des portes pour les rappeurs de Province.

R comme Redrumusic

D : Lenny est originaire de Belgique, il a vingt-deux ans et il a la dalle. Je l’ai connu il y a quatre ans quand il était venu me parler sur le net pour m’envoyer des productions. À l’époque, je me cherchais une couleur musicale et je trouvais qu’il avait quelque chose en plus. On a commencé à travailler ensemble sur Summer Crack Vol. 1 avec le morceau « Fume cette merde ». Il a fait la quasi-totalité des productions de Summer Crack Vol. 2, de Karma, de Perestroïka… C’est devenu mon beatmaker attitré. Sur Yuri, le vrai premier album, je pense que je ferai appel à d’autres producteurs pour amener de la diversité et se dépasser.

S comme Succès

D : Je me souviens que Nessbeal, avant son premier album, disait qu’il arrêterait le rap s’il ne rencontrait pas le succès. Je n’ai pas la même vision que lui. Si ça ne marche pas, je commence par me demander ce qui fait que ça ne marche pas. Je suis resté pendant dix ans en indépendant et si j’ai tardé à concrétiser des choses c’est sûrement parce que j’ai fait des erreurs. Ce n’est pas uniquement un concours de circonstances ou la faute des autres. Tout le monde s’est toujours accordé pour dire que j’étais talentueux. D’accord. Tout le monde me disait que j’étais un des meilleurs de ma génération. D’accord. Je sais que je ne suis pas pourri et que je ne suis pas le seul à le penser, c’est une première chose. Dans ce cas-là, pourquoi, Niro et Kaaris pètent deux ans après que je les ai invités sur Summer Crack Vol. 1, à une époque où on avait à peu près le même niveau de notoriété ? A un moment donné, il y a un truc que tu as mal fait. Tu te remets en question et tu cherches à combler tes lacunes.

T comme Temps

D : Je savais que je voulais faire un titre comme « L’âge de nos actes » depuis longtemps. C’est en référence à une phase de Lino sur « 95 rue Borsalino ». Dessus, il disait « on a l’âge de nos actes et la sagesse de nos conséquences. » Cette phrase m’avait marqué. Sur « L’âge de nos actes », je dis « j’ai plus l’âge d’avoir la rage, j’ai l’âge d’être résigné. » Quand je dis ça, je me mets à la place d’une personne extérieure, qui me regarderait et me dirait : « Non mais mec, arrête ces conneries, t’as plus l’âge. » C’est vrai que ça me travaille beaucoup [sourire]. J’essaie de faire le rap le plus sincère possible et je parle des choses qui me trottent dans la tête, ça en fait partie. En réalité, je n’ai pas une petite carrière et c’est normal de se poser des questions au bout d’un moment.

V comme Violence

D : C’est vrai que le rap s’est durcit. Je ne dis pas ça pour me dédouaner mais, d’une manière générale, je ne parle quasiment jamais d’armes à feu. Après, il y a « Bouteilles et glocks » mais, pour moi, ce morceau n’est rien de plus qu’un banger. Après, quand j’ai vu le clip des petits de Sarcelles [NDLR : une polémique a enflé récemment suite à la mise en ligne d’un clip de rap dans lequel des enfants âgés de dix à douze ans montraient des liasses de billets et des armes à feu], j’ai été choqué. Surtout, je me suis demandé qui était le grand frère qui avait orchestré tout ça. Les mecs n’ont même pas de poils aux couilles, ce sont des bébés ! Je leur aurais interdit de faire ça si j’avais été un grand de leur quartier, tout simplement parce qu’ils sont trop petits.
Ceci dit, c’est vrai que c’est compliqué parce que ces petits ont été influencés par des grands, par des mecs comme nous. C’est complexe mais, en tant qu’être humain, évidemment que je ne peux pas valider ça. Il y a quelque chose que je me tue à dire en interview : il faut toujours essayer de capter la part de divertissement qu’il y a dans un morceau. « Miley », « Le coup du patron », « Bouteilles et glocks »… Ce sont des morceaux de voitures ou de clubs. Tu n’écoutes pas « Nirvana » de Doc Gynéco pour la même raison que tu vas écouter « Bouteilles et glocks ». Tu ne vas pas écouter « The Message » de Nas pour les mêmes raisons que tu vas écouter « Versace » de Migos. Il faut arriver à faire cette distinction. Certains titres se prêtent au premier degré, d’autres pas. J’aime bien dire que je peux te faire danser et penser.

Y comme Yuri

D : Yuri sera pensé autrement que Perestroïka et c’est ce qui fait la différence entre un album et une mixtape. Perestroïka a pour but de me repositionner : « allez, on repart sur de nouvelles bases et, à partir de maintenant, on va tout baiser. » Voilà l’ambition de ce projet. C’est la première pierre, la première droite que tu mets dans un combat. Je le vois exactement comme Paraplégique ou Rééducation de Niro. C’est ce qui va me permettre d’enchaîner.

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