Dom Kennedy, l’économiseur de mots
Interview

Dom Kennedy, l’économiseur de mots

Du quartier de Leimert Park à Los Angeles jusqu’au Nouveau Casino à Paris. Dom Kennedy nous a raconté son histoire à travers le prisme de quelques-uns de ses morceaux fondateurs.

Photographie : Jeanne Frank

Dix-huit mois après son premier concert parisien, Dom Kennedy est revenu propager l’amour de South Central le 11 avril dernier au Nouveau Casino. À travers l’hymne de l’été 2012 « My Type Of Party » et quelques autres morceaux clés de sa discographie, le rappeur californien en a profité pour nous raconter son quartier de Leimert Park, ses influences, sa passion pour le vin et le baseball, son statut d’artiste indépendant, son style d’écriture ou encore la nouvelle scène de Los Angeles. Une rencontre qui peut se résumer en un mot comme en cent : cool.

« Locals only » (From The Westside With Love – 2010)

La fille dans le clip n’est pas française, c’est pour ça qu’il y a les sous-titres, pour pas que ceux qui parlent français grillent le truc [rires]. Et puis ça ajoute un peu de mystère, le français ça crée tout de suite une certaine ambiance, ça renvoie à un certain imaginaire, le clip repose là-dessus. C’est la seconde fois que je viens en France. Beaucoup de pain, de vin, de beurre. Et d’Air Max aussi [rires]. Surtout beaucoup de vin en fait… Et les filles ! J’ai visité le Louvre, la Tour Eiffel bien sûr. Les gens en général savent se mettre en valeur en France, en particulier à Paris, c’est agréable de voir autant de personnes attirantes. Ça ressemble un peu aux States, mais avec le français en plus.

« Dreams don’t come true »  (25th Hour – 2008)

Oh ouais, j’avais complètement oublié ce clip-là ! Avec les vidéos et les photos à l’ancienne. J’ai grandi à Los Angeles, enfance normale dans les années 90, adolescence dans les années 2000. Le baseball, le basket, les sapes, les meufs, tous les trucs que tu vois dans le clip en somme. Prendre du bon temps, c’est ça le style de vie des jeunes de L.A. au fond. Il n’y a pas grand-chose qui les intéresse à part avoir un peu de thunes pour pouvoir s’éclater et vivre au jour le jour. J’ai commencé à rapper vers douze, treize ans, pour m’amuser. Mais ça n’est qu’à la fac, à Santa Monica, que je m’y suis mis sérieusement. À tel point que j’ai vite décidé de lâcher mes études de business pour me consacrer pleinement à ma musique. Je n’avais pas envie de finir avec un job à la con, je préférais enregistrer des morceaux, voir où ça pouvait me mener. Et ça m’a pris deux ans pour sortir ma première mixtape, 25th Hour.

« Who Rollin wit me »  (25th Hour – 2008)

Mon tout premier clip, tourné dans mon quartier de Leimert Park, auquel j’ai aussi dédié un morceau sur From The Westside With Love [NDLR : “A Leimert Park Song”]. Qu’est-ce qui rend Leimert Park si cool ? Les habitants, vraiment. Les gens se réunissent le dimanche pour jouer de la musique ou danser. Il y a plein de petits restos sympas, de barbiers, etc. Le fameux Good Life Cafe également, même si je n’y suis jamais allé parce que les potes avec qui je traînais à l’époque n’étaient pas trop dans le délire Project Blowed, donc moi non plus. Au-delà d’être un des principaux spots culturels de Los Angeles, Leimert Park est surtout un endroit où il fait bon vivre, tout simplement. Tu me dis que John Singleton le surnomme le “Black Greenwich Village” ? Il y a un peu de ça oui, j’imagine. C’est effectivement un quartier à majorité afro-américain et plutôt de classe moyenne. Si mon rap a une vibe cool, c’est parce qu’il reflète cet environnement dans lequel j’ai grandi. À L.A., d’un côté tu as le ghetto, de l’autre Beverly Hills, et au milieu Leimert Park.

« Watermelon Sundae » (25th Hour – 2008)

C’est le morceau qui m’a fait connaître. On avait tourné le clip sur un weekend : la scène de la piscine le samedi et quand je me balade sur 7th Avenue le dimanche. Il y a bien sûr un jeu de mots avec Sunday, parce qu’à Leimert Park comme je disais, dans tout le district de Crenshaw en fait, le dimanche est un jour spécial. L’ambiance est plus peace que le reste de la semaine, les gens sortent se promener ou laver leur voiture, il y a plus de monde dans les rues, les boutiques et les restos ouvrent plus tôt, les gamins jouent dehors, tu peux voir des défilés de lowriders sur Crenshaw et Vernon [NDLR : carrefour à l’extrémité sud-ouest de Leimert Park], des barbecues et des concerts improvisés dans les parcs, etc. Le dimanche c’est en quelque sorte le jour qui symbolise le mieux le style de vie relax de Los Angeles. T’as l’impression qu’il fait toujours beau le dimanche, que les soucis et le stress du quotidien disparaissent l’espace de vingt-quatre heures. Tu sors en boîte et tu fais la fête le vendredi ou le samedi, mais le dimanche tu te détends avec tes proches, en matant les matchs de foot ou de basket à la télé ou en allant à la plage. C’est ce que j’aime, passer du bon temps avec les miens. Le dimanche c’est mon jour.

« Bouncin » (DPGC’ology – 2012)

C’est marrant, quelqu’un d’autre m’a déjà cité ce morceau dans une précédente interview. J’ai crû comprendre que Tha Dogg Pound était un groupe assez culte en France auprès des amateurs de rap Westcoast. Perso, c’est clairement une de mes plus grosses influences. D’ailleurs je voulais faire partie du Dogg Pound quand j’étais môme. Sinon il y a DJ Quik [NDLR : il pointe du doigt le T-shirt de Kicket à l’effigie de DJ Quik], Snoop évidemment, Ice Cube, etc. Tous les rappeurs de L.A. en vogue vers 1991-1996, qu’on voyait à la télé ou qu’on entendait à la radio. Leur musique retranscrivait parfaitement comment on vivait, c’était la bande-son de nos vies.

« Je peux aussi bien faire des sons avec Pu$haz Ink qu’avec TDE ou Nipsey. »

« Playa Fo Life »  (No Trespassing – 2012)

J’ai eu la chance de collaborer avec Too $hort. Lui et E-40 sont de loin les rappeurs de la Bay Area que j’ai le plus écoutés. Tiens, en parlant d’E-40, je n’ai pas encore eu l’occasion de goûter sa marque de vin [NDLR : Earl Stevens Selections, impossible à importer en France], il faudrait que je le fasse. Dans le bus le matin quand j’allais à l’école, je me rappelle que j’écoutais aussi Rappin 4-Tay, Dru Down, The Click et pas mal d’autres. Mais E-40 en solo et Too $hort sont les plus importants, tout le monde les connaît, ils ont sorti tellement de classiques au fil des ans, ils ont une longévité incroyable, contrairement à la plupart des rappeurs qui ont eu du succès par-ci par-là puis ont disparu.

« Notorious Dom » (25th Hour – 2008)

Je suis sûr que Biggie était un gros fan de rap West Coast. C’est pour ça qu’il était aussi populaire, même à L.A. Attends, l’instru de “Big Poppa” c’est super Westcoast ! Je suis moi-même un très gros fan de Biggie. Autant que je m’en souvienne, c’est un des premiers rappeurs qui m’ait donné envie d’écrire mes propres textes. J’ai commencé à rapper à l’époque où il est mort. La chute du rap, entre guillemets, m’a motivé à devenir rappeur, c’est une année importante pour moi, d’où le titre de ma chanson “1997”. Si on parle des rappeurs new-yorkais ceci dit, le premier que j’ai kiffé c’est Big Daddy Kane. J’étais tout jeune à l’époque, je matais ses clips, je ne comprenais pas trop mais je trouvais qu’il avait du style. Idem pour LL Cool J. Nas et Jay Z bien sûr, mais eux sont venus un peu plus tard. En tout cas, si je devais ne retenir qu’un seul rappeur Eastcoast, ça serait Biggie, sans hésiter.

« Miss Donna Karen »  (LAUSD Presents Curly Tops & Nautica Jackets – 2009)

Mes potes qui ont réalisé cette compilation seraient ravis de t’entendre dire qu’elle fait un peu office d’acte de naissance de la nouvelle scène rap “cool” de L.A. : Polyester The Saint et Lazy Lou. Franchement, c’est possible. Il se passait plein de trucs à l’époque, il y avait plein de talents en train d’émerger, mais qui bossaient chacun dans leur coin. Poly et Lou ont été parmi les premiers de notre génération à avoir leur studio et à proposer leurs instrus à tout le monde, à mettre les artistes en contact via ce projet de compile. En réalité, la plupart des gars présents sur Curly Tops & Nautica Jackets, je les ai rencontrés pour la première fois à cette occasion. Après, est-ce qu’on peut vraiment distinguer les rappeurs que tu appelles “cools” de Kendrick Lamar et son crew Black Hippy ou des rappeurs plus street comme YG et Nipsey Hussle ? [Il hésite] Si tu regardes la scène actuelle de L.A. de l’extérieur, je comprends que tu sois tenté de la classifier ainsi. Mais vu de l’intérieur, on représente tous la même chose. C’est juste qu’on vient de quartiers différents, donc on a des perspectives et des histoires qui varient légèrement. Certains mecs ne quittent jamais leur quartier. Moi, je connais du monde un peu partout dans Los Angeles. Je peux aussi bien faire des sons avec Pu$haz Ink qu’avec TDE ou Nipsey, peu importe, parce que dans la vraie vie je vais là où ces mecs habitent. J’ai de la famille à Compton, j’ai des amis à droite à gauche, en dehors de la musique, donc ça me permet de m’identifier plus facilement à leur vécu. Au bout du compte, on partage surtout des points communs. Les histoires ou les vibes sont peut-être différentes, mais le sujet reste identique : Los Angeles.

« Menace II Society » (Cold Day In Hell – 2011)

Poly et moi on s’est donc connu grâce à Curly Tops, quand il m’avait appelé pour que je pose sur ses instrus, et depuis on travaille souvent ensemble. Il fait le refrain sur ce morceau, c’est lui qui a établi la connexion avec Freddie Gibbs [NDLR : originaire de Gary dans l’Indiana, mais installé à Los Angeles depuis 2006] et avec plein d’autres d’ailleurs. Je lui dois beaucoup. Cardo, c’est grâce à Internet. Il n’est pas de L.A. mais c’est tout comme. Il est fan de Tha Dogg Pound lui aussi et de rap Westcoast en général, ça transpire dans sa musique, c’est là qu’il puise son style. C’est pour ça qu’il démarche des mecs de L.A., pour qu’ils poussent sa musique, parce qu’il estime qu’ils vont bien dessus.

« Menace Beach » (Future Street/Drug Sounds – 2009)

Le clip a été tourné à Venice Beach où vit mon cousin dont il est question. C’est lui qu’on voit avec moi sur la pochette de Get Home Safely. Il aurait dû m’accompagner sur la tournée en Europe mais ils lui ont refusé son passeport. Il est plus vieux que moi et m’a toujours encouragé. J’ai pas mal de famille à Venice Beach en fait, donc petit je les observais lui et mes autres cousins traîner avec des Crips, ce genre de conneries. C’est ce que je raconte dans le premier couplet, tandis que dans le second couplet je rappe en me mettant à sa place. J’aime écrire des chansons pour les gens qui ne savent pas rapper, leur donner une voix en quelque sorte. Mon cousin ne rappe pas, mais s’il le faisait, il aurait écrit un morceau comme “Menace Beach”.

« J’essaie d’aller à l’essentiel, de dire le plus avec le moins de mots possible. »

« When I come around » (From The Westside With Love II – 2011)

Dans le clip, on me voit jouer au baseball, casquette et T-shirt Los Angeles Dodgers. J’ai un peu joué au basket, mais mon sport fétiche c’est vraiment le baseball. Les Dodgers, ça fait presque trente ans qu’ils n’ont plus remporté les World Series ! La saison dernière, on avait une bonne opportunité, mais un de nos meilleurs joueurs, Hanley Ramirez, s’est blessé et après c’était foutu. Cette année l’équipe est encore meilleure, donc il est temps qu’on remporte le championnat !

My Type of Party  (Yellow Album – 2012)

Mon premier gros tube. Mais je ne considère pas qu’il y a eu un avant et un après. Je continue juste de prendre du bon temps [rires]. Je savais que c’était un pur morceau, même si beaucoup de gens me disaient : « T’es fou, le beat est trop lent !« . C’est marrant de constater qu’aujourd’hui la plupart des sons qui cartonnent adoptent ce genre de tempo, alors qu’à l’époque où je bossais sur Yellow Album, ça n’était pas le cas. Tant mieux si tout le monde essaie désormais de reproduire cette formule, ça rend ma musique encore plus populaire ! J’adore vraiment “My Type Of Party”, ça a été une chanson fun à faire, elle s’est mise en place naturellement, sans se prendre la tête, c’est la marque des grandes chansons ça. Tout est parfait dessus, autant la prod de DJ Dahi que l’intro avec la voix de Don Cornelius, paix à son âme. Il est mort à peu près au moment où j’enregistrais le morceau. C’était le présentateur de Soul Train et ça m’a rendu triste parce que je l’admirais et j’aurais rêvé participer à une de ses émissions. Donc j’ai voulu lui rendre hommage et je pense que cette intro a contribué au succès de “My Type Of Party”. Tout arrive pour des bonnes raisons quand on fait les choses sans pression, avec sincérité et en s’amusant.

« O.P.M. » (From The Westside With Love II – 2011)

Mon label Other People’s Money et la partie business de ma musique ? C’est comme la partie artistique, on fait ce qu’on veut ! On signe des contrats et on taffe avec les gens avec qui on a envie de taffer. On a eu de la chance que ça paye, mais on a choisi avec soin : iTunes, Adidas, Nike, Pandora, etc. Les compagnies respectent notre indépendance et viennent vers nous directement, que ce soit moi, Archie Davis mon manager et associé, Drewbyrd mon DJ ou Mike Reesé mon graphiste et directeur artistique, qui a fait tous mes artworks depuis 25th Hour jusqu’à Get Home Safely. On gère tout nous-mêmes et on fonctionne comme une petite entreprise familiale, c’est la meilleure façon de se développer.

« South Central Love »  (Get Home Safely – 2013)

Mon flow a toujours été décontracté, aéré, presque comme si je parlais normalement. Mais c’est vrai que depuis Yellow Album, et c’est encore plus flagrant sur Get Home Safely, j’accentue ce côté-là. J’essaie d’aller à l’essentiel, de dire le plus avec le moins de mots possible. « The less the better ! » Quand tu bavardes trop, la moitié de ce que tu racontes est superflu et neuf fois sur dix tu te rends compte à quel point tu as l’air stupide. Bref, j’essaie d’appliquer un songwriting traditionnel à mon rap. La dimension musicale est également essentielle. Imagine “South Central Love” ou “My Type Of Party” si je ne laissais pas les instrus respirer. Il faut savoir laisser suffisamment de place à la musique pour qu’elle respire. C’est comme le vin, on est en France donc tu comprends ce que je veux dire [rires]. Si tu rappes non-stop, tu finis par noyer l’instru et plus personne ne t’écoute. Je préfère choisir d’abord des bonnes prods et y ajouter ensuite mon flow et mes lyrics par petites touches. Selon moi, la voix fait partie intégrante de la musique et doit s’accorder avec toutes les autres pistes sonores pour constituer un ensemble harmonieux. Je n’aime pas être le centre de l’attention, ce n’est pas mon style ça. 
“South Central Love” ça signifie être fier de soi et de la communauté à laquelle on appartient. C’est représenter comme il se doit. Pas en se la racontant, mais en faisant des trucs concrets. Aider son prochain s’il a besoin d’aide, lui mettre une baffe s’il a besoin d’une baffe [rires]. Rien d’extraordinaire, c’est juste ça “South Central Love”, la vraie vie.

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