Interview

DJ Khalil

Non, DJ Khalil n’est pas le palestinien le plus célèbre du rap, celui qui hurle « We the best !! » dans des clips à gros budget tournés à Miami, mais bien l’un des meilleurs producteurs actuels. De son parcours avec le groupe Self Scientific jusqu’à son travail avec Dr. Dre, Khalil est un musicien d’expérience. Une expérience qu’il partage avec nous au cours de ce long entretien.

et Photographie : Tiffany May

Abcdrduson : Peux-tu nous présenter ton parcours ?

DJ Khalil : Je suis de Los Angeles. J’ai commencé la musique au lycée en 1991, j’étais DJ et je faisais des beats. Lors de ma première année de fac à Atlanta, j’ai monté le groupe de hip-hop underground Self Scientific avec mon pote Chace. J’ai alors acheté mon propre équipement, je faisais des sons tous les jours et j’ai décidé que je voulais devenir un artiste. Quand on a fini l’école, on a commencé à sortir des maxi, puis on a lancé notre label avant de sortir un premier album en 2001. A partir de là, je n’ai pas arrêté de produire, j’ai fait beaucoup de choses, j’ai notamment fait mes premiers gros placements d’instrus pour Ras Kass et Keith Murray. Peu de temps après j’ai rencontré Dr. Dre. Je travaillais avec Brooklyn, l’une des artistes qu’il avait signé, et comme il appréciait vraiment mon travail il a décidé de me faire monter à bord. De là, j’ai bossé pour me faire un nom, j’ai collaboré avec Dre et ses artistes, puis avec G-Unit. C’est là que les choses ont commencé à décoller.

A : Comment as-tu rencontré DJ Muggs ?

K : Je l’ai rencontré vers l’année 2000. Je l’avais croisé plusieurs fois avant par l’intermédiaire de Chace et son cousin Bigga B. On avait commencé à nouer contact avec lui. Il y avait un morceau de Self Scientific sur l’album Soul Assassins II et Muggs a commencé à être fan de notre musique. On est resté en contact. Lui et Chace s’entendent vraiment bien. Muggs est une légende du côté de L.A – c’est même une légende du hip-hop tout court. Comme on voulait monter un projet ensemble, on a créé le label Angeles Records.

A : Quelle est la chose la plus importante que tu as appris en travaillant avec lui ?

K : Côté business, il est vraiment au point. Il comprend que l’important en musique, c’est de résister au temps. Et il sait comment injecter de la musique mortelle au sein de l’industrie. Muggs est capable de se lancer dans des projets annexes et d’établir des contacts avec énormément de gens. Rien que Soul Assassins, c’est une marque qui existe à plein de niveaux différents, avec la mode, les tatouages de M. Cartoon. Tous ces gens appartiennent à un mouvement. La capacité à établir un mouvement, c’est une chose que Muggs et Dre ont en commun. Sur le plan créatif, il sait assembler des albums. Il vient d’une époque dorée du hip-hop où tous les albums étaient des classiques. En ce temps là, il a sorti des chefs d’œuvre, alors il sait ce que c’est. Voilà en gros ce que j’ai appris grâce à lui : gérer l’aspect business, savoir faire un disque, créer des mouvements et peu importe ce qui passe à la radio et ce que dise les modes, rester fidèle à ton son et tes origines.

A : Comment est née l’idée de lancer Angeles Records ?

K : Chace et moi, on enregistrait toujours des morceaux, on avait quitté notre ancien label et Muggs n’était plus vraiment dans Cypress Hill. Il voulait lancer quelque chose de nouveau. Sur la côté ouest, il n’y avait pas d’équivalent au label Rawkus, avec à la fois un son underground et un potentiel commercial. Alors on a créé notre propre mouvement en sortant nos propres disques. On en avait marre de ce qu’il se faisait, même côté underground, alors qu’il y avait de la place pour notre son : de la musique consciente, du vrai hip-hop qui pouvait parler à des gens de tous horizons. C’est comme ça que tout a commencé : sortir la musique que l’on voulait écouter.

A : Quel est ton statut dans le label ?

K : Je suis co-propriétaire et associé dans le label. Grosso modo, Muggs et moi, on s’occupe de la production.

A : Comment as-tu rencontré Dr. Dre ?

K : C’était en 2002. J’avais réalisé quelques morceaux pour la démo de Brooklyn, une rappeuse qu’il avait signée. Il les avait bien aimés et voulait les garder pour son album. Mais en fait, ma première rencontre avec Dre a eu lieu plus tôt, quand j’avais 13/14 ans.

A : Sérieux ?

K : Ouais, je l’avais rencontré plus jeune dans une fête chez un très bon pote à moi. Je me souviens que mon frère et moi, on avait discuté avec lui, j’arrêtais pas de lui poser des questions car je voulais devenir DJ et producteur. On a causé pendant une bonne demi-heure ensemble. C’était un des moments les plus dingues de ma vie, avec mon frère on hallucinait ! NWA, c’était un truc énorme ! En plus, c’est aussi un DJ de légende. A une époque, il sortait des mixtapes, je les avais toutes. Une fois, il avait fait un megamix de Public Enemy que j’ai toujours en cassette. C’est dingue, Dre était un grand fan de PE. D’ailleurs pour moi, NWA était l’extension de Public Enemy. Ca a été une grande influence pour moi, d’ailleurs il faudrait que je mette ce megamix sur CD et que je lui offre à l’occasion pour lui faire la surprise. J’ai absolument tous les vinyles qu’il a pu sortir. Alors en ce temps-là, le rencontrer et pouvoir parler avec lui, c’était incroyable. Quand je l’ai revu plus tard, il s’en souvenait et ça nous a fait marrer. Comme il avait bien aimé mes sons sur cette démo, on avait déjà un bon contact. A cette époque, j’avais des tonnes de sons en stock, je faisais 9 à 10 instrus par jour, alors Aftermath en réclamait toujours plus. Peu de temps après, alors qu’il mixait l’album de 50 Cent, il m’a convoqué et m’a dit « Mec, il faut que je te signe, je veux t’intégrer à l’équipe« . J’en revenais pas (rires). Alors moi bien sûr : « Pas de problème ! » [rires].

« C’est comme ça que tout a commencé : sortir la musique que l’on voulait écouter. »

A : Je sais que tu considères Dre et Muggs comme tes mentors. Qu’est-ce qui distingue leur approche de la musique ?

K : Quand tu regardes Muggs faire un son, il y a des moments où tu ne peux pas voir pas où il veut en venir, ça n’a pas de sens tant que le produit fini n’est pas prêt. Tu t’assoies, tu le regardes, et il va jouer un disque par-dessus une rythmique ou un sample qui ne sera pas forcément dans la même tonalité, ça fait une combinaison bizarre mais une fois arrivé à la fin, tu reconnais ce bon vieux son Cypress. Il est trop fort pour faire ces sons bruts et non conventionnels alors que Dre est plus académique, mais le son est tellement énorme que même un son pop aurait une saveur underground. Dre est un innovateur. A chaque fois qu’il sort un disque, sa musique change, et il lance un nouveau mouvement, que ce soit NWA, Death Row ou Aftermath. On lui doit trois époques de la musique.

A : Si tu devais sélectionner une de leurs compétences, laquelle choisirais-tu ?

K : Chez Dr. Dre, je prendrais la capacité à finaliser un morceau. Il est perfectionniste mais il va au bout de son travail. C’est un producteur dans le sens traditionnel du terme, un Quincy Jones du hip-hop. Il sait assembler les morceaux, il sait comment y amener les auditeurs. C’est un finisseur. Je l’ai vu bosser sur un morceau pendant une semaine. Il apportait des modifications, il réfléchissait à de nouvelles idées, il faisait le maximum pour en faire un titre incroyable. Dre ne cherche pas à faire un hit, il court après la grandeur d’un morceau. C’est l’une des choses que j’ai essaie d’assimiler à son contact. Parfois, ce n’est même pas une question d’apprentissage, c’est juste de savoir quand un morceau est bouclé. Tous les grands de la musique savent ça. Avec Muggs, je retiendrais plutôt le fait d’être carré sur l’aspect business. Le fait d’avoir une société avec lui et faire de la musique à ses côtés, ça m’a énormément appris. Je voudrais prendre les décisions qu’il prend quand il développe des projets hors-musique. Tout est lié à la musique, mais il peut lancer des entreprises et développer des contacts avec d’autres partenaires. C’est une chose que j’aimerais atteindre dans ma carrière.

A : Ça fait quatre ans que tu as signé chez Aftermath. Sans trop rentrer dans les détails, quel est ton rôle en tant que producteur maison ?

K : Mon rôle est de livrer des morceaux et des chansons. On a la responsabilité de créer des titres que Dre a approuvés pour les artistes signés sur le label. On travaille tous individuellement mais notre boulot est de développer le son Aftermath et faire en sorte que nos artistes reçoivent la meilleure musique possible. On se doit d’être à la hauteur de ce standard, et c’est d’autant plus dur que Dre l’a placé très haut.

A : Dans quelle mesure ton son a-t-il évolué ?

K : J’ai commencé avec un son très fort en samples. En bon crate-digger, j’achetais beaucoup de disques et je le fais toujours car ça m’apporte l’inspiration mais maintenant je préfère utiliser des musiques originales et moins sampler qu’avant. J’aspire à jouer, à arranger la musique et créer mes propres samples. Je suis en pleine expérimentation de ce côté-là. J’achète beaucoup de vieux claviers, des guitares, etc. Grâce à mon réseau, je travaille avec de nombreux musiciens et des partenaires qui m’aident dans la production d’un tas de morceaux. C’est donc une évolution car je ne travaille plus en solitaire. Le but, c’est de collaborer. Je peux vraiment être créatif, ajouter des éléments, des ponts, des arrangements de la manière que je veux. Je pars du sample pour arriver à un point où je n’en ai finalement plus vraiment besoin.

A : Il n’y a donc pas de limite à ton son.

K : Exactement. J’ai aussi expérimenté avec d’autres genres musicaux, notamment avec mon autre groupe alternatif, et on a travaillé sur plein de trucs. Ça m’apporte beaucoup côté beatmaking. Jouer du piano, mieux connaître les instruments, toutes ces choses-là. Je reste fidèle à mes bases mais j’y mélange de nombreux influences extérieures, ça va du rock progressif – sans doute le genre que je préfère le plus – jusqu’au latin jazz et tous ces autres univers.

A : Qu’est-ce qui te plait le plus dans le rock progressif ?

K : C’est une combinaison de plusieurs styles. Tu y trouveras du classique, du jazz, du rock, de la soul, du funk. Écouter du rock progressif, c’est écouter plus que du rock. Il y a des moments où tout s’écroule, des claviers de dingue style Rhodes arrivent par-dessus le son, avec des cuivres et plein d’autres choses. Il n’y a aucune limite et c’est tout à fait ce que je veux faire dans la musique. Le rock progressif est toujours dans l’expérimentation du son, il n’y a pas vraiment de structures aux morceaux. Je dépense de grosses sommes pour des disques de ce genre. J’achète tout, et surtout ce qui vient d’Europe [rires]. Ça date des années 70, du début des années 80, c’est du rock et ça vient d’Europe ? J’achète à tous les coups.

A : J’ai interviewé Focus il y a quelques semaines et il m’a raconté que son son avait été énormément évolué sous l’influence de Dr. Dre. C’est le cas pour toi aussi ?

K : Complétement. Tous les producteurs ont été inspirés par Dre, surtout depuis qu’il a sorti l’album 2001. Le son de cet album, on l’entend toujours aujourd’hui ! Il est partout. C’est impossible de ne pas être influencé par lui, il est l’un des plus grands. Beaucoup de gens sont également inspirés par Timbaland et je dirais aussi J Dilla car il était un innovateur. Quand tu écoutes certains de ses sons, il avait une approche tellement dingue que tu t’en inspirais forcément. Je pense que Focus et Hi-Tek doivent beaucoup à Dilla. Quand tu entends des choses aussi fraiches, aussi novatrices, tu ne peux qu’être inspiré.

« Tous les producteurs ont été inspirés par Dre, surtout depuis qu’il a sorti l’album 2001.  »

A : Comment décrirais-tu ton son ?

K : Je le vois comme une combinaison de la côte est et la côté ouest. J’essaie toujours d’avoir cette texture funk mais j’y ajoute ces sons west coast avec des rythmiques et des samples crades. Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis funk parce que je ne suis pas trop dans le G-Funk, je suis plus un mélange de Pete Rock et Dr. Dre, quelque chose comme ça. La côte est et la côte ouest m’ont toutes deux inspiré alors j’essaie de les combiner, et le sud aussi puisque j’ai été à l’école là-bas pendant quatre ans. J’ai appris énormément de leur façon de faire de la musique et je tente de l’intégrer à ma musique, mais ça reste surtout un mix east coast/west coast.

A : J’ai le souvenir d’une interview d’Alchemist dans laquelle il racontait qu’il avait créé un cercle d’échanges de beats pour les producteurs. Tu confirmes ?

K : Non ce n’est pas vrai, on est tous potes, on a un respect mutuel les uns envers les autres et on a tous accompli beaucoup au point de travailler avec les plus gros artistes du monde. L’autre jour, j’étais justement avec Alchemist et Evidence, et on se disait qu’on devait essayer de tisser plus de contacts pour créer une véritable confrérie de producteurs [rires]. On se file déjà des coups de main sur certains morceaux. J’ai participé à l’album d’Evidence et tout récemment j’ai aidé Alchemist sur un morceau qu’il réalise avec Fat Joe. On vient tous de la même famille et maintenant qu’on fait chacun notre truc on se rassemble. On se croirait de nouveau en 91 dans le circuit underground, du temps où Jurassic 5 et Dilated Peoples débutaient et où l’on bossait tous ensemble. La musique, il n’y a que ça qui compte, emmener le hip-hop à un niveau supérieur et retrouver ce feeling d’avant.

A : Es-tu influencé par les autres producteurs-maison d’Aftermath comme Focus, Mr Porter, Hi-Tek ou Nottz ?

K : Bien sûr. J’observe constamment ces types car ils ont accompli énormément de choses. Ils ont des singles derrière eux, et ils ont bossé avec des artistes avec lesquels j’aimerais aussi travailler. Focus et Hi-Tek font partie de mes producteurs préférés.

A : C’est drôle, Focus m’a dit la même chose à ton sujet.

K : C’est mortel. C’est une bonne chose ce respect mutuel entre nous. C’est même génial, car plus les producteurs auront envie de bosser ensemble, plus la musique sera de meilleure qualité. Je lisais récemment la biographie de Quincy Jones et j’étais fasciné par le nombre de personnes avec qui il avait collaboré. Même à 15 ans, quand il a rencontré Ray Charles pour la première fois, il écrivait déjà ses propres partitions et il travaillait avec des musiciens. Tout le bouquin parle de ça. Etre producteur, c’est être capable d’impliquer les gens pour le meilleur d’un morceau. C’est un peu notre responsabilité de le reconnaître car on ne peut pas toujours tout faire tout seul, surtout si tu veux faire de la musique qui cartonne. Il y a une forme de fraternité chez les producteurs Aftermath où chacun peut aider l’autre, Denaun, Focus ou moi. Je ne réussis jamais à parler avec Hi-Tek car il est toujours hyper occupé, mais je m’inspire de leur travail et s’ils ont besoin de quoi que ce soit, je ne suis jamais très loin.

A : Comment décrirais-tu le son Aftermath ?

K : C’est une question difficile car je ne saurais même pas comment le décrire. C’est tout simplement le son Dr. Dre, ce son énorme. Quand tu travailles avec lui, tu ne peux pas arriver sans gros son, mais ça doit rester hip-hop et authentique. Ce n’est pas de la musique bubble gum, ni ce que tu entends à la radio, il faut que ce soit intègre et novateur. Dre veut un son qu’il pourra écouter et réécouter en se demandant comment t’as fait pour le réaliser. C’est tout à fait notre objectif : être novateur tout en restant dans l’air du temps. On ne sera pas de ceux qui vont partir dans des directions obscures car on ne cherche pas nécessairement la complexité mais on veut quand même mettre la gomme.

A : Comme tu as signé sur le label depuis quelques temps, tu as vu pas mal d’artistes aller et venir. Tu as gardé contact avec certains d’entre eux ?

K : J’ai discuté avec Brooklyn il n’y a pas si longtemps. Pour d’autres, et pour la plupart je ne sais pas ce qu’ils sont devenus mais il y en a toujours avec qui j’ai des contacts. Qui d’autre…

A : Tu avais pu travailler avec G.A.G.E. ?

K : Ouais, j’ai fait trois morceaux avec lui mais après il n’y a plus eu de contact entre nous. Je ne pourrais pas te dire ce qu’il fait aujourd’hui.

A : Tu sais un peu ce qu’il se passe actuellement avec Joell Ortiz ?

K : Je ne sais pas. Je veux dire, je ne suis pas vraiment au fait de tout ce qu’il se passe dans les effectifs chez Aftermath. J’essaie simplement de faire mon boulot sans me prendre la tête avec ces histoires. Joell est un artiste incroyable, on a fait trois morceaux ensemble et ça s’est tellement bien passé que si j’avais eu suffisamment de matière j’aurais produit tout son album. Il est vraiment mortel et il incarne New-York à fond. Ca faisait longtemps que j’avais pas entendu un artiste comme lui, qui pourrait me faire dire « OK, voilà à quoi doit ressembler ce putain de hip-hop. » Ça se sent qu’il a écouté Biggie, Big Pun et Big L avant qu’ils explosent. C’est ce qu’il est, il me rappelle ces mecs-là.

« La raison pour laquelle Dre et Timbaland restent au sommet ? ils sont toujours novateurs avec leur son.  »

A : Je sais que tu as changé ton équipement et que tu travailles désormais sur le logiciel Reason. Ça a été un changement important ?

K : Reason a bouleversé ma carrière [rires] ! Avant, j’utilisais un clavier ASR-10 et je lui dois vraiment beaucoup mais je suis arrivé à un moment où j’en avais marre de vendre des instrus et de devoir aller les chercher dans les machines. C’était chiant de devoir recréer quelque chose que j’avais fait un an plus tôt. Quand j’ai débuté avec Reason, je me suis donné du temps. J’ai commencé sur mon ordinateur portable et il m’a fallu 4/5 mois avant de faire un son où j’ai pu me dire « OK, maintenant je sais me servir de ce truc« . J’étais un peu fatigué de ma manière de créer, je voulais faire quelque chose de nouveau. J’ai fait ce premier beat, je l’ai vendu et j’ai pu me dire « OK, maintenant je vais bosser comme ça. » [rires]. Je suis toujours en apprentissage, il y a tellement de fonctionnalités à exploiter. Mon son est plus ample maintenant. C’est grâce à ce programme que j’ai pu être sur le The Game, le Jay-Z, le Kweli, le Xzibit et certains morceaux de Dre que je fais actuellement. Tout ça, c’est en utilisant Reason. Ça rend mon job bien plus facile car je peux sauvegarder des trucs, y revenir quelques jours plus tard et y ajouter des idées, ce sera tel quel. Reason m’a amené à arrêter de sampler car j’arrive à recréer tout ce que j’entends sur des disques avec le logiciel. C’est un gain de temps phénoménal. D’ailleurs je fais une démo pour eux dans un salon. Ils veulent inviter DJ Toomp et moi car lui aussi utilise Reason.

A : Wouah, j’étais pas au courant.

K : Ouais ! Il a même fait ‘Big Brother’ pour Kanye avec. Il a tout défoncé avec ce morceau, j’arrivais pas à le croire.

A : C’est un truc de dingue !

K : J’ai même la vidéo sur mon portable. Je vais voir les gens et je leur dis : « Il faut que tu vois avec quoi bosse DJ Toomp » ! C’était un moment dont je me souviendrai longtemps. J’étais en studio pendant trois heures avec ce type, il passait des instrus sur son ordinateur portable mais quand j’ai vu qu’il jouait ce morceau-là, oh mon Dieu ! Je suis devenu fou. Le morceau est mortel. Toomp est incroyable, une vraie légende du sud. Il adore Reason. Il ne bosse pas seulement avec ça, mais pour ‘Big Brother’, c’était 100% Reason.

A : Reason, c’est le logiciel qui a marqué ton évolution en tant que producteur ?

K : Oui, Reason et Pro Tools.

A : Tu as déjà essayé Logic ?

K : Ouais, j’ai testé mais j’apprends encore à m’en servir car c’est une utilisation un peu plus intensive et il faut pas mal de logiciels complémentaires pour bosser avec. J’ai tout ça mais je suis tellement à bloc sur Reason que je préfère me concentrer dessus. Cela dit je reste ouvert à d’autres programmes car chacun a sa propre manière de travailler. Avec, je peux tout programmer de A à Z : même s’il n’y a pas de batteur dans mon groupe alternatif je peux programmer une rythmique qui fera comme s’il y en avait un. Je peux faire tout ça avec Reason.

A : J’ai découvert ton travail sur les albums de Self Scientific. Est-ce que ton nouveau son pourra correspondre au son du groupe ?

K : En tant que groupe, on progresse toujours. Notre deuxième album n’a rien à voir avec le premier. Le truc, c’est que je sais quand je fais un son pour Self Scientific. Je vais faire tout un tas de sons et il y en a deux ou trois que je vais mettre de côté en disant « Non, ça c’est pour nous !« . On sait à peu près ce qu’est notre son et la vibe que l’on recherche. On reste fidèle à ça. A chaque fois on fait un petit lifting. Sur le prochain album, je pense qu’il n’y aura pas de sample mais que du live. Que de la musique. Chaque album reflète nos émotions et nos expériences. Nos vies changent alors nos albums changent aussi.

A : Tu as toujours placé des scratchs sur les albums de Self Scientific. Etre DJ, ça a quelle importance pour toi ?

K : C’est très important pour moi. J’essaie encore de m’entraîner de temps à autre mais je suis tellement plongé dans la production que je ne me concentre plus autant sur l’aspect deejaying. Pourtant quand j’animais des soirées ça m’aidait côté production mais je ne le fais plus.  Aujourd’hui j’essaie d’y revenir car ça fait partie du hip-hop. C’est une chose très importante car on s’inscrit dans la tradition des Pete Rock & CL Smooth, des Gang Starr… On n’y échappe pas : la plupart des légendes du hip-hop sont liées au DJ. Donner cette dimension à notre musique est primordiale car le deejaying peut emmener un morceau à un tout autre niveau. D’ailleurs DJ Premier est l’un de mes producteurs préférés car il construisait des refrains à partir de ses scratchs. On peut se rappeler de tout dans ‘Take it personal’ car c’était d’une simplicité phénoménale. Ça m’a influencé à mort, et aujourd’hui j’essaie de recréer cette sensation.

A : On pourrait comparer Self Scientific sur la côté ouest à Gangstarr sur la côte est. Premier racontait qu’il aimait bosser avec son groupe car il pouvait tester des choses nouvelles. Tu ressens la même chose avec Self Scientific ?

K : On peut faire tout ce que l’on veut. C’est cette liberté qui me plait le plus. Si on a envie de faire un morceau de 10 minutes avec cinq partie distinctes, on peut y aller. Pas besoin de suivre un format. Bien sûr, on veut aussi être viable sur le plan commercial mais l’essentiel c’est de conserver notre liberté en le faisant. Le fait de produire pour Self Scientific m’aide quand je dois travailler avec d’autres. Je sais ce que je veux faire ou pas, ce que je veux utiliser ou pas. Mais je me sens définitivement plus libre avec le groupe qu’avec n’importe qui d’autre.

A : En étant membre d’Aftermath, tu ne te sens pas parfois un peu prisonnier d’un certain type de son ?

K : Ça m’arrive parfois mais ce que je me dis, c’est que si tu préserves ta créativité tu ne vas plus le ressentir. J’ai eu la chance de pouvoir proposer aux gens différents styles de morceaux. Tu vois, je veux être différent à chaque fois, et je veux que les gens soient inspirés par ça. C’est la raison pour laquelle Dre et Timbaland restent au sommet : ils sont toujours novateurs avec leur son. Moi, je veux simplement faire des choses neuves et originales.

A : Si tu devais choisir trois productions dans ton catalogue pour te présenter au monde, lesquelles choisirais-tu ?

K : C’est une question difficile… Alors… En numéro un, ce serait… Mec, je ne pourrais même pas te dire. ‘I made it’ de Jay-Z serait dans le lot. Il y a aussi une chanson avec Talib Kweli et Musiq Soulchild qui fait partie de mes préférées car c’est un truc vraiment différent, la musique évolue tout le temps. Il y a pont incroyable sur lequel Musiq arrive et chante. J’adore ce son. Personne ne l’a calculé mais quand je l’ai entendu, j’étais en larmes. J’avais tellement envie de bosser avec Kweli, et quand j’ai découvert le morceau avec Musiq dessus, ça correspondait exactement à ce que j’espérais. J’étais tellement heureux et fier que je l’ai écouté pendant deux heures d’affilée. Et quand je cherche l’inspiration, je réécoute ce morceau. Il n’y a rien de conventionnel mais il défonce. Ensuite je citerais ‘I’ll still kill’ de 50 Cent car c’est une grande fierté. Ce sont les trois titres qui me viennent à l’esprit en premier.

A : Peux-tu nous dire quelques mots sur ton nouveau projet, « The New Royales » ?

K : C’est un groupe que j’ai monté avec mon collègue producteur Chin de Vancouver. Les deux autres membres sont aussi canadiens, ils viennent de Toronto. Il y a deux vocalistes : une femme qui s’appelle Lisa Rodrigues et un homme, Eric Alcock. Ils sont tous d’incroyables auteurs-compositeurs. La connexion s’est faite il y a un an, j’ai fait la connaissance de tout le monde en studio alors que je bossais avec Chin. A l’époque, on ne formait pas un groupe, on bossait simplement sur de la musique. Les choses qu’on a réalisé m’ont fait tellement de bien qu’un peu plus tard on a décidé de collaborer plus étroitement. Ils ont commencé à enregistrer à Vancouver, ils m’ont envoyé les pistes et j’ai perdu la tête. Aujourd’hui on a plus de 30 morceaux en stock. Tout est en plein mixage actuellement mais je crois que je n’ai jamais pris autant de plaisir à faire de la musique. Chaque membre du groupe est tellement au niveau que si tu nous enfermes dans un studio, on va revenir avec des choses que je trouve incroyables. On a puisé nos influences partout, de Portishead à Stereolabs, des White Stripes à Björk en passant par les Beatles. On a mélangé tout ça et ça a créé un son. C’est quelque chose que j’ai fait par pur plaisir, mais tous les gens qui ont pu écouter ont été impressionnés par la qualité de la musique. Vu que c’est une direction que je souhaite suivre à l’avenir, ça constitue pour moi un premier pas vers un tout autre univers musical. Je n’écoute presque pas de hip-hop pendant mon temps libre et c’est une chose que j’ai toujours voulu faire.

A : Quelle importance ça a de t’investir dans des projets pas forcément liés au hip-hop ?

K : C’est très important car une fois que je reviens aux beats hip-hop, j’ai une approche de la musique complètement différente. Ca t’apporte un recul sur la façon de faire du son qui te sort des carcans. Quand tu te retrouves à bosser avec trois personnes hyper-créatives sur des choses hors-hip-hop tu réalises que tu peux adapter ça à ta manière de faire du son. Je peux ainsi arriver avec un son nouveau pour de gros morceaux qui pourront toucher les gens. Ça m’aide beaucoup. Actuellement c’est le sud qui domine tout le reste et on dirait que tout le monde s’en plaint mais il y a un autre monde dans la musique. C’est pour ça que mon point de vue est différent du reste de l’industrie du disque. Si aujourd’hui, tu arrives avec un son différent, tu seras vainqueur. Mais si tu en restes à réfléchir au moyen de faire un hit pour concurrencer Souljah Boy tu vas perdre. C’est comme ça que je vois les choses. En ce moment, la musique a justement besoin d’un nouveau départ, alors il est temps d’innover et d’être créatif.

A : Quels sont tes projets actuellement ?

K : Je travaille donc sur le prochain album de Self Scientific, celui des New Royales, le nouveau The Game, Detox avec Dr. Dre. J’ai aussi un morceau avec Jim Jones pour son prochain album et je bosse avec Nas, Busta Rhymes, Bishop Lamont, Strong Arm Steady, Mos Def…

A : Que peux-tu nous dire sur le prochain album de The Game ?

K : On a fait trois morceaux ensemble pour le moment. Je pense que son prochain album va surprendre pas mal de monde car on dirait que les gens ne réalisent pas la dynamique de ce garçon. En musique, il cherche l’inattendu. Les gens vont être choqués, et je pense qu’il va livrer un nouveau classique. Il est un peu stigmatisé à cause de la façon dont les gens le décrivent mais c’est à lui de changer ça en tant qu’artiste. Il est très fort, il peut rapper aux côtés des plus grands, il faut qu’il montre ça aux gens. Tout ce que j’ai pu entendre de ses derniers trucs est mortel.

A : Et par rapport à ce que tu as pu entendre de « Detox » ?

K : Detox est un tel secret et j’ai pu entendre tellement de titres énormes que je ne saurais pas quoi dire. Tu sais déjà que ça va être incroyable. Mon avis, c’est que Dre est en train de charger ses munitions. A chacune de ses sorties il donne un nouveau visage au rap. Je pense que pour lui, il faut arriver au bon moment, toutes les choses doivent être à leur place. C’est pas le genre d’artiste à qui on file une date pour boucler son projet. Il sait quand il est prêt, quand il a un mouvement autour de lui, au bon moment et au bon endroit. Peu importe ce qu’il décide de sortir, ça va être mortel.

A : Tu as également une bonne alchimie avec Bishop Lamont…

K : Il est comme un frère pour moi. C’est quelqu’un de bien, je n’ai jamais rencontré une personne comme lui. Il se fout de devenir une superstar, à la base ça reste un fan de musique. Cela dit c’est déjà une star mais c’est difficile de le décrire car il a ce côté backpacker tout en ayant ce truc de gangster en lui. Il a plusieurs personnalités. Pour l’inspiration, il va écouter du rock plus que n’importe quoi d’autre. C’est un vrai passionné, il sait où il veut aller.

A : Tu as des choses de prévues avec lui ?

K  : On a enregistré beaucoup de morceaux. Son album sur lequel on a travaillé est presque terminé. Il a sorti Caltroit, j’avais quelques trucs dessus. J’ai aussi fait un son pour la mixtape Pope mobile. On a tout un tas de morceaux en attente. Il y a beaucoup de respect et d’admiration entre nous, il m’appelle le « savant fou ». Il y a des jours où j’ai pas la pêche, alors je lui passe un coup de fil et direct, je retrouve l’inspiration. Il me sort des trucs genre « T’es un dingue ! T’es une rock star ! On a besoin que tu sois au niveau !« . Vraiment un mec bien. Tous les gens qui le connaissent veulent qu’il réussisse, car il bosse plus dur que tous les autres. Et son buzz en Californie est énorme.

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