DJ Hellblazer, beatmaker sans frontières
Interview

DJ Hellblazer, beatmaker sans frontières

Konstantin Plevnes aka DJ Hellblazer est quelqu’un d’occupé. Ses activités de beatmaker l’ont notamment amené à travailler avec des artistes du monde entier, ainsi qu’à sortir une série de beat tapes particulièrement renommée, Pure Dopeness. À côté, le Franco-macédonien aime aussi se mettre derrière les platines, rappe à l’occasion, bosse dans le théâtre et le cinéma et, enfin, prépare une thèse. Rencontre avec un homme polyvalent, qui a visiblement dit non à l’ennui.

Abcdrduson : En parcourant tes réseaux sociaux et en lisant des articles sur toi, différents noms de lieux reviennent : Skopje, en Macédoine, Paris, Amsterdam et le Kentucky. Peux-tu nous expliquer ton parcours à travers ces différents endroits ? 

Hellblazer : Skopje est ma ville de naissance, au cœur des Balkans. Je suis parti de là-bas à six ans, à présent j’y travaille dans le théâtre et le cinéma. J’ai beaucoup de projets en Macédoine, des collaborations à venir avec des accordéonistes, des violonistes, des contrebassistes… Beaucoup de musiciens de génie venant des ghettos du pays, voire de toute l’Europe du sud-est. La musique yougoslave des années 1980 m’a beaucoup influencé, j’en sample beaucoup et j’aime lui rendre hommage. Paris est la ville où j’ai grandi et où je vis une partie de l’année. Je fais mon doctorat en analyse culturelle à Amsterdam ; je suis censé soutenir ma thèse dans deux ans. Elle porte notamment sur l’importance du hip-hop instrumental et sur le beat comme forme artistique à part entière. Je pense que dans un certain temps, peut-être pas si lointain que ça, on considérera les beatmakers comme de vrais artistes, qui utilisent le beat comme un vrai moyen d’expression et pas uniquement comme un support. Ce n’est pas forcément le cas de tous les beatmakers. Mais je pense à des gens comme Kyo Itachi que je trouve très intéressant, qui a un vrai personnage, qui parle avec ses beats et qui a un réel univers. C’est ce qui m’intéresse. Pour le Kentucky, c’est un peu plus original. Sur Bandcamp, qui est un site où on peut partager sa musique, il faut forcément renseigner un lieu quand on crée une page. Le label anglais pour lequel je travaille, Sinoptic Music, avait choisi de mettre le Kentucky, par amour du poulet frit. [Rires] C’était une private joke entre les différents membres. Mais avec le temps et tous les albums sortis, la page est devenue celle ayant le plus de téléchargements pour le Kentucky. Ça a duré environ deux ans. Grâce à ça, un artiste comme Dr. Dundiff, qui a sorti un album pour Fat Beats et qui est vraiment du Kentucky, m’a contacté et on a pu collaborer. J’ai travaillé avec des artistes du monde entier, notamment d’Afrique du Sud, d’Espagne, d’Amérique latine, de Hollande, de Pologne, d’Allemagne, de République tchèque, de Russie et bien sûr de France et des États-Unis. Tout ça grâce à des réseaux sociaux spécialisés dans la musique comme Soundcloud, qui m’ont vraiment permis de partager ma musique avec beaucoup de monde et notamment avec des professionnels.

A : Tu te définis comme un working class musician, un musicien en col bleu. Pour toi, à quoi ça correspond ? 

H : C’est une référence à mon nom de scène, Hellblazer. C’est un personnage de comics, qui se présente comme un working class magician. Ça me correspond bien également : ça fait dix-huit ans que je travaille dans ce milieu et je me sens complètement tourné vers l’underground et les artistes indépendants, qui constituent en quelque sorte la classe ouvrière du hip-hop. Je ne cherche pas forcément une manière de gagner de l’argent en faisant des beats, c’est plus une façon d’exprimer les idées qui me tiennent à cœur. Souvent, j’utilise des bouts de citations vocales, des répliques de poètes ou d’écrivains. J’essaie de faire passer un message intellectuel à travers mes beats, de partager mes références, mon vécu, mes connaissances en littérature et en histoire de l’art. C’est une façon d’aller contre les artistes qui n’ont aucune volonté d’éduquer leur public. Mon but est de créer, pas de nourrir mon égo. Je me sens inspiré par des artistes comme Les Sages Po’, qui sont dans une constance et qui ont une volonté de construire, de rester positifs.

A : Ton principal projet, Pure Dopeness, est une série de beat tapes.

H : Les beat tapes étaient rares dans les années 1990 quand j’ai découvert la musique hip-hop. La première que j’ai entendue m’a vraiment marqué, l’idée m’a tout de suite plu, peut-être encore plus que la musique rappée. J’ai commencé à faire des beats dans les années 1990 parce que j’étais un jeune MC et que les instrumentaux étaient durs à trouver, donc très précieux. Mais je me suis ensuite vraiment consacré à faire en sorte que mes productions se suffisent à elles-mêmes plutôt qu’à ce qu’elles servent uniquement à ce que des rappeurs posent dessus. Pure Dopeness réunit des beatmakers du monde entier, il y a plus de quarante pays représentés sur les différents volumes. Il y a beaucoup de styles différents, de quoi satisfaire les goûts de tous ceux qui sont amoureux de cette forme musicale. C’est à la fois pour les MCs et pour les gens qui aiment le hip-hop instrumental. Beaucoup de beatmakers sont juste à la recherche d’un MC ou d’un potentiel client pour acheter leur production. Moi, j’aime bien ouvrir ça, donner une nouvelle fonction au beat, l’utiliser dans une pièce de théâtre par exemple. Je pense qu’il peut être une sorte d’œuvre d’art en soi. Beaucoup de médias utilisent les beats, mais rares sont les beatmakers qui arrivent à en vivre.

A : Comment t’es venue l’idée de faire cette série de beat tapes ? 

H : Le créateur de mon label, Sinoptic Music, m’a suggéré l’idée. Il a vu que je travaillais avec des artistes du monde entier et il m’a proposé de concrétiser ça dans un album. Il imaginait que beaucoup de gens seraient contents de voir des beatmakers de différents pays bosser ensemble. Par la suite, j’ai créé Sinoptic International et j’ai démarré la série des Pure Dopeness.

A : Tu travailles avec des beatmakers qui viennent d’endroits très variés. Est-ce que tu vois des différences dans leur façon de produire ou dans les couleurs musicales ? 

H : Ça dépend. Si je prends l’exemple de Paul Hares, un beatmaker russe très talentueux qui sort même des vinyles sur des labels new-yorkais et qui habite dans une petite ville industrielle près de la frontière ukrainienne, ses beats sont très sombres. De l’autre côté, tu as Prozak Morris qui habite à Hollywood, qui a des célébrités dans son voisinage et qui fait des productions beaucoup plus énergiques et positives. Il y a parfois une influence certaine du lieu de résidence. Mais, au final, beaucoup d’endroits se ressemblent. Je peux trouver un beatmaker parisien qui sonnera comme Prozak Morris, à quelques nuances près. Moi, j’évolue dans différentes villes tout au long de l’année, je vois que ça peut jouer sur la teneur de ce que je fais.

A : Comment réunis-tu les différents morceaux d’un volume de Pure Dopeness ? Est-ce que tu démarches les beatmakers ou ce sont eux qui t’envoient leurs productions ? 

H : Pour chaque volume, je donne un thème aux beatmakers de mon réseau. Souvent, c’est une citation, un vers de poésie, souvent d’Emily Dickinson, une poétesse américaine.  Il s’agit d’inspirer l’ambiance du beat. Je veux que chaque volume ait un univers particulier et distinct. Le volume 13, par exemple, portait sur l’accordéon, en hommage au morceau « Accordion » de Madvillain. Il y a aussi des beatmakers qui me contactent pour participer au projet. Je leur dis ce que je cherche et ensuite, je fais une sélection. A chaque fois, toutes les productions sont exclusives, elles ont été faites pour Pure Dopeness. Je ne vais pas chercher les morceaux sur un CD de beats pour les réunir, je veux que ce soit l’œuvre de gens qui travaillent ensemble dans un but précis, pour un projet concret.

A : J’imagine qu’il y a aussi un travail d’adaptation à faire pour les producteurs, pour respecter le thème sans trop sortir de son registre habituel.

H : Oui, mais je laisse tout de même une certaine liberté, chaque artiste a son univers particulier, sa façon de se réapproprier l’idée.

A : Il y a eu dix-neuf volumes de Pure Dopeness entre 2012 et 2015, et depuis plus rien. Es-tu passé à autre chose, ou vas-tu relancer la série un peu plus tard ?

H : Je sors d’une période un peu compliquée, où j’étais très occupé, à la fois dans ma vie personnelle et professionnelle. C’était une pause, mais je vais revenir avec un vingtième volume d’ici quelques mois. J’ai invité Zoxea à participer, en tant que beatmaker bien sûr. Ce serait très spécial et intéressant pour ses fans, qui ne l’imaginent pas forcément dans ce registre, avec une production sans rappeur dessus.

« Il y a un potentiel qui se cache dans un instrumental, une valeur, qui font que ça peut être plus qu’un moyen. »

A : Tu as une certaine notoriété à l’étranger, mais en France tu demeures assez peu connu. Est-ce que tu expliques ça par le fait qu’en France la musique hip-hop instrumentale est un peu négligée ? 

H : Peut-être que ça reste un peu nouveau. En France, les beatmakers ne sont pas toujours pris au sérieux et surtout leur travail est surtout vu comme devant servir les rappeurs. Il reste assez rare que des beatmakers sortent des albums, qu’ils conçoivent leur musique comme une œuvre en soi et pas uniquement comme un support ; qu’ils se voient comme des musiciens lambda en somme. Alors qu’il y a un public qui est demandeur. Je pense que, dans certains cercles, les gens connaissent ma musique. J’ai eu pas mal de retours de jeunes sur Pure Dopeness, qui faisaient tourner mes projets dans leur lycée. Ça reste assez local, à Paris, mais avec le bouche-à-oreille ça peut atteindre des proportions intéressantes. J’aime bien cette facette d’une carrière musicale. Pas forcément passer à la radio, mais faire sa promo en collaborant avec des graffeurs, passer par des biais inhabituels.

A : Tu fais souvent des compositions en hommage à des artistes qui t’inspirent, comme Bukowski ou Coluche. Comment met-on en musique un hommage à des personnages comme ça ?

H : J’essaie de m’imprégner de leurs œuvres. Pour moi, un beat peut s’inspirer d’autres formes artistiques, de la littérature, de la poésie, de la peinture. Il y a un potentiel qui se cache dans un instrumental, une valeur, qui font que ça peut être plus qu’un moyen. Le beat peut inspirer quelqu’un qui écrit, et inversement. Pour moi, les sources du hip-hop, sa base, c’est le mot prononcé. Je vois le spoken word, qui est une technique de poésie à voix haute apparue dans les années 1930 aux États-Unis, comme l’ancêtre du rap. L’instrumental a aussi un rapport avec les mots je pense, ce n’est pas juste de la musique. Je suis inspiré par l’harmonie, par tout ce qui est constructif et t’encourage à penser, à te connaitre plus toi-même. À aller vers des domaines que l’on n’associe pas forcément au rap. Beaucoup de rappeurs ne parlent jamais d’art, par exemple. Du coup, quand les Sages Poètes de la Rue sortent un album qui s’appelle Art Contemporain, ça m’inspire, c’est dans cette voie que j’ai envie d’aller.

« Beaucoup de rappeurs ne parlent jamais d’art, par exemple. »

A : Si tu es surtout connu pour ta musique instrumentale, tu as aussi produit pour des rappeurs. À L’Abcdr, on t’a découvert via ta collaboration avec un groupe américain nommé Full Circle.

H : C’est un groupe de Boston, formé par Dean Swift et Just Slick, qui sont pas mal respectés là-bas. Ils sont jeunes mais ils rappent depuis longtemps. Ils avaient gagné un concours dont j’ai oublié le nom, et j’ai entendu parler d’eux par ce biais-là. Ils avaient pu faire un clip grâce à ça. J’ai beaucoup aimé, donc je leur ai envoyé des beats sur Soundcloud. Là je prépare un album avec eux en ce moment.

A : Quels sont tes meilleurs souvenirs en termes de collaborations avec des rappeurs ? 

H : J’ai découvert le rap dans les années 90 et j’ai toujours écouté du rap international, pas uniquement français. Depuis longtemps LMNO de Visionnaries, de Los Angeles, est un de mes rappeurs préférés. J’ai réussi à le produire après l’avoir contacté sur Twitter. Je lui ai simplement envoyé un beat et il a posé dessus dans la foulée. C’était vraiment un aboutissement, quelque chose dont je suis fier. Je dois aussi citer Unseen MC, de New York, avec qui je travaille depuis cinq ans et Cor Stidak, de Virginie, que je considère vraiment comme un génie. En France, il y a Konan, King Pooky de No Police Sound System et mon petit frère, Ilija. J’ai aussi produit un posse cut pour des rappeurs sud-africains, de Cape Town, qui a été clippé par la suite. Ça fait plaisir de travailler avec des gens qui viennent d’endroits où je ne suis jamais allé.

A : À quoi ressemble le rap sud-africain ? Est-ce que ce sont des gars venus des townships qui rappent ou plutôt des blancs ? 

H : C’est très mixte. Pour prendre l’exemple de gens avec qui j’ai bossé, il y a des rappeurs comme Ali That Dude du groupe Black Vulcanite qui sont clairement inspirés par le rap américain et passent régulièrement sur MTV Africa, puis des rappeurs comme le groupe Driemanskap qui chantent dans leur langue natale, le xhosa, et sont surtout connus dans leur pays. Il y a aussi des expatriés, comme Keet the Kreative, qui sont complètement anglophones. Il existe une vraie scène, très prolifique.

A : Côté musique « rappée », quels sont tes projets ?

H : Déjà mon projet avec Zoxea. C’est un album qui devrait être très varié, avec beaucoup de styles musicaux différents, mais sans non plus trop s’éloigner du hip-hop. C’est cette idée qui a plu à Zoxea. On bosse dessus depuis deux ans, mais comme je ne suis pas toujours à Paris, ça prend un peu de temps. Il devrait y avoir une sortie physique, ce qui sera une première pour moi en France. Je rapperai également sur certaines pistes, car je suis également MC à la base. J’aimerais également me consacrer davantage au rap français, en sortant par exemple un album avec toutes les plumes qui m’inspirent, comme Le Rat Luciano, Ill, Freeman, Karlito et bien d’autres… A part ça, j’aimerais beaucoup produire des artistes américains. Là je vais peut-être avoir la possibilité de produire Rah Digga, qui faisait partie de Flipmode Squad. Roc Marciano aussi, qui est vraiment l’un des artistes que j’écoute le plus ces dernières années. Il y a aussi une opportunité pour Ka. Mais mon plus grand rêve, c’est de produire pour MF Doom. Je pense que j’y arriverai un jour, même si ça peut prendre du temps. J’ai beaucoup de contacts aux Etats-Unis, notamment grâce à mon frère Ilija qui a travaillé pour les Quad Recording Studios à New York. Il a fait des études d’ingénieur du son à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle, et la quatrième année se fait à New York. Il était en stage aux Quad Recording Studios [NDLR : célébrissimes studios d’enregistrement situés à Manhattan] pendant quelques mois, il s’est retrouvé à bosser pour Jim Jones et The Diplomats, des gars comme ça.

A : Justement en termes de rap US, quelles sont tes influences ?

H : Une personnalité qui représente beaucoup pour moi c’est KRS-One. C’est une grande inspiration. J’aime beaucoup sa vision du hip-hop, ouverte, constructive et positive. J’aime bien l’idée d’edutainement, de partage des connaissances. Roc Marciano aussi, j’aime beaucoup, comme Conway et Westside Gunn. Pour aller plus loin dans le temps, The Pharcyde est une grande source d’inspiration, j’apprécie ces vibrations positives et détendues. En France on n’a pas beaucoup de groupes de ce genre-là, dans un registre plus calme et poétique. Les Sages Po’, IAM parfois, Oxmo, Kohndo. Ou alors ce sont des artistes qui ne sont pas très médiatisés, comme Le Makizar ou La Main gauche. Mais moi, c’est vraiment cette énergie-là que j’apprécie. C’est ce qui m’attire dans le rap US, cette diversité. Le rap anglais est aussi plutôt varié et ouvert. Ça ne veut pas dire que le rap français n’a pas de potentiel, c’est au contraire une raison de plus pour l’amener à se diversifier, en essayant d’apporter quelque chose de nouveau. Je suis à la recherche d’un son qui n’a jamais été produit, qui n’a jamais été entendu. Pour aller vers un son comme ça, ça me parait important d’être en quelque sorte hermétique à tout ce qui est à la mode.

A : Nous parlons beaucoup de ton travail de beatmaking, mais à la base tu es DJ.

H : Oui, j’ai un réel amour, une obsession pour les vinyles, que j’aime partager. J’adore mixer, diffuser de la musique que j’aime. Jouer dans des bars, en plein air… J’ai joué un peu partout en Europe, souvent dans des lieux plutôt underground. A New York également, ou à Tokyo. Souvent ça se fait un peu à la dernière minute. Si je vais visiter une ville et que j’ai assez de temps devant moi, je repère des bars et je demande au propriétaire si j’ai possibilité de jouer. C’est souvent très thérapeutique de diffuser de la musique. Ça m’est même arrivé de jouer en maison de retraite. C’est un challenge de trouver comment toucher des publics très différents mais généralement je m’en sors plutôt bien.

« Diffuser de la musique a quelque chose de souvent thérapeutique.  »

A : Comment t’es-tu retrouvé à jouer en maison de retraite ?

H : Je faisais un documentaire en Macédoine sur un peintre âgé, Vladimir Georgievski. Il était dans une maison de retraite assez moderne, dans laquelle il y avait des soirées. Il aimait la country et moi aussi, j’ai pas mal de vinyles de country. Du coup je lui ai proposé de faire une soirée là-dessus. J’ai demandé au directeur et j’ai même pu faire plusieurs soirées. J’avais apprécié le fait de changer de public, de ne pas être avec des petits jeunes ou des trentenaires. C’est aussi intéressant de changer de registre, c’est un travail sur soi-même.

A : À quoi ressemble un set « normal » de DJ Hellblazer ?

H : Ça peut être très varié, aller dans la musique instrumentale, dans ma musique, ou même se focaliser sur un artiste précis. Je fais souvent ça à Skopje, un set sur un artiste rock ou sur un artiste jazz. Tout dépend de l’endroit où je suis. C’est souvent très alternatif, j’essaie de faire découvrir des choses.

A : Tu retournes en Macédoine à quelle fréquence ?

H : J’y suis presque la moitié de l’année et l’autre moitié je suis entre Paris et Amsterdam. C’est très différent en termes de rythme de vie, de contexte. Skopje c’est les Balkans, une zone où des pays autrefois très proches se sont retrouvés en guerre il n’y a pas si longtemps que ça, pour des absurdités ethniques ou religieuses. Forcément, ça façonne les artistes.

A : À quoi ressemble la scène musicale en Macédoine ?

H : C’est une scène très vive et dynamique, mais il n’y a pas de marché. Les gens n’achètent pas de musique, ou très peu par rapport à l’Europe de l’ouest. Ça donne envie aux artistes de s’orienter vers des pays où ils pourraient vivre de leur art, où ils auraient une possibilité de vendre leur musique à grande échelle et de sortir de la difficulté. Du coup, tu trouves beaucoup de musiciens complètement désintéressés, qui n’ont pas d’ambition commerciale, quel que soit le genre. Je trouve ça très inspirant.

A : Et la scène rap là-bas ?

H : Le rap macédonien a démarré à la fin des années 1980, un peu comme le rap français finalement. C’est très influencé par les États-Unis, mais dans une langue que peu de personnes parlent, ce qui limite le potentiel d’expansion. Néanmoins il y a beaucoup de talents, d’excellents freestyles et d’excellents morceaux. J’ai produit pas mal de rappeurs macédoniens, comme Vido, qui est très connu là-bas. Pour l’anecdote, en 1998 quelqu’un a amené là-bas le dernier album de NTM et il a vraiment tourné partout à Skopje. Du coup beaucoup ont été influencés par les instrus et par le style de Kool Shen.

A : Il y a une multitude de projets sur ton Bandcamp. Si tu devais indiquer trois projets pour te découvrir aux gens qui ne te connaissent pas, ce seraient lesquels ?

H : The Secret Tapes déjà, mon premier LP. On y trouve beaucoup de collaborations, avec des rappeurs ou des beatmakers du monde entier. Ensuite Pure Dopeness vol. 2, le meilleur pour découvrir la démarche. Après Write vol. 2, une compilation faite pour les rappeurs en recherche de beats. Le second volume est produit par Hpnotic718, de Brownsville, très talentueux et très new-yorkais dans les sonorités choisies. Pour le coup, lui, on sent parfaitement l’univers dans lequel il évolue au quotidien. Et puis, si je peux en rajouter un, ce serait l’hommage instrumental à Kurt Cobain que j’ai fait avec Illuzual, un beatmaker de Bradford en Angleterre.

A : Tu parlais aussi de tes activités dans le théâtre et le cinéma avant.

H : À dix-neuf ans j’ai été assistant réalisateur sur un long-métrage aux cotés de Thierry Arbogast, un directeur de la photographie français qui a beaucoup collaboré avec Luc Besson. Il a travaillé sur Le Cinquième Élément, Léon, Nikita, Jeanne D’arc et plein d’autres films. Le metteur en scène du film en question, Le Livre Secret, est mon oncle, Vlado Cvetanovski. Je venais d’entamer mes études de cinéma à Paris et c’était l’occasion parfaite pour moi de rentrer dans ce monde-là, en tant que premier assistant du metteur en scène et traducteur-interprète pour Thierry Arbogast. J’ai beaucoup appris à ses côtés et j’espère retravailler avec lui très rapidement. Justement, avec Zoxea, on a un projet de long-métrage sur les attentats de Paris en 1995, à Saint-Michel. On en parlait juste avant les attentats de Charlie Hebdo, on s’était replongés dans cette époque, celle de l’affaire Khaled Kelkal. Voir que tout ça revenait, que ce n’était plus juste cantonné à des souvenirs, ça nous a choqués. Alors le 13 novembre 2015… C’était apocalyptique.

A : En marge de tes activités artistiques, tu prépares donc une thèse. Comment articules-tu le fait d’être doctorant, chose qui consomme beaucoup de temps et d’énergie, et le beatmaking, où tu es plutôt prolifique ?

H : J’ai pour thème de recherche la relation entre l’image et le son. Dans ma thèse je parle beaucoup du beatmaking, de ce qui inspire le beatmaker et donc, notamment, de l’image. Le fait de produire, ça me permet d’affiner ma réflexion, de rester dans mon sujet et de l’approfondir. Je suis metteur en scène aussi, ça influence beaucoup la musique que je fais. J’utilise parfois mes beats pour des pièces de théâtre ou pour des films, donc ça reste en plein dans le sujet. Je fais mon doctorat à Amsterdam, à l’école universitaire d’analyse culturelle, très axée sur l’interdisciplinarité et les formes modernes d’art, et donc forcément sur le hip-hop et le beatmaking. Actuellement, il y a un réel intérêt pour ces formes d’art. Le beat, c’est une forme de culture urbaine, ça va au-delà du hip-hop. Beaucoup de gens ne sont pas dans le hip-hop mais écoutent des beats, électro ou trip-hop par exemple. Aujourd’hui des beats sont utilisés pour illustrer des sujets d’Envoyé Spécial ou d’autres émissions très sérieuses, parce que le son va bien avec l’image et son montage en rythme. La création instrumentale est omniprésente, elle met en valeur la voix, les informations, les produits commerciaux de toute sorte, les idées… Elle a pris de l’importance et fait désormais partie du quotidien.

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