DJ Clyde
Interview

DJ Clyde

Quand on porte un regard sur le parcours de DJ Clyde, on pourrait croire que cette figure du hip-hop hexagonal a déjà eu plusieurs vies. Apparemment non. Retour en arrière et projection dans le futur – oui, que nous réserve-t-il ? – avec le principal intéressé. Où il est question des championnats DMC, d’Assassin et NTM, de Radio Nova, de Reggae Roots et de Rocca.

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Abcdr Du Son : Tu as eu une période DMC à la fin des années 80, tu peux nous en parler ? 

DJ Clyde : La période DMC était à l’époque un passage obligatoire. Quand on était un DJ hip-hop, la façon d’être reconnu c’était de passer par le DMC de Wilfried et de cartonner là-dedans. Ma première compétition, c’était à l’Élysée Montmartre en 1989 je crois. Je suis arrivé troisième avec Cut Killer, je m’étais un peu planté. Je ne me souviens plus de qui avait gagné, Crazy B était second et je crois que c’est Guetch de Sarcelles qui avait gagné. J’en garde vraiment un bon souvenir parce que c’était une époque de compétition, où pour être reconnu en tant que DJ il fallait faire ses preuves.

A : Quels étaient les DJ’s qui t’impressionnaient à cette époque ?

C : En France il n’y avait pas beaucoup de DJ’s. Il y avait Dee Nasty, DJ Max, DJ Kamel, DJ Jo, mais à part Dee Nasty personne ne m’impressionnait réellement au niveau français. Sur le plan international, c’était Cash Money, Jazzy Jeff, l’époque du transforming.

A : C’est à cette même période que tu intègres le groupe Assassin ?

C : C’est même à ce DMC là que je les ai rencontrés pour la première fois, où ils avaient bien aimé ma performance. Joey et Solo étaient venus me voir, c’était la période du collectif NTM Assassin, c’étaient les mecs les plus en places, le crew le plus sérieux et le plus organisé. Donc ça m’a vraiment intéressé de rejoindre Solo et Squat.

A : Quel était ton rôle au sein du groupe et au moment où sort le EP Note mon nom sur ta liste ?

C : Ce qu’il faut savoir c’est qu’à ce moment là, aucun groupe ne sortait de maxi, il y a juste eu le projet Rapattitude. Solo et Squat vivaient à New York, ils faisaient des allers-retours et étaient en contacts avec Benny de Label Noir. C’est comme ça que j’ai pu poser mes premiers scratchs sur vinyle. C’était sur La Formule secrète. Après Rapattitude, le groupe s’est élargi, comme Solo habitait sur New York, Squat a fait appel à un mec qui composait, Doctor L. Comme moi je ne manipulais pas encore les sampleurs et tous les appareils, il était au contrôle. Moi j’apportais des samples et toutes les nuits on travaillait sur des démos, et c’est de là qu’est né le maxi Note mon nom sur ta liste.

A : Il s’est passé un certain temps entre Rapattitude et la sortie du maxi, à une période où tous les groupes signaient. Vous, vous avez mis plus de temps, pourquoi ? Ça a été une expérience positive ?

C : Il n’y avait pas tant de groupes qui signaient à ce moment là c’est venu après, et signer chez Remark Records c’était une bonne expérience. Ça m’a permis de travailler dans des grands studios professionnels, avec un gros son, des ingénieurs du son, des mixeurs, des masterings, pour moi c’est vraiment le début.

A : Quel regard portes-tu sur ce maxi ?

C : Quand je le réécoute je trouve qu’il a un peu vieilli quand même, je ne dirais pas que c’est un maxi classique. On était dans les premiers c’est vrai, mais je le trouve en dessous de ce que pouvait être un maxi comme Le monde de demain par exemple ou même les premières productions d’IAM.

A : En 1993 sort Le futur que nous réserve-t-il ? et c’est à cette même période que tu quittes le groupe, quelles étaient les raisons de ce départ ?

C : J’avais envie de faire autre chose, j’avais d’autres projets, je travaillais avec Sista B et je commençais à faire mes propres sons.

« Quand je réécoute le maxi Note mon Nom sur ta Liste, je trouve que ça a un peu vieilli quand même, je ne dirais pas que c’est un maxi classique.  »

A : As-tu après cela suivi les carrières respectives de Solo et Squat ?

C : Oui et avec Internet c’est encore plus facile, donc je suis au courant de ce qu’ils font. Chacun a suivi son chemin, Squat est resté fidèle à ses convictions et à la route qu’il avait envie de prendre. Solo c’est quelqu’un de très ouvert musicalement tant dans la house, la funk que le hip-hop, et je pense qu’il a eu besoin d’exprimer cela à travers ses sets.

A : Ils ont refait des dates récemment, est-ce qu’ils t’ont contacté ?

C : Non, j’étais en Guadeloupe à ce moment là.

A : Tu as aussi collaboré sur l’album de Titi et Nobru – choriste des Bérurier noir et un membre de Ludwig Von 88 devenu par la suite Sergent Garcia – comment s’est faite la collaboration ?

C : Vous êtes partis chercher loin là ! [Rires] C’est au moment où les groupes de rock commençaient à ne plus trop vendre et à être un peu dépassés, donc ils se sont tournés vers la musique black. Ce qu’il faut savoir, c’est que moi j’écoutais aussi pas mal de rock, du hard rock, du heavy metal, donc ça me disait aussi de poser des scratchs sur des morceaux rock. C’était une nouvelle expérience, on répétait, je proposais des scratchs. Ça non plus ça n’est pas un disque qui restera dans la légende [Rires].

A : Après la période Assassin tu rejoins les NTM sur scène dans un premier temps, puis en tant que producteur. Comment s’est faite cette transition ?

C : Ça s’est fait naturellement car quand j’ai rejoint Assassin, les deux groupes étaient toujours ensemble, donc on se connaissait très bien. Ils avaient besoin d’un DJ et moi j’étais libre et j’avais des productions. Kool Shen m’a demandé des productions. Il y en avait qu’il aimait et qu’il voulait. Par exemple le « Tout n’est pas si facile » était une prod’ que j’avais faite pour Sista B, qui avait déjà posé dessus, le morceau s’appelait « Le temps passe ». Je ne voulais pas donner cet instru là vu qu’il appartenait à quelqu’un et que je suis fidèle en musique. Kool Shen a beaucoup insisté et donc au final je lui ai lâché, vu que je ne travaillais plus avec Sista B.

A : Des souvenirs sur l’élaboration de cet album Paris sous les bombes ?

C : C’est la première fois que j’ai pu faire mixer mes morceaux par des américains, par Greg Mann qui est un mixeur de haut niveau, qui a travaillé avec Black Sheep et sur plein d’autres hits new-yorkais. C’était une façon pour moi d’optimiser mes productions de façon professionnelle et c’était très intéressant.

A : Vu que tu parles des américains, sur Paris sous les bombes et même après sur l’album d’Afro Jazz tu as partagé des productions avec des grands noms, comment tu vivais cela ? C’était un défi ?

C : J’ai beaucoup appris pendant cette période-là, j’ai pu voir comment eux ils travaillaient, comme ils envoyaient leurs bandes directement, sur la console je regardais piste par piste, tranche par tranche, les sons qu’ils utilisaient, la façon dont ils loopaient, le genre de sample, comment ils les structuraient. J’ai beaucoup appris avec LG Experience, ça m’a permis de progresser et je n’étais pas dans une compétition vu qu’ils étaient bien au-dessus de moi, nettement supérieurs.

A : Milieu des années 90 le collectif Hypnotyk DJ’s – Clyde, Asko et DJ Max – se forme, tu peux nous en parler ? 

C : On était des potes à la base, on aimait le même style de musique. On était DJ’s tous les trois, donc on s’est dit qu’on allait créer un collectif et ensuite on a proposé l’émission de radio à Nova. J’y suis allé un peu au culot, comme je connaissais Loïc qui était responsable de la programmation sur Nova. Je lui ai présenté mon concept d’émission et ça lui a plu. Comme ils commençaient le Nova Mix, ils m’ont proposé le créneau du samedi soir.

A : Cut Killer avait aussi son show sur Nova, est-ce que tu faisais attention à ce qu’il jouait, comment il mixait, qui il invitait?

C : Non pas du tout à l’époque, je ne regardais personne [Rires].

A : Vous êtes les deux DJ’s à avoir amené les mixtapes en France, là non plus pas de côté compétition ?

C : C’était une époque où il n’y avait rien, moi je suis allé à New York et j’ai vu que là bas ça faisait plus de 10 ans que ça existait et je me suis dit qu’il fallait amener ce concept en France. Donc voilà, je me suis lancé. A l’époque, il n’y avait pas de duplicateur donc on faisait ça à la main, une par une, à l’arrache.

A : Pour revenir sur Radio Nova, on a l’impression que tu as eu plusieurs périodes, qu’il y a eu différentes personnes qui ont animé, et qu’on est passé d’une émission où il y avait plein de monde dans les studios, à une où tu étais tout seul à passer du reggae ?

C : C’était une évolution logique, on a essayé un peu toutes les formules, ca a commencé avec une formule « show » avec Joey Starr, mais je trouvais qu’il foutait un peu trop le bordel et qu’il couvrait un peu trop les sons. Mais à côté de ça, c’était intéressant, il apportait aussi toute son énergie. Moi ma conception du show c’était quelque chose de plus propre, de plus carré, et lui ça ne l’intéressait pas vraiment, il était là pour faire des performances vocales. J’ai donc essayé différentes formules, il y a eu Solo, Mio, Asko, China, je voulais vraiment que l’animation vocale puisse entrer dans la musique et que ça ne soit pas comme un sound system.

A : Est-ce que tu prenais beaucoup de temps pour travailler tes mixes, ou c’était plutôt au feeling ?

C : Ça dépendait des émissions. Pour certaines je prenais un paquet de disques et c’était au feeling, d’autres étaient avec des séquences plus préparées. Par exemple quand il y avait des spéciales P Funk, Soul, James, mais ça restait quand même live dans l’esprit. À la fin j’étais à Radio Nova comme chez moi, à l’aise.

A : Parmi tous les invités que tu as eus, lequel t’as le plus impressionné ?

C : Method Man. J’ai vu ce que c’était qu’un MC qui faisait du freestyle avec un DJ qu’il ne connaissait pas, ça reste très propre et pro.

A : Comment et pourquoi l’aventure Nova s’est terminée ?

C : J’étais à la base programmé pour passer du hip-hop et de la Soul, et je me retrouve à la fin à passer deux heures de reggae non-stop, donc ça ne leur a pas plu du tout [Rires]. Au bout d’un moment ils m’ont dit il fallait arrêter là, et comme à ce moment-là je ne voulais faire aucune concession et passer que du roots… Je suis parti.

« J’ai eu besoin de me retrouver, d’écouter autre chose, d’autres vibrations et le reggae c’est ce qui m’a permis de me retrouver. »

A : Qu’est ce qui fait qu’on passe de deux heures de hip-hop à deux heures de roots reggae ?

C : C’est la manifestation de Jah Rastafari, à cette époque j’ai des révélations, je me suis retrouvé dans un milieu qui ne me correspondait plus, avec des endroits où ça ne m’intéressait plus de jouer, et toute une ambiance qui m’est devenue étrangère. J’ai eu besoin de me retrouver, d’écouter autre chose, d’autres vibrations, et le reggae m’a permis de me retrouver. Beaucoup de gens ont été surpris, certains m’ont pris pour un fou, plus on me disait de rester et plus j’avais envie de m’éloigner de tout ce milieu. Encore une fois, ça c’est fait naturellement, j’avais plein de disques, je n’avais pas forcément envie de rester sur Paris donc j’ai tout vendu. Je n’avais plus envie d’écouter ni de rap, ni de soul, j’ai eu un ras-le-bol de tout ça et je voulais écouter de la musique consciente, de la musique roots, et comme je suis quelqu’un d’excessif par nature voilà ce que ça a donné [Rires].

A : Tu as, dans cette période-là, fourni pas mal de mixtapes roots disponibles chez le disquaire Bluemoon.

C : Oui, j’ai fait ces mixtapes de 1997 à 2001, ensuite je suis parti en Guadeloupe.

A : Et qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui Clyde est de retour ?

C : Il n’y a pas de raison, là aussi ça s’est fait naturellement. Comme je suis un amoureux du hip-hop, que j’ai grandi avec cette musique, même si j’ai eu besoin de cette période roots profonde d’un point de vue personnel, j’ai toujours aimé cette musique. J’ai donc continué à mixer, à écouter des DJ’s américains actuels, j’ai voulu revenir pour y apporter ma partie musicale qui est plus imprégnée de roots et de dancehall et les fusionner avec le hiphop et le R&B.

A : Entre le temps où tu es parti et celui où tu reviens, il y a un changement considérable dans le deejaying avec l’avènement de Serato, comment as-tu pris ce virage numérique ?

C : Je suis dans un premier temps passé du 33 tours au 45 tours, vu que dans le reggae c’est que des 45 tours et c’est l’enfer pour les mixer, avec des pressages horribles, des disques gondolés, pour faire des performances c’était compliqué. Quand Serato est arrivé, même si j’étais au départ hostile aux ordinateurs, j’ai vite compris l’intérêt et les avantages de jouer sur Serato.

A : Tu as récemment accompagné Rocca sur quelques dates, là aussi comment es-tu venu à collaborer avec lui ?

C : De Guadeloupe je cherchais des dates, et j’ai été contacté par la personne qui s’occupait aussi de Rocca. Dans un premier temps je lui ai demandé si elle avait des plans pour des soirées, elle m’a proposé d’être le DJ de Rocca. Moi à la base c’était pas vraiment ce que je recherchais, de fil en aiguille on a discuté, et j’ai aimé son concept qui n’était pas cloisonné à un hip-hop français. C’est un colombien, qui a vécu à New York, puis en Colombie, donc on s’est retrouvé là-dessus vu qu’on est partis de France à la même période.

A : Tu faisais attention à ce qu’il faisait ?

C : Oui, j’ai même été le premier à passer son maxi Le hip-hop mon royaume sur Nova.

A : Qu’est-ce que tu penses du rap français à l’heure actuelle ?

C : Je ne suis pas trop ce qui se fait dans le rap français en 2011, donc je suis pas le mieux placé pour répondre à ta question. Concernant Rocca je me suis penché sur ses textes, c’est un gars super positif. J’ai écouté des productions, j’ai regardé des clips, et le nom qui me vient en tête c’est Booba, j’ai l’impression que c’est lui qui représente le rap français au niveau de l’image, du flow, au niveau de l’intention, c’est un artiste talentueux et beaucoup plus professionnel qu’avant. On parlait tout à l’heure du maxi Note mon nom sur ta liste on en est loin loin loin, il y a une grande route de faite depuis et c’est positif.

A : Ton actualité ?

C : C’est de retrouver des dates en France et en Europe, comme cela fait longtemps que je suis parti, c’est pas comme si je repartais à zéro mais j’ai conscience qu’il faut que je reprenne le truc à la base et montrer aux gens ce que je fais, et me produire. C’est ça mon actualité, me produire dans un maximum d’endroits.

A : Un message pour finir ?

C : Plus d’amour pour 2011, au sens large du terme quoi qu’on écoute, quoi qu’on fasse. Quand on parle d’amour on a tendance à nous prendre pour des imbéciles, mais c’est un monde qui est de plus en plus violent, de plus en plus brutal, et l’amour est la base de tout. C’est la base de la musique qui est un échange, un partage. More love.

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