Diamond in the Rough

Wacko

S’il a déjà une existence bien remplie, Wacko a encore une allure de rookie du haut de ses vingt-huit ans. La tête pleine d’espoirs et les pieds bien sur terre, il nous a raconté son histoire.

Quand nous interviewions 1995 pour la première fois, ils résumaient alors leur seule véritable participation officielle à un titre sur Congés récession, premier disque d’un dénommé MC Wack. Plus de deux ans après, MC Wack s’appelle désormais Wacko, a troqué ses costumes cintrés pour du linge étiqueté Le Coq Sportif et revient avec Les notes de frais, un projet étonnamment soigné qui, par moments, nous a rappelé le premier album de Doc Gyneco. La tête pleine d’espoirs et les pieds bien sur terre, Wacko nous a raconté son histoire.


Abcdrduson : Tu as vingt-huit ans et as déjà sorti un premier album mais peu de gens te connaissent pour le moment. Est-ce que tu te vois comme un rookie ?

Wacko : Je pense être encore au début de ma courbe d’apprentissage…En revanche, je ne considère pas mon propos comme étant “jeune”. Je ne parle pas comme un mec de vingt ans, j’ai vécu, j’ai travaillé, j’ai eu des relations amoureuses… A ce niveau-là, je ne suis pas du tout un rookie [Sourire].

A : Si on regarde ton premier album Congés récession et celui qui arrive, Les notes de frais, le fil rouge est sûrement le côté rappeur au col blanc. On sent que tu as travaillé, que tu as mis des costards tous les jours et c’est quelque chose de plutôt rare dans le rap français. Est-ce que tu peux revenir là-dessus et sur la manière dont s’articule cette double vie ? Est-ce qu’il n’y a pas un côté schizophrène entre le côté employé de bureau la journée et rappeur le soir ?

W : Sur le côté schizophrène, c’est amusant de jouer là-dessus par rapport à mon univers mais je ne le suis pas dans la vraie vie. Je me suis mis dans une configuration qui me permet d’être indépendant financièrement, d’assumer mes responsabilités et de me donner les moyens de vivre ma passion à fond.
J’ai eu un parcours assez classique. J’aimais lire, aller à des expos, écouter du rap… Mais on m’a dit « t’es bon avec les chiffres, tu dois faire un bac S ». On t’oriente toujours par élimination. Un jour, on t’annonce que t’as été accepté dans une super classe préparatoire et qu’il faut y aller. T’y vas et tu réalises que tu as mis les pieds dans quelque chose de très collant. Tu t’es toujours demandé ce que tu deviendrais et bien c’est en train de se déterminer maintenant. La compétition entre étudiants est déjà en train de se faire, tout le monde se demande quel salaire on aura à la sortie, quel métier on va choper… Tu te dis, « je vais être deux ans avec ces mecs là en prépa… Non, non, je vais être cinq ans avec ces mecs là en école de commerce… Non, non, je vais être toute ma vie avec ces mecs là dans des métiers de cols blancs. » [Sourire]. J’ai eu cette angoisse et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas fait d’école de commerce et je suis parti à Londres. Les anglo-saxons t’encouragent plus individuellement et ça m’a clairement inspiré. Il n’était pas question de tout lâcher mais de trouver quelque chose pour m’exprimer. Finalement, le rap était ce qu’il y avait de plus proche. Même si je suis déjà un peu esclave de mes aspirations bourgeoises, je suis convaincu que ça n’est pas ça qui me rend heureux. C’est important de faire les choses qu’on aime et de poursuivre ses rêves. C’est un projet cohérent aujourd’hui mais, au départ, ça a été très schizophrène.

A : D’un point de vue extérieur, j’ai l’impression que tu te consacres davantage au rap que dans le passé et que ça n’est plus seulement un hobby que tu pratiques le dimanche.

W : Tu as tout à fait raison et c’est le fruit d’une orientation que j’ai prise dans ma vie. Entre le premier album et celui-ci, j’ai beaucoup travaillé pendant deux ans à Londres et je n’ai pas eu de temps pour la musique. J’ai aussi beaucoup appris en faisant le premier projet en termes d’organisation et d’investissement. J’ai changé de boulot, je suis revenu à Paris et j’avais envie d’articuler ma vie différemment. Le premier projet m’avait laissé sur ma faim parce que je l’avais un peu fait sur un coup de tête. Et quand je te parle de la courbe d’apprentissage, j’ai vraiment commencé au stade 0 avec ce premier projet.
[Il marque une pause] Quand tu grandis à Paris, tu côtoies des gens qui viennent de partout et le hip-hop fait partie de ton environnement, quelque que soit la classe sociale à laquelle tu appartiens. Il y a toujours un moment où, à quatorze ans, tu freestyles avec tes potes… Tous les mecs qui écoutent du rap ont essayé de gratter un couplet à un moment ! Je l’ai fait à ce niveau pendant des années.
Avant mon premier album, il y a eu un moment où je me suis retrouvé dans une situation très favorable : j’étais entre deux contrats de travail, je continuais à gagner de l’argent, j’avais déjà signé le contrat de mon prochain job… Une situation en contradiction avec la crise. Pendant cette période, je me suis dit « bon, on a toujours parlé de faire du rap, allez on va faire un premier vrai morceau ». On fait un morceau, on se rend compte qu’il y a des caméras numériques, on peut facilement mettre ça en images… C’est arrivé un peu au moment où les 5D se démocratisaient massivement.
Je me suis lancé dans tout ça et j’ai très vite été excité par le côté « comment on fait pour marcher ». Et c’est pas du tout une démarche commerciale qui est à l’origine de ça, c’est juste que le côté marketing dans la musique est ultra passionnant. Toutes ces questions sont intéressantes : « Quelle est ton identité ? Quelle est ta personnalité ? Quel est ton marché ? Quel est ton produit ? ».

A : C’est ce que tu as appris en école ça !

W : Pas vraiment puisque je n’ai pas fait d’école de commerce à proprement parler mais c’est clair qu’être exposé au monde des affaires me sert aussi aujourd’hui. Je ne parle pas uniquement en termes d’argent mais également en termes d’opportunités, de temps, d’utilité associée à telle activité… A Londres, j’ai fait une très bonne fac d’éco et j’ai trouvé ça beaucoup plus intéressant que les petites stratégies de gestion ou de vente de ses soldats en costards cravates. L’économie est une vraie science et un modèle d’analyse du monde. C’est plus ça qui m’inspire dans mon traitement des sujets que l’anecdote autour de la machine à café… Même si je vais quand même ramener la machine à café dans mon univers parce que c’est un repère et c’est aussi un endroit où tu rencontres des personnes super cools. A Londres, quand je bossais dans une grosse boîte de conseil, j’ai rencontré des rappeurs, des beatmakers, des DJ’s, des sportifs… Il y a plein de gens qui ont compris qu’il y a des réalités dans la vie, qu’ils ont des responsabilités à assumer mais qui prennent le temps de faire des trucs formidables à côté. Très clairement, ce sont ces gens-là que j’ai envie de toucher… Parce que je connais et comprends leur frustration ! Après, évidemment, il y a mille fois pire comme frustration mais je comprends leur envie de faire la fête, de rattraper le temps en claquant des thunes, de trouver des passerelles qui les ramènent vers des choses plus réelles…

A : A l’époque du premier disque, tu t’appelais MC Wack et tu te présentes aujourd’hui en tant que Wacko. Pourquoi ce changement de nom ? Tu n’assumais plus le côté second degré de la première appellation ?

W : Au départ, mes potes me surnommaient Wack. Le Wack MC, c’était moi. En fait, ça ne concernait même pas que mon rap. J’ai une prédisposition à être un peu foireux dans les trucs que je fais [Sourire]. C’est pas que je ne suis pas appliqué mais je suis du genre à griller un feu rouge sans m’en rendre compte, je perds des trucs tout le temps, j’envoie le mauvais texto à la mauvaise personne, je suis incapable de faire deux trucs en même temps… Du coup, j’ai joué la carte du boloss décomplexé en gardant ce nom quand je suis rentré dans le rap. Sauf que je n’avais pas mesuré à quel point ça allait me fermer des portes. Je suis arrivé dans la musique en étant un peu naïf. Honnêtement, j’ai connu le milieu de la banque, le milieu du conseil et ça n’est vraiment rien à côté de ce qu’on voit dans la musique. Le niveau de condescendance et de frustrations observées chez certaines personnes… Je n’étais pas prêt au début.

A : Les notes de frais est un projet plutôt court puisqu’il ne comporte que dix titres. C’était une volonté ?

W : Ce projet a été travaillé comme quelque chose de vraiment cohérent musicalement puisque j’ai essayé de donner une couleur au niveau des sons, des thèmes. Je pense que c’est plus facile à faire sur douze titres que sur vingt. Et puis il faut dire la vérité à tes lecteurs : la musique coûte cher [Sourire]. Faire des projets coûte de l’argent, du temps, des sacrifices… C’est difficile de s’y retrouver et faire un vingt titres n’est pas viable économiquement. Sur cet album, je compte rentrer dans mes frais et j’espère même gagner un peu d’argent. C’était impossible sur dix-huit titres. L’enregistrement, le mix, le mastering restent les composantes les plus chères. Derrière, il y a aussi une logique économique.

A : Sur l’album, il y a un morceau qui s’appelle « Les femmes plus âgées » qui rappelle un peu « Celui qui vient chez toi » de Gyneco dans l’esprit. Tout l’album d’ailleurs a un côté un peu Première consultation 2013. Est-ce que c’est une référence qui te parle ?

W : Première consultation est une référence ultime. C’est l’album de rap français que je trouve le plus réussi. Les gens qui sont choqués de voir cet album en haut d’un top ont des problèmes avec eux-mêmes. Tout le monde s’est pris cet album, tout le monde connaît les paroles… La femme de mon père écoutait Doc Gyneco, mes copines à l’école écoutaient Doc Gyneco… Toute la France écoutait Doc Gyneco ! Oublier ça sous prétexte qu’on n’aime pas le personnage ou son parti pris politique, c’est ne pas avoir réglé ses problèmes avec soi-même.
En rap français, Doc Gyneco et Solaar sont mes premières références. Après, je suis un gros fan de hip-hop et quand je parle de Gyneco et Solaar, ça ne signifie pas que je n’écoute pas ce qu’il y a à côté. Par contre, je suis admiratif de la bande passante dans laquelle ils ont réussi à entrer. Ceci dit, je ne reste pas figé sur ces anciens disques. Le hip-hop, c’est la nouveauté et j’ai toujours été attiré par les dernières sonorités.

A : Tu as beaucoup de morceaux qui sont du pur divertissement, où tu parles de meufs et de soirées. C’est quelque chose qui se faisait beaucoup à l’ancienne avec des groupes comme TSN ou le Ministère Ämer, ça ne s’est plus fait pendant un moment et ça revient un peu en force aujourd’hui. Parler de choses plus futiles…

W : [Il coupe] Est-ce que parler de la vie de tous les jours est plus futile de que de refuser de grandir et de continuer à rapper « nique tout le monde, nique le système » ? Est-ce que c’est forcément plus futile ? Le débat est ouvert [Sourire]. Je pense que les gens parlent de ce qui les concerne, de leur monde, de leur réalité. J’ai peut-être moins de pression que dans le rap « engagé » mais j’ai aussi une pression de mon entourage qui est là pour me rappeler de faire des choses qui me ressemblent. Mes thèmes sont légers mais, de toute façon, le monde dans lequel je vis est léger. Il est plus léger que le monde de beaucoup de personnes donc je ne vais pas faire semblant.

A : Justement, la deuxième partie de la question était la suivante : est-ce que tu penses que Wacko aurait pu exister dix ans auparavant ?

W : Je pense qu’il n’aurait pas pu exister il y a dix ans mais qu’il aurait pu exister il y a vingt ans. A l’époque de 50 Cent et de G-Unit, de Lunatic, ça aurait été compliqué. Ceci dit, c’est aussi la période à laquelle tous les gens qui étaient vachement dans le rap se sont ouverts à plein d’autres styles musicaux. Je te dis ça alors que je me tuais à 50, G-Unit c’est ultime pour moi, Dipset c’est ultime, Lunatic c’est ultime… Le seul problème de ce rap, c’est qu’il est beaucoup plus hiérarchisé, beaucoup plus pyramidal en termes de « Qui est le king ? Qui est le boss ? ». Quand tu parles de ta vie de tous les jours, le rap n’est qu’une plate-forme et tu n’es en compétition avec personne.

A : Si tu devais te comparer à des gens dans le rap, à qui est-ce que tu penserais ?

W : Tu veux savoir à qui les gens me comparent en règle générale ? Orelsan et Grand Corps Malade [Sourire]. Après, on a aussi dit que j’étais le Mac Miller français. Bref, les comparaisons sont en tout cas vachement limitées parce qu’on en revient toujours à un truc de blanc. Pourquoi est-ce que ça parait aussi incroyable de me comparer à un rappeur noir ? C’est bizarre ! Mac Miller, c’est uniquement parce que je suis blanc et que j’ai un bonnet. Honnêtement, je me sens assez proche de Ludacris, Andre 3000 ou Kanye West, des gens qui restent hip-hop mais qui sont décomplexés. Ces trois artistes ont fait énormément évolué les choses parce qu’ils étaient les premiers à montrer une autre voie. En tout cas, je suis inspiré par des gens comme ça.

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