Interview

Dave Ghetto

Si l’année 2005 aura apporté son lot de confirmations, elle a été également fertile en heureuses découvertes. Promis à un certain anonymat, le producteur et MC de
Camden (New Jersey) Dave Ghetto occupe, au moins selon nos critères, une place de choix dans cette catégorie des outsiders de poids.

et

Abcdr : Comment te présenterais-tu, toi et ta musique, à quelqu’un qui ne te connaît absolument pas ?

Dave Ghetto : Tout d’abord je m’appelle Dave Ghetto. Je viens de Camden dans le New Jersey. Mes premiers pas discographiques remontent à 1997. Avec mon groupe Nuthouse on avait sorti un premier maxi vinyle A Luv Supreem sur Fondle’Em, le label de Bobbito. Ce maxi a reçu quelques échos positifs et nous a permis de nous faire un nom dans la scène Hip-Hop indépendante, avant qu’elle ne s’effondre sous le poids des sorties.

A : Comment es-tu venu au Hip-Hop ?

D : J’ai grandi à l’époque où le public déterminait ce qui était mortel et ce qui ne l’était pas. Le Hip-Hop était juste un reflet de notre communauté. Mais j’ai découvert le coté musical du Hip-Hop grâce à mes frères qui à l’époque étaient DJs.

A : Tu as vendu plus de 35 000 maxis vinyles depuis tes débuts discographiques. Ça fait un paquet quand on sait que généralement ce sont surtout les DJs qui achètent des vinyles. Tu retires une fierté particulière de chiffres comme ceux-là ?

D : J’en suis très fier. Vendre des disques vinyles est particulièrement difficile vu que seuls les DJs et les collectionneurs soutiennent toujours ce support. Du coup, tu as tendance à être encore plus exigeant que si ces disques sortaient sur d’autres formats plus classiques.

A : Comment es-tu rentré en contact avec Counterflow Recordings ?

D : Comme j’ai pu te dire tout à l’heure, tout s’est déclenché avec Fondle’Em. A partir de là, on devait sortir un maxi sur Goodvibes Recordings. A l’époque, le label comptait dans ses rangs Slum Village, Bahamadia, Mystic et Phil da Agony. On a fait une tournée avec Bahamadia et Slum en 2000 et à notre retour on s’est remis au boulot.

J’ai alors commencé à enregistrer des morceaux avec Chops des Moutain Brothers qui était en discussion avec un certain nombre de labels. Mais au final aucun de ces labels ne nous a proposé le contrat qu’on attendait, alors le disque n’est jamais sorti. Mais mon pote Panda One m’a mis en contact avec ce label à Miami. J’ai discuté un moment avec le mec de Counterflow et on a trouvé un accord. Il m’a alors envoyé quelques unes des sorties du label et il est venu à Philly.

On s’est finalement rencontré au studio de Chops. Là-bas on a écouté quelques uns des morceaux qu’on avait pu faire avec Chops. Les deux premiers disques sortis sur Counterflow, The Wild World et le maxi de Love Life? sont issus de ces enregistrements.

A : Quel matériel utilises-tu pour la composition de tes productions ?

D : J’utilise uniquement la MPC2000XL de Fel.

A : Tu es à la fois producteur et MC. Dans le processus de création, est-ce que tes talents de rappeur ont une répercussion sur ton approche de la production, et inversement ?

D : Je sais faire des beats mais je ne me considère pas comme un producteur comme tu l’entends. Je considère que je suis un producteur dans le sens où je contrôle l’ensemble de la direction artistique du disque. Ce sont mes écrits et la perception que je peux avoir du disque qui donnent le ton.

A : Considères-tu le crate digging comme un élément à part entière dans la production de morceaux ?

D: Partir à la recherche de bons disques à sampler cela fait partie de la production d’un morceau, au même titre que l’échantillonnage. C’est en fouillant dans les bacs à disques les plus obscurs que tu peux trouver les boucles les plus inattendues, celles qui différencient un morceau banal d’un titre qui sera perçu comme quelque chose de novateur par ceux qui ne connaissent pas le morceau samplé.

A : Avec le développement de logiciels assistés par ordinateur, j’ai l’impression qu’il y a une vraie démocratisation de la production (tout le monde peut faire des beats.) La réussite de quelqu’un comme 9th Wonder qui utilise, entre autres, Fruity Loops, qui pourrait sampler des MP3 mais ne le fait pas, illustre à mon avis assez bien cette idée. Qu’en penses-tu ?

D : Je pense que la musique de 9th Wonder était novatrice….mais aujourd’hui tout le monde pense qu’on peut se contenter de Fruity Loops et d’autres logiciels du même genre pour produire des morceaux. Pour autant, savoir faire des beats sur une MPC ne signifie pas que tu es un bon producteur. La réalité est plus complexe que ça.

A : Ton style musical, particulièrement empreint de Soul, me rappelle parfois Dilla (et c’est pour moi un sacré compliment.) Quelle a été ta première réaction quand tu as appris qu’il n’était plus de ce monde ? Sa musique a-t-elle eu une influence sur toi ?

D: Cette triste nouvelle m’a vraiment surpris, j’avais l’impression que sa santé s’améliorait. J’ai été d’autant plus touché par sa mort qu’on a de la famille en commun. Du coup j’ai eu l’impression que mes proches étaient touchés. C’était également quelqu’un avec qui j’avais particulièrement envie de travailler.

« Même si c’est mon premier album, j’ai passé pas mal d’années à développer mon style et les gens ont un certain respect pour ça. »

A : Quels sont les artistes qui t’ont influencé toi, en tant que personne mais aussi en tant qu’artiste, à la fois en tant que MC et en tant que producteur.

D : Rakim, KRS-One, Big Daddy Kane, Donny Hathaway, Marvin Gaye et beaucoup d’autres artistes ont influencé mon approche de la musique. Mais les gens qui m’entourent et font partie de mon quotidien sont également des sources d’influence.

A : Sur ‘Young World’ tu répètes que les radios et la télévision préfèrent exposer des choses négatives au lieu de faire la promotion de groupes et d’artistes plus nuancés et réfléchis. N’éprouves-tu pas une certaine déception face à cette triste réalité ? Est-ce que tu considères que la musique, et plus encore le rap, peut toujours influencer les gens de façon positive ?

D : Je ne dirais pas déçu, plutôt que je veux avant tout me faire entendre. Aujourd’hui on a l’impression que tout est fait à la sauce fast-food, sans aucune moelle. Après, bien entendu, il faut que la musique qui passe actuellement puisse être entendue, mais il faudrait aussi qu’on puisse entendre autre chose.

A : Tu viens de Camden, dans le New Jersey. Selon un certain nombre de sondages nationaux, cette ville a été classée pour la seconde année d’affilée comme la ville la plus dangereuse de tous les États-Unis. Comment expliques-tu que Camden soit au sommet de ce classement ? Quelles en sont les raisons ?

D : Franchement je pense que ce classement c’est de la connerie en barre. Mais en même temps il comporte ses avantages. La vérité c’est que Camden est une ville pauvre et donner uniquement un classement comme ça sans en donner les raisons et une vraie explication, c’est n’importe quoi. Quand tu as des gens qui sont pauvres, ont peu de ressources et peu d’éducation, et rien pour se débarrasser de toute cette négativité, alors la criminalité est plus importante.

Mais au-delà de ça, la réalité de Camden ne diffère pas de celle d’autres régions aussi pauvres des États-Unis. Mais en même temps le fait que je vienne de là-bas m’a apporté un peu plus de notoriété et du coup cela me donne la possibilité d’exposer un autre point de vue. Donc quelque part je pense qu’au final, ça apporte quand même quelque chose.

A : On retrouve sur ton premier album un certain nombre d’invités relativement prestigieux (Phonte, Cee-lo Green, Jack Splash notamment). Comment as-tu fait pour les convaincre de figurer sur Love Life ?

D : Une nouvelle fois je pense que les mecs qui sont sur mon album ont du respect pour ma musique et n’ont aucun problème à associer leur nom avec le mien. Même si c’est mon premier album, j’ai passé pas mal d’années à développer mon style et les gens ont un certain respect pour ça.

A : Des artistes particulièrement respectés et avec une forte renommée (Fat Joe, Jazzy Jeff, Just Blaze) ont eu des mots particulièrement flatteurs pour évoquer ta musique. Tu leur as filé beaucoup de thunes pour qu’ils réagissent comme ça ?

D : Non, ils ont juste du respect pour mon travail. J’apprécie ces compliments, et plus particulièrement quand ils viennent de mecs comme Jazzy Jeff qui est une légende et un vrai pionnier dans son genre.

A : Et Nuthouse ? Le groupe existe toujours ? Vous avez prévu de sortir de nouveaux trucs ?

D : Ouais, le groupe existe toujours. On prévoit de sortir un paquet de disques là. On a un label qui s’appelle Break Bread Projects. On a sorti le EP de Fel Lost Dreams Wasted Talent sur Soulspaszm Records en 2004. En fait on a même sorti un maxi de Nuthouse en 2005 mais la boite qui sortait le disque a eu des problèmes. Du coup, la sortie a été repoussée, et entre temps notre album est sorti, du coup tout le monde s’est concentré là-dessus.

A : Ton premier album aborde un certain nombre de problèmes sociaux. Considères-tu que ton parcours a eu une forte influence sur ta façon d’envisager la musique ?

D: Mon regard sur le monde qui m’entoure aujourd’hui diffère de celui que je pouvais avoir lorsque j’étais plus jeune. Les années passant, mes perspectives diffèrent également et mon opinion sur certains sujets précis évolue. La plupart de mes commentaires sur la société actuelle viennent de là.

Mais en même temps, il ne s’agit que d’une seule de mes facettes et quand tu écoutes l’album, même au coeur de tous ces commentaires sociaux, les autres facettes de ma personnalité transparaissent. Par exemple je viens des quartiers et j’ai fait mon lot de conneries dans la rue, mais j’ai aussi une maîtrise universitaire, même si au départ je n’avais pas mon diplôme de fin de lycée. Je suis à la fois père, frère, fils, disciple, étudiant, professeur… Tout ça à la fois. Je considère que c’est l’état d’esprit de l’auditeur qui détermine laquelle de ces facettes se distingue vraiment. C’est une des raisons pour lesquelles on a décidé d’ajouter un point d’interrogation à la fin du titre de cet album.

A : Un certain nombre de rédacteurs dans notre rédaction sont des fans absolus et assumés de Just Blaze. Comme Blaze, tu viens toi aussi du New Jersey. Comment juges-tu son évolution et le fait qu’il soit aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs producteurs du moment ?

D: Je considère que Just Blaze est tout simplement le meilleur producteur actuel. Je ne fais pas toujours particulièrement attention aux rappeurs qui sont sur ses morceaux, mais ses beats sont toujours incroyables. Et Just est vraiment un mec qui a les pieds sur terre et reste très accessible. C’est bien de voir un mec comme ça, avec cette mentalité, au sommet.

A : As-tu l’intention de venir en Europe pour donner, notamment, quelques concerts ?

D: Clairement ! Je n’envisage même pas la possibilité de ne pas venir. En plus il faut vraiment qu’on sorte d’ici et qu’on puisse voir ce que le reste du monde a à nous offrir. Ce que le public nous donnera nous permettra de faire notre album suivant.

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