Busta Flex : « Kool Shen, j’ai un cachet à vie pour lui »
Interview

Busta Flex : « Kool Shen, j’ai un cachet à vie pour lui »

Retour sur le parcours sinueux de l’éternel rappeur d’Epinay-sur-Seine, entre grands succès et projets anonymes. Une rencontre où il est question de rap à l’américaine, de NTM, d’égoïsme musical, de consécration, de carte blanche et de Hip-Hop électro. Mais surtout de plaisir.

et Photographie : Draft Dodgers

Nous sommes le 8 mai, quelques jours après la sortie de Flextape 93.8, le dernier projet en date de Busta Flex. Figure historique du rap français, le parcours de Busta s’apparente à une série de montagnes russes : entre chutes et sommets. Entre succès émérites et albums anonymes. Mais avec quinze années de rap derrière lui, le rappeur-kicker d’Épinay-sur-Seine a du vécu – et des histoires – à revendre. Le rendez-vous était fixé dans un petit café de quartier à 18 heures. Quelques minutes avant, Busta était déjà sur place. Avec un grand sourire qu’il gardera tout au long des deux heures passées ensemble. Rencontre marquante avec un kiffeur en série.

Abcdr Du Son: Tes premiers pas discographiques remontent à 1995. Tu participes à la mixtape de Cut Killer : Freestyle – La Première K7 De Rap Français. Quels souvenirs gardes-tu aujourd’hui de ces moments ? 

Busta Flex : Ces années, ce sont les meilleures à mes yeux. J’avais seize ans à l’époque. Pour moi, c’était comme une consécration : être sur la mixtape de Cut Killer, avec plein de mecs déjà connus, des gens que j’écoutais et dont j’étais fan. Participer à ça, c’était un vrai pas de franchi, une étape pour rentrer dans le mouvement rap français. Quelque part, ça m’a mis le pied à l’étrier. Et ça m’a aussi fait hyper plaisir.

A : Cette mixtape, c’était un peu le projet sur lequel il fallait être. Comment as-tu réussi te retrouver là-dessus ?

B : Je trainais beaucoup à Châtelet à l’époque et on avait quelques connaissances en commun avec Cut. Du coup, on se croisait de temps en temps. Il savait que je rappais et même si je n’avais rien sorti de concret, il avait dû me voir freestyler ici et là.

A : Tu rencontres Lone peu après ?

B : Ouais, c’est ça. En fait je l’ai rencontré par le biais du même gars qui m’avait présenté Cut. À ce moment-là, Lone était en train de préparer son album. Il cherchait quelqu’un pour poser un douze mesures sur un morceau un peu commercial de son album. Je ne me suis pas posé trop de questions. La crédibilité ou des trucs comme ça. J’étais amateur et plus je faisais des trucs dans le rap, mieux c’était. J’ai posé mon douze, il a grave kiffé et du coup il m’a invité à poser un autre titre. Puis un autre, puis encore un autre… Au final, je me suis retrouvé sur sept titres de son album. Ça m’a fait un bon buzz.

A : Tu sors relativement peu après ton premier maxi Kick avec mes Nike. Lone est justement sur un morceau, « Aïe, Aïe, Aïe ». À ce stade, tu commences à pleinement passer du stade d’auditeur à celui d’acteur.

B : Carrément, en sachant que j’ai toujours été à fond fan de rap américain. J’étais ultra-influencé et en plus de ça, je voulais que mon rap ressemble à du rap américain. Tout en rappant en français. J’adorais Redman, plus que Busta Rhymes d’ailleurs. Même si j’ai choisi le nom de Busta en référence à Busta Rhymes. J’ai choisi ce nom très simplement. Je regardais les dédicaces sur des disques et j’ai bien accroché sur ce nom. Je connaissais déjà son groupe, Leaders of the new School. J’ai aussi bloqué sur le blaze de Funkmaster Flex. À l’époque où j’ai choisi ce nom, et fait cet assemblage, j’étais très jeune et je m’en battais les couilles. Je n’avais que ce nom là… Pis bon, on m’avait connu sous ce nom-là, du coup, je l’ai gardé.

« Être sur le quatrième album de NTM c’était un peu comme recevoir un Oscar ou un César. »

A : Faire du rap à l’américaine, ça voulait dire quoi à tes yeux ?

B : Pour moi c’était une approche particulière sur les sonorités et la forme. Je ne comprenais pas les paroles, du coup je ne pouvais pas te dire s’il y avait un discours à défendre. Je voulais que le flow et le son ressemblent vraiment à ce que je pouvais entendre dans le rap américain. C’était ma direction à l’époque et c’est toujours la même aujourd’hui. J’étais vraiment fan. Donc j’ai écouté des morceaux parfois 200-300 fois. Et une fois que j’ai commencé à digérer tout ça, j’ai essayé de faire le truc à ma manière, en respectant les codes rythmiques sur la musique. Après, tout est une histoire de sensation. Quand tu sens ça, tu exploses la barrière de la langue.

Les codes à la française, ils sont très hachés, avec beaucoup de syllabes. A mon avis, on respecte trop les temps. Sans rapper en dehors de la mesure, tu comprends à un moment que tu peux ne pas rapper sur certains temps et t’amuser.

A : Ce sentiment de s’amuser, que tu décris, est vraiment omniprésent sur ton premier album.

B : Mais oui, parce que c’était tout à fait ça ! C’était de la forme. Après, je mets des mots dessus, mais la forme elle doit retranscrire le sentiment que je veux donner, de l’énergie, de la bonne humeur. Ça doit ressembler à l’état d’esprit que je veux que tu ressentes, quand tu écoutes le morceau.

A : Morceau marquant de ta discographie : « Le Zedou » sort sur la compilation L432. Quels retours tu as là-dessus ? 

B : Ça commence à dater maintenant, j’ai un peu de recul sur la question maintenant. Du coup, je peux t’en parler très ouvertement. À l’époque, le morceau a vraiment été vu et reçu comme un ovni. Il avait été grave mis en avant. J’avais été hyper content pour le coup. Mais tu sais, ma démarche a toujours été la même : je fais un truc du mieux que je peux parce que je kiffe. Je le dépose et ensuite je vois comment les gens réagissent. Je me dis toujours que ceux qui écoutent la même chose que moi, ils vont comprendre ce que j’ai voulu faire. C’est ma conception de la musique.

À ce moment-là, j’écoutais beaucoup EPMD et Redman. Du coup, un morceau comme ça, avec cette énergie, ça coulait de source. Pareil avec le thème, cette métaphore entre le shit et la musique. Je ne fumais même pas à l’époque, mais j’aimais bien ce parallèle entre le dealer de son et le dealer de drogue.

A : Quand tu as débarqué, on sentait déjà ce côté « je rappe avec le sourire ». Est-ce que tu n’as pas craint à un moment d’être un peu marginalisé par le reste du rap français – pas forcément très ouvert d’esprit à l’époque ?

B : [NDLR : Il réfléchit] Je l’ai senti…. oui et non. On n’était pas des masses à être dans la même vibe. Mais en même temps j’étais tellement dans mon délire que je ne calculais pas des masses. Pour moi, ça devait être comme ça et pas autrement. Je respectais quand même les autres styles.
A : Finalement, tu rencontres Kool Shen et tu sors ton premier album sur IV My People….

B : Non, en fait je l’ai sorti chez Warner. A l’époque, le label n’existait pas encore, il y avait juste le logo. On l’avait mis pour faire un certain buzz. IV My People, c’était juste un crew de rappeurs à ce moment-là. Avec Kool Shen, Zoxea et moi. C’est par la suite que c’est devenu un label. On avait même des projets d’albums en commun.

A : Et l’album fait disque d’or. Tu t’y attendais ou ça va plus vite et plus haut que tu ne pensais ? 

B : Je ne m’y attendais pas non… Mais je l’espérais. Il a mis du temps avant de devenir disque d’or : une année. J’étais un nouvel artiste dans le décor du rap français. Il fallait m’imposer au grand public. J’ai eu la chance de faire toutes les premières parties de NTM et ça m’a vraiment beaucoup aidé. C’est à la fin de cette tournée de NTM que l’album a fait disque d’or. Sans cette tournée, je n’aurais jamais été disque d’or.

A : À l’époque, comment vivais-tu le fait de pouvoir apparaître sur le quatrième album de NTM ? Rétrospectivement, comment juges-tu cette expérience, et le fait d’avoir pu participer au dernier disque d’un tel groupe ?

B : C’est une des plus belles expériences de ma vie. Tout simplement. Pour moi, c’était un peu comme recevoir un Oscar ou un César. En sachant qu’au moment où NTM faisait cet album, je faisais également le mien. Et en plus on était dans le même studio. On bossait vraiment ensemble. Quand ils m’ont invité, ça a pris un sens particulier. Je me disais : « Putain, je suis sur l’album de NTM ! C’est un truc de ouf. »

A : Tu te sentais poussé par une dynamique de groupe à ce moment-là ?

B : Carrément ! J’étais avec les mecs que je kiffais avant de commencer à rapper. On bossait ensemble, on partageait les mêmes idées. J’étais comblé. Cette force collective on la sentait bien, ça donnait des forces. Même quand Kool Shen faisait ses trucs en solo, ou Joey, il fallait que ça plaise à l’un ou à l’autre.

Tu sais… [NDLR : Il s’arrête] J’attache beaucoup d’importance aux symboles et à des moments importants. Dès le jour où j’ai signé en édition chez Sony, c’était un peu comme si j’étais devenu professionnel. Tu vois d’où je viens, atterrir dans des bureaux de maisons de disques à dix-sept ans… C’est un autre délire. Tu signes des contrats et on te donne un chèque avec plusieurs zéros. Tu te dis que ça devient vraiment sérieux là.

A : Faire les premières parties de NTM, ça t’a aussi aidé pour la scène ?

B : Oui, ça ne fait aucun doute. J’avais déjà mon énergie, j’étais à fond, mais ils ont réussi à canaliser tout ça. À bien polir les angles, pour que ce soit professionnel. Pour pas que ce soit juste un mec qui gueule et soit essoufflé au bout de deux morceaux. J’ai beaucoup appris là-dessus mais aussi sur le choix des titres, l’ordre à adopter. On vient de la même école. Je suis d’Epinay-sur-Seine, ils sont de Saint-Denis. On est du 93. Ils ont monté une école hardcore, avec une certaine virulence sur scène. Moi, je suis un bon élève, il n’y a pas de problème.

A : Si tu as beaucoup appris avec IV My People, Kool Shen disait, lui aussi, que te côtoyer toi et Zoxea, ça lui avait été très bénéfique.

B : Oui, c’était très réciproque et très transparent. Normal. Je me souviens que Kool Shen avait un gros cahier et il me lisait ce qu’il avait écrit. On échangeait beaucoup dessus. Pareil, quand je sortais des trucs pas terribles, il n’avait aucun problème à me le dire. Le truc c’était vraiment de faire mieux que l’autre. Après, Kool Shen a réalisé mon premier album. De A à Z. Du premier texte à la dernière musique. Il était là tous les jours. On a tout fait ensemble. Kool Shen, j’ai un cachet à vie pour lui. Il m’a appris des trucs, il vient du 93 et NTM ça représente tellement à mes yeux.

A : On a évoqué beaucoup d’épisodes positifs avec IV My People. Pourtant, à partir d’un moment, les choses se sont compliquées. A partir de quel moment as-tu commencé à avoir des doutes sur le label ?

B : En fait, à partir du moment où il a fallu que j’attende pour sortir des projets. Peu importe le format. Je me suis dit que ça risquait de bloquer mon élan créatif. Et ça a commencé à me faire peur. Mais c’était normal. Dans un business, tu ne peux pas sortir dix disques en un mois. Les gens ne vont pas les acheter. Je n’arrivais pas forcément à comprendre ça à l’époque. La jeunesse a fait que je n’ai pas compris ça et du coup je suis parti. Au final, mon deuxième album est sorti deux ans après, donc ça revenait au même… [Rires] L’image de IV My People prenait beaucoup de place dans le rap français. J’aimais assez peu le côté « IV My People, le crew qui met tout le monde à l’amende. » Ça voulait aussi dire, les autres sont nuls. Et ça ne me ressemblait pas. Quelque part je voulais que les gens m’aiment pour ce que ce je suis.

A : Qu’est-ce qui s’est passé le 20 mars 1997 ? Tu y fais référence dans un de tes morceaux (« Pourquoi ? »)

B : Je vais la faire en version courte. A l’époque, j’étais avec La Sauce Production, le label de Lone, sur lequel j’avais sorti mon premier maxi Kick avec mes Nike. Pendant un concert en province, ça s’est super mal passé avec un autre groupe. Ils m’ont laissé quand il aurait fallu me soutenir. Du coup, suite à ça, j’ai décidé de me séparer d’eux.

A : Ton deuxième album Sexe, violence, rap et flooze est beaucoup plus sombre. Malgré le morceau « Hip-Hop Forever », on sent que tu as déjà un paquet de désillusions derrière toi.

B : Oui, c’est tout à fait ça. J’ai eu beaucoup de succès très rapidement. J’ai vu que les gens changeaient, ils ne voyaient plus le rap de la même façon. Ils devenaient jaloux ou très critiques. Ça me gâchait un peu le délire que j’avais à l’époque. Du coup, logiquement, j’ai voulu en parler dans mes morceaux. En plus de ça, c’était la grosse époque Mobb Deep ! Il fallait arriver avec les violons et les ambiances bien sombres. Tu arrivais avec des morceaux dancefloor, c’était mort. Mes désillusions et la vie que je pouvais mener à l’époque – même si je sortais d’un disque d’or – collaient bien à ces atmosphères. Ça donnait aussi une autre facette de ma personnalité. Cet album a grave marché. Il a quasiment été disque d’or alors qu’aucun morceau n’est passé sur Skyrock. On me parle encore aujourd’hui des morceaux de cet album. J’ai toujours vécu ma musique en faisant des albums par rapport à mon humeur et l’ambiance musicale du moment. C’est une approche assez égoïste quelque part mais c’est ma conception de la musique. Après, ça passe ou ça casse. Je pense qu’il y a une partie du public qui me suit pour ce que je fais… Et une autre partie que je dois convaincre. Et je ne suis pas prêt à changer pour ce dernier. Sauf si moi, je l’ai décidé.

On ne pourra pas me classer par rapport à la forme de ce que je fais. Pas forcément sur le fond vu que je ne suis pas un rappeur à plume. Mais si j’ai envie de donner un truc aux gens, je le fais.

A : Tu parlais tout à l’heure du rôle de Kool Shen sur ton premier album. Comment tu as procédé pour le second du coup ? 

B : Je l’ai vraiment fait tout seul celui-là. J’ai écrit tous les textes, j’ai fait la moitié des musiques. J’ai été encore plus investi sur ce projet. Il n’y avait pas de regard extérieur… si ce n’est celui de mon pote Desmo, le producteur du groupe Comité de Brailleurs. Il m’a accompagné dans la réalisation de certains morceaux de l’album. Il est très fort dans les ambiances « urbaines ».

A : Un autre aspect marquant quand on regarde dans le détail ta discographie, c’est que tu as participé à beaucoup de projets annexes. Tu as été sur beaucoup de mixtapes et des compilations plus ou moins visibles….

B : … Et beaucoup de B.O de films ! J’ai fait Taxi, Yamakasi, Le boulet, Double zéro… À chaque fois, on m’appelait pour me demander de faire un morceau. Après, pour les compilations… tu sais, je suis fan de rap. J’ai fait plein de trucs gratuitement et un paquet ne sont jamais sortis. Je l’ai fait simplement parce que j’avais envie de le faire.

A : Tu étais notamment sur la compilation Rap performance avec Horsek. « Danger », un titre vraiment mortel. Tu sais ce qu’il devient Horsek ? Vous aviez une vraie complicité.

B : Non, je ne sais pas ce qu’il devient. Horsek avait fait partie de l’équipe OSFA avant de devenir mon backeur. Il avait également fait partie du Royal Squad avec Sully Sefil. On avait beaucoup bossé ensemble à un moment. Je sais juste qu’il n’est plus dans le rap aujourd’hui. Je l’ai juste vu faire jury un jour pour Rap Contenders. Tu peux continuer l’enquête ! [Rires]

« Il faudrait y aller progressivement. Mais je n’ai plus envie d’y aller progressivement. »

A : Ton troisième album, Eclipse, part sur une toute autre ambiance. Avec un son et des thématiques à l’opposé de Sexe, violence, rap et flooze. On a l’impression d’un total revirement. Quelle était ton approche à l’époque ?

B : Le son électronique est arrivé à ce moment-là. Et j’ai toujours adoré ça. C’était LE truc aux États-Unis et je me suis dit que j’allais ramener ça en France. Mon éditeur de l’époque m’avait présenté Maleko. Et c’est lui qui a fait toutes les musiques. Il n’était pas très connu mais vraiment super fort. Il pouvait me proposer un vrai univers rap et électro. Pour moi, c’est aussi ça être artiste : prendre des risques et sortir des albums très différents.

J’ai toujours été très éclectique dans mes choix musicaux. J’ai choisi de faire du rap parce que c’est ce qui me semblait le plus accessible. Mais j’aurais pu choisir un autre style.

A : Au moment de la sortie de Eclipse, tu avais rencontré Busta Rhymes à Skyrock. Pendant que tu rappais, Busta et Spliffstar backaient tes rimes, et on t’entendait pratiquement sourire de plaisir derrière le micro. Ça reste dans tes souvenirs marquants ?

B : Grave. J’étais à la radio, avec Busta Rhymes, Spliffstar, des mecs que je kiffais depuis des années. Je m’appelle Busta Flex… J’étais super content de rapper. Pourquoi ? Parce que c’était le jour où Busta Rhymes pouvait valider mon nom et ma manière de rapper. C’est facile pour les américains de valider n’importe quel français qui rappe. De dire que ça déchire et le lendemain, il s’en bat les couilles, il est parti. Mais qu’il s’investisse autant : à citer ton nom, faire tes backs, te faire applaudir par le public. Il n’avait aucun intérêt particulier à faire ça. Pour moi, c’était simplement la preuve qu’il avait vraiment kiffé. C’était la validation de ma musique. Ils avaient mis l’instru de « What It is » et pour moi c’était parfait. C’était comme si j’avais préparé ce morceau toute ma vie ! [Rires] C’était vraiment la consécration ce moment. Je pouvais mourir tranquille après ça.

Après, plein de gens m’ont dit : « mais pourquoi tu ne fais pas un morceau avec lui ? » Mais moi, je m’en bats les couilles de tout ça. Je voulais juste qu’il me fasse kiffer. Rapper avec lui c’était un putain de moment. C’est comme si tu étais fan de quelqu’un et que tu te retrouves avec lui, à faire de la musique. Pis Busta Rhymes, quand tu connais son parcours : le mec est parti de rien pour devenir une star de ouf’. Ça aurait pu être Jay-Z, Nas… Ça aurait été très bien, mais ça n’aurait pas été pareil.

A : Busta Rhymes, on sent que c’est un mec qui veut toujours être à la page, comme s’il ne voulait pas vieillir. Quand on t’écoute en solo ou avec Zoxea, on sent cette même envie. Ce côté vétéran et pourtant toujours une énorme énergie. Avec cette même envie de toujours rapper vite, d’apporter autant de variations de flows…

B : Ouais, mais il faut le vivre tout ça. Pour faire ce que tu décris, il faut faire des sacrifices. On est des vétérans et c’est une forme de luxe. La vie ce n’est pas que ça. Il faut s’accorder du temps et travailler pour pouvoir être bon. Quand je vois des mecs comme Busta Rhymes qui ont quarante ans cette année, ben ça me donne de l’espoir. Même si tu as des moments plus difficiles, que tu te poses des questions, au fond de toi, tu as envie de faire une carrière et de continuer, jusqu’à quarante, cinquante ans. Après, on est dans une musique assez jeune. Et si tu ne dis pas des trucs pour les jeunes, t’es classé dans un autre délire. Je n’ai pas envie de changer les règles. Je veux juste rapper à n’importe quel âge ce dont j’ai envie.

A : Ton quatrième album, La pièce maitresse, est passé relativement inaperçu. C’était ton grand retour, il y avait quelques grosses productions et pourtant…

B : … je considère que c’est mon meilleur album. J’ai été probablement absent pendant trop longtemps. Un peu plus de trois ans ce qui est énorme dans le rap. Toute l’équipe chez Warner avait changé et ils n’aimaient pas la musique que je pouvais faire. Ils m’ont mis des bâtons dans les roues. Ils voulaient que je vende beaucoup de disques alors que moi je voulais juste faire la musique qui me plaisait. Quand tu es en maison de disques, tu dois concilier les deux. J’avais conscience des règles. Au bout d’un moment, ils m’ont laissé faire ce que je voulais. Pourquoi ? Parce que contractuellement c’était le dernier album que je devais à Warner. Ils n’avaient rien à perdre. Ils l’ont sorti le 3 juillet… On ne sort jamais un album en juillet. Il n’y avait eu ni promo, ni clip. Ils voulaient juste se débarrasser de moi. J’ai quand même tout donné avec Sulee B sur ce disque. On voulait que ce soit un album bien produit et bien réalisé. Il est passé inaperçu. Mais je sais que ceux qui l’ont écouté, ça les a vraiment touchés. Quand je fais des morceaux de cet album en concert, ça répond direct. Par contre en termes de ventes et succès : que dalle ! [Rires]

A : Il y a deux ans tu as sorti Sexe, violence, rap et flooze volume 2. Madizm disait à l’époque ce projet allait être le début d’une nouvelle dynamique. Et finalement non…

B : Madizm est parti faire sa vie aux États-Unis. L’album n’a pas eu les retours escomptés. Il a eu un bon succès d’estime par rapport à la forme rap. Mais sans plus…On avait fait deux clips « Le boule qui est dans ton dos » et « Tu n’as pas pied ». Ils avaient bien pris mais ça n’a pas suffi. Ensuite, j’ai enchainé les tournées avec NTM, au moment où ils ont repris le groupe. Du coup, j’étais plus sur la route qu’à faire la promo de mon disque. J’ai décidé d’arrêter un peu pour faire ma Flextape et me remettre d’accord avec moi-même, sur ce que je voulais vraiment faire. Sexe, violence, rap et flooze volume 2 c’est l’album sur lequel j’ai fait le plus de concessions. On avait travaillé à plusieurs sur ce disque et j’avais moins mis ma patte.

A : Le volume 1 était très personnel. Pourquoi donner un volume 2 à un album qui était considéré comme un classique ? C’est toujours dur de donner une suite à un classique.

B : J’ai voulu essayer. En sachant que je n’avais pas les mêmes armes. Dans l’ambiance, ce n’était pas un album festif et il y avait plus de textes que d’habitude. Mais pour moi, cette suite n’était pas du même calibre. On a essayé néanmoins. Il n’y aura pas de volume 3 pour rattraper le deux ! [Rires]

A : Si ma mémoire est bonne, tu es l’un des premiers rappeurs à être apparu avec ces fameux t-shirts « Le rap c’était mieux avant ». Qu’est-ce qui t’a motivé à mettre en avant ce message ?

B : Je trouvais le clin d’œil marrant. Je le pensais avant tout pour l’ambiance Hip-Hop qui était plus présente. L’état d’esprit était plus ouvert, avec les soirées, les freestyles. Je ne pensais pas à l’art Hip-Hop français en tant que tel.

A : Tu écoutes encore du rap français ?

B : J’en écoute vraiment très peu, depuis des années. J’achète encore quelques albums. J’ai acheté… [NDLR : il fait une pause] Le dernier album de Sexion d’Assaut. Parce que je les trouve bons. Tout simplement. Même si je ne les connais pas.

A : C’est cohérent quelque part. C’est une bonne brochette de kickers…

B : … exactement ! Mais quand je dis ça à certains, ils ne comprennent pas. J’écoute encore un peu ce qui se fait. Mais je ne suis plus à l’affût comme avant. J’ai compris que pour un artiste ça ne servait à rien de suivre tout ça. Tu n’as pas le temps pour ça.

A : Il y a pas mal de jeunes groupes aujourd’hui qui te citent toi, les X-Men, les Sages Po’ en vous citant comme des références. Comment tu prends ça toi ?

B : Ca défonce ! C’est ça le but du truc, que ça tourne. Chacun son tour ! Si je les ai bien fait kiffer à un moment et qu’ils me le rendent en me faisant des dédicaces… Ben mortel. Ça prouve que j’ai fait mon travail. Comme d’autres avant moi, Assassin, NTM, les Little, avaient pu le faire. Je pourrais t’en citer un paquet d’autres comme IAM.

A : Quand tu prends un peu de recul sur l’ensemble de ton parcours, quels sont les accomplissements dont tu es le plus fier ? Et inversement, quelles sont les erreurs que tu as pu commettre ? 

B : Je vais commencer par les erreurs… Parfois, je n’en ai fait qu’à ma tête. Je n’ai pas eu de plan stratégique d’album, ni de choix de morceaux. Je n’ai pas fait assez de concessions. En sachant que je dis ça, je ne le regrette pas particulièrement. Pour ce qui est du positif, je me dis qu’aujourd’hui ça va bientôt faire vingt ans que je fais du rap. Je suis toujours dedans et j’ai l’impression de faire partie des mecs qui ont fait quelque chose dans le rap français. Après, je continue à avancer. Je ne suis pas une star, je continue grâce au public qui a validé ce que j’ai pu faire.

J’ai encore envie aujourd’hui. Et c’est essentiel à mes yeux. Comme la chanson de Johnny Halliday : j’espère encore avoir envie d’avoir envie. Honnêtement, c’est un truc très important à mes yeux. Le faire pour le faire, je pourrais. Je suis un robot du rap. Je pourrais t’écrire un morceau quasi-automatiquement. Mais l’envie reste essentielle.

A : Aujourd’hui, tu prévois de sortir une nouvelle mixtape [NDLR : Interview réalisée début mai 2012.] Une Flextape, comme tu nous disais tout à l’heure. Qu’est-ce que tu voulais faire avec ce projet ?

B : Je voulais faire un vrai « street album ». Je n’aime pas le terme, alors on va plutôt dire un album pour les aficionados. Pour ceux qui kiffent le rap. Le rap technique, pour ceux qui n’ont pas de problème avec les influences américaines, avec la forme plus que le fond. Un album pour un public averti. Ça c’est le premier aspect. Ensuite, je voulais un album qui sonne comme les artistes que je peux écouter. Notamment comme Black Milk. Il avait fait un album : Caltroit. Ça m’avait tellement traumatisé que je voulais faire un truc similaire. Tous les street-albums de Bishop Lamont ont aussi été une vraie source d’influence. Ils m’ont donné un truc que je pensais ne plus pouvoir trouver dans le rap. Du Hip-Hop pour les Hip-Hoppeurs. Sans aucune concession. Je me voyais là-dedans.

Les invités que j’ai amenés sur mon album, je savais qu’ils pouvaient m’apporter un vrai truc et adhéraient vraiment à ma vibe. J’ai fait les prods dans ce sens là.

A : Tu as produit la grande majorité des morceaux ? 

B : Oui, en fait j’ai produit dix-neuf des vingt-deux morceaux de l’album. Les trois autres, ce sont des Face B. J’ai défini la thématique de l’album. Ce disque, c’est mon petit bébé égoïste d’artiste ! Vu ma carrière, je pourrais sortir des albums différents, me mettre avec des artistes qui visent le sommet. Tout en cherchant une forme de continuité. Mais non. Pour ce disque j’ai voulu me faire plaisir.

A : Tu as des envies de « vrai » album pour la suite ?

B : Bien sûr. Je suis en pleine période de réflexion justement. Je me pose beaucoup de questions, mais tout est plus ou moins préparé. Je sais déjà ce que je compte faire…[NDLR : il s’arrête] En fait,  je compte sortir un album Hip-Hop électro pour la fin de l’année. Je vous donne déjà la couleur. Ce sera très club, à la LMFAO, Far East Movement. Je suis très fan de ce type de son. Sans aller sur leurs plates-bandes, c’est le type de rythmes et de sonorités vers lesquels je veux me diriger. Je veux me permettre de faire les choses que j’aime.

Aujourd’hui je suis devenu producteur. J’ai produit mon disque tout seul même si je suis signé sur un label indépendant. Ils me laissent carte blanche. J’ai mis mes billes, mes affaires et j’ai fait mon disque. Si je ne fais pas ce dont j’ai envie, qui va kiffer ? Je préfère prendre un risque. Le prochain album sera vraiment dancefloor. Alors, je préviens les mecs du rap : ce ne sera pas du rap avec des capuches. À partir d’un certain âge, il faut laisser les artistes faire ce qu’ils veulent. Certains trucs ont mûri pendant des années et il faut les sortir. Sans me comparer à Madonna, tu regardes sa carrière, elle a changé cinquante fois de styles. Regarde Féfé : il était dans le Saïan Supa Crew et ensuite il chante avec une guitare. Ça peut choquer les gens mais il est à fond dans son truc.

Moi, je ne vais choquer personne en rappant sur des beats à 120 BPM. Après, il faudrait y aller progressivement. Mais je n’ai plus envie d’y aller progressivement. Le temps passe, j’ai envie d’avancer et de faire des choses. Qui vivra verra. Au bout d’un moment, tu ne peux plus être dans la retenue et la frustration.

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