Big K.R.I.T. en 5 titres
Interview

Big K.R.I.T. en 5 titres

Avant d’ambiancer le Nouveau Casino au rythme de ses bangers sortis du Mississippi, Big K.R.I.T (re)prenait des forces dans son hôtel parisien. Et grand bonheur, on a pu passer quinze minutes avec lui. Une rencontre où il est question de B.B King, Kendrick Perkins, Yelawolf, Curren$y et des clubs de strip.

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Il va bientôt fêter ses 26 ans. Et compte célébrer ça comme il se doit. En attendant, Big K.R.I.T. sirote un petit cognac tranquille dans sa chambre d’hôtel. Normal, après tout il est 13h30. Le soleil parisien cogne et le public l’attend en début de soirée au Nouveau Casino pour ce qui s’annonce comme une vaste célébration. Une célébration de son ascension matérialisée par sa signature chez Def Jam et la sortie de son premier album Live from the underground. Succès critique et commercial, celui-ci s’annonce comme une des grandes réussites de l’année en cours. À la fois accessible, simple et concentré, K.R.I.T. a encore ses yeux d’enfants, ceux qui brillent quand on évoque David Banner, B.B King… ou certains quartiers de Paris. Et puisqu’il fallait optimiser le temps d’interview, on a demandé au natif de Meridian de revenir sur la genèse de cinq de ses morceaux. Cinq titres dans une discographie qui continue à prendre de l’épaisseur.

« Hometown Hero » (The Last King – 2009)

Big K.R.I.T. : Tu vois, sortir un morceau comme celui-là, quand tu viens d’où je viens, naturellement, ça m’a donné confiance. Ça a fait de moi une forme de héros local. J’ai quitté Meridian pour Atlanta, puis Atlanta pour New York, tout ça pour m’affirmer en tant qu’artiste. Quand tu viens d’une petite ville comme Meridian, ce n’est pas que les gens ne croient pas en toi, ils croient en toi, mais ils pensent que ce sera très difficile de vraiment réussir. Mon histoire n’est finalement pas différente de celle de Boobie Miles. Tu réussis à accéder au poste de tes rêves, aux prix d’énormes efforts, et tu continues à vouloir avancer. Ce morceau, « Hometown Hero », c’est un peu comme ces athlètes qui se blessent et doivent repartir de nouveau à zéro. Le Hip-Hop aujourd’hui est un peu comme ça. Tu peux être au sommet, ta musique est connue et reconnue mais les modes changent et tu dois te réinventer et repartir de zéro.

Abcdr du Son : Tu suis pas mal le sport visiblement, dans le dernier numéro de SLAM, il y avait un papier sur toi et Kendrick Perkins [NDLR : Pivot de l’équipe des Oklahoma City Thunder,  finaliste NBA].

B : Ouais, c’était assez mortel. Kendrick est vraiment un pote. Il suit ma musique depuis un moment. Il jouait à Boston, pour les Celtics, à l’époque. J’ai pu le rencontrer à un concert de Delo à Houston. Ça fait plaisir de voir que la musique ne reste pas uniquement cantonnée au milieu du hip-hop mais est aussi appréciée dans le milieu du sport. C’est aussi mortel de voir que certains sportifs cherchent à faire savoir au grand public qui sont les prochains artistes à suivre.

A : Ça te surprend de voir que des mecs comme Kendrick Perkins puissent écouter ta musique ?

B : Je suis toujours très surpris de voir ça ! J’avais vu le dernier match des finales NBA cette année, et les Miami Heat fêtaient leur titre de champion dans le vestiaire. Ils écoutaient « I got this ». Mon morceau ! Ils reprenaient même les paroles « Fuck these haters, fuck these hoes ». J’étais soufflé…. [il prend une mine hallucinée]

A : Tu as fait un remix de ce morceau avec Yelawolf…

B : Je bossais avec Yelawolf bien avant que ce remix ne sorte. On avait notamment fait un morceau ensemble, « Happy birthday Hip-Hop ». Vu qu’il vient de l’Alabama, ça faisait sens. Je cherchais à réinventer le morceau pour le ressortir. Je sais qu’en tant qu’artiste il a déjà un sacré vécu. Il a été signé, beaucoup de choses se sont bousculées autour de lui, il a fait ses preuves. J’ai beaucoup aimé bosser avec lui. On a prévu de faire un album en commun : Country Cousins. Je cherche à trouver un son pour cet album, quelque chose de complètement neuf. Ça n’est pas forcément facile de créer quand tu es en tournée. J’aime être en studio, me poser un peu pour créer. Après cette tournée, je vais avoir quelques semaines plus tranquilles, donc on devrait pouvoir se retrouver en studio pour avancer sur ce projet.

« Country Shit » (K.R.I.T Wuz Here – 2010)

B : « Country Shit » c’est vraiment une grande célébration, sur le fait que je sois du sud et que je vienne de la campagne. C’est quelque chose dont je suis fier et que je considère comme cool. Certains pensent que si tu viens de la campagne, tu es complètement stupide. Je cherche vraiment à briser ces stéréotypes. J’ai sorti « Country Shit » et on a essayé de pousser ce morceau autant que possible avant de faire le remix avec Ludacris et Bun B, un an après. Ludacris et Bun B sont vraiment des OGs, super cools, et ils ont compris ce que je voulais faire avec ma musique. Ils ont participé à ce remix, et le morceau a décollé de nouveau, mais différemment. C’est peu après que ce titre est devenu mon single officiel. Faire ce morceau m’a aussi préparé pour sortir Live from the underground.

« Sookie Now » (ft. David Banner) (Return of 4Eva – 2011)

B : David Banner, c’est un peu comme un grand frère. Et c’est vraiment un mentor pour moi. Quelqu’un à qui je peux passer un coup de fil pour avoir quelques conseils. Il a vu et vécu beaucoup de trucs dans la musique. Pouvoir échanger avec quelqu’un qui comprend très précisément dans quelle situation tu peux te trouver à un certain moment, c’est vraiment utile. Pour ce qui est de la production, le fait est que je n’ai pas forcément beaucoup de temps pour produire. Ça n’est pas évident de combiner le rap et la production. David Banner comprend ça très bien. Pour revenir à « Sookie Now », une nouvelle fois, c’est une forme de célébration sur disque. Sur mes origines, tout en essayant d’amener le public à apprendre notre langue, nos expressions. Je sais que pas mal de gens ne comprennent pas ce que ça signifie « sookie sookie now ». C’est une expression, en gros, c’est un peu comme dire « ça roule », « c’est mortel ». C’est ce type d’expression. Le morceau transpire la soul, avec des chœurs en fond, c’était obligatoire pour moi d’avoir David Banner sur ce titre.

A : …et tu penses quoi du fait que True Blood représente un peu le coin dont tu viens ? [rires]

B : [rires] Ouais, tu as raison le personnage principal de True Blood s’appelle également Sookie. Je n’avais quasiment pas regardé la série à l’époque. J’ai vu plus tard que pas mal de gens pensaient que j’avais eu cette idée de Sookie en regardant True Blood. Mais non, c’est juste un vieux dicton. Il y avait un morceau des Staples Singers qui reprenait justement ce « all sookie, sookie ». Je me souviens quand j’étais petit, je l’avais entendu quelques fois.

« Money on the Floor » (ft. 2Chainz, 8Ball & MJG) (Live from the Underground – 2012)

B : Les clubs de strip font pleinement partie de la tradition du sud des États-Unis. Et ce morceau illustre bien le fait que beaucoup de mes morceaux, surtout au tout début, ont tourné dans les clubs de strip. Pas mal de DJs qui étaient reconnus à cette époque jouaient aussi dans les strips clubs. C’était difficile de trouver une place à la radio, mais dans les strips tu pouvais amener ton disque et le jouer sur scène, tant que tu donnais un pourboire à la danseuse. Quand j’avais dix-sept ou dix-huit ans, ça ne me posait pas de problème d’aller dans les strip-clubs, de jouer mes morceaux et de filer des pourboires aux danseuses. Pour moi, dans tous les cas, c’était positif.

Avoir 8Ball & MJG sur ce morceau, c’était une vraie chance. Ces mecs sont deux vraies légendes du sud. Ils personnifient toute la détermination, la volonté du sud. 2 Chainz est sur le point de devenir une vraie légende lui aussi. Il m’avait invité sur un autre morceau, « Pimps », l’année dernière. J’ai voulu lui rendre la pareille sur le premier morceau de Live from the underground. Je voulais un morceau super déterminé, bien du sud, bien soulful. Et un morceau qui aurait un vrai écho dans les clubs de strip. Je pense avoir choisi les bonnes personnes pour tout ça.

Wiz Khalifa – « Glass House » (ft. Curren$y & Big K.R.I.T.) (Kush & Orange Juice – 2010)

B : En fait la production de « Glass House » date d’il y a plus de deux ans. C’est un de mes plus vieux beats. Curren$y l’avait déjà entendu à New York bien avant qu’on enregistre. À l’époque, il disait « il faut que je fasse un truc avec cette prod’ ». Mais on n’a jamais eu le temps de le faire. J’ai revu Curren$y et Wiz à South by South West [NDLR : gros festival musical, assez anarchique, basé à Austin]. En fait c’était la première fois que je rencontrais Wiz, on a fait une scène ensemble, la première du Smokers Club. On avait loué une baraque et tout le monde y passait pour se détendre, boire et fumer. À un moment, Curren$y a demandé à jouer le beat de « Glass House ». Ça me faisait plaisir, du coup, je l’ai joué. Wiz l’a entendu et immédiatement il a dit qu’il voulait enregistrer un morceau avec cette prod’. Et qu’il voulait le mettre sur Kush and Orange Juice. J’étais en sang quand il a dit ça. J’avais emmené tout mon matériel, du coup j’ai enregistré tous les couplets sur place. Ils avaient une scène plus tard dans la soirée. Quand ils sont partis, j’ai fini l’enregistrement du morceau et je l’ai envoyé à Wiz le lendemain. On est tous retournés à Atlanta et effectivement le morceau a fini sur Kush and Orange Juice.

A : Tu vas produire des morceaux pour Wiz sur son prochain album ?

B : Si Dieu veut, oui. Je crois qu’il a plus ou moins bouclé son album. Mais sur le prochain, ou pour une de ses prochaines mixtapes, j’espère pouvoir avoir un titre ou deux. Sinon, j’avais produit le morceau « Jet Life » avec Curren$y [NDLR : sur The Stoned Immaculate, LP de Curren$y]. Le remix de ce morceau, avec Curren$y, Jeezy et Lil Wayne est également sorti. À mes yeux, avoir du succès en tant que producteur, c’est aussi important que d’en avoir en tant que rappeur. Mais ça prend du temps. Et j’aime aussi pouvoir rapper sur toutes mes productions. Ça n’est jamais évident de dire si je vais vendre un beat, le mettre de côté ou rapper dessus.

A : Quel regard tu portes sur les carrières de Curren$y et Wiz ?

B : Déjà, c’était mortel de voir combien ils ont pu avoir du succès rapidement. Avant la première scène que j’ai pu faire avec Wiz, jusqu’à celle que j’ai pu faire avec Curren$y, l’ambiance a toujours été la même. Rien n’a changé. Constater que le succès n’a pas du tout changé l’esprit de mes potes, ça aussi c’est une vraie fierté. Ils ont bien ramé pour en arriver là où ils en sont aujourd’hui, tout n’est pas arrivé tout cuit tout de suite. Ça me fait plaisir de voir cette ascension, de voir qu’on échange et crée toujours tous ensemble. Le temps dira ce que ça va donner, ce qu’il adviendra de mon rôle de producteur, si je finis par faire un disque de platine avec eux.

A: As-tu des attentes particulières autour de Live from the underground ?

B : Être premier des charts pour le Hip-Hop et le R&B c’était quelque part une fin en soi. Personne n’imaginait que je puisse en arriver là un jour. Je n’avais pas de morceau en rotation à la radio ; celui que j’ai sorti l’a été deux mois et demi avant l’album. « Money on the Floor » est sorti six mois avant la sortie de l’album. Produire l’intégralité de mon album, avoir les invités que je voulais, être vraiment moi et faire la musique qui me correspond, c’est déjà un succès à proprement parler. Aujourd’hui, je suis à Paris, je fais une tournée. J’ai déjà gagné quelque part ! [rires] Tu vois ce que je veux dire ? Je suis vraiment comblé, cet album va faire partie de ces disques qui vont continuer à se vendre. Je continue la promo. J’espère que les gens vont écouter le morceau avec B.B King.

A : Justement, on voulait t’en parler. Comment s’est déroulée cette collaboration avec B.B King ? L’avoir en invité sur un album de rap, c’est assez unique.

B : Bosser avec B.B c’est le genre de trucs dont tu rêves ! J’avais une esquisse de morceau, sept mois avant que je demande à B.B King d’y participer. Ça fait partie de ces trucs où tu te dis ce serait mortel… mais ça n’arrivera probablement jamais. Quatre mois plus tard, je me suis dit qu’il fallait vraiment que ce projet aboutisse. Mais je ne voulais pas que les échanges aient lieu via nos managers respectifs, j’avais en tête un truc plus personnel. J’ai exclu les avocats de nos échanges. Mon avocat d’affaires a contacté le sien. Ce mec appréciait vraiment ma musique et ça a sûrement aidé. Je lui ai joué le morceau, on l’a joué aussi pour B.B et immédiatement, il a dit qu’il voulait faire ce titre.

A : Comment as-tu bossé la production de ce morceau ? 

B : À la base le morceau était basé sur un sample mais pour des questions de droits je n’ai pas pu l’utiliser. Du coup, on a dû repartir sur quelque chose de complètement nouveau, un truc très soul, très blues. B.B a proposé de jouer un truc à la guitare. C’était dingue. Quand je suis arrivé dans le studio, il était assis, tranquille, avec un Coca light. J’ai regardé tout le monde autour de lui, et je me disais « C’est B.B King les gars ! » Il m’a appelé toute la journée par mon prénom : Justin. Ça restera un grand moment pour moi.

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