L’album photo de Deen Burbigo
Interview

L’album photo de Deen Burbigo

Depuis son premier freestyle dans une laverie toulonnaise jusqu’au succès sur internet en passant par l’intérim, Deen Burbigo en a déjà beaucoup vu pour quelqu’un de son âge. Un vécu en dents de scie qui rejaillit tout au long de son premier album Grand Cru, et que l’Abcdr lui a remémoré en lui mettant quelques images sous les yeux. Commentaires à l’appui.

Laverie Les débuts

Deen Burbigo : Soit tu fais référence à la vidéo dans laquelle Nekfeu et moi on faisait un freestyle dans une laverie soit tu veux parler de l’endroit où j’ai commencé à rapper mon premier texte. C’est pour ça?

Abcdr du Son : Exactement.

D : J’étais au lycée du Coudon, à la Garde, dans une petite banlieue toulonnaise, et entre là où on habitait et le lycée, il y avait un local lessive comme ça. À l’époque, on avait un groupe qui s’appelait La Relève, qui était le tout premier groupe avec lequel j’ai commencé à rapper, et on se se posait là parce qu’il n’y avait pas grand monde qui venait laver son linge. En plus tu es bon parce que tu as trouvé une image avec un distributeur : il y en avait aussi un dans notre laverie qu’on pouvait décaler et débrancher. Du coup on débranchait le distributeur, on branchait un petit poste CD d’un pote à nous, et on mettait des instrus de CD gravés.

Pourquoi la laverie en particulier?

D : C’était en face du lycée, et c’était le coin où l’on pouvait se cacher un peu. On séchait les cours, personne ne pouvait trop nous voir, donc on était tranquilles.

C’était tes débuts dans le rap?

D : J’étais déjà bercé par cette musique, j’ai des grands cousins qui m’ont mis du rap dans les oreilles très jeune. Mais à la base je faisais du breakdance dans une MJC au Pradet. J’aimais le rap, mais je ne me disais pas que c’était quelque chose que je pouvais faire… Et puis un jour un grand est venu dans notre MJC avec une platine, un micro, et une baffle. Il a branché des faces B, c’était trop futuriste pour nous : il n’y avait même pas de paroles sur la musique ! [Sourire] C’était la première personne que je voyais rapper devant moi, et je me suis alors dit « Vas-y, il y a une instru’ on peut écrire.” Du coup j’ai arrêté le break et j’ai passé mon temps à écrire.

Gare de Lyon L’arrivée à Paris

D : Ah la Gare de Lyon! Ça m’évoque deux choses. La SNCF déjà : j’ai travaillé dans une gare à Toulon où j’étais bagagiste et je faisais de l’aide aux personnes à mobilité réduite. Et ensuite, la Gare de Lyon c’est mon premier rapport avec Paris. Je suis né à Marseille, j’ai grandi à Toulon, la Gare de Lyon c’est le premier endroit de la capitale où j’ai posé les pieds. C’était le début de l’aventure.

A : Qu’est-ce qui a fait que tu t’es dit : « Je pars à Paris »?

D : Le sud c’est une région qui est très belle mais pour des jeunes, très honnêtement, il n’y a pas grand chose à y faire. Les seules personnes qui ont réussi à faire quelque chose là-bas sont soit des gens qui sont pistonnés, soit des gens qui ont su être assez intelligents pour investir et faire de l’oseille. C’était un peu une évidence : je me suis dis qu’il fallait que je bouge d’ici sinon je n’allais rien faire.

A : Donc entre-temps tu travaillais à la SNCF?

D : Exactement. Je travaillais dans un groupe qui faisait de la sous-traitance pour la SNCF , toutes les personnes qui avaient besoin qu’on leur porte leurs bagages comme les vieilles dames, je m’en occupais. Et je faisais aussi monter et descendre les handicapés des trains.

A : Tu avais l’impression de stagner?

D : Je faisais des petits boulots mais je n’avais pas de perspectives professionnelles particulières. J’avais le Bac donc je me disais que je pourrais quand même m’inscrire à une fac et je savais que dans le Sud je ne ferais rien, il y a trop d’attractions avec les potes, la vie… Je suis monté à Paris pour faire des études et pour continuer à rapper. Même à un moment donné tu te dis que tu as fait le tour, tu veux aller ailleurs : le Sud c’est un grand village, tu croises toujours les mêmes têtes, tout le monde se connaît un peu.

A : Que fais-tu quand tu arrives à Paris?

D : J’avais une copine à l’époque, elle avait un appartement de cité U et on était tous les deux dans une chambre de neuf mètres carrés à Châtenay-Malabry dans le 92. Avant ça, j’étais allé sur Internet en me disant « qu’est-ce que tu peux faire comme études? » À l’époque j’étais à fond dans l’histoire et la géopolitique, je lisais Jeune Afrique, Manière de Voir. Du coup je me suis dit pourquoi pas Histoire. Je vais sur Internet, je tape « Histoire FAC Paris » et je tombe tout de suite sur « inscription la Sorbonne Paris 4 » sur Google. Et La Sorbonne, même pour ceux qui ne viennent pas de Paris, c’est quelque chose que tu connais : il y a un côté un peu prestigieux. J’ai essayé de m’inscrire en ligne sans trop y croire, et quelque jours plus tard j’ai reçu un dossier d’inscription sérieux, avec le tampon La Sorbonne… Ma mère a vu le dossier dans la boîte au lettres, elle avait presque versé une petite larme. Pas parce qu’elle n’avait pas confiance en moi mais plutôt parce qu’elle me voyait enchaîner les petits boulots et qu’elle ne pensait pas que j’allais reprendre mes études.

A : Donc tu enchaînais les TD, les amphis, et le rap?

D : Les TD je n’y suis pas beaucoup allé. [Sourire] Je suis bon sur des pointes de stress et de pression, mais sur le long terme je n’arrive pas à me motiver. Il y a des matières où je me suis fait assassiner avec des notes ridicules, mais pour celles qui me plaisaient, je cartonnais : quand quelque chose m’intéresse je peux être facilement bon parce que je travaille sans m’en rendre compte et je suis méticuleux. Quand ça ne m’intéresse pas c’est plus compliqué de me faire rentrer les infos dans la tête.

A : Et tu avais le temps de rapper?

D : Oui carrément. Pendant ma troisième année, j’allais à la fac, je travaillais comme animateur dans un centre de loisirs le mercredi et les vacances, et à côté de ça j’étais au Rap Contenders. Pour te dire, la veille de mon troisième battle de Rap Contenders contre Taïpan, j’avais mon dernier partiel et cette semaine-là je me disais : « si tu arrives à cartonner ton partiel et gagner le battle, cet été c’est tranquille. » Et ça l’a fait. C’était sûrement le plus bel été de ma vie : on est partis un mois à New York, une semaine à Montréal, deux semaines à Barcelone, on a bien décompressé.

Rap Contenders Première exposition

D : L’ancien ! “Détèr’, crâne rasé comme un militaire à trente piges. » Ça c’était le battle contre Gaïden, le seul que j’ai perdu, à l’Éclipse à la Fourche. Je peux te dire plein de choses sur cette photo : dessus, tu peux déjà voir Eff Gee, Mekra… C’est l’époque où on est tout le temps ensemble en équipe dehors, à faire tous les battles et les freestyles que l’on peut. Dessus tu vois aussi Dony S et Stunner, qui sont des gens qui nous ont lancés sur un hasard chanceux mine de rien. C’est l’époque de l’insouciance, sans aucun calcul : pour te faire une idée on est à la Fourche dans le dix-septième arrondissement de Paris, dans l’arrière salle d’un bar, L’Entracte, pas particulièrement connu, et à l’époque on ne se pose même pas la question de savoir si ça va prendre sur le net ou pas. Rap Contenders avait appelé tout le rap français à leur lancement, et personne n’avait répondu présent. Nous on était tous arrivés en bande avec L’Entourage !

A : Les Rap Contenders, c’est ce qui vous a tous propulsés?

D : Clairement, ça a donné un nouvel élan. Honnêtement, je pense qu’on a remis au goût du jour quelque chose qui n’était plus du tout à la mode : tous les petits gars que je vois freestyler, même certains anciens qui avaient un peu laissé ça, ils se sont mis à rimer plus qu’avant. Peut être que c’est prétentieux et que je suis à côté de la plaque, mais je crois que les gens qui nous critiquaient au début n’ont vu que le côté « rappeurs blancs ». Maintenant ça doit grincer des dents : que tu aimes ou que tu n’aimes pas, tu ne peux pas nier qu’on rappe. Même sur notre freestyle le plus obscur, il y a des rimes, des placements, des jeux de mots… je ne dis pas que c’était génial mais pour celui qui nous regardait de haut, ça devait être piquant de voir un groupe où tout le monde rappait comme ça.

A : Et ce succès soudain, vous l’avez bien géré?

D : Il n’y avait rien derrière nous. On n’avait pas de manager ou de label, on ne pensait pas faire de buzz… C’est une fois que le buzz était là qu’on s’est dit qu’il fallait essayer de gérer les choses. Et là on a fonctionné dans une logique d’urgence tout en étant déjà visibles : il fallait qu’on sorte tout le temps des freestyles, des morceaux… On n’était pas prêts à ça, et on n’a pas eu le luxe de pouvoir se préparer avant de se faire connaître. On était ultra naturels dans les interviews, on rappait naturellement, sans calcul. Et je pense que c’est aussi ça qui a fait que l’on a marché.

L’attente La maturation

D : J’ai mis trois ans à pondre ce putain d’album. En vrai je ne mets pas tant que ça de temps pour écrire, mais j’ai du mal à finir : très souvent je commence des textes, mais je ne les finis pas. Le nombre de quatre mesures ou d’instrus que j’ai envoyées en l’air parce qu’elles me gonflaient…

Cette image, ça m’évoque aussi quelque chose de notre époque : aujourd’hui si tu ne sors pas une vidéo toutes les deux semaines et un album tous les six mois les gens te disent que tu es “à l’ancienne”. Il y a quelques semaines j’ai sorti le clip de “Me Réveiller”, une semaine après je voyais des gens qui me disaient que ça faisait un moment que c’était sorti. Moi je ne peux pas suivre cette cadence ! On s’est fait connaître comme ça au début, il y avait un freestyle qui sortait toutes les semaines, des featurings, mais là il m’a fallu du temps pour finir l’album. Je l’ai d’ailleurs appelé Grand Cru pour montrer que j’ai pris le temps de faire maturer mon projet.

A : Pourquoi avoir pris autant de temps?

D : Je n’étais pas prêt. Je m’y suis mis tout de suite, mais j’ai aussi fait des tournées, j’ai jeté des morceaux, je n’en ai pas finis… Je ne me suis pas dis « tiens, je vais prendre trois ans pour faire un album! » J’espérais le faire en un an, mais j’ai passé beaucoup de temps à marcher à tâtons, j’essayais des choses. Ce qui est sûr, c’est que pour la suite je mettrai bien moins de temps, maintenant que je sais où je vais, ça change un peu la donne.

Grand Cru L’album

D : Alors là, il y a énormément à dire. [Sourire]

A : Qu’est ce que tu voulais de plus sur ce disque par rapport à tout ce que tu avais fait auparavant?

D : Il fallait que ça reste toujours technique dans le rap, mais que les morceaux soient aussi plus accessibles. Et puis je voulais aussi avoir quelque chose de plus ouvert dans les influences : Inception c’était très rap, Fin d’après minuit montrait de nouvelles ambiances, et pour mon album, j’ai encore poussé ça en étant le plus pointilleux possible sur la partie production.

A : Quelles étaient tes craintes?

D : Je ne voulais pas trahir mon son, perdre la couleur de ma musique. J’avais envie de faire quelque chose dont moi j’étais content mais qui plairait aussi au plus grand nombre : « Pas Une Autre » par exemple, c’est un morceau qui peut sonner plus grand public mais je ne l’ai pas fait en me disant que j’étais en train de faire mon morceau radio. C’est dur de faire des morceaux plus ouverts, qui peuvent rentrer plus facilement en radio et en télé, tout en étant content de sa musique : quand tu arrives à avoir ce genre de balance tu as gagné.

Némir l’ami

D : Au delà du fait que Nemir est un ami, quelqu’un que j’estime beaucoup c’est aussi un artiste dont je suis fan. Il est vraiment trop fort : son album est quasiment fini, ça va être une sacrée baffe. Bizarrement, « Ailleurs » n’est pas un morceau de moi, mais c’est celui où j’ai posé qui a le mieux marché. Quand je le joue aujourd’hui encore en concert, les gens sont comme des fous. C’est vraiment l’époque de l’improvisation, sans calcul. Je me rappelle qu’on était à un concert au Nouveau Casino, j’avais écrit le couplet en une heure dans les loges, le lendemain on le posait en studio, et trois jours après on shootait le clip à Montpellier. C’est mon seul titre qui est rentré en playlist sur Skyrock, et à l’époque que ce soit moi ou Nemir, on n’avait aucun label, aucun manager, pas d’éditeur. Et on se retrouve playlistés sur Skyrock : ça montre vraiment la force du morceau.

A : Vous vous êtes bien entendus parce que vous prenez du temps pour faire vos projets non?

D : Il y a un peu de ça en effet. [Sourire] On est aussi torturés l’un que l’autre. Lui un peu plus que moi ! Moi j’ai mis trois ans, lui il en est à quatre. C’est un malade, ça relève de la psychiatrie. [Rires] J’ai entendu certains morceaux, il aurait eu de quoi faire un album déjà : il a bazardé, recommencé des morceaux… mais il est très très fort. Et en plus ils a une couleur musicale bien à lui, ce que j’envie à fond. Je rêve d’arriver à développer une couleur qui ne soit qu’à moi.

Daniel Balavoine Le chant

D : Ah ! Ce vrai Balavoine ! J’ai une phrase dans « On Y Va » où je dis « Ma France à moi c’est Desproges, Balavoine et Coluche » parce que ce sont trois figures du patrimoine français qui m’ont marqué par leur personnalité. Leurs créations aussi, mais j’ai surtout appris à apprécier ces gars-là quand j’étais jeune en tombant sur leurs interviews sur YouTube. Balavoine a un côté très irrévérencieux, jeune fougueux, un petit peu naïf mais à bonne dose. Je trouve ça bien parce que c’était à la fois quelqu’un qui croyait en l’homme et qui n’avait pas peur de se mouiller pour aller dire ses quatre vérités aux personnes qu’il avait en face. Musicalement, j’ai mis plus de temps à rentrer dans son univers, mais c’est un artiste que j’aime beaucoup aujourd’hui. Quand j’ai l’occasion de tomber sur des anecdotes sur lui ou les autres, ça m’intéresse toujours de les lire.

A : Tu écoutes d’autres choses qui n’ont rien à voir avec le rap?

D : À fond. Brel, Brassens, Aznavour, je suis fanatique. J’aime bien la soul aussi, les musiques afro-américaines entre 1960 et 1990… je peux passer d’un Bob Marley, Peter Tosh, Gentleman à Aretha Franklin ou Kaaris. Plus ça va, et plus j’apprends d’ailleurs : j’ai par exemple des cousins à moi qui sont plus dans le rock et qui m’ont fait écouter des playlists récemment. J’ai toujours été hermétique au rock et là, depuis quelques temps, il y a pas mal de choses qui me parlent. Je pense que c’est une histoire d’âge et de sensibilité : il y a certaines choses, ce n’est pas le bon moment pour les écouter. Mais avec le temps tu les comprends.

A : Daniel Balavoine, c’était aussi un prétexte pour parler du fait que tu chantes maintenant. Comment ça t’es venu?

D : Je le faisais déjà un peu avant mais j’ai passé plus de temps à travailler ça en studio. La voix c’est un instrument pas facile à apprendre en autodidacte : je ne suis pas un grand chanteur mais maintenant j’arrive à trouver les bonnes notes en studio, et à me casser la tête pour faire les bonnes prises. Et puis je prends tellement de plaisir à chanter maintenant ! Le rap aussi hein, mais c’est quelque chose que je maîtrise plus. Quand je chante un refrain et que je l’écoute je suis trop content. Plus que pour un gros couplet parce que ça me surprend un peu moins. Un bon refrain chanté ça me vient moins naturellement.

Pôle Emploi Les galères

D : Pôle Emploi, c’est grâce à eux que j’ai tenu ma première année de fac à Paris. Je suppose que c’est en rapport avec ce que je dis dans “Retour En Arrière”? [“Envie de les flé-gi quand ils me grattent des selfies devant Pôle Emploi”, NDLR] C’est une histoire vraie en plus : aujourd’hui je suis intermittent du spectacle, donc quand je finis ma tournée je dois passer par le Pôle Emploi pour relancer l’intermittence. Et une fois, à la sortie du Pôle Emploi, je croise un gars qui me connaît et qui me demande une photo. Du coup je me suis retrouvé à faire un selfie devant le Pôle Emploi. [Sourire] Le mec ne pense pas mal, mais toi tu te dis : « putain mais quelle vie! Je sors du pôle emploi et on me demande un selfie devant l’agence. »

A : Sur ton album, dans tes textes, tu ne t’inventes pas de vie par rapport à l’argent. Tu dis par exemple à un moment que tu as « deux mois de loyer en retard. »

D : [Rires] a date un peu ça. Mais je me souviens qu’au moment où j’avais sorti Inception, j’étais allé voir ma banquière, et j’étais premier sur iTunes depuis deux ou trois jours. Je suis allé à la banque avec une capture d’écran d’iTunes pour lui montrer. [Il tend les deux bras avec une feuille imaginaire, NDLR] « Voilà. Je suis numéro un au top des ventes d’album toutes musiques confondues. Je sais que je suis à découvert mais il faut me débloquer la carte ! » J’étais en loose totale, loyer impayé, je n’avais pas un rond, je me faisais avancer de l’argent à droite à gauche…

A : Elle avait débloqué ta carte?

D : Oui ! Elle était cool, c’était une renoi du 95, qui me disait qu’elle écoutait du rap hardcore. Elle m’avait mis bien de fou (sourire).

A : Tous les rappeurs ne parleraient pas de leur argent comme ça.

D : Aujourd’hui, je vis bien, ça va. Mais c’est vrai qu’il y a pas mal de morceaux où je parle de cette démesure entre le fait d’être connu et de ne pas avoir un rond. Cet album, c’est la synthèse de mes années parisiennes parfois galères, mélangées au succès. Je trouve que c’est une thématique qui est peu exploitée : on est dans une période où tu peux te faire connaître via Internet à une échelle démesurée tandis que les rentrées d’argent ne sont parfois pas à la hauteur de cette notoriété. Au début je n’avais pas un rond, et en même temps les gens me voyaient dans le métro, ils ne comprenaient pas ce que je faisais là. C’est marrant quand même.

A : Le fait d’être connu, c’est quelque chose qui te plaît?

D : Je ne peux pas m’en plaindre vraiment, ça serait cracher dans la soupe : si je n’ai pas de patron, si je fais ce que je veux et vis de ma passion c’est grâce à ça. Mais après est-ce que c’est quelque chose qui me plaît ? Non, pas du tout. Moi si je pouvais ne jamais me faire reconnaître, je le ferais. Si j’avais su, j’aurais été un Daft Punk ou un Kalash Criminel. Ça met un genre de filtre entre toi et tous les autres qui est peu relou. C’est pour ça que, sans mauvais jeu de mots, c’est important de garder un entourage proche, soudé, parce que ça te permet d’être toi-même. J’ai même déjà eu une fille qui me connaissait qui était venue me demander une photo, et juste après ses trois potes me demandent la même sans savoir qui je suis. Je trouve ça dingue comme concept.

Nekfeu Le succès

D : Je n’ai pas encore vu le film! Imagine que là c’est un de tes meilleurs amis, et… voilà. [Il montre Catherine Deneuve du doigt, NDLR] Tu vois mon morceau « Me Réveiller » ? Il illustre ça. On s’habitue à tout, mais tout paraît tellement irréel. Ça ne m’étonne même plus mais en même temps je garde le recul de me dire « Putain, mais c’est trop fou. » Je me rappelle de la fois où il avait aussi fait une vidéo pour Canal + avec Marion Cotillard, on était comme des fous dans notre canapé. « Ah le batard! Il va clasher Marion Cotillard ! »

A : Vous avez tous bien géré le succès de Nekfeu entre vous?

D : Le voir exploser comme ça, ça nous a mis à la fois et une bonne et une mauvaise pression. Si un gars de ton équipe a réussi et ce ne n’est pas le cas pour toi tu te dis que tu as raté quelque chose. Mais pour autant, ça te donne une pression positive parce que Nekfeu est aussi celui qui a le plus bossé : et voir que celui qui a le plus travaillé est celui qui réussit le mieux, mine de rien, tu te dis que tu peux toi aussi faire quelque chose. Mais je crois que personnellement, c’est quelque chose de stimulant : Nekfeu fait Bercy, tu te dis qu’il va falloir remplir le Bataclan quand même.

A : Ce qui est surprenant, c’est qu’en voyant tout ce qui est arrivé à chacun d’entre vous au sein de L’Entourage, vous êtes toujours restés soudés. Même avec le succès, l’argent, les fans, il n’y a pas eu de jalousie ou d’autres aspects négatifs du succès qui se sont interposés.

D : C’est parce qu’on a eu quand même des belles déconvenues auparavant : avant d’avoir fait un euro avec le rap, on a connu les escrocs du business, les envieux, les jaloux, les embrouilles de rue – pour certaines plutôt sérieuses – donc on n’a pas eu le temps de se monter les uns contre les autres. On était tous dos à dos à devoir faire face au reste du monde. Il y a eu une seule tête qui est partie, et là oui, le succès n’a pas fait que du bien. Mais entre nous, dans l’équipe telle qu’elle est aujourd’hui, il n’y a rien de tout ça.

La Vie L’inattendu

D : J’avais oublié ce post Instagram ! Je ne sais même plus où j’avais trouvé cette image. Mais c’est exactement ça. Moi, mon album il devait sortir en un an, mais rien ne se passe jamais comme prévu.

A : C’était quoi les creux pour toi?

D : [Il soupire] Un disque dur qui a brûlé avec mes morceaux, un feat incroyable que je devais faire et qui est tombé à l’eau, des mois de saison sèche où je n’étais pas inspiré et je n’avais plus trop envie de sortir… La vie t’apprend aussi à ne plus visualiser la ligne droite : quand tu te lances dans un projet il vaut mieux préparer le pire, pas le mieux. Tu es toujours plus ou moins préparé au meilleur. Le pire, c’est beaucoup plus dur. [Rires]

A : De tous les membres de l’Entourage, on a l’impression que dans tes textes, les embûches, les galères, c’est quelque chose qui te définit le plus.

D : C’est plus la débrouillardise je dirais. Avant d’être dans le rap j’étais dans l’intérim. Je ne pense pas être celui qui ai le plus galéré d’entre nous mais clairement le fait de ne pas avoir eu de manager, d’être autodidacte dans tout ce que je faisais, d’apprendre sur le tas, de tout gérer tout seul, ça m’a vraiment influencé. C’est plus ce côté de faire beaucoup avec peu qui est important pour moi, plutôt que de parler des galères en elle mêmes.

A : Les petits boulots c’est quelque chose qui t’a marqué?

D : C’est ce qui m’a motivé à me dire qu’il allait falloir me bouger : recevoir des ordres de trous du cul qui ne sont pas plus intelligents que toi juste parce qu’ils ont deux diplômes et que du coup ils peuvent te dire « ferme ta gueule », « va là-bas », « fais ça, fais ça », ça va… Je ne suis pas venu sur terre pour ça. Ça m’a appris la vie que je ne voulais pas avoir.

A : Et ça ne te donne aucun regret sur celle que tu as aujourd’hui?

D : Clairement. Je n’ai pas de regrets ça sert à rien. « Regrets », c’est moche comme mot ! Il vaut mieux apprendre de ses erreurs.

A : Tu en as fais beaucoup des erreurs dans ta vie?

D : Ouais… (rires). Faire confiance à des mauvaises personnes, faire deux trois conneries étant jeune, blesser quelques femmes. Avec du recul, je n’étais pas obligé. [À l’autre bout de la pièce, l’attaché de presse et ami de Deen Burbigo le regarde avec un sourire complice : « On vous dérange, tout se passe bien ?”, NDLR] Il me demande si j’ai fait des choses que je regrette ! Je cherche. Disons qu’on va s’arrêter là, je suis un mec bien avant tout. [Sourire]

A : Des erreurs, tu en fais moins aujourd’hui?

D : Non. [Sourire]

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