Akhenaton
Interview

Akhenaton

Ça y est, c’est arrivé : Akhenaton, un dictaphone et nous. Cette rencontre un peu providentielle avec le pilier d’IAM (et d’une bonne partie du rap français) nous a permis d’évoquer un paquet de sujets. En voici les morceaux choisis.

, et Photographie : Jérôme Bourgeois

Akhenaton fait partie des quelques artistes qui nous ont rendu suffisamment obsédés par le rap pour y consacrer un site Internet. Malgré les kilomètres accumulés au fil des années, et même après avoir coché quelques uns de nos objectifs ultimes, Chill était resté pour l’Abcdr une sorte de tour de Babel. Il faudra finalement un élément déclencheur inattendu – notre interview de Thibaut de Longeville et sa petite polémique – pour que le contact soit officiellement pris, et qu’une rencontre soit organisée.

Le 27 janvier, à 15h30, Chill nous accueille dans le lobby de l’hôtel parisien où il séjourne. Très chaleureuse, sa poignée de main a pour nous quelque chose de solennel : en face à face, l’aura d’Akhenaton n’est pas celle d’une rock star, plutôt celle d’une vieille connaissance imaginaire, jamais rencontrée mais bizarrement familière. Alors, quand il se présente – « Salut, Chill » – on serait presque tenté de lui répondre « Salut, on sait. »

De Rapline à Nulle Part Ailleurs, de L’Affiche à YouTube, AKH a toujours été à la fois le leader naturel, le responsable presse et le garant de l’intégrité médiatique du groupe IAM. Ce rôle, Chill l’a endossé de bonne grâce, quitte à sacrifier sa part de mystère en documentant inlassablement son parcours personnel. Qu’allait-on bien pouvoir demander à celui qui a déjà tout raconté ? La Face B, sa biographie sortie en 2010, constitue à elle seule une interview définitive du personnage. Alors nous l’avons joué spontané, en lui présentant une série de morceaux comme autant de points de repères de son histoire et celle du groupe IAM. Exercice difficile à coup sûr : Akhenaton est un conteur d’anecdotes professionnel, capable de passer en une seconde d’une réponse sur Le Rat Luciano à un coup de gueule sur la télé-réalité. Quant à nous, entre nos questions fétichistes (« Pourquoi le sample de « Alamo » tourne sur trois mesures ?« ) et notre volonté irrépressible de faire une interview grand angle, nous n’avons pas résisté à déborder de ce cadre imposé pour satisfaire notre curiosité. Pendant près de deux heures, la discussion sera détendue, dense et un peu décousue. En voici les temps forts.


A comme Argent

J’ai démarré les sociétés 361/La Cosca avec la B.O. de Comme un Aimant. Un truc qui me fait hypothéquer ma baraque. Si je me plantais, je perdais tout. Au final, je n’ai jamais rien gagné avec ce projet. Il m’a coûté tellement cher que j’ai juste réussi à équilibrer les comptes, mais cet album est une vraie fierté. J’aurais du mal à faire la même chose aujourd’hui. Je ne pourrais jamais mettre de l’argent comme ça. Si tu veux faire rêver les gens, malheureusement, dans la musique il faut toujours mettre ce genre de budget. Quand on me demande pourquoi je ne fais plus des clips comme « L’empire du côté obscur » ou « La Saga », je leur demande s’ils ont 200 000 euros à investir là-dedans, parce que moi je suis partant ! [rires] On prend une équipe de 50 personnes et on tourne en 35 mm ! Mais non mon con, maintenant je me filme tout seul avec mon 5D. Il faut juste que les gens comprennent que les moyens qu’on avait à une certaine époque, on ne les a plus.

B comme Beatmaking

Des mecs comme Buddah Kriss ou DANCE, ce sont des surdoués. DANCE, qui vient déjà de signer chez Because, fait des sons depuis deux ans. Quand tu entends ce qu’il fait, tu te dis que le mec, c’est un mutant ! Toi, tu fais du son depuis 25 ans, le minot il touche un logiciel depuis un an et demi, tu te dis « Oh ! Doucement ! »  Y en a qui font des trucs pas terribles, mais il y a aussi des mecs comme soFY. J’entends les gens dire qu’il imite Focus. Oui, d’accord. Fais-le. Fais-le. Aujourd’hui, soFLY a des sons sur les mixtapes de Cory Gunz. Et moi je suis fier de lui.
Les jeunes beatmakers ont pris la pleine mesure de la révolution technologique qui a eu lieu ces dix dernières années, chose que les rappeurs ne peuvent pas faire : il n’y a pas de technologie particulière associée au rap, à part la manière d’enregistrer. Pour les beatmakers, ce qui tenait dans une pièce tient maintenant dans un ordi. Pour eux, il y a des possibilités incroyables. Moi, j’essaie de suivre et de ne pas trop travailler vintage, alors j’ai un double studio : un studio avec des MPC, des SP12, des claviers, des ASR-10… Et toute une partie software. Là, par exemple, dans le train, je bossais sur le projet Ennio Morricone avec un ordinateur.

C comme Chiens de Paille

Chiens de Paille ont rencontré un succès d’estime, un succès de puristes, mais pas un grand succès. Ils n’ont jamais eu ce qu’ils méritaient. Hal est un grand beatmaker, et Sako un grand MC. Chiens de Paille, à l’époque des débuts du rap, avec des publics un peu plus rock alternatif, ils auraient marché. Mais ils sont arrivés à la pire période qui soit : le début des années 2000, où tu es connu si tu niques une fille dans une piscine. Une époque diamétralement opposée à ce qu’ils faisaient. Les parcours des Psy 4 et Chiens de Paille sont opposés mais, paradoxalement, c’est le succès des Psy4 qui nous permet de faire le deuxième album de Chiens de Paille. Et entre les deux, ce qui est admirable, surtout dans le rap où les gens se comportent souvent de manière détestable, c’est qu’il y a toujours eu une super entente entre les deux groupes. J’en tire vraiment du bon sur le plan humain.

C comme Coline Serreau

[rappel : le 14 avril 2010, Akhenaton se retrouve aux côtés de la réalisatrice Coline Serreau sur le plateau de l’émission Les Mots de Minuit. Le reste appartient à la légende.]

Ce jour là, j’étais Joeystarr. J’hallucinais complétement. Mais qu’est-ce qu’elle dit ?! Elle me regardait avec son afro, j’avais l’impression de voir un clown, et j’ai toujours détesté les clowns ! A la fin de l’émission, on voit que je ne suis plus sur le plateau. En fait, l’émission avait été enregistrée, et j’avais une autre émission derrière, c’est le défaut des Marseillais en promo. Mais j’avais prévu une sortie d’aigle royal. J’avais plein de blagues au quatrième degré à faire encore ! C’est un grand regret. J’allais l’humilier, mais comme il faut ! J’allais partir en disant « Allez, je vous laisse, je retourne à mes viols ! » J’ai fait un peu d’ironie, mais j’ai pas pu aller jusqu’au bout. Dommage.

« Il faut juste que les gens comprennent que les moyens qu’on avait à une certaine époque, on ne les a plus. »

D comme Def Jam (France)

Il faut arrêter de fantasmer sur Def Jam, parce que le Def Jam d’aujourd’hui, ce n’est pas le Def Jam d’avant. Les objectifs de Def Jam aux Etats-Unis, c’est de signer large. Ce n’est plus le label d’LL Cool J, des Beastie Boys et d’Original Concept. Atterrissez ! Même s’il y a beaucoup d’artistes rap américain, la ligne éditoriale est différente.  Benjamin [Chulvanij, directeur de Def Jam France] a été notre producteur chez EMI, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup parce qu’il est très clair. S’il n’est pas d’accord avec moi, il va me le dire franchement. Donc on peut partir dans des bras de fer. A propos des radios, lui va me dire que je suis un taliban, et moi je lui réponds que j’ai des convictions. Ce sont des rigolades entre nous, mais ce genre de discussions relatées chez vous, ça prendrait des proportions qui seraient stupides, alors je ne sais pas si c’est utile d’en parler. On a des différences de visions. Ce qui est normal. Je l’ai connu quand il était manager de Tonton David. On était deux jeunes de 20 ans à Paris, on se voyait souvent. On a évolué ensemble, mais pas dans la même sphère. Je pense que sa vision de Def Jam est claire, c’est la même que les patrons américains. Def Jam, pour lui, c’est un label, point à la ligne. Avec une couleur hip-hop parce qu’il est hip-hop à la base, mais avec d’autres choses aussi.

E comme East

East est mort pendant la semaine qui devait précéder l’enregistrement de « L’Enfer ». C’était un bon ami… Pour moi, c’était vraiment un espoir du rap à Paris. Un mec technique, avec du fond, et surtout un mec super gentil. Ça a été une grosse perte pour nous. Quand on en a parlé avec Fabe, sa fiancée Massita et le frère de East, je leur ai demandé « Est-ce qu’on fait le morceau ? » Ils m’ont dit « Vas-y, fais-le, il faut que quelque chose reste. » Aujourd’hui, je suis très heureux d’avoir fait ce morceau. On a écrit nos couplets en fonction du couplet de East, un acapella que Cut Killer nous a donné. On devait trouver le thème du morceau ensemble en studio. Ça ne devait pas être l’enfer, mais c’est devenu « L’enfer ». Fabe et nous, on s’est collé au thème de East. Je suis content de l’avoir fait avec Fabe, aussi. Au-delà du rappeur, c’est quelqu’un que j’ai toujours estimé. C’est un ami, il était là à mon mariage. J’aimerais bien le revoir, ça fait des années que je n’ai pas vu. Fabe a assuré des ponts d’estime entre Barbès et Belsunce, des quartiers jumeaux [rires], mais surtout entre la Scred et IAM. Beaucoup d’estime réciproque.

F comme Fiston

Mon fils est à fond dans le rap américain, et un peu dans L’Entourage, 1995… C’est un backpacker ! Grosses baskets, jean, un peu plus fitté, les doudounes, les bonnets à pompons… Je pense qu’il rappe, mais je suis plus pour qu’il soit beatmaker. C’est quelque chose qui correspond plus à son caractère car, comme moi, il est introverti à la base. Je m’immisce pas trop, ni dans ce qu’il écoute, ni dans ce qu’il fait. A la maison, je ne suis pas spécialement commode. C’est beau un gamin qui rêve, mais il lui faut un pied dans la réalité, au moins pour qu’il ait un tremplin vers ses rêves, plutôt que se jeter comme moi je l’ai fait à l’époque… J’ai fait des tas des conneries, et je n’ai pas envie que mes enfants prennent le même chemin.

F comme Freeman

Ça restera un mystère de l’individu. Je pense qu’il étouffait dans le groupe. Il a commencé à rapper de manière officielle au milieu de deux mecs qui rappaient ensemble depuis seize ans. C’est une réelle difficulté. Et pour nous, et pour les fans, et pour lui. Ça a dérouté les gens. Moi, rapper sur des couplets courts, ce n’est pas mon fort. Lui, être systématiquement comparé à Shurik’N/Akhenaton, c’est compliqué. Artistiquement, les choses sont peut-être mieux ainsi. Mais pour moi, humainement, c’est un gâchis. J’ai des nouvelles par amis interposés. Quand mon père est décédé, j’ai eu ses condoléances par l’intermédiaire d’un ami. Mais ce n’est jamais direct. C’est un gâchis. Je pense qu’on aurait pu gérer ça autrement. Il aurait pu rester dans le giron du groupe et faire ses trucs tout seul. Quelle est l’importance de la musique dans tout ça ? Pour avoir perdu des proches ces derniers temps, j’ai vu que la musique, ce n’est pas important du tout.

I comme Influences

Faf Larage et Le Rat, ce sont des gens qui m’ont poussé à aller vers le haut. Il fallait faire mieux. Faf est un technicien, et beaucoup de trucs qu’il a faits sont méconnus. Sur scène, il est impressionnant. C’est Kool G Rap, c’est Lord Finesse. Le Rat, lui, a une désinvolture et un côté no future que je n’ai jamais eu. Le Rat, c’est une sorte de punk, avec une écriture particulière qui a influencé beaucoup de gens, même à Paris. Parfois, en tombant sur des morceaux, je reconnais l’impact du Rat. Le Rat a orienté énormément de trucs vers le quartier. Déjà, Le Rat était tellement charismatique qu’il a orienté l’écriture de son groupe. Fonky Family : c’est un groupe qui faisait des textes conscients et des textes entraînants. Quand je les ai connu, ils formaient encore deux groupes – Le rythme et la rime et Black Whites. La Fonky était le produit de l’émulation culturelle de Marseille. Ils sont le produit des soirées micro ouvert, ces soirées où ça ne pardonne pas : tu poses sur une face B, tu progresses, tu te confrontes au public, tu écoutes les autres. C’est mon regret aujourd’hui à Marseille : à Paris, il y a des soirées comme ça, tous les mecs de L’Entourage sont habitués à ces soirées-là. Faf et Le Rat m’ont fait progressé parce que j’écoutais leurs textes et je me disais « Putain les mecs, ils envoient le bois, il va falloir faire mieux ». Mon but, c’était aussi de les impressionner en retour. Sans être prétentieux, cette influence a été bilatérale, ça a été un vrai échange.

K comme Khéops (et Beyoncé)

Alors, je t’explique : Khéops, il est pas soul, il est funk. Quand la soul devient trop rock pour lui, il aime pas. Or, ce son [« Welcome », avec Beyoncé, dans Revoir un Printemps], c’était vraiment un son type Undisputed Truth, Norman Whitfield. [il fredonne la ligne de basse] Khéops détestait. [il prend un accent marseillais à couper au couteau] « C’est pas çui-là qu’il faut faire ! » Ça se passe toujours comme ça dans le groupe. Il y a toujours des tensions, mais elles sont dites. Des gens de l’extérieur vont se dire « Ouh la, ça part en couilles IAM« , mais c’est toujours comme ça ! Y a des nerveux, des gens qui parlent haut. On se dit les choses.
La collaboration avec Beyoncé a été plus souple que celle avec Method Man et Redman. Je la voulais avec un morceau différent et engagé. Elle était d’accord. On est donc parti à New York pour enregistrer le titre le lendemain. On avait mis six mois à booker la séance studio. Et là, les pilotes nous foutent une grève à 20 minutes du décollage de l’avion. J’ai du faire tout le morceau avec elle au téléphone. J’étais effondré. On l’a rencontré après, une fois le morceau enregistré. Quand on a négocié pour l’avoir, il s’agissait de négociations entre maisons de disque rivales, EMI et Sony. Beyoncé m’a dit « Moi, je ne veux pas d’argent. On la fait simple. Je pose le morceau sur la version française de mon album, et vous le mettez sur votre album. » Entre elle et nous, il n’y a eu aucun cachet. Elle ne nous a rien demandé. Je pense qu’elle est fondamentalement quelqu’un de très bien. Elle fait partie des gens qui aiment la musique. Tu as un feeling avec eux. Après, elle s’oriente vers des trucs qui ne me plaisent pas du tout. Sur son dernier album, j’ai l’impression que c’est Rihanna qui chante alors que, pour moi, Beyoncé c’est Diana Ross. Je vais aller lui dire ! « Beyoncé, allez viens, on se fait un album sérieux. Arrêtons les conneries ! »

L comme Live

Pourquoi la carrière d’IAM est pérenne ? Parce que, dès 2003, on comprend que c’est la scène qui va maintenir le groupe dans l’esprit des gens. Actuellement, on fait deux à trois concerts par mois. L’Original à Lyon, on y va avec Faf, et il y a 700 personnes qui chantent « Demain c’est loin ». On y retourne l’année prochaine avec IAM, car les Lyonnais sont au top. Le live d’M6 nous a fait énormément de bien. Entre 1998 à 2004, on a fait une coupure avec la scène. Je te prie de croire que quand on est revenu sur scène, ça nous a fait drôle. Un trac, tu ne peux pas savoir… Je me suis tellement cagué dessus pendant trois, quatre dates, j’ai dit « C’est fini, on ne laisse plus la scène vide pendant un mois. » On a joué non-stop, même avec des albums au milieu. Depuis 2004, il n’y a pas eu un seul mois sans concert. Je tournais Conte de la frustration, boum, on faisait un concert au milieu du tournage. Là, on fait l’album, boum, on joue. A Hong Kong, on a eu 3300 personnes, dont la moitié de Chinois ! On a fait un concert en Pologne qui nous a estomaqués : 4500 personnes en plein centre de Varsovie. Des gens avec des maillots de Marseille, qui rappaient le refrain de « Petit frère » en phonétique ! Cet été, on devrait faire un gros festival en Tchéquie. D’habitude, on dit non car ça tombe pendant les vacances des enfants, mais là, on va décaler nos vacances à la période du ramadan.

« Mon fils est à fond dans le rap américain, et un peu dans L’Entourage, 1995… C’est un backpacker ! »

M comme Majors

Je me suis toujours foutu des maisons de disques. Quand tu regardes la pochette de Double Chill Burger, tu as cette photo avec au centre le « meilleur employé du mois« . C’est tout sauf un hasard : avec IAM, on a toujours refusé les compilations. C’est un truc de chanteur mort la compilation. Pour me libérer de mon contrat, j’étais dans l’obligation de leur livrer un « best-of ». Un « best-of », à mes yeux, c’était du fast food. Je me suis mis « meilleur employé du mois » parce que cette année-là, je leur ai fait gagner de l’argent sans enregistrer de nouveaux morceaux. Enfin, au final, j’ai quand même mis sept inédits sur cet album. Quand ils s’en sont rendus compte, ils ont coupé toute la promo [rires]. Bon, c’était de bonne guerre et ce n’était pas méchant. Benjamin, aujourd’hui, il me dit « Enculé, tu t’es bien foutu de notre gueule ! » Attends, elle est magnifique celle-là !

M comme Million

L’École du Micro d’Argent est un album ténébreux. Quand on l’a fait écouter – et ça, Thibaut pourra le confirmer – les gens du label nous ont dit « super, mais avec ce type de morceaux et ce type de contenu, on va avoir du mal à dépasser les 150 000. On va vendre uniquement aux fanatiques. C’est un album d’extrémistes. » La différence, elle est très simple. : Skyrock a joué six titres, NRJ a joué trois titres, Fun Radio a aussi joué des titres, M6 prenait nos clips et les mettait en boucle. Au bout d’un moment, tu es dans un pays latin… [NDLR : Chill mime une marche militaire, bien alignée, qui suit la cadence] Tu sors L’École du Micro d’Argent aujourd’hui… je pense que tu en vends 40 000.

N comme New York

Parfois, tu fantasmes un peu les choses. Tu imagines beaucoup et une fois face à la réalité, tu es déçu. J’ai été à New York pour la première fois en 1984. Et c’était exactement ce que j’avais imaginé. C’était le film des disques que je pouvais écouter. C’était trop beau. Pour moi, New York reste la ville dominante du hip-hop. Il suffit de regarder Rap Contender [sic] : quand tu vois le passage de Busta Rhymes, tu comprends que les autres à côté ne sont vraiment pas bons, c’est tout. Tu sais ce qui a permis aux états du sud de prendre le dessus ? C’est le soutien. Avant de vendre dans le pays entier, ils vendaient 300 000 dans leur ville. Ça a donné des artistes et des maisons de productions hyper puissantes dans leur secteur, avant qu’ils n’explosent nationalement. Mais depuis deux ans, il y a une sorte de rééquilibrage et surtout, l’hommage à New York est toujours là. Pourquoi Rick Ross invite Raekwon ? Pourquoi il va demander à Just Blaze de lui produire « I love my bitches » ? Parce que malgré tout, la culture et l’image du rap restent basées à New York.

O comme Ombre est Lumière

Les magasins ne voulaient pas le prendre en double CD. Ils ne voulaient pas le référencer. Il existe beaucoup de pochettes différentes pour cet album, notamment une que je n’ai pas et qui vaut la peau des couilles : le digipack double-CD d’Ombre est Lumière. Il y en a eu 3 000. Virgin l’a mis en vente avant de nous donner les quantités, ils ont vendu ces 3 000 exemplaires en premier. Il est super dur à trouver. Tu as déjà vu la pochette à tirette ? Tu tires et toutes nos têtes apparaissent. Il y a aussi une version vinyle de L’École du Micro d’Argent avec les morceaux, les instrus et les acapellas. Pressage américain, Discmaker. Virgin les ont envoyé au pilon quand ils n’ont plus su où stocker leurs vinyles.

P comme Projets

Je fais très attention à ne pas quitter le rap frustré. Par exemple, ça fait un moment qu’on se bat avec Aïsha [ndlr : sa femme] pour terminer la tournée We Luv New York avec un concert à New York. Pour nous, We Luv New-York c’est une énorme victoire. Vendre 10 000 exemplaires à partir d’un site, c’est miraculeux. Produire des rappeurs new-yorkais, ce serait quelque chose de psychologiquement important pour moi. Aujourd’hui, je suis vraiment content, car je n’ai pas de regrets, et je fais en sorte d’en avoir le moins possible. Le concert en Égypte a levé un des grands pans de frayeur que je pouvais avoir dans ma vie. Je craignais ne jamais pouvoir réaliser cette envie. Ce concert, ça reste le meilleur souvenir de ma carrière. J’y ai ressenti une émotion difficilement descriptible.

R comme Rap français

Quand on me demande ce que je pense du rap français aujourd’hui et que je dis que je n’en écoute plus, on croit que c’est du snobisme. Mais non, ça n’a rien à voir. J’écoute du rap américain depuis 1981. J’ai été éduqué par cette musique là. J’entends des trucs très bons dans le rap français, mais je me focalise sur le rap américain. Aujourd’hui encore j’écoute tout ce qui sort, la manière de taper les beats, les flows, les machines… La MPC Renaissance qui sort, par exemple, il me la faut !
Parfois, on me demande ce que je pense des autres. Mais j’en ai rien à foutre, ils font ce qu’ils veulent avec le rap ! Après, que je vanne dans mes textes, c’est un autre truc, c’est artistique. Je suis obligé de vanner, mais dans le fond, les rappeurs ne m’empêchent pas de dormir. Quand je veux pas écouter, je zappe. Chez moi, je regarde pas les clips. Je regarde les matchs. [rires]

R comme Retraite

Moi, je pense à comment m’amuser dans ce que je fais, tout en continuant à en faire mon métier. Je ne vais pas arrêter le rap, mais j’arrêterai peut-être de faire des disques. Si je suis le chemin que j’ai pris depuis quelques années, ça va arriver. Je fais des projets ambitieux, sur lesquels les ventes couvrent à peine les dépenses. Ce sont mes choix, je ne m’en plains pas. Quand je ne pourrai plus le faire, je ne le ferai plus. Pour IAM, c’est différent : on a un contrat. L’avantage, c’est que tout notre catalogue est maintenant chez Universal, alors j’espère qu’on  va pouvoir faire de beaux objets. Genre L’École du Micro d’Argent avec la vidéo de la tournée, qui existe mais qu’on a jamais sorti parce qu’on est des branlos [rires].

S comme Sampling

Le grand drame pour moi, ça reste de ne plus pouvoir sampler. La France, à ce titre, est dans une situation plus compliquée que les  États-Unis. Tu vends un disque avec un seul sample dedans, tu es foutu. Pour We Luv New-York, je pourrais vous faire écouter sept-huit morceaux qu’on n’a pas pu sortir à cause des samples. Les mecs voulaient 7000 dollars de « fees », juste pour entamer les négociations. Quand Led Zeppelin demande un million de dollars, c’est une vraie supercherie. Ils ont volé des tas de musiciens marocains sans les créditer sur leurs albums. John Williams qui nous dit non pour « L’empire du côté obscur » alors qu’en parallèle il pompe « La marche funèbre » de Chopin…
Ça va être un de mes prochains combats ça. J’ai rencontré le numéro 2 de la Sacem au hasard d’une émission, je lui ai dit que j’allais venir lui parler de quelque chose : comment ça se fait qu’un DJ de house touche 10% d’arrangements quand il joue un morceau d’un mec sur scène ? Quand en parallèle un producteur et un auteur de rap en jouant un sample peut perdre jusqu’à 100% de ses droits ? Comment est-ce qu’un mec qui écrit des paroles, refait un beat à partir d’un sample peut être moins crédité que quelqu’un qui joue un disque en live ? Attendez ! Au lieu de se chiffonner entre eux, voilà un sujet sur lequel les rappeurs devraient se battre.

S comme Savon

Un jour, Salif est venu me voir pour me dire : « le jour où tu comprends le sens de « Mon texte, le savon« , tu as compris beaucoup de choses. » Je n’ai pas d’explication de texte à faire là-dessus. Ce texte, c’est une page qui se tourne. Pas celle du rap, mais une autre page. C’est le passage d’un certain style de vie à un autre. Au fait d’être responsable, d’avoir une famille. Il y a quelques morceaux qui sont très importants à mes yeux. Et celui-là en fait partie. C’est aussi le produit de mon enfance, du milieu et de la famille dans lequel j’ai grandi. Des trucs compliqués.
J’ai découvert le sample au travers d’une rediffusion du film de Zefirelli, Roméo et Juliette, réalisé en 1969. La tragédie shakespearienne sur un gros thème comme l’amour, la perte de l’être cher, ça m’avait angoissé quand j’étais petit. Le film passait sur France 3 à minuit. Je regarde ça, je me dis « Attend ! Il faut que je reprenne cette musique !« . En plus, Nino Rota, pour moi, c’est THE compositeur, au moins autant qu’Ennio Morricone. Plus tard, à New York, je trouve le disque d’un mec [Peter Nero, NDLR] qui rejoue des grands thèmes de musiques de films, dont celui-là. Je me suis dit, direct : je vais le prendre ! Tu sais quoi ? Ce morceau, je devais le faire à l’origine avec Prodigal Sunn de Sunz of Man. Au final, il sort en 2001 mais le morceau est bien plus vieux. La production date de l’époque de L’École du Micro d’Argent.

S comme Signes

Pour Comme un aimant, je voulais Curtis Mayfield et Barry White. Mais les deux ont eu des soucis de santé. Curtis Mayfield avait eu un accident sur scène. Un jour, j’enregistrais avec Marlena Shaw, qui avait chanté des années en duo avec lui à Las Vegas. On avait la TV allumée, sans le son. Il y a eu une annonce sur l’écran : Curtis Mayfield est mort. Marlena pleurait, tout le monde était ému. C’est étrange que ce soit arrivé sur ce projet précis, ce jour-là, alors qu’elle était dans le studio. Je tenais tellement à ce que Curtis Mayfield fasse partie du projet. Il était mon artiste absolu. Les trucs étranges ont continué avec Curtis Mayfield. La dernière fois, j’étais à la cantine d’un festival, et ils passaient son album Sweet Exorcist. On arrive au morceau « Make me believe in you » et j’entends le sample des « Princes de la ville ». Ça me fait penser à DJ Mehdi, je me dis que ça faisait sept-huit mois que je n’ai pas eu de ses nouvelles. Le lendemain, on prend le bus, on regarde Ocean’s Twelve avec le morceau de La Caution [NDLR : « Thé à la menthe »]. Et le soir j’apprends qu’il est décédé. Un truc de fou. Moi, je crois aux signes, et je regrette de ne pas avoir appelé Mehdi la veille au soir. Ça m’aurait pris cinq minutes. Hé Mehdi, je suis entrain d’écouter Curtis Mayfield, ça m’a fait penser à toi. Un coup de fil, ça peut changer tellement de choses…

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