Aketo (Sniper)
Interview

Aketo (Sniper)

Des salles de concert combles et des centaines de milliers d’albums vendus : l’héritage Sniper en aurait rassasié plus d’un. Mais c’est avec l’appétit d’un rookie qu’il prépare son premier solo. Rencontre avec Aketo, rappeur plein d’histoires.

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« Hey, Sniper !? » Une vingtaine de mètres à déambuler en sa compagnie auront suffi. L’enthousiasme et la simplicité du bonhomme nous l’avaient presque fait oublier : Aketo est sans doute l’un des rappeurs les plus célèbres de France. De suite, on pense au « gamin » et ses acolytes qui squattaient les murs d’innombrables chambres, avec l’attirail de l’époque, d’une époque : Requins, chaussettes, jogging, banane, casquette. Sniper est à la croisée des siècles : une fusion entre ces éléments figés qui nourrissent aujourd’hui une certaine nostalgie pour les 90’s et le perpétuel mouvement qui a depuis pris place, avec tout le bien et le mal que cela comporte. A la fois désuet et en avance, street et grand public, egotrip et engagé, Sniper est un paradoxe permanent. Dix ans après l’ouragan Gravé dans la Roche, c’est donc à la fois curieux et dubitatifs que nous sommes allés à la rencontre d’Aketo. Bien installés dans les locaux de Believe, au siège du Parti Communiste (!), l’écoute de quatre morceaux d’Une Petite Vie, 100 Histoires, son futur album solo, nous a d’emblée confirmé une chose : si les rappeurs vieillissent généralement mal, Aketo est bien l’exception qui confirme la règle. Retour sur une histoire peu commune, en attendant les 99 autres…


Abcdr du Son : Tu es venu au rap par le graff ?

Aketo : Mon morceau « Retour aux Sources » pourrait faire office de biographie. J’ai été impressionné par l’ensemble des disciplines : le graff, le rap, la danse… J’étais fasciné par les graffitis dès tout petit, vers 89 ou 90. J’ai commencé à écrire des textes en 91/92. Tous les samedis, avant d’aller à Châtelet, on allait à la MJC de Saint-Denis, qui était la ville hip-hop à l’époque. J’avais pas mal de famille là-bas. Mon cousin était choriste des NTM sur leurs deux premiers albums. C’est aussi ce qui m’a engrainé dans le délire. Mais sinon, je ne connaissais personne du milieu.

A : Toi qui viens de Deuil-la-Barre, en proche banlieue, tu te sentais à l’écart du mouvement parisien ?

Ak : Ouais, ça, je l’ai toujours ressenti, même pendant mon adolescence. Dans les années 90, avec l’un de mes cousins, tous les weekends, la mission, c’était d’aller à Châtelet. On faisait la tournée des boutiques : Ekivok, LTD, Double Source… Partis de notre banlieue, on arrivait là-bas et ça nous choquait toujours de voir les mecs habillés en baggy extra large… On les appelait les squales. On ne les connaissait pas, on ne parlait pas avec eux mais on avait nos préjugés. J’avais l’impression que ces mecs nous snobaient, c’était peut-être une fausse impression. Mais pour nous, c’étaient des zulus. Alors que, nous, dans nos têtes, on était aussi hip-hop qu’eux, si ce n’est plus. Sauf qu’on avait des dégaines de banlieusards.

A : Tu te sentais quand même représenté par le rap parisien ?

Ak : Au tout début des années 90, j’étais vraiment pro-NTM. J’aimais bien Assassin au début, aussi. Après, j’ai aimé le rap parisien : La Cliqua, Time Bomb… Mais quand Expression Direkt et Mafia K1fry’ ont émergé, j’ai été beaucoup plus touché, notamment par le propos. Les mecs de mon quartier ne calculaient pas le rap. Mais quand « Dealer pour Survivre » est sorti, tous ces mecs qui détestaient le rap ont kiffé : « Enfin du rap de quartier ! »

A : Tu es aujourd’hui très porté sur le rap « sudiste », c’était déjà le cas à l’époque ?

Ak : C’est arrivé plus tard. Dans les années 90, je ne jurais que par le rap new-yorkais. Dans mon entourage, il y avait des mecs assez pointus et branchés westcoast, donc j’ai pris la vague Above The Law, Eazy-E, Bone Thugs… Mais j’étais vraiment en mode rap new-yorkais, Queensbridge. Les pochettes du rap du sud ne m’attiraient pas, je me disais que c’était forcément de la caille. Vers 2002/2003, mon pote Mehdi [ndlr : qui assiste à l’interview] est venu un jour avec un disque dur rempli de clips de Lil Boosie et d’autres. Je me suis dit que j’étais passé à côté d’une grande vague. J’ai tout repris à zéro, notamment grâce à internet. Toutes les pochettes dégueulasses qui me repoussaient regorgeaient de trésors, en vérité. Et la ville sur laquelle j’ai bloqué, c’est Memphis.

« Quand « Dealer pour Survivre » est sorti, tous ces mecs qui détestaient le rap ont kiffé : « Enfin du rap de quartier ! » »

A : Qu’est-ce qui t’a attiré ?

A : L’explication est logique. J’aime beaucoup les trucs dark. Les groupes qui m’attiraient le plus par rapport à l’imagerie, c’étaient Soul Assassins, Cypress Hill, Funkdoobiest, House Of Pain… Même dans le Queensbridge, je recherchais ça : les instru dark, les cloches, les trucs d’outre-tombe… Et j’avais toujours du mal à trouver mon bonheur, il y avait des morceaux où ça le faisait mais il manquait un truc… Quand je suis tombé sur Memphis, il y avait tous ces éléments réunis, plus la manière dont ils rappent, le fast flow. Je me suis dit : « C’est bon, c’est fait pour moi ! »

A : Ça a changé ta perception de ta propre musique ?

Ak : En solo, j’ai toujours essayé de davantage m’amuser, même si ce ne sont pas des choix évidents, comme sur Cracheur 2 Venin. Après, c’est pas parce que je suis fan du rap de Memphis que je vais m’amuser à imiter leurs flows ou leurs sonorités. C’est plein de petites influences qui s’additionnent et j’essaie de faire ma popote avec ça.

A : Sniper est peut-être le groupe de rap français par excellence et paraît assez loin des influences que tu évoques… Est-ce que tu t’es parfois senti emprisonné par le poids du groupe ?

Ak : Il y a plein de moments où ça m’a pesé, mais le tort est aussi de mon côté. Le groupe pour moi, c’était un confort. J’étais plus un suiveur qu’un mec qui imposait des choses… Déjà, c’était relou de se mettre d’accord sur les prod’… Et il y a beaucoup de morceaux où quand on choisissait un thème, c’était plus en mode « faut faire ses devoirs ». Ça ne m’a pas empêché de prendre du plaisir mais je savais très bien que si c’était moi qui choisissais l’instru’ et le thème à aborder, ce serait totalement différent.

A : Tu sous-entends que Tunisiano était le leader du groupe ?

Ak : Non, pas du tout. On se consultait tous les trois. Mais je ne me mettais pas en opposition. Quand il y avait vraiment un truc que je ne sentais pas, je mettais mon veto. Mais comme je l’ai dit, j’étais davantage un suiveur. C’est pas non plus péjoratif de dire « suiveur » parce que je savais que j’étais dans un groupe où mes acolytes étaient forts, j’avais confiance en leurs choix. Mais déjà à l’époque, j’écrivais des textes que je mettais de côté. « Suiveur », c’est peut-être pas le bon terme. C’était plus un tempérament de compromis. J’étais quelqu’un en retrait de nature. Je n’allais pas aller au conflit pour imposer mes idées, je pensais esprit d’équipe. Chacun joue à son poste, collectif pour que ça aille dans le bon sens.

A : Comment as-tu vécu le succès assez soudain de Sniper ?

Ak : Je l’ai bien vécu, bizarrement. J’étais dans ma bulle, protégé. Au lieu d’être partout, dans toutes les soirées, de rentrer dans le délire VIP, j’étais tout le temps au quartier avec mes potes. On prenait du bon temps, on fumait des spliffs et je dépensais la thune que j’avais gagnée. J’avais une petite meuf, soit j’étais posé chez elle, soit j’étais avec les potes au quartier. Je n’avais pas besoin de plus. Par contre, quand on partait en tournée et que je voyais certains fans… Je ne voulais pas descendre du bus : « C’est des zinzins, qu’est-ce qui leur arrive ? » Ça, je ne supportais pas. Après les concerts, quand fallait faire les photos, je me retrouvais à faire du social, à les calmer un peu sur leur fanatisme [rires]. C’est pas bien ce que je vais dire : c’est pas méchant vis-à-vis des fans mais le profil du public m’a choqué sur les premières tournées. Je me disais : « Putain on s’est pris la tête à écrire des couplets où on essaie de dire quelque chose et je vois des petites meufs de douze ans qui comprennent rien à ce qu’on raconte, je sais pas ce qu’elles kiffent, peut-être le refrain ou alors elles sont amoureuses de Tunisiano… » Ça me cassait les couilles un peu. Mes potes me disaient : « Ouais, c’est pas bien comment tu penses, c’est un manque de respect vis-à-vis du public, faut accepter… » Ouais, j’accepte mais on peut comprendre que ça puisse être dérangeant. L’exposition Skyrock a amené ce genre de public. Mais il ne faut pas cracher dessus, on est content de vendre des disques, de remplir des salles.

A : Le groupe se forme à quelle époque ?

Ak : En 97. Avec Tunisiano, on était ensemble à l’école en 5e, quand on avait 12/13 ans. On taguait et rappait déjà ensemble à cette époque. Après, il y a eu M.Group. Tunisiano en faisait partie et nous, on était un peu le posse, derrière. C’était la même clique, on était souvent avec eux. De tout le collectif qu’il y avait, les trois qui sont restés, ça a fait Sniper.

En 97, on a fait les Hip-Hop Folies. C’est Desh qui nous avait emmenés là-bas. Je ne devais même pas être du voyage à la base. Blacko et Tunisiano avaient formé un groupe tous les deux et, moi, je faisais partie d’un autre groupe du collectif. J’ai appris qu’ils partaient à La Rochelle. Je vois l’affiche : « Oh les bâtards ! » J’étais trop jaloux. Il y avait une affiche de dingue : Time Bomb, Secteur Ä, FF, IAM… Franchement, c’était obligé que j’y aille. Bref, je me suis débrouillé, je les ai rejoint en TGV. Bachir [ndlr : Tunisiano] m’a réceptionné, c’était l’époque du Tam Tam : « Vas-y, viens me chercher ! » La grande soirée du 13 juillet, c’étaient Time Bomb et Stomy Bugsy les têtes d’affiche. Booba était au placard. Ali avait joué tout seul, avec les X.Men… Bachir et Karl devaient jouer un quart d’heure et juste avant de monter sur scène, Blacko me dit : « Vas-y, monte avec nous, tu nous back et à la fin tu lâches un couplet ». J’étais grave content. C’est les débuts de Sniper en fait. Quand on est sortis de scène, on s’est dit qu’on allait faire le groupe tous les trois. On a fait la mixtape Spéciale Banlieue de Cut Killer en revenant de La Rochelle. C’est Desh qui nous avait déniché le plan. Il suivait de près ce que faisaient Blacko et Tunisiano. Il a proposé de nous produire et de faire le premier album au retour de La Rochelle. Il y a eu la tape de Cut, Première Classe puis BOSS… Ça s’est enchaîné, ça a été un alignement des planètes. C’est bien tombé.

A : Comment êtes-vous amenés à signer en maison de disques ?

Ak : On était signés en artiste chez Desh qui avait monté son label indépendant. On a enregistré l’album entre 1999 et 2000. Lui est parti démarcher les maisons de disques avec nos morceaux pour avoir un deal de licence via son label. Et c’est tombé sur East West, avec qui on a fait trois albums. 98/99, c’était un peu l’effervescence, ça signait à tour de bras…

A : « Les négros n’arrêtent pas de signer »…

Ak : Voilà, lui l’a dit, il était au placard, il a dû péter un câble [rires]. Il a pris sa revanche depuis. Quand on a fait la compil’ BOSS, on n’était pas le single prévu. C’étaient Mass et Lord Kossity. Skyrock a joué notre morceau, je ne sais même pas pourquoi. Bouneau a dû tripper dessus. J’ai appris la nouvelle, j’étais avec Karl [ndlr : Blacko], un mec nous dit « Ouais, votre morceau… » J’ai dit : « Quoi !? » On n’était même pas au courant. Le morceau tournait tous les jours. Nous, on était habitués à 106.3, FPP, 88.2 quand c’était à l’Hôpital d’Ivry. On était habitué à taper ces missions-là pour aller freestyler. On n’a rien fait pour passer sur Skyrock, on a juste posé dans BOSS. Bouneau leur a niqué leur projet en plus [rires]. Ils voulaient mettre en avant leurs artistes. Nous, on n’était pas des artistes estampillés BOSS, ils ont dû l’avoir mauvaise.

« Il y avait un morceau sur lequel je ne voulais vraiment pas poser, c’est « Pris Pour Cible ». Et, bizarrement, c’est celui qui nous a fait péter. »

A : En voyant le morceau tourner sur Skyrock, vous commencez à rêver d’une carrière ou ça arrive si soudainement qu’il n’en est même pas encore question ?

Ak : On n’y pensait pas vraiment. Ce qu’on vivait, c’était déjà au-delà de nos espérances. A l’époque de M.Group, où tous les skeuds sortaient chez Night&Day, t’en vendais 1 000, tu passais sur FPP, tu allais chez Marc, c’était le top. On ne demandait pas mieux que ça.

A : Pour beaucoup, vous avez été un groupe estampillé Skyrock… Quel a été ton ressenti par rapport à ça ?

Ak : Franchement, ça m’a cassé les couilles. C’est l’époque où je découvrais internet. Forcément, tu vas vers tes intérêts, les premiers mots que je tape, c’est « rap, sites de rap, hip-hop »… Vers 2002/2003, je découvre les forums… Je regarde ce qui se dit sur Sniper. Moi, je ne me rendais pas compte. J’ai pété un câble, j’avais un seum intergalactique : « Putain, les fils de pute ! » [rires] Je ne comprenais pas. Mais c’est redescendu ensuite. Je comprends. Imaginons que je n’aurais pas été dans le groupe Sniper, je suis sûr et certain que j’aurais été ce genre d’enculé. En tant qu’auditeur, j’étais pro-NTM, quand Paris Sous les Bombes est sorti et que « La Fièvre » a fait un carton, j’ai tourné le dos au groupe. Pareil avec IAM et « Le Mia ». C’est un truc d’égoïste en fait, d’initié, j’aime bien que peu de monde connaisse… Et une fois que ça pète… C’est salaud pour les artistes parce que ça veut dire qu’on n’aime que les artistes maudits qui mangent des cailloux [rires]. Du coup, je comprends que les gens puissent avoir ce genre de réactions, même si ça m’a foutu le seum parce que j’ai pris comme une claque. Après, je sais ce qu’est une radio comme Skyrock, je sais ce qu’il se passe derrière. Mais pourquoi je me priverais… On a du succès, on tourne, c’est génial.

A : L’album est prêt quand « Exercice de Style » [ndlr : morceau présent sur la compilation BOSS] tourne sur Skyrock ?

Ak : Non, il n’est pas prêt, on était en train de le faire. Il y a deux ou trois morceaux où on nous a poussés au cul pour les faire. C’était en interne. Faut savoir que Desh était aussi notre pote. On avait besoin d’être cadrés. Nous, tout ce qu’on savait faire, c’étaient des freestyles. On ne savait pas construire de morceaux. Il y avait un morceau sur lequel je ne voulais vraiment pas poser, c’est « Pris Pour Cible ». Et, bizarrement, c’est celui qui nous a fait péter. Même les autres n’aimaient pas l’instru’. Desh nous disait : « Si, si, faut le faire, vous allez voir ». Il avait raison. Ça me rend ouf, je ne veux pas casser le délire aux gens qui le kiffent, mais je n’aime toujours pas ce morceau. Je ne l’aime pas mais quand on le fait en concert, je l’aime bien [rires]. Je ne le regrette pas. J’ai vu des réactions de mecs de votre âge dans la dernière tournée, qui l’ont écouté à l’époque et à qui ça rappelle des souvenirs, ça fait plaisir. Ça ne peut pas te laisser insensible.

A : Tu évoques cette approche un peu freestyle lors de l’enregistrement du premier album… Pourtant, on a l’impression que pas grand-chose n’était laissé au hasard, notamment sur les singles…

Ak : Ouais, c’était cadré. On a appris le travail en studio, à construire un morceau, avec Desh. Premier album, on me disait : « Faut écrire un 16 ». Je posais mon couplet dans la cabine, l’autre me disait : « mais c’est bizarre, t’as écris un 17 ! » [rires] Moi, je ne savais pas ! Il n’y avait pas de pression de la maison de disques. On n’a jamais été en contact avec eux. Ce qu’il faut savoir, c’est que Desh avait déjà un peu d’expérience en studio. Il était avec le Ministère Ämer, Stomy, il a beaucoup travaillé sur le premier album de Passi. Il savait faire. On écoutait ses conseils et on se concertait, c’est comme ça que ça s’est fait. Ce que je regrette, c’est qu’à l’époque, la vidéo n’était pas démocratisée comme maintenant. Franchement, on a fait des freestyles… Les gens ne savent pas. Les fêtes de la musique, on partait à quinze dans le métro… L’autre, il faisait une instru’ en tapant dans la vitre. Blacko était une machine de guerre : improvisation… Malheureusement, les gens n’ont jamais vu cette facette. A part les quelques freestyles radios… Les souvenirs sont dans nos têtes. Il y a quelques cassettes vidéo qui traînent, faudrait remettre la main dessus et les encoder. Les petits jeunes de maintenant, ils tapent un petit freestyle filmé à l’iPhone et c’est sur YouTube. C’est bien, tu peux montrer ce que tu sais faire.

A : Vous n’avez pas eu trop de mal à retrouver l’enthousiasme, la magie des débuts pour l’élaboration de A Toute Épreuve ?

Ak : Ce qui était compliqué, c’est de n’être plus que deux. On l’a ressenti dans la conception de l’album et lors de la tournée. C’est sûr que c’était différent. Mais, franchement, j’ai kiffé la tournée. Rien que pour ça, ça valait le coup de faire l’album. On a fait encore plus de dates qu’à l’époque où on avait beaucoup de succès. On s’est éclatés. Là, chacun prépare son album solo. On se voit toujours, il n’est pas exclu qu’on fasse autre chose derrière. On ne sait pas de quoi demain est fait.

A : Quand on a fait partie d’une entité aussi forte que Sniper, est-ce que la maintenir au-delà de vos entités solos reste primordial ou préfère-t-on s’en détacher ? 

Ak : Personnellement, je considère que c’est comme si c’était mon nom de famille, Sniper. Même si on ne ressort plus rien, que ce soit Tunisiano ou Blacko, s’ils continuent à faire de la musique, ils traîneront ça derrière eux, qu’ils le veuillent ou pas. On a fait notre bout de chemin. C’est un nom de famille, que je porte fièrement.

A : Tu vis encore des retombées de Sniper, aujourd’hui ?

Ak : Ouais, doucement. Pas de manière méga aisée mais ça me permet de continuer.

A : Tu n’as jamais eu une perte de goût, ressenti une certaine lassitude ?

Ak : Pendant Sniper, j’étais dans un bateau, tout allait bien, je n’avais même pas besoin de ramer [sourire]. Mais c’était super moyen ce que je faisais. C’est à partir de Trait pour Trait que j’ai commencé à me réveiller, à m’amuser. Même si je trouve que l’album qu’on a le mieux réussi est Gravé dans la Roche. Le 19 mai, c’était les dix ans de la sortie du CD, je l’ai réécouté. Ça m’a fait chelou, j’ai zappé tous mes couplets. C’est dur de se réécouter. Je kiffe écouter mes morceaux quand ils sont tout frais. Après, ça devient presque un supplice, je ne supporte pas. Je pense que ça fait pareil à tous les rappeurs.

A : Quel a été l’accueil du public concernant Cracheur 2 Venin ?

Ak : Beaucoup de gens qui aimaient bien Sniper ont été perturbés. A contrario, des gens qui n’aimaient pas Sniper ont été agréablement surpris. Mais je ne pensais à personne, j’étais en mode égoïste, je me suis fait plaisir. Ce n’était pas un gros projet, il y a eu 8 000 exemplaires de pressés, pas de semaine Planète Rap. Mais j’ai eu de bons retours. Je suis content que les gens ayant des oreilles aient remarqué que j’avais progressé. Ça m’a encouragé pour la suite. Pour les autres, désolé, faut bien que je fasse du rap qui corresponde à mes goûts. Si vous ne voulez pas suivre, bon vent, il y a d’autres groupes !

A : Il y a des nouvelles têtes qui te motivent aujourd’hui ?

Ak : De tête, c’est toujours dur, mais un mec comme Sofiane par exemple, il est motivant, il a la gouache, ça se sent qu’il a la dalle. Je ressens ça chez Niro aussi. Et c’est communicatif. J’ai déjà posé avec Sofiane, ça met la pression. Faut être sérieux si tu arrives derrière ou tu vas te faire ridiculiser. Cracheur 2 Venin, je l’ai fait pour me mettre en danger. J’invitais des mecs dont je savais qu’ils allaient me mettre au pied du mur. Parfois, ils arrivaient, faisaient leur couplet, je n’avais même pas écrit et je me disais : « Oh là là, dans quelle merde je me suis mis ! » Et le but à chaque morceau était de tenir tête. Ça m’a fait un bon entraînement. J’ai toujours kiffé être au contact de ce qui se passe, des mecs qui émergent. Sans prétention, je pense que ça m’a fait passer un cap.

« C’est bien d’être bombardé sur Skyrock mais, derrière, faut voir si ça te fait vendre des disques et si ça ne repousse pas une partie du public… »

A : Toi qui l’as connu dans les années fastes, comment tu te situes au sein de l’industrie du disque aujourd’hui, au moment de sortir ton premier album solo ?

Ak : On veut bien évidemment vendre des disques, faire des concerts, en vivre pour continuer à faire de la musique… Mais je n’ai pas pour but de devenir une superstar, d’être sur tous les plateaux de télé…  Donc je sais que ça va forcément limiter le champ de tir. J’ai envie de mener ma barque tranquillement. Mon idéal serait de mener une carrière pépère, sans faire trop de vagues, avec une base de public qui me suit, continuer à faire des projets sans être forcément sous les feux des projecteurs en permanence. Mais, de toute façon, je sais que ça ne se fera pas, ça. Je ne pense pas avoir le profil pour et je n’en ai pas envie. Ça ne veut pas dire que je ne veux pas réussir. Je suis comme tout le monde, j’ai une famille à nourrir, j’ai envie de prendre de l’oseille. Mais il y a des choses que je n’ai pas envie de faire, pour mon bien être. J’ai très vite su ce qui n’était pas pour moi. C’est plus facile à vivre en groupe. J’étais timide, dans mon coin, donc je pouvais me reposer sur les autres. Là, tout seul, je vais devoir assumer.

A : Tu penses que c’est plus simple aujourd’hui pour toi de démarcher les radios, ou tu repars de zéro ?

Ak : De toute façon, de base, je repars de zéro. Le seul gros média radio qui joue du rap français, c’est Skyrock. S’il y a moyen d’y être, ce serait totalement stupide de dire non. C’est un outil. Après, je ne voudrais pas que ça me porte préjudice non plus. C’est bien d’être bombardé sur Skyrock mais, derrière, faut voir si ça te fait vendre des disques et si ça ne repousse pas une partie du public qui va se dire : « Oh ce morceau, il fait mal à la tête, je vais même pas écouter l’album ». J’ai envie d’avoir un public qui approfondit, qui ne voit pas seulement en surface. Après, passer sur Skyrock, bien sûr, il n’y a pas de problème.

A : Mais tu penses que c’est plus facile pour toi d’y être aujourd’hui ?

Ak : Ça, je n’en sais rien, c’est pas gagné. Je n’ai pas encore amorcé cette démarche. Il y a un patron qui décide de ce qui passe. C’est pas la foire à la saucisse, c’est pas gratuit. Un Planète Rap, ça coûte de l’argent. Quand t’es en playlist, tu prends des pages de pub. C’est un système avec de l’oseille derrière.

A : Tu peux dire le chiffre pour un Planète Rap ?

Ak : On peut le dire, Mehdi [ndlr : son manager, présent à l’interview] ?

Mehdi : Je vais démystifier un truc : c’est gratuit. J’ai obtenu des Planète Rap gratuitement. C’est du donnant-donnant. Ce qui est vrai, c’est qu’à partir du moment où les ventes suivent et qu’on commence à parler de playlist, il vaut mieux prendre une campagne, acheter de l’espace pub. C’est un outil promotionnel. Pour un indépendant, c’est plus compliqué d’avoir un Planète Rap mais c’est gratuit.

A : On te sent très à l’aise avec les réseaux sociaux. Tu vas miser là-dessus pour la promotion de ton album ?

Ak : Bien sûr. On va envoyer du contenu. Mais faut que ce soit bien fait. En vrai, j’ai envie d’envoyer de la musique. Je ne vais pas alimenter pour alimenter, mendier des RT sur Twitter… Ça, ça dégoûte. RT si t’as envie, pas RT avec trois points d’exclamations comme si c’était un ordre [rires].

A : Tu peux nous dire un mot sur le titre de l’album : Une Petite Vie, 100 Histoires ?

Ak : C’était une période avec que des galères… C’était mon idéal, une petite vie sans histoires. Tout me cassait les couilles, le rap… Et plus l’album avançait, plus les galères personnelles s’accumulaient, donc j’ai mis le « sans » en chiffre [sourire]. C’était l’après Sniper. Quand Blacko a quitté le groupe, ça m’a cassé le moral. Et tous les problèmes se sont donné rendez-vous pour me tomber dessus à ce moment-là.

Cet album, j’ai voulu qu’il tienne sur mes épaules. Il y aura peu d’invités, contrairement à Cracheur 2 Venin. Concernant les producteurs, il y aura Cori, El Khalif, Medeline, Roro… Au départ, j’ai principalement travaillé avec Cori et El Khalif, des mecs dont je suis proche, avec qui j’ai beaucoup échangé en studio. Ensuite, j’ai complété au gré des rencontres. Quand un truc me parle, je n’hésite pas, j’enregistre le morceau. Internet permet des connexions qu’on n’aurait pas forcément imaginées.

A : Lors de l’écoute, une phase a retenu notre attention : « A trente ans, on passe déjà pour des vieux »…

Ak : Je ne veux pas faire de jeunisme, juste être en phase avec ce que je suis. Et puis ça laisse un certain auditoire en chien tous les rappeurs qui veulent séduire les jeunes. Moi aussi j’écoute du rap, j’en ai marre qu’ils fassent tous des trucs de gogols pour les petits. Il n’y a pas le choix. Soit c’est du rap relou, conscient, qui casse la tête et te fatigue avant même de l’avoir écouté, soit c’est du rap de gogols. Il n’y a pas de juste milieu.

A : Tu évoques justement le sujet avec une part d’autocritique dans l’un des morceaux que tu nous as fait écouter…

Ak : « On dit que j’suis mégalo et que j’parle que d’moi, c’est toujours mieux que d’être démago, tu veux parler d’quoi ? Pisser dans un violon et tirer sur les ambulances, j’ai fait les deux et c’est pas c’que j’ai fait d’mieux ». C’est une critique par rapport à ce qu’on a fait avant. On a abordé des thèmes qui étaient utopistes avec le recul. Des trucs de mecs de vingt ans que je ne pense plus du tout. Je ne le referai plus. Se forcer à trouver un thème parlant de politique, c’est grillé, ça rime à rien. Les mecs de trente ans qui font encore ça, faut qu’ils se posent des questions.

Mais il y a toujours des choses intéressantes dans ce type de rap. Il y a des gens pertinents, qui le font bien. Si c’est juste pour dire « c’est des salauds, à bas le racisme », ça ne sert à rien. Keny Arkana par exemple, je ne l’écoute pas forcément mais j’aime bien ce qu’elle dégage. Quand c’est sincère, ça se sent. Quand Tunisiano a fait « La France », c’était sincère. J’étais là, c’était suite à des événements précis qui se sont passés chez nous. C’était légitime qu’il fasse ce morceau, même s’il dit des trucs abusés dedans. Il n’y avait pas de calcul.

A : Comment vous l’avez vécue la polémique autour du morceau « La France » ?

Ak : Franchement, on ne va pas dramatiser, c’était pas un truc de ouf, ça a fait un peu de promo… Ce qui n’est pas agréable, c’est que ça nous a amputés plein de dates, plus de la moitié. Les frais d’avocats, les déplacements, ça fait chier… Mais rien de dramatique…

A : Tu t’imagines rapper jusqu’à soixante piges, comme disait Zoxea ?

Ak : Pourquoi pas, tant que je prends du plaisir… Je le dis dans un morceau avec Meksa Peal : « C’est que l’début, j’commence à peine à m’amuser, j’commence à peine à maîtriser mon sujet ». Je ne peux pas arrêter au moment où ça commence à devenir de plus en plus ludique. Moi, ça m’amuse de me mettre en difficulté, écrire, trouver des assonances… C’est comme un jeu vidéo. Un mec m’envoie un instru’ un peu chelou, pour moi ça va être ludique de percer le mystère, comment je vais réussir à poser dessus… Tant qu’il y a ce truc-là, je ne pense pas arrêter. Surtout que je commence à un peu mieux maîtriser mon sujet, c’est vraiment pas le moment.

« Se forcer à trouver un thème parlant de politique, c’est grillé, ça rime à rien. »

A : Il y a un artiste avec qui tu aimerais particulièrement collaborer ?

Ak : Je voulais inviter Olivia Ruiz sur un morceau de l’album. J’avais commencé les démarches mais j’ai lâché l’affaire quand j’ai vu qu’elle avait fait un morceau avec Oxmo Puccino. Ça m’a cassé le délire. Je ne suis pas forcément un grand fan, mais j’aime bien sa personnalité, ce qu’elle dégage. Après, dans le rap, c’est pas pour faire le mec blasé mais… J’ai envie de tenter des expériences plus barrées. J’aime beaucoup le rock, plus particulièrement le grunge. Il y a quelque chose dans cette musique… Pourtant, l’imagerie, c’est pas du tout mon délire… A l’époque, tout le monde a kiffé Nirvana. « Smells Like Teen Spirit », ça a mis tout le monde d’accord, c’est un morceau générationnel. C’est le groupe qui m’a donné envie de creuser. J’ai découvert Sonic Youth, Soundgarden, Alice In Chains, Hole également, le groupe de Courtney Love. La meuf est chelou, tu peux dire ce que tu veux, mais l’album est extraordinaire. J’ai ma petite playlist secrète [sourire]. Mais dans ce style, j’ai du mal à trouver mon bonheur aujourd’hui, donc je réécoute les albums des années 90.

A : Si tu devais conserver un souvenir, ce serait lequel ?

Ak : L’image qui me vient dans la tête, c’est le premier concert parisien, en 2001, à La Cigale. Le soutien des gens de mon quartier m’a touché. Ce jour-là, mon quartier était vide. Moi qui suis quelqu’un de super timide, j’avais beaucoup de mal avec les concerts au début, c’était un supplice. Je suis monté sur scène, j’ai vu soixante mecs de chez moi devant qui me boostaient. Ça m’a marqué, je n’ai jamais retrouvé ça par la suite.

A : Quel a été le regard de tes parents sur ton parcours ?

Ak : Quand j’ai commencé à tomber dans le délire, ils détestaient ça : « C’est quoi cette musique de sauvages ! » Quand le groupe s’est formé, ils étaient toujours réticents : « Qu’est-ce qu’il va devenir celui-là, qu’est-ce qu’il trafique… Il va plus à l’école… » Puis, ils ont vu que ça commençait à prendre : « C’est bien » [rires]. Au fur et à mesure, ils s’y sont intéressés. Ils savent se servir d’internet, donc ils fouillent, guettent les articles : « Tu connais ce groupe-là ? C’est pas mal ce qu’ils font » [rires].

A : Ils ont écouté vos albums ?

Ak : Ouais. On n’avait pas de retenue sur le premier album. On dit plein de saloperies dedans. On faisait des morceaux de sadiques. Je ne m’étais jamais dit que mes parents allaient un jour jeter l’oreille dessus. Quand ils m’ont dit qu’ils avaient écouté, j’ai eu chaud au visage, j’étais un peu rouge [sourire]. Ils n’ont pas abordé le sujet mais je savais qu’ils avaient entendu des saloperies dedans. Inconsciemment, ça a peut-être joué sur ma façon d’écrire pour le deuxième album. Il y a eu un peu plus de retenue. Et puis, finalement, plus tard, j’ai fait le chemin inverse.

Ma mère adore « Gravé dans la Roche », « Pris pour Cible », « Sans Repères » aussi, parce que ça la touche. Ça fait plaisir. C’est pour ça qu’ensuite, quand tu manges des remarques de mecs pointus, tu t’en bats les couilles, ça ne pèse pas grand-chose à côté.

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