15 minutes avec QBert
Interview

15 minutes avec QBert

Interviewer la légende vivante du turntablism, c’est tout ce qu’il y a de plus jouissif. N’avoir qu’un quart d’heure pour cela, entrecoupé par le régisseur de la salle de concert, c’est insoutenable de frustration. Retour toutefois sur une entrevue à quatre têtes, où l’échange aura pris le pas sur l’aspect formel d’un entretien, et agrémenté ici de commentaires et de vidéos. Histoire d’appréhender davantage encore l’univers fantasque de QBert. Décidément hors norme.


Abcdr du Son : Tes références en jazz ?

QBert : Entre autres : Pee Wee Russell, Benny Goodman, Miles Davis, John Coltrane, Dave Brubeck, Louis Armstrong…

 

Le regard de l’Abcdr : QBert a toujours expliqué que le jazz était une de ses sources d’inspiration principale, que ce soit en terme d’écoute comme dans l’approche de son instrument. En grand mystique, il expliquait d’ailleurs au site SFGate.com que Louis Armstrong était l’artiste avec lequel il aurait rêvé de collaborer, tout comme Jimmy Hendrix. Il dira d’ailleurs à leur sujet : « They were connected to the spiritual universal freedom we all can attain through practice. And it showed through the way they played their music so heavenly« . En bref, il est bon pour en parler à St Pierre. De notre côté, au lieu de vous passer une énième routine de Q’, il nous a semblé plus judicieux de vous le montrer en train de présenter quelques disques logés dans son sac. Un extrait de l’excellente rubrique du disquaire Californien Amoeba intitulée « What’s in my bag« , accompagnée, pour la diversité des choses et l’amour de la trompette, du fameux « Drunk trumpet » de l’enfant marsupial, Kid Koala.


A : A l’instar de Mix Master Mike qui a rejoint les Beastie Boys, l’aventure en groupe ne te tente pas ?

Q : Dieu a du dire : ‘Ce n’est pas encore le moment’. Ce qui doit arriver arrivera, mais dans l’immédiat mes projets sont de sortir une suite à Wave Twister, mais cette fois sous la forme de quelque chose qui ressemblera davantage à un film.

 

Le regard de l’Abcdr : La vraie question est plutôt la suivante : QBert est-il soluble dans un groupe ? Sa conception du scratch et la conceptualisation qu’il se fait de sa musique laissent en douter, malgré quelques exercices réussis, à l’instar du premier Dr Octagon. Un virtuose n’est parfois pas à sa place dans un collectif, nombreux sont les arts ou les sports où cela s’est vérifié. Et si Mix Master Mike, compère de la première heure de QBert – pour ne pas dire son mentor –  a su se fondre au sein des Beastie Boys, c’est peut-être qu’il a le punch et la rationalité que Q’ n’a pas. Difficile en effet d’imaginer Richard Quitevis se mettre au service d’un groupe comme Michaël Schwart a pu le faire sur un titre tel que ‘3 MC’s and one DJ’. Cette version du clip, en caméra centrée uniquement sur Mix Master, reste un des plus beaux exemples d’un groupe qui ne sacrifie pas son DJ, ce qui arrive trop souvent. Et inversement.


A : Pourquoi cet attrait pour le graffiti ?

Q : C’est la plus belle manière d’écrire des lettres. C’est juste magnifique !

Le regard de l’Abcdr : la réponse a le paradoxe d’être aussi laconique qu’enthousiaste. Qu’on ne  s’y trompe pas ! QBert a toujours eu conscience des éléments du Hip-Hop, mais le graffiti (et évidemment le Deejaying) a toujours eu un petit plus dans son coeur. En plus de participer au documentaire Piece by piece, dédié au graffiti à San Francisco, Q’ n’a pas hésité à mettre en avant l’art de la bombe et autres poscas dans Wave Twisters, mi-chef d’oeuvre, mi-ovni de convergence entre animation vidéo et scratching. Inutile de vous refaire le pitch, il est trop dingue, comme vous allez le constater de suite : les bombes sont les munitions des assassins cosmiques à l’attaque du Dental Commander, qui possède par accident une mini-platine, récupérée au bout d’un bras dans le tube digestif d’un patient et dont le scratch bionique met à mal les forces du mal. Et elles sont aussi l’arme fatale de sa secrétaire, la charmante et dévouée Honey Drips.  Enfin bref, ce qu’il faut retenir, c’est que Wave-Twisters est de ses oeuvres qui ne cloisonnent pas les disciplines du Hip-Hop, faisant avancer graff’, DJing, Breakdance et MCing de façon parfaitement synchrone.


A : Peux-tu nous nous dire un mot sur cette légende qui veut que Mix Master Mike et toi ayez été bannis du DMC pour cause de trop grand monopole?

Q : Ha, on peut dire que c’est juste une blague ! [rires] Tony Prince [ndlr : le fondateur du concours DMC] a lancé cette rumeur pour faire un coup de pub à l’événement. Mais maintenant ça fait des années…

Le regard de l’Abcdr : Cela fait 15 ans que cette rumeur tourne, et si on a posé la question à QBert (on n’est pourtant pas les premiers), c’est qu’il reste difficile de discerner le vrai du faux. La seule chose que l’on a pu constater, c’est que si le DJ continue à démentir cette rumeur, il l’a toujours fait de façon évasive, sans véritable mise au point, à une ou deux exceptions près (cf ci-dessous). Ce qui reste sûr, c’est que, que ce soit en solo ou avec Mix Master Mike, banni ou pas, il a calmé trois fois de suite l’audience et le jury des DMC Championship, la référence de l’époque en compétition de turntablism. Alors si sur le net, on trouve bien à droite et à gauche des éléments de réponse à ce sujet, ils s’avèrent contradictoires, et leurs sources ne sont pas des plus fiables. En bref, Q’ comme Mike semblent être les premiers à jouer avec le flou de cette rumeur. Et à aimer ça, quitte à remettre la parole de l’autre en cause. Morceaux choisis (et à prendre avec précaution) :

« The next year, as we prepared to defend our world titles once again, we got a phone call from the DMC asking us to put down our swords and do a farewell retirement performance. They explained that they wanted us to do this because all of the other DMC competitors were too intimidated by us. Instead, they wanted us to retire and become judges, judging all DMC battles for the rest of our DJ careers. We accepted their offer. » Propos attribués à Mix Master Mike, dans une biographie écrite à la première personne en juin 1998 et publiée sur le site web de l’édition 1999 du Sierra Nevada World Music Festival.

« Along with this QBert also held three DMC world championship titles under his belt, was inducted into the DMC DJ Hall of Fame in 1998 with partner in crime Mix Master Mike and would have remained undefeated if he didn’t decide to become a DMC judge in 1994. This caused a chain reaction of rumors that DMC has banned him from competing. In actual fact, this was a lie; QBert clears up the air. ”They just said that for fun. I actually decided I wanted to become a judge instead of competing, just for a change and something different. It was actually Tony’s wife who jokingly said ‘Ah yeah, you guys shouldn’t really compete again, because no one wants to battle you’. But people thought she was serious. I knew for a fact she was only kidding. But yeah total false rumor.” Propos retranscris dans un article de inthemix.com.


A : En venant en France tu as le temps de t’intéresser à ce qui se fait niveau turntablism ?

Q : Oui, un peu, et puis je connais déjà DJ Troubl, Netik, Fly, les Birdy Nam Nam, Cut Killer et ses shows. J’ai d’ailleurs pu scratcher chez Fly (ndlr : champion du monde DMC 2008).

 

Le regard de l’Abcdr : La France a toujours eu la réputation d’être la seconde patrie du rap. Pur chauvinisme ou réalité ? On aurait en tout cas penché pour la seconde option il y a quelques années. Aujourd’hui, on fait moins les malins. Cependant, concernant le DJing, l’hexagone n’a jamais eu mauvaise réputation. QBert nous ouvre donc un boulevard permettant de présenter quelques DJs français, ayant brillé sur des championnats internationaux  qui ont d’ailleurs bien changés : vinyles personnalisés autorisés, une couleur musicale de plus en plus électro, et une surenchère à la technique comme à la technologie. DJ Netik en parle d’ailleurs très bien dans une interview à nos amis de Lebanlieuzart.com. Mais c’est un autre débat, auquel QBert nous a répondu de la façon suivante en évoquant le Serato : « Ouais ça peut apporter un peu plus de fun ! Et si tu peux faire des erreurs avec des platines, d’un autre côté tu en feras d’autres avec tes logiciels, alors… Personnellement j’aime quand c’est simple : deux platines et une table de mixage. Mais pour les DMC je trouve que c’est cool… et puis ils peuvent faire ce qu’ils veulent, mais c’est un bon délire.« .

En attendant, Troubl’ remet bien les choses en place avec un beat juggling calé sur un des plus fameux sons de Prefuse73. Fly, dernier français à avoir gagné le DMC en individuel, balance du gros son dans une vidéo promo à la limite du kitsch, et tout en playback du set qui l’a vu remporter l’édition 2008. Quant aux Birdy Nam Nam, on ne s’est pas pris la tête et on vous a mis le classique Abbesses.


A : Ce soir tu as passé pas mal de funk.

Q : Oui, j’aime tout ce qui possède des rythmes disons ‘organiques’. Même l’electro. Cela vient de la culture hip-hop que j’ai eu, des racines : le breakdance, le graffiti. L’époque Wildstyle, Style Wars. Toute la culture B-boy des années 80 mais aussi les années 60-70 avec le funk de James Brown, parfait pour le breakdance ! [rires]

Le regard de l’Abcdr : Ne parlons pas de QBert sur ce coup, mais plutôt de l’un des plus gros diggers que le DJing connaisse actuellement, dont la collection Soul & Funk semble un puits sans fond : Cut Chemist. Loin d’être un grand technicien des platines, celui qui un temps fut la moitié musicale des J5 au côté du tout aussi surprenant DJ Nu-Mark, a signé, seul ou accompagné, quelques uns des mixes funk les plus jouissifs de ces 15 dernières années. La vidéo présente le plan le plus connu de « Brainfreeze », réalisé avec DJ Shadow. Dans la lignée, toujours en duo avec Shadow, « Product Placement » ou encore « The Hard Sell » sont à ne pas manquer. Et pour le rapprochement avec QBert, le « Live @ The future primitive soundsession » en compagnie de Shortkut, l’un des troisième homme du duo formé par Q’ et Mix Master Mike, vaut aussi le détour.


A : D’un point de vue technique, c’est quoi ton coup spécial ?

Q : Ha, je dirais de pouvoir tout combiner et de savoir passer d’une chose à l’autre, en explorant tout. Tu sais, obtenir des enchaînements, comme au Ju-Jitsu ou encore au catch, à n’importe quel moment pouvoir faire une prise. Je veux faire ça avec le scratch, pouvoir tout combiner, d’un bout à l’autre. Je me considère avant tout comme un étudiant. J’ai toujours appris, parce que j’essaie de devenir meilleur. La vie est un long processus, et j’aimerais me voir comme un vieillard pratiquant et perfectionnant son kung-fu, à quatre-vingt ans encore.

Le regard de l’Abcdr : On vous laisse méditer là-dessus. Ah, au fait : couper le son de la vidéo peut être une bonne idée, à moins d’aimer Evanescence.


A : Et si tu es étudiant, qui est le professeur ?

Q : La vie. Tout. Même vous les gars vous me faites apprendre… Par exemple, dans cette logique d’apprentissage, de transmission, on a lancé le site qbertskratchuniversity.com, qui se veut être à l’image d’une école. Tu peux par exemple m’envoyer une vidéo de scratches, afin que je t’en retourne une avec un retour, et ça créé un échange, possible mondialement.

 

Le regard de l’Abcdr : maintenant, plus d’excuses pour ne pas faire aussi bien que ça une fois le crossfader cassé :

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4 commentaires

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  • Raphael,

    Je suis pas le plus grand connaisseur en matière de Turntablism, mais ce billet est franchement intéressant !

  • Nicobbl,

    Big up la famille !

  • Ben,

    Ah, j’avoue j’suis déconnecté des DMC depuis plusieurs années, mais alors la routine de dj Fly, bordel elle défonce. merde alors.

  • L'apprenti,

    Ce billet a un excellent esprit. L’aura de QBert a rejailli sur la personne qui a écrit l’article. Bon plaisir.