Chronique

Zippo
Bûcheron

2012

À l’aube de l’an 2000, Koma chantait « La Peur du Lendemain ». Hier, le morceau était la synthèse d’une génération. Aujourd’hui, il semblerait bien trop gentil pour être le résumé de l’époque. Pourtant, la peur du lendemain est bien dans l’air du temps. Le vent de « la Crise économique », bien rabattu par voie de presse, escorte les cortèges de licenciements. 2012, l’année où tout est fatalité, même la fin du monde. Le combat n’a plus rien de crédible. Fini le temps où celui-ci était noble et jamais aussi grand que lorsqu’il était dirigé contre soi-même. Désormais, plus personne ne sait ce qu’il redoute le plus : le chaos ou se faire mettre K.O ? Plus aucune théorie politique ne résiste à la pratique du pouvoir. De la vie personnelle à la vie professionnelle, c’est le grand écart entre divertissement et angoisse, bouffées d’air et apnées. Mortal Kombat à tous les étages. Il suffit de savoir lire sur les lèvres et d’avoir les yeux ouverts pour le savoir. Après tout, il y a quelques mois, n’est-ce pas La Rumeur qui, bien dans son rôle, annonçait que tout brûlait déjà ?

Ça c’est pour le contexte. Alors avis à ceux qui sont assis sur une branche qu’ils sont en train de scier : Zippo élague, et il élague large. Il tronçonne même, au point que l’arbre le plus grand de la forêt risque bien de tomber sur le village mondial. Et cette fois, personne ne prendra soin de crier « Timber !« . De sortie sur chaque mesure, la hache de Zippo débite avec cynisme les absurdités et les extrémités de ce monde, avant de les empiler en quelques mètres cubes de stères de prophéties. Et plus le temps passe, plus elles deviennent tristement crédibles. La conséquence ? 31 minutes durant, Bûcheron croise survivalisme et post-apocalyptisme. À moins que ce soit de l’instinct de survie. Il n’en reste pas moins que l’EP du niçois invoque le Feu de Dieu et Ravage, allume le brasero des Fils de L’Homme et autopsie des tranches de futur sur une souche d’arbre, comme les augures lisaient l’avenir dans les viscères d’animaux. Sauf qu’aujourd’hui, être devin n’est ni une sinécure, ni d’une grande complexité. Il suffit d’observer ses contemporains tenter de se contenter de leur quotidien pour avoir un début de réponse. Le Zoo Humain rencontre La Ferme des Animaux, et si n’est pas Orwell qui veut, le rap français n’a jamais cherché à se faire passer pour de la science-fiction. Seulement parfois pour un film d’horreur ou une promesse de mafieux, et en n’ayant pas toujours les épaules pour le costume. Tout ça pour quoi au final ? En revenir à traîner derrière lui le même boulet : la peur du lendemain.

Mais avec Zippo, les lendemains se situent quelque part entre Barjavel et Athènes 2012 – et avec des visions pas si loin de Los Angeles 1992, de Villiers-le-Bel 2005 ou encore des vraies-fausses émeutes de la faim. Sauf qu’il en retire la peur. Pour lui, la mauvaise tournure que prennent les choses est acquise. Il n’y a plus de marche arrière possible. Alors en sept titres, Bûcheron écrit le présent et l’avenir le doigt sur la touche « avance rapide » et fait la besogne en envoyant du bois. Il jongle avec les non-sens de ses ennemis, et la joue donnant-donnant en faisant fi des mea culpa. Il enquille les productions aux samples habilement bouclés par les trop sous-estimés producteurs du Pakkt, Le PDG et Le Président (également rappeurs en tant que Vargas et John Creasy). Sur des guitares qui chantent un renouveau mélancolique (« Des Singes dans la Tour Eiffel ») à celles fâchées de l’Al-Kpotesque titre »Bûcheron », en passant par des ambiances plus synthétiques (« Maintenant j’ai une hache ») ou encore lugubres (« L’épouvantail »), le flow du Z feint les accélérations, là où c’est en fait l’écriture qui prend de la vitesse et les temps qui se dédoublent. Comme si à force d’être troublante et probablement bientôt troublée, l’époque nécessitait d’accélérer le rythme des coups, de placer une torgnole de plus entre chaque caisse claire, et de changer de placements comme on modifie un jeu de jambes. Et tant pis si le thème de l’Occident qui fonce droit dans le mur fera chez certains figure d’épouvantail. Autant jouer le jeu à fond et dire que tout doit disparaître (l’excellent « C’est les soldes« , cité dans notre rétrospective du premier semestre 2012), jusqu’à ce que des singes viennent prendre possession de la Tour Eiffel. De toute façon, si le Bûcheron du Pakkt voit la Baie des Anges comme un futur Pandémonium, on ne peut pas lui enlever un amour des contraires ni un sens certain de la formule, à lui qui avait déjà annoncé avec son complice Scarz qu’il gèlerait un jour en enfer. Entre tête brûlée, transformant le rap français en copeaux, et humour ou autodérision en filigrane de plusieurs aveux ou du jouissif egotrip « Bûcheron » dont L’Aigle de Carthage ne renierait pas le refrain ni la punchline finale, Zippo la joue autant Harvey Dent que Robinson Crusoé. Sauf que lui ne fait plus partie de ces gens qui attendent le vendredi dans ce monde où l’avenir pourrait bien se jouer à pile ou face que ça ne changerait pas grand-chose.

Voilà pourquoi Bûcheron est un EP qui commence par une envie de lâcher prise avec le « système » avant de finir en prédiction, façon « Résonance de Fin de Monde ». Il est un retour. À quoi ? À chacun de s’y fixer. Pour certains, ce sera à l’essentiel, pour d’autres à la nature, et pour certains encore à des vérités et à une simplicité politique. Une chose est sûre, pour celui qui n’a pas les oreilles trop encrassées et qui aime se faire surprendre, il y trouvera au minimum un titre qui le ramènera à la fonction « repeat » de son baladeur. Moins bourru que ce que son titre laisse paraître, mais clairement cynique et désabusé, cet EP en sciera quelques-uns par ses instrus solides, ses associations d’idées et le jeu de certaines rimes, appuyé par quelques phases aussi « mongoles » qu’assumées. « Lorsqu’on lui demanda pourquoi Bûcheron, Zippo répondit simplement: « Dans un premier temps nous verrons comment couper du bois. Ensuite, je vous apprendrai à allumer un feu. » » est écrit sur la page de téléchargement (libre) de cet E.P. Avant de penser à allumer un cocktail Molotov ou de jeter une civilisation sur le bûcher, ces sept titres seront a minima une lueur déterminée dans une nuit à venir que certains appellent dans leurs fantasmes le Grand Soir. Pour d’autres, il sera une Grande Ourse, servant de boussole à ceux qui ont décidé de naviguer seul, loin de l’agitation, en se laissant porter par les flots de l’existence. Dans tous les cas, il en restera un moment de rap, plus lucide que conscient, signé par le meilleur MC du Pakkt et oscillant entre idées noires à la Franquin et conneries bien grasses, un peu comme si Gaston Lagaffe et Pascal Brutal échangeaient leurs époques, leurs auteurs et leurs ambitions. Bref, un EP multifonctions, sorte de couteau suisse survivaliste à l’instar du briquet avec lequel John McCLane allume autant ses cigarettes qu’il arrête un avion ou s’éclaire dans un conduit d’aération. Du Nakatomi Plaza à la Baie des Anges, plus qu’à leur hache, c’est à leur zippo qu’on reconnaît ceux qui ne se laisseront pas abattre. Die Hard !

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