Chronique

Casey
Tragédie d’une trajectoire

Anfalsh - 2007

Après Ennemi de l’ordre et la rétrospective Hostile au stylo, la MC tenace comme Vic Mackay, sentencieuse comme Jules Winfield dans une chambre de motel débarque avec son premier album : Tragédie d’une trajectoire. Signé Casey, ce disque entérine le retour d’un rap hardcore sur lequel il faudra à nouveau compter… Anfalsh en tête !

Casey met en effet les choses au point avec 12 pistes qui molestent l’auditeur à coup de phases intransigeantes, belliqueuses et sans concessions, en guise de poings pour mettre les points sur les i. Ni ghetto, ni gangster, la MC enrage et engage sa plume sur les sentiers de la haine. « La tolérance n’est pas dans mes concepts » dit-elle, et son discours oscille entre tragédies, appels à l’insurrection et no future. Casey a besoin de rendre la monnaie à ce(ux) qui l’a fait souffrir. Son rap rumine et ressasse les blessures accumulées, il ne laisse aucune place à la contestation. L’écriture est ici un martèlement continu, véhément et rugueux, similaire à celui subi lors d’une gueule de bois. La gueule de bois de vies dont les trajectoires ne cessent de croiser les tragédies. Les tragédies d’une banlieue où les cœurs essaient de se faire de pierre, où la pierre des bâtiments s’effrite tel le shit, le shit dont la fumée se mélange à celle d’un cocktail molotov en explosion. Cette banlieue qui place ses espoirs dans la révolte et où chacun a ses méthodes. Certains font des études, d’autres cassent. Certains se cassent, d’autres restent. Certains s’impliquent, certains s’enferment. Certains se font enfermer, certains s’en sortent. Multiples trajectoires, multiples manières, mais finalement il reste un point commun, qui ponctue un vécu fait de hauts et de bas : la tragédie, malheureusement devenue banale… Ou quand des lieux communs ne devraient pas l’être.

Les thèmes sont graves et classiques mais le ton est lui menaçant ; assez pour traumatiser une fois de plus le maire de Woippy. Il n’y a pas de place pour les compromis, comme le laisse transparaître le flow de Casey, quasi mécanisé et proche du réquisitoire. Couplé à de régulières anaphores et à des refrains systématiques, le propos de la MC s’élève comme un mur sur l’autoroute du pouvoir. Les notables, politiciens, flics et même rappeurs qui y foncent à toute allure, avec ou sans gyrophare, ont intérêt à avoir leur ceinture bien accrochée. Quand les tragédies d’une trajectoire deviennent une menace planante, il n’est plus question de sortie de route. Ici, la collision se veut frontale. Le choc est brutal, et cette fois airbag et abs ne suffiront plus. Les thématiques sont usées certes, mais cela est-il critiquable ? Après tout, un premier album est généralement une profession de foi. Et si s’enfermer dans des sujets autant ressassés par le rap français peut sembler s’opposer aux attaques en règle de Casey contre le milieu, il n’en reste pas moins que la MC débarque de chez Anfalsh. Et Anfalsh ne s’est jamais caché d’être du genre à manger du wack MC au petit dej’ et du poulet au dîner.

Grâce aux productions de cet album -essentiellement réalisées par Hery et Laloo- qui appuient la tension ambiante, l’univers instrumental de Tragédie d’une trajectoire n’est pas en reste. Froides et dures comment le bitume, angoissantes comme une ruelle s’apprêtant à accueillir un règlement de compte, les atmosphères se veulent tantôt lancinantes, tantôt cinglantes. Les notes de pianos sèchement isolées (‘Je lutte’) et répétées (‘Tragédie d’une trajectoire’) accroissent le phénomène jusqu’à instaurer une seconde rythmique sur certains morceaux (‘Mourir con’). L’apparition récurrente de samples de guitare électrique amplifie la violence inhérente à cet opus. La cohérence est de mise entre textes et instrumentaux où s’alternent impression d’étouffement (‘Mourir con’), de révolte (‘Qui sont ils?’), et de mise sous pression (les notes de piano en constante répétition de ‘Pas à vendre’).

Tragédie d’une trajectoire est donc homogène, offensif et déterminé comme rarement l’avait été un album de rap ces dernières années. Une acre odeur de vengeance et de rancoeur y plane de la première à la dernière des 55 minutes qui le composent. L’auditeur pourra regretter une piste anecdotique avec Ekoué, que l’on a connu dans de meilleurs jours, ou encore un calibrage continu des morceaux qui le prive d’un titre one shot qui aurait pu être phénoménal (croyance renforcée par la démonstration de gros flow du sur-égotrip ‘Suis ma plume’). Il n’en reste pas moins qu’en déclinant un univers qui se répète de titre en titre sans pour autant lasser l’auditeur, Casey livre un opus extrêmement puissant. Et si la brutalité du rap impitoyable de la rappeuse du Blanc-Mesnil peut parfois sembler excessivement radicale et tranchante, il n’empêche qu’ « elle a du charme, qu’elle est belle comme une arme » et que bien « qu’elle soit impolie et qu’elle pollue, les indés la saluent » !

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