Chronique

RUN-D.M.C.
Tougher than leather

Profile - 1988

L’histoire a dû commencer plus ou moins comme ça pour un certain nombre de gens qui font et qui fréquentent ces lieux… Au collège, un pote avisé a une excellente idée : il te file une cassette de Run-D.M.C. Tu devines à peine ce que c’est que le rap, d’ailleurs tu écoutes peu de musique, tu te cherches un peu… Le gouffre culturel des années 90 s’ouvre devant toi, et ce qui te passe à travers les oreilles est pas forcément grandiose… Tu écoutes ; tu t’assoies. Faut que tu digères l’information, et le choc de l’esthétique Adidas. Absorber ça d’un seul coup, c’est trop pour toi… Tu viens de croiser la route du « hip-hop« , en découvrant un truc que tu pensais même pas pouvoir exister…

Dix sept ans plus tard, ça marche encore. Tougher than Leather dégage une puissance rare. Rien de moins kitsch que ce disque, qui fait comprendre pourquoi cette musique est née dans la rue. La prouesse du son, c’est d’avoir réussi à restituer l’atmosphère du live en studio. Ecoute ‘Run’s House’, qui ouvre l’album : on dirait que Run et D.M.C. (pour « Devastating Mike Control« ) sont sur scène. Ils ne rampent pas seulement devant le micro : ils hurlent dedans, ils le castagnent, ils le dévorent. ‘Radio Station’ : emceeing inattaquable. Homme de l’ombre, Davy D est en embuscade, impliqué jusqu’à l’os dans la production de l’album, assurant notamment l’injection de guitare et de basse.

Ce quatrième album du groupe, sorti en 1988, démontre aussi combien le rap s’est transformé. Un tel type de construction sonore n’existe plus : la basse est en retrait, la batterie très en avant. Un son hyper syncopé, martelé, bourré de breaks ; des boucles courtes, rarement étalées sur plus de quatre mesures sans être bousculées par une rupture ou un cut acéré. Tougher than Leather est en effet criblé de part en part par les scratchs de feu Jam Master Jay à un niveau jouissif. Le fait que Run et D.M.C. furent d’abord DJ (Run officie pour Kurtis Blow dès l’âge de douze ans !) n’est pas pour rien dans cette omniprésence. L’ajout d’instruments organiques et l’appui de quelques effets (reverb’ à tous les étages) façonnent un cocktail explosif. En témoigne le célèbre ‘Mary, Mary’, avec Rick Rubin dans le coup (rappel : Run est le frère de Russell Simmons) : que rajouter à un morceau pareil ? 

Les Run-D.M.C. se placent clairement dans une orbite rock, à l’instar du morceau, compact comme du béton, qui donne son nom au LP. Le solo de guitare fait partie intégrante de l’identité musicale du groupe. Sans même parler de l’affaire ‘Walk this Way’, le deuxième album du groupe — rameuté ici par scratchs interposés — s’intitulait « King of Rock ». On se dit que le ‘Fight for your Right to Party’ des Beastie Boys n’est pas loin, les deux groupes ont d’ailleurs beaucoup tourné ensemble en concert. Des classiques soul sont également revisités, comme le ‘Papa was a Rolling Stone’ des Temptations martyrisé sur ‘Papa crazy’. Et l’ombre de James Brown plane sur l’ensemble du disque. Tougher than Leather se conclut sur ‘Ragtime’, un contre-pied ludique parfait posé sur un sample jazzy nonchalant. Là-dessus, très peu de discours, malgré l’échantillon de Malcolm X qui débute ‘I’m not Going Out Like That’. On est dans l’entertainment pur (‘Miss Elaine’, sur une prof bandante qui craque sur un étudiant…). Pur, intense et rythmé.

Ironie de l’histoire : Tougher than Leather est sûrement l’œuvre la plus aboutie des Run-D.M.C. Pourtant, elle coïncide avec l’amorce du déclin — commercial avant tout — du groupe. Le carton de « Raising Hell » (1986,
considéré généralement comme le chef-d’œuvre) avait aiguisé les appétits, que les ventes ne satisfont pas : l’album n’est « que » platine. Et l’éclipse a lieu, le jour où un pote avisé te tend une cassette de Public Enemy…

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