Chronique

Ka
The Night’s Gambit

Iron Work Records - 2013

Comme Grief Pedigree, le précédent album de Ka sorti l’année passée, The Night’s Gambit comporte onze titres et dure moins de quarante minutes. Et comme lui, il a pour seul invité Roc Marciano, qui pose un couplet sur « Soap Box » comme il l’avait fait sur « Iron Age ». Avant même de savoir que les deux hommes forment un duo nommé Metal Clergy, on n’est pas vraiment étonné d’entendre le maître d’œuvre de Marcberg et Reloaded, car on a pensé à lui à l’écoute des premiers titres : même goût du minimalisme et des boucles obsessionnelles (ou répétitives selon le point de vue et le moment), même penchant pour les inserts tirés de films, même prédilection pour les assonances et les allitérations. Ka se distingue cependant par un timbre de voix plus rauque, plus lettré aussi, au service de textes plus recherchés que ceux de son compère. Il est sur ce plan plus proche d’un GZA, qui l’avait fait connaître en l’invitant sur Pro Tools. Avec lui, il partage un goût pour les échecs qui, mêlé aux influences religieuses, donne au LP son imagerie. En fait, si on ne savait pas que Ka était noir et originaire de Brownsville, on pourrait penser que sa voix est celle d’un blanc de classe moyenne contraint malgré lui à la survie urbaine. D’une certaine manière, ça rend encore plus saisissantes ses descriptions imagées de la rudesse de la vie pour les laissés-pour-compte du rêve new-yorkais.

Car c’est peu dire que The Night’s Gambit n’est pas un disque festif. C’est même un peu l’anti-3 Feet High & Rising, qui fait partie de la flopée d’albums références cités dans le dernier morceau, « Off the Record ». Par rapport à Grief Pedigree, Ka a manifestement cherché à faire encore plus dépouillé, plus lent et souvent plus spectral. Plusieurs morceaux – la plupart, en fait – se passent plus ou moins de beat, ou se contentent de percussions à l’arrière-plan, donnant un côté vaporeux au son qui met en relief la dureté des récits. Quant à son flow, il est parfois à la limite du parlé (« I’m pain in the spoken form« , glisse-t-il sur « Peace Akhi »). Ces tendances culminent dans « Our Father » et « Peace Akhi », sommets d’austérité du disque. Heureusement, d’autres morceaux bénéficient d’un son plus chaleureux (« Jungle », « Nothing Is ») leur donnant une densité plus évidente. Une poignée de morceaux en quelque sorte intermédiaires, dont « Soap Box » et sa basse/guitare un rien funky ou le morceau introductif « You Know It’s About » et son climat de guérilla urbaine larvée, cimentent le tout.

L’ensemble développe un style assez original, dans la lignée d’un Grief Pedigree qui était peut-être plus accrocheur au bon sens du terme. Atypique, l’album mérite vraiment qu’on s’y arrête, surtout quand on sait que Ka, pompier dans le civil, fait tout lui-même avec les moyens du bord. Il y a malgré tout quelque chose qui empêche d’adhérer pleinement à The Night’s Gambit. Sans doute une manière de rapper plus conventionnelle sur certains morceaux : le flow de Ka varie très peu et c’est à se demander parfois si son style ne fait pas de nécessité vertu. Quand se termine l’album, sur un exercice de style bien exécuté mais un peu convenu (construire un morceau autour de noms d’albums mémorables), c’est avec la sensation d’avoir affaire à un artiste de valeur et un album hors normes, mais aussi avec un petit goût d’inachevé. Alors, engourdi par The Night’s Gambit et quitte à faire un crochet par Brownsville, on a du mal à en repartir sans se mettre un petit « Ante Up » de M.O.P pour la route.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*