Chronique

Atmosphere
The Lucy Ford EP

Rhymesayers - 2001

Cher Sean,

Je reçois ta lettre à l’instant même, et en vérité j’ai eu peine à me défendre d’un mouvement d’orgueil en la lisant. Tu m’honores en baptisant ton œuvre de mon prénom ! Je suis bien heureuse si je le mérite. Quel qu’en soit le motif, ce geste n’en est pas moins précieux à mon cœur.

Cependant, une de tes phrases au dos de « The Lucy EP » m’a glacée d’effroi : « You and your friends can sit around and make fun of me while you listen to them« . Je vais donc (mais sans prétendre te donner un avis) te dire librement ma façon de penser. Quand je t’aurais exposé mes impressions sur ton album « Lucy Ford », que tu as réalisé avec tes amis Anthony aka Ant, Jel, Moodswing 9 et El-P , sous le doux pseudonyme de Slug (Sean Likes Ugly Girls), tu les jugeras. Cette collection de morceaux, disponibles en vinyles sur les maxis « Ford 1 », « Ford 2 » et « The Lucy EP », semble marquer une évolution importante depuis ton premier album « Overcast » en 1997. En effet, ton groupe Atmosphere – appartenant au crew et label Rhymesayers – était originellement constitué de Spone, qui t’accompagnait au rap et du producteur Ant. En quatre ans, et après avoir participé à de multiples projets qui t’ont vraisemblablement influencés (« Deep Puddle Dynamics » et « Music for Advencement of Hip Hop » par exemple), tu sembles avoir opéré une mue au niveau lyrique. Le Slug de ‘Sound is vibration’ ou de ‘1597’ fait place à un nouvel MC aux textes plus poétiques, plus profonds et vecteurs d’innombrables émotions. Désormais tu allies à merveille rap, poésie, talent narratif et soliloques. A la production, Ant, Jel et Moodswing9 travaillent des boucles de Jazz, de Blues, de Soul et parfois même de Dub (‘Free or Dead’) difficilement identifiables, sur lesquelles ta voix et ton phrasé sont saisissants.

Ton premier titre ‘Between the Lines’ est sans conteste l’un des plus abouti de l’album. L’utilisation d’une boucle soul (vieux synthé) empruntée à Eddie Kendricks – me semble-t-il – est astucieuse puisqu’elle donne à tes histoires une dimension mélancolique. La retranscription des sensations d’un flic accablé par la chaleur (« See the policeman, notice the lonely man, how do you think he keeps his head on straight« ) et d’une jeune fille vivant sa vie par procuration (« Can you see her she spent her whole day in a theater living her time in a life that she would prefer…« ) est prenante et pathétique. ‘Between the lines’ oscille entre dramaturgie (moments rappés) et insouciance (refrain chanté : « I just might, just feel somebody,  I just might just Kill somebody…« ) et c’est ce qui fait son charme.

On dit que la vie réserve son lot de surprises… ‘Like today’ semble pourtant prouver le contraire puisque pour toi les jours se suivent et se ressemblent. Cependant, dans le concept cela n’a rien avoir avec l’icône du 2 step Craig David et son ‘7 days’… Le stab vocal du début de la chanson est à ce titre on ne peut plus explicite « In tomorow I see no promise & yesterday was like today…« . Si la production d’Ant est sans relief (guitare, orgue et le fameux stab vocal), tes textes relèvent le niveau de cette piste. Tu mélanges à merveille humour, cynisme et talent narratif ! Morceaux choisis : « Woke up, got up, near eleven o’clock, butt naked except I was wearing my socks, and that’s cool, ’cause most the time this floor is cold, stand up and stretch look around this mess » ou encore « it appears as if a piece of me has got motivation, ain’t nothin’ wrong with a little morning masturbation« .

3ème piste : Le contraste est saisissant, fini les beats lents et le phrasé posé. Le sample de guitare et le rythme élevé du morceau emplissent l’auditeur d’un frénétique besoin de secouer sa tête. Les frissons me gagnent avant même d’avoir entendu les premiers vers de ‘Tears for the Sheep’ : « A city of fools, I wanna bash whoever’s responsible for this incomprehensible lack of passion, the sucker’s been seduced down to the stick / And the peasants fill their bellies with the poisons you omit, I’ve come to separate the heads and shoulders, of these tracin’ paper soldiers« . Le style devient vindicatif, la tension monte jusqu’à l’apaisant sample de voix féminine chantant : « Nobody sees ‘cept my mirror on the wall« .

On finirait presque par se lasser des chansons à thèmes et conceptuelles. Heureusement, ma soif d’égotrip fut épongée par ‘Guns & Cigarettes’. Ton refrain est digne des De La Soul de « 3 Feet High & Risin » : « bigger than Jesus, bigger than wrestling, bigger than the Beatles, and bigger than breast implants« . Anthony a concocté une boucle bluesy (sample de guitare et de clavier) élégante sur laquelle « B.B. Slug sings the blues ». Une sensation de malaise me gagna lorsque j’entendis cette déclaration. Les chœurs féminins mêlés à une caisse claire et une harpe semblent être le parfait support à ton discours. D’ailleurs celui-ci paraît plus profond et intime qu’à l’accoutumée. Je remarque une nouvelle allusion aux Beatles : « enough to keep me looking for my lucy in the sky with gems » . Alors Slug, groupie ?

Un seul mot pour qualifier ‘Don’t Ever Fucking Question That’ : Touchant : « I love you, don’t ever fucking question that,  that’s why we’ll probably never get along. If I was better at finding the right words to say,  I wouldn’t need to write these motherfucking songs« . Quelques morceaux choisis pour les gangsters en mal d’inspiration : « I used to know a man who met a woman, dont remember where, big beautiful eyes and light brown hair, she was from the burbs, he was from the south side of the city,  this was back when Franklin avenue was still pretty. Two different worlds apart, but the world is just a small town-  we all know how people like to get down. Here we go, aquarius, pisces, feel the flow of the fluid as I swim through it to free my soul. Bush shoved the cane without the glove numbed the pain. the magic from up above what it does for the brain. »

Encore quelques fanfaronnades sur ‘It Goes’, cependant, le texte reste bien écrit et je ne note aucune redondance. Cette fois, la musique et tout ce qui s’y rattache (fans, écriture, son crew, son style, ses compères…) ont été choisis comme thèmes majeurs de la chanson : « I need to start writing pieces about other people’s problems, ’cause strangers are starting to get worried « . « I bet my fans know me better than my friends do, because my friends don’t pay that much attention. The fans memorize every single sentence, which makes them far too smart to ever start a friendship « .Au niveau de la production, Ant fait dans l’efficacité et la simplicité, à savoir un sample de basse … et un sample de batterie.

Concept étrange que d’imaginer Slug déguisé en Père Noël. Pourtant à l’écoute de ‘If I was Santa Claus’ j’en suis venu à demander le prochain album d’Atmosphere au Père Noël dans l’espoir de te voir passer par la cheminée et me le déposer dans une chaussette : « If I was Santa Claus, I’d fight for the cause, wouldn’t expect nothing in return,  I’d give you anything you, I’d give you anything you need, you can take my hand & I’ll take he lead… Put the Atmosphere on your Christmas wish list« . De son côté, Ant a parfaitement su créer l’atmosphère de Noël avec un beat enchanteur (sample de clochette et de harpe). A mon goût, l’une, si ce n’est la meilleure piste de l’album.

Sans mauvais jeu de mot, l’atmosphère devient pesante avec ‘Aspiring Sociopath’ : Un peu « comme dans un film de David Lynch » (Parodie d’un titre connu du rap hexagonal ). C’est esthétique, mais on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de ce « film ». Il faut bien l’avouer, ‘Aspiring Sociopath’ est plus qu’une piste audio banale. La description du personnage principal et de ses activités (conduire une Ford Escort dans la ville) est d’une telle justesse qu’on s’imagine cet homme apparemment apathique (impression rendue par le rythme de la chanson – phrasé lent et cotonneux et sample de flûte envoutant) déambuler dans les rues. Quel talent pour faire travailler l’imagination !

A partir de ‘Free or Dead’ toutes les pistes sont tirées des maxis « Ford 1 & 2 » à l’exception de ‘Mama Had A Baby And His Head Popped Off’ . Sur une production aux sonorités Dub signée Jel, tu nous raconte une fois de plus l’histoire d’un homme et de sa voiture « My car is like my own personnal universe, she’s my drug and it only takes twelve bucks to feel her up, and in my galaxy there ain’t no room for hurts, so I’m leaving it cause I can feel the oil pressure building up … Until I crash into my fate« .

Les communistes ont ‘L’Internationale’, Le 93 a son ‘Seine Saint-Denis Style’, désormais les auteurs auront aussi leur hymne : ‘Party for the fight to write’. Le sample utilisé ne m’est pas étranger, malheureusement, pris d’allergies, j’ai la « tête en sky » et suis incapable de me souvenir quel morceau Ant a échantillonné…
‘They’re All Going To Laugh @ You’ porte le sceau d’Anticon, à savoir chanson conceptuelle et beat mal mixé et sombre. Jel brille aux consoles grâce à un beat original (cuivres et sons étranges). Vous avez tout deux d’ores et déjà marqué le monde du Hip Hop Indépendant si ce n’est celui du Hip Hop en général !

‘Lost & Found’ est la première grosse déception de l’album, la faute à un Jel – d’habitude brillant – décevant derrière ses consoles. La boucle alliant, ligne de basse reggae et sons de clochettes – est lassante à l’instar du refrain de la chanson « Discover that I really don »t know much… « . La force du morceau réside en son thème : un homme vivant sur la route dont la seule crainte semble être les radars de la police. Pour la nourriture, ce dernier fait directement ses course dans les jardins des maisons. De plus, ce rebelle rejette la société de consommation et ses multinationales, Eldorauto excepté. La déception se dissipe très vite à l’écoute des premières notes du morceau suivant. Ant, décidément très inspiré par la Soul utilise une boucle de piano et une ligne de basse empruntés au génie Isaac Hayes. Ce sample de ‘You Got Me Going in Circle’, colle parfaitement aux textes de la chanson, traitant de manière imagée du bien et du mal qui réside en chacun de nous : « It’s not that she wasn’t attractive she was beatiful , but its the way that she interacted, she was aggresively passive to the point where she would of intimidated any myth that ever tryed to cacth it, on the right hand she had a tattooe of a nude girl, she claimed it is what God resembled, but on the left she had a mirrored image of the same female, and this one she explained looked like the devil« . En fait, je ne suis même pas sûre que ce soit bien le thème général de ‘Woman With the Tattooed Hands’. On peut en effet interpréter cette histoire de plusieurs facons…

Que dire sur ‘Nothing but Sunshine’ qui n’ait déjà été dit. Cette merveille entendu il y a un an sur le « Music for the Advancement of Hip Hop » d’Anticon, produite par Moodswing9 (quelle boucle de piano, quelle rythmique !), raconte la jeunesse fictive de Slug. En effet le ton et les textes de la chanson laissaient à penser qu’il s’agissait là d’une histoire vraie. « Now when my mother died, I had to take it in stride, there were no room for pride, and watching your father cried, and dad made it until maybe a year later, when they found his suicide inside a green elevator… »

Après un silence long de 7 minutes – à peine de quoi se remettre de ses émotions – pianos, infra-basse, stab vocal et El-P font leur apparition. Une collaboration réussie – ‘Homecoming’ – aussi bien au niveau lyrique (quelques souvenirs d’enfance, de Minneapolis pour Sean et de NY pour El-P). Cette fois ci le silence est définitif. Comme après un bon film, on repense à ce que l’on a vu, admiratif. Une seule critique, pourquoi avoir exclu ‘Travel’ de l’album alors que la boucle de piano était prodigieuse ! Une question, Ant a t-il échantillonné le ‘Do You Feel It ?’ de Joe Cuba Sextet ?

La seule conclusion qui s’impose est d’ordre mathématique : le tout est supérieur à sa partie. Félicitations, car en un album tu as synthétisé les principales préoccupations des hommes à savoir les femmes et les voitures voire pour quelques-uns la musique. Pourvu que tu ne prennes jamais conscience de ton éloquence et de ton talent dialectique… « If I was better at finding the right words to say, I wouldn’t need to write these motherfuckin’ songs. »

I’ll see you around !

Love Lucy

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