Chronique

Scarface
The Fix

Def Jam Recordings - 2002

Unanimement respecté par ses pairs, Scarface fait aujourd’hui figure de patriarche dans l’industrie du rap. A l’heure où la street credibility joue aux vases communicants avec le succès de masse, le massif texan n’en finit plus de faire carrière, fort d’une discographie riche de six albums avec les Geto Boys et autant de solos. Passé des rues de Houston au fauteuil confortable de président de Def Jam South, c’est sous la bannière de l’empire de Lyor Cohen, mais toujours en collaboration avec le patron de Rap-A-Lot Records, James Prince, que sort son septième album, The Fix. Hors Norme et hors mode, Brad Jordan (pour l’état civil) réalise un album de facture classique, mais solide et plutôt rafraîchissant.

Grosse pointure méconnue –The Fix n’a été « que » disque d’or aux États-Unis – Face se démarque de ses homologues par sa personnalité intègre et brute de décoffrage, à l’image du premier extrait de l’album, ‘On my block’, titre ghetto jusqu’à l’os, qui reprend avec classe le sample de ‘World Famous’ (MOP). Un choix de single étonnant et détonnant à la vue de la forte présence sur l’album de la bête noire des puristes et la muse des programmateurs radios : le refrain chanté. Faith Evans et surtout Kelly Price viennent en effet apporter un juste contrepoids à la voix caverneuse de Face, notamment sur le magnifique ‘What can I do’, preuve ultime qu’il est encore possible de réaliser un crossover sans commettre de turnover. Avec une puissance vocale tétanisante et une émotion non feinte, Face évoque sur un ton grave et solennel des sujets universels -la mort, la vie, l’amour, la haine- avec conviction et aura : « Down the park, I hear the sirens, just screamin’ away / And then the unevitable happens, the end of them days / As sad as it sounds, but that’s the price we all gotta pay / And the whole world knows God giveth, will taketh away / I live and I learn, I sit and watch my cigarette burn / Down to the ash, it remindes me of the now and the passed / I say a little prayer, ’cause eventually I’ll stand in the path / Of the souls and dark rows that lead to rest« .

Hormis les omniprésents Neptunes, qui dénotent avec une production de circonstance (‘Someday’) hors de propos en plein milieu de l’album, les producteurs de The Fix ont su s’accorder à la personnalité de Scarface sans le trahir. On pense souvent à 2 Pac ( disciple de Scarface) et All eyez on me en écoutant sa voix de baryton posée sur des compositions fouillées au service d’une vibe contagieuse et férocement efficace -mention spéciale à ‘Keep me down’ aux accents country et gangsta, produit par Nottz. Mais tout le professionnalisme des producteurs invités ne parvient pas à réduire au silence la déflagration causée par l’équipe Roc-A-Fella dans ‘Guess who’s back’ : Jay-Z et Beanie Sigel viennent épauler Face Mob pour délivrer l’incontestable bombe de l’album sur une production monumentale et traumatisante de Kanye West, dont on ne vantera jamais assez la maestria et le sens de l’échantillonnage, également démontré dans ‘In cold blood’. Son travail fait d’ailleurs des émules : le premier titre de l’album, Safe et son sample de Gladys Knight, produit par China Black, ressemble à s’y méprendre aux beats soulful de l’ancien protégé de No ID. Un ton en dessous, mais néanmoins excellentes, les collaborations de Face avec Nas (‘In between us’) et WC (‘I ain’t the one’) marquent aussi les esprits grâce à la vista des rappeurs et la puissance très G.Funk des instrus.

Sans être le classique annoncé (qui a dit 5 mics ?), The Fix est un album de haute tenue, grâce à l’incroyable magnétisme de Scarface et la solidité des productions, plutôt en rupture avec les formules actuelles. Le défaut majeur vient peut-être d’un tracklisting déséquilibré, qui sépare l’album en deux parts distinctes : l’une très « street » et rugueuse, et l’autre plus R&B et mélodieuse. D’aucun se forceront à choisir leur camp inutilement au vue des qualités mutuelles des deux parties, qui auraient gagnées à être imbriquées moins grossièrement. Entre introspection, mysticisme et sacralisation de la rue, Scarface fascine, et son septième solo constitue un bon point d’ancrage pour découvrir ou redécouvrir ce personnage complexe, torturé et terriblement charismatique.

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