Chronique

Rick Ross
Teflon Don

Def Jam Recordings - 2010

Il y a des rappeurs que personne n’a vu venir. Qui aurait cru qu’un groupe de rap semi-puriste, les Black Eyed Peas, se transformerait en vache à lait de la pop urbaine mondialisée ? Qui aurait pensé que le MC emblématique des années 2000 serait le cadet des Cash Money Millionnaires ? Qui aurait pu prédire, il y a dix ans, qu’un Kanye West deviendrait Kanye West ? Et qui aurait imaginé la montée en régime de Rick Ross ?

Quand il est apparu en 2006, Rick Ross ne s’apparentait à première vue qu’à une redite floridienne de Young Jeezy. Même dédain apparent pour la discipline rap – le hustle étant plus à la mode – même propension au gimmick répétitif, même label. Les ficelles étaient un peu grosses, et son premier album, Port Of Miami, résumable à un seul titre : l’hymne au trafic « Hustlin' », titre-phare qui cristallisait la grandeur et les limites du personnage. Parfois impérial, parfois pataud, Ross n’imposait pas une personnalité renversante, et les récits approximatifs sur ses amitiés dans le monde du narco-traffic (le fameux Pablo… Noriega) jetaient le doute sur la véracité de son vécu. Doutes confirmés peu après, quand il fut révélé que, par le passé, le BAWSE n’avait évidemment pas assis sa fortune sur une montagne de cocaïne. A la place, il avait simplement perçu un salaire alimentaire dans un métier relativement peu street-crédible : gardien de prison.

La suite : excuses publiques, changement d’image, retrait du rap anticipé – non, rien de tout ça. A mi-chemin entre le déni complet et la méthode Actors Studio, Rick Ross est reparti de plus belle dans son fantasme, et tant pis si le vrai Rick(y) Ross, trafiquant notoire, l’attaque en justice pour violation de son identité. Paradoxalement, toutes ces affaires embarrassantes semblent avoir libéré Rick Ross. Au placard, les impératifs de crédibilité : le rappeur s’est concentré exclusivement sur son personnage fictionnel. Teflon Don, son quatrième album, lustre donc avec une frénésie accrue l’apparat clinquant de son prédécesseur, le déjà bien pensé Deeper Than Rap. Tous les éléments qui composent l’album convergent vers un même objectif : dessiner Rick Ross en magnat sur-opulent, grizzly larger than life, Jabba The Huth en costard italien. Nauséeux ? Question de point de vue, mais un fait demeure indéniable : si l’hyper-capitalisme peut constituer le point de départ d’une œuvre musicale, alors Teflon Don est une leçon de direction artistique. L’argent, seul véritable sujet de l’album (et probablement de sa carrière), est visible dans toutes les strates du disque. Parmi les invités, qu’ils soient rappeurs haute couture (Diddy, Jay-Z, Kanye West) ou vocalistes classieux (John Legend, Cee-Lo, Erykah Badu). Dans les références, entre Ferrari, cachemire et Franc Maçonnerie. Ou dans les productions, assurées par des entités diverses (J.U.S.T.I.C.E. League, The Olympicks, The Inkredibles) qui semblent toutes financées par l’office de tourisme de Las Vegas. Exception notable : le combo siamois « MC Hammer » / « B.M.F. », produit par un Lex Luger dont l’unique vocation semble d’écrabouiller l’auditeur à coup de synthés vengeurs (sa signature sonore est devenue depuis un nouveau standard).

Difficile de savoir si un Magicien d’Oz contrôle les gestes – et surtout les couplets – de Rick Ross. Un coach, voire un ghostwriter, sont peut-être passés par là, mais peu importe : le fait est qu’il est aujourd’hui un rappeur supérieur. En 2006, la dichotomie caïd/rappeur était déséquilibrée, Ross manquant de subtilité pour habiter pleinement son rôle. Aujourd’hui plus souple et plus hargneux, il semble prendre un pied pas possible à chaque couplet. Sa grande force : une facilité à créer du gimmick à partir de placements bien dosés et d’éléments de langage presque anodins. Il faut l’entendre dans le refrain de « B.M.F. » et son fameux « I think I’m Big Meech, Larry Hoover » : l’efficacité de la formule ne se situe pas seulement dans les mots, elle est aussi dans la virgule. Ajoutez à ça son sens inné du grognement et sa façon de faire sonner les noms propres (« If I die today, remember me like JUN’LENNON« ), et vous vous retrouvez face à une véritable bonbonne de charisme.

Teflon Don est la réponse à une question cruciale de l’histoire du rap : « Que se passe-t-il après Puff Daddy ?« . Il se passe Rick Ross : une ambition hors-budget, une obsession totale pour les signes extérieurs de richesse et, oui, assez peu de décence. Ou quand l’entertainment terrasse le réalisme rap. Une telle débauche pourrait être irrespirable, mais la concision du projet – 11 titres seulement – achève sa réussite. Finalement, le plus gros mensonge de Rick Ross a lieu quand il prévient, d’entrée, qu’il n’est pas une star. Avec Teflon Don, il prouve au contraire qu’il en est bien une, définitivement.

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