Chronique

Tandem
Ceux qui le savent m’écoutent

Première Classe - 2001

Pris sous l’aile de Dontcha depuis longtemps, appréciés par les deux producteurs de Kilomaître, signés sous Première Classe : les deux rappeurs de Tandem ont eu le parcours grandement facilité par les artistes influents qu’ils ont rencontrés. La sortie rapide de Ceux qui le savent m’écoutent, précédée de peu d’apparitions et d’aucun maxi, en est la conséquence directe.

A travers cet EP (une intro et une outro quasi-identiques, sept morceaux, dont deux solos), décidément le format à la mode ces temps-ci, Mac Tyer et Mac Kregor tentent de confirmer les espoirs qu’ils ont parfois suscité par le passé (Phonographe, Mission suicide). Ils se démarquent en tous cas par l’exclusivité de leur présence : si DJ Poska, Eben et Tecknik viennent compléter, d’une instru chacun, la production confiée à DJ Maître et Tefa, la tentation d’inviter un poids lourd du emceeing a été repoussée.

Mais si c’est effectivement seuls qu’ils officient, leurs phrasés évoquent autrement plus de monde. Mac Tyer rappelle Dontcha, dans une version plus énervée ; son flow se laisse cerner rapidement, bien plus fin et vif que celui de son acolyte. Parvenant à introduire une musicalité dans des phrases dénuées de rimes, il exploite absolument tous les phonèmes cachés de son texte. Mac Kregor, quant à lui, ressemble à un Eben qu’on aurait doté du rythme haché de Calbo. Il se démarque par une prononciation très détachée, jusqu’à une sur-articulation surprenante de certaines syllabes. Moins habile que son comparse, il ne démérite cependant pas et le complète honorablement. Dans l’ensemble, leurs voix, épurées au maximum, sont au service d’un texte surprenant à plusieurs niveaux.

La surprise vient d’abord de la forme, bien moins riche en rime que celle de leurs confrères d’Ärsenik, auxquels on les a trop rapidement assimilés. Tandis que chez Lino et son frère, les sonorités s’imposent parfois au détriment du sens, ici non seulement les assonances sont quasiment absentes – les allitérations (« La colombe est morte, mec, les colons nous l’ont mis. Mille ans de répression nous condamnent à la mort« ) et les contre-assonances moins -, mais les dernières syllabes de chaque mesure ne se répondent pas souvent. Pour autant, leurs textes sont loin de n’être que de la prose scandée, mais l’accent est davantage mis sur la richesse sémantique que sur l’abondance de rimes.

En effet, le vocabulaire utilisé constitue la deuxième surprise. Sans aller jusqu’à l’exercice de style, même si certains passages pourraient le laisser penser (« Ils omirent d’insinuer que nous contribuâmes à la reconstitution d’un patrimoine détruit dans la rage par leurs institutions. Ici, rien n’est poésie, fléau de l’Europe ghettoïsée, je chante l’amertume des colysées« ), les mots choisis détonnent pour des thèmes habituellement abordés de manière plus basique. La comparaison avec La Caution est sur ce point appropriée, mais la ressemblance s’arrête là, leur ambition étant moindre. Et c’est là que se situe à la fois la force et la limite de Tandem.

Loin de prétendre révolutionner quoi que ce soit, les nouveaux espoirs de Première Classe égrènent tranquillement la recette savamment enseignée par les aînés, à savoir des textes fatalistes (« Après tout, je ne vois rien de bon du bout de la longue vue. Aujourd’hui, je rêve d’une mort douce plus que d’une longue vie« , « Tout m’est enviable dans cet environnement où tout est nocif, où tout est possible, où ta vie ne tient qu’à un fil et se négocie », « Imagine un oeil pour accueillir les pleurs, un cœur pour assumer l’effort, avoir une cellule pour demeure« ) sur des instrus mélancoliques. Coup de bol, le résultat est convaincant par à coups. ‘Imagine’ et ‘Les maux’, morceaux casse-gueule au concept mille fois usé (« Hardcore » d’Idéal J ou « Faut de tout pour faire un monde » de Sniper) consistant en l’énumération de faits révoltants, en sont la meilleure preuve. Un extrait de Matrix, dans lequel Lawrence Fishburne décrit ce qu’est la matrice, introduit de manière inédite le premier, tandis que le second est conclu par la mythique monologue final de Kevin Spacey dans Seven. Les propos, justes et touchants, sortent du lot grâce à une formulation inédite et personnelle : « Te rappelles-tu négro, ces chaudes soirées de décembre où l’impudeur n’a plus de dettes chez ces ecclésiastes friands de mineurs où le problème majeur ne fut plus toutes ces jambes de mômes arrachées par des mines« , « J’crois qu’c’est un sale temps pour un coup de foutre ; à défaut d’assumer ta paternité, tu condamnes ta compagne à l’IVG« , « Imagine avoir l’antigang sur le dos, les gang-bang sur ados, un gang dingue sur un gars, avoir subi trop de ragots« .

La dernière partie de cette phrase attire d’ailleurs l’attention sur l’importance archaïque que Tandem donne aux médisances et aux calomnies : honneur d’antan ressuscité ? Cette piste se confirme au vu de phrases telles que : « Imagine la vie d’un malchanceux, qui, malgré ça, chancelle… En selle, chevalier, car chômer n’est pas mieux » ou « Je m’évertue à faire des vers de tuerie, mais ça m’ennuie que la tirade soit la déprime d’un jeune premier« . Le ton héroïque et tragique surgit parfois aussi à travers des références aux cataclysmes (« déluges », « pluies ténébreuses », « tonnerres ») ou à l’Antiquité (« Panthéon », « colysée »). Reprenant le style chevaleresque du morceau de

L’orientation des morceaux est effectivement conditionnée par les productions de Masta et Tefa : l’énorme déception survient de la platitude de leur inspiration. A la limite du plagiat, on reconnaît immédiatement les instrumentales de « Tueurs nés » (Première Classe 2), « Meilleurs vœux 2 » (Mission suicide) et « Rédemption » (Les rivières pourpres), respectivement reprises dans « Ghetto Jet Set », « Imagine » et « Mémoire d’un jeune con ». L’innovation n’est donc pas présente, les chansons les plus calmes étant moins gênantes car laissant plus de place aux rappeurs. ‘Le chant de l’amertume’, composée d’une boucle de guitare très simple, accompagnée de violons au refrain, ou ‘Les maux’, piano discret et beat lourd, affichent clairement cette optique. En fait, dès que la musique s’emballe (‘Ceux qui le savent m’écoutent’, ‘Ghetto Jet Set’), elle brouille le travail de Mac Tyer et Mac Kregor, et gâche par la même occasion le seul intérêt de l’EP.

Il est sûr que la formule développée par le groupe est tout sauf originale. Les amateurs de rap exigeant, hardcore ou engagé peuvent passer leur route sans hésiter plus longtemps :

Cet EP reste un premier essai imparfait, qui plaira peut-être pour l’énergie qu’il contient, plus rarement pour les prouesses textuelles que de nos deux gaillards recèlent. Si la carrière de Tandem se poursuit chez Première Classe, il ne fait nul doute quant au chemin qu’elle prendra. Espérons donc que cet opus sera un échec commercial, que les dirigeants du label rompront le contrat et que le duo s’en ira sous de meilleurs cieux. On peut rêver.

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