Chronique

King Geedorah
Take me to your leader

Big Dada - 2003

Si Operation: Doomsday s’est propagé aussi discrètement qu’il est devenu un classique underground, entre sa sortie et celle de ce Take me to your leader, seule sa réédition comblera quatre années d’un silence inexpliqué. Reparu avec le blase fantasque de King Geedorah chez les anglais de Big Dada, on attendait beaucoup de Daniel Dumile, l’homme au masque de fer qui avait redonné vie aux boucles poussiéreuses. Après que la mode RZA ne se soit estompée…

« Follow the light, the light is your guide »

Quatre années de disette donc, annihilées dès les premières secondes du morceau ouvrant l’album. Boucle aérienne rythmée, rap et texte percutants : MF reprend là où il nous avait laissé avec Operation: Doomsday, en traçant les contours de son nouveau délire. Une fois l’aire de jeu délimitée, les règles sont dictées : « I am controller of Planet X and I’ve invited you here to discuss something that’s very important« . C’est dit, l’ex Zev Love X ne rappe plus sur terre, mais sur la planète X. Celle où s’entretuent Godzilla et King Geedorah, le monstre ailé à trois têtes de la série au gros lézard. Et il lui fallait bien un alter ego à trois têtes pour supporter tant d’alias, d’imagination et de folie. Trois têtes. Trois regards. Trois façons de parvenir. Produire, écrire, rapper.

La trame sonore de Take me to your leader, avant-gardiste quant à sa construction, reste tout à fait ordinaire par rapport aux thèmes futuristes qu’elle accompagne. Doom ressort des samples puisés dans les films japonais de séries B et Z des années soixante (‘The final hour’, ‘No snakes alive’), de la soul classique (‘Anti-Matter’, ‘I wonder’ et ‘Crazy world’ en reprenant Quincy Jones), du jazz (‘Next levels’), et s’applique à poser dessus avec la même classe que sur « Operation: Doomsday ». Le rendu final demeure identique : un mix et une découpe sèche enveloppant à merveille sa voix granuleuse. Et si le King Geedorah donne parfois l’impression de ne guère se soucier de ses instrus, comme sur le néanmoins superbe ‘I wonder’, il ressort toujours quelque chose, une atmosphère captivante, de chacun de ses morceaux.
Côté lyrics, c’est l’omniprésence du cinéma japonais qui éclipse pour un temps ses chers comics. Mais c’est toujours l’univers des monstres, des super héros aux pouvoirs supranaturels qui le fascinent et l’inspirent. Les titres des morceaux et leurs textes tout en métaphores le rappellent à chaque rime. Même les trois instrumentaux que sont ‘Take me to your leader’, ‘One smart nigger’ et ‘Monster zero’ y font référence avec leurs multiples inserts de dialogues.

Au milieu de tout ce fatras, pour ne pas risquer de se voir esseulé, Doom s’est assuré le soutien de ses proches. D’illustres inconnus (à l’instar d’Operation: Doomsday) comme Gigan, Stahhr, Jet-Jaguar (MF Grimm), Rodan, Fantastik, Hassan Chop et Lil’Sci plus ID 4 Winds de Scienz of life. Sans être extraordinaires, leurs prestations sont dans le ton que Doom a donné à son disque, et semblent bien les seuls à pouvoir le suivre dans ses délires spatiaux… On en retrouvera d’ailleurs la plupart au sein du collectif Monsta Island Czars pour l’album « Escape From Monsta Island! ».

Épaulé sur cinq des treize titres, sans compter les trois instrumentaux et les nombreux skits et extraits de films, on peut toutefois regretter de ne pas entendre davantage King Geedorah seul au micro sur les quarante minutes de l’album. Une bien curieuse retenue après quatre années d’aphonie…

Mais ces quatre années, dont le seul Daniel Dumile détient encore les raisons, ont sans doute été mises à profit pour l’élaboration d’un plan ne laissant rien au hasard. Les derniers mots de l’album (« We are prepared therefore to conquer the earth« ) et la frénésie avec laquelle il va s’évertuer à enchaîner les sorties le prouvent bien. Take me to your leader est un véritable point de départ. Un monolithe posé sur la face nord déserte de la planète X. Et le roi Geedorah a beau avoir trois têtes, comme nous il ne pourra suivre la déferlante qui va s’abattre. Multipliant albums, tapes, sides projects et collaborations en tous genres, Doom va rapidement s’imposer en maître sur l’underground. A son sommet, les bras levés, le visage dissimulé par son masque et le contre-jour d’un soleil éclatant, il peut bien nous demander de le conduire à notre leader, il sait bien qu’aucun adversaire, aussi monstrueux soit-il, ne viendra jamais lui contester ce titre…

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*