Chronique

Suprême NTM
Suprême NTM

Jive / Epic / Sony - 1998

Suprême NTM, « back again. »

Si Paris sous les bombes est un album chargé en nitroglycérine, il prenait une dimension encore plus incandescente sur scène. Mais plus qu’aucun autre, c’est le concert du 14 juillet 1995 à la Seyne-sur-Mer, qui aura marqué les esprits. Au-delà de l’intensité du moment, Joey Starr y avait gueulé son amour infini pour la police nationale. Avec une telle conviction qu’il écopa de six mois de prison – dont trois en sursis – et une interdiction de tourner pendant six mois. Polémique, exposition médiatique inédite et pressions ont suivi. Le jugement en appel réduira la peine. Mais cette affaire, associée à la montée en puissance du rap, a renforcé un peu plus le statut de NTM. En leur conférant, ironiquement, un statut de…. rock star. Pour le meilleur et pour le pire.

Ce quatrième album éponyme sort dans ce contexte agité. Entre exposition inédite et odeur de soufre. Sombre, dur et désabusé, il se veut le miroir de ces années. Une époque marquée, notamment, par la montée du Front national (« l’odeur étrange qui émane du côté d’Orange« ), les lois Debré, les procès à rallonge autour de l’affaire du sang contaminé et un « retour en force de l’ordre moral. » L’arc-en-ciel post-Coupe du monde n’est alors qu’un fantasme inavoué et le duo digère à peine le verdict du procès. En conservant le CSA dans le viseur : « Prêts à foutre le souk et tout le monde est cor-da, nique le CSA. »

L’urgence transpirant déjà régulièrement de Paris sous les bombes a franchi un nouveau seuil. Et cet opus traduit cette réalité.

« Faut pas que ça traine, parce qu’on n’a plus le temps pour ça. »

La rage manifeste de « On est encore là » ou « Odeurs de soufre » côtoie une forme de résolution, une certaine fragilité jamais dévoilée. « C’est fini le temps où tu pouvais tout contrôler« . À l’image de « Pose ton gun », « Laisse pas traîner ton fils » ou « That’s my People », ce quatrième album sonne la fin de l’insouciance. Et dévoile les angoisses à venir et cicatrices du passé : « Mon père n’était pas chanteur, il aimait les sales rengaines. Surtout celles qui vous tapent comme un grand coup de surin en pleine poitrine. » Ces touches mélancoliques récurrentes sont particulièrement fortes sur « That’s my People ». Le titre symbole, entre dépression de temps de crise et dernier geste solidaire d’un navire sur le point de couler.

« Sache que ce à quoi j’aspire, c’est que les miens respirent. »

Si quelques morceaux plus légers viennent faire respirer l’album – « Ma Benz » et « Respire » notamment -, ils contribuent plutôt à en plomber la qualité. Plus qu’aucun autre, le dernier-né s’avère inégal, et le franchement anecdotique côtoie le plus abouti. Porté par « That’s my People », « Laisse pas traîner ton fils » et « Seine-Saint-Denis Style », il s’inscrit dans une lignée, facilitée par quelques clins d’œil au passé, de l’introduction policière aux références explicites (« Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? Juste d’être un peu plus nombreux. »)

Album sans nom, ce nouveau long format est également marqué par une production plus épurée, aux BPM ralentis. Les violons de « Laisse pas traîner ton fils » ou les quelques touches de piano de « That’s my People » font écho aux standards imposés par Mobb Deep depuis The Infamous. Réalisé par une large brochette de producteurs (DJ Spank, Madizm, Sully Sefil, LG Experience, Sulee B Wax) ce dernier effort n’a pas la cohérence de ces prédécesseurs. Il apparaît plutôt comme une succession de touches et d’influences distinctes.

Reconnu comme un incontournable de la scène rap française, le Suprême y continue de clamer son obsession pour l’authenticité. Et ces valeurs du Hip-Hop, sérieusement mises à mal, notamment par l’explosion du rap en France et le rôle majeur joué par Skyrock. Skyrock, acteur quasi-incontournable des grands succès commerciaux de la machine rap, méprisé par le groupe, mais aussi diffuseur massif de ses singles. Authenticité, commémoration constante du 93 et éternelles célébrations du collectif, des plus anciens (P.S.Y.K.O., Papalu) aux nouveaux arrivants (« Lunatic, Casey et sa clique Busta Flex« ) figurent parmi les thèmes cycliques. Symbole fort de cette empreinte collective, l’album s’achève par un possee cut avec Busta Flex et Mass pour donner le change à Joey Starr et Kool Shen. Une ultime célébration, chargée d’egotrip, et prolongée par les séries de dédicaces finales mettant un terme à l’album. Et à tout un cycle.

À l’image de sa pochette avec son côté pile et son côté face, son côté Shen, son côté Starr, cet album annonce aussi la scission. La création ultérieure des collectifs IV My People et B.O.S.S. ajoutera des balles dans le barillet avant d’appuyer sur la gâchette. Et de marquer une fin. Nique ta mère.

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