Chronique

K.A.A.N.
Subtle Meditation

Redefinition Records - 2018

Jusque-là, K.A.A.N. avait surtout été salué comme l’un des rappeurs les plus rapides de son époque, grâce notamment à un remix ébouriffant de « Rap God » d’Eminem. Quiconque avait jeté une oreille à l’une de ses dix-sept (!) mixtapes sorties depuis 2014 avait néanmoins pu se rendre compte que son talent allait un peu plus loin que le simple fast rhyming. Mais il manquait quelque chose au résident de Howard County, Maryland, pour être vu comme un artiste complet et ne plus uniquement être cantonné au rôle de phénomène de foire. Un peu de soin accordé à la structuration des morceaux, de la rigueur, de l’adresse dans le choix des instrus… Autant de petits manques que K.A.A.N. est parvenu à combler sur Subtle Meditation, premier album studio et franche réussite.

Né au début des années 1990, K.A.A.N. a la malchance de grandir dans un trailer park, mais ses parents sont des gens de goût : ils élèvent ainsi le jeune Brandon Perry au son des albums de Tupac, Biggie ou Nas. Des premiers contacts avec la musique visiblement déterminants : malgré son jeune âge, K.A.A.N. privilégie aujourd’hui les instrus plutôt orientés son new-yorkais des nineties. Deux grands noms de cette époque se retrouvent même aux crédits de Subtle Meditation : The 45 King, qui a bossé – entre autres – avec Jay-Z, Eminem ou Gang Starr et le légendaire K-Def (Lords of the Underground, Real Live, LL Cool J, etc.). Mais c’est Smuff the Quizz, beatmaker ukrainien complètement inconnu, qui signe la majorité des productions.

Et il s’en tire plutôt bien : malgré un passage plus sombre (« The Dark » puis « Deep Blue Sea »), c’est une atmosphère musicale plutôt tranquille et mélancolique qui est plantée, ce qui convient parfaitement à l’écriture très introspective de K.A.A.N. Celui-ci n’est pas à proprement parler un gai luron : « Feel like a junkie coming down from a fix/Feel like I shot my last shot but I was off by an inch/I’m tryin’ to turn all of my losses to immaculate wins/Just take it back to when a nigga began/ I just can’t, the thrill is gone » (« The Thrill Is Gone »). Si son mal-être apparaît comme le sujet de prédilection, le rappeur s’autorise également quelques réflexions politiques et de belles charges d’egotrip, qui révèlent une écriture riche et référencée (« Shoot Me Down », « The Dark », « 1492 Conquest of Paradise »), un aspect de son art qui jusque-là était passé un peu inaperçu.

« K.A.A.N. a enfin sorti un projet à la hauteur de son immense talent et devrait donc pouvoir s’échapper des cases trop exiguës (…) dans lesquelles d’aucuns l’avaient placé.  »

À force d’être dans la « surtechnicité », K.A.A.N. avait en effet fini à la fois par banaliser l’exploit et par faire passer au second plan ses qualités d’écriture. Ici, les accélérations sont plus rares et n’en sont que davantage impressionnantes (« 1492 Conquest of Paradise », « Shoot Me Down ») et le débit sait se faire plus lent quand le texte l’exige. K.A.A.N., qui comme à son habitude n’a invité personne à l’épauler au micro, assure aussi quelques refrains chantonnés (« Revolving Doors », « Progression », « The Jungle Book »).

Cerise sur le gâteau, Damu the Fudgemunk, dont le label Redefinition Records a sorti Subtle Meditation, est passé en bout de chaîne pour placer des scratches sur les morceaux. Et comme le gars connaît un peu son affaire, son travail derrière les platines rend excellent un album qui était déjà très bon. Au final, il n’y a pas grand chose à jeter sur Subtle Meditation. K.A.A.N. a enfin sorti un projet à la hauteur de son immense talent et devrait donc pouvoir s’échapper des cases trop exiguës de rappeur-mitraillette ou de rappeur-maçon dans lesquelles d’aucuns l’avaient placé. C’est tout le mal qu’on lui souhaite, et à nous aussi par la même occasion.

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