Chronique

Stones Throw 101

Stones Throw Records - 2004

1996. Un maxi trois titres intitulé My world premiere réunissant le rappeur Charizma, brutalement assassiné trois ans plus tôt, et le DJ/Producteur Peanut Butter Wolf entrevoit la lumière des bacs à disques des magasins spécialisés. Cette sortie confidentielle pose la première pierre du label Stones Throw fraîchement monté par Peanut Butter Wolf, alors principalement connu pour ses sorties instrumentales (notamment Peanut Butter Breaks, ‘The Chronicles (I will always love h.e.r.) – hommage au « I used to love h.e.r » de Common Sense – sur l’historique Return of the DJ, véritable point de départ du mouvement turntablist) et sa compilation avec plusieurs MC de la Bay Area Step on our egos ?. Huit années se sont écoulées depuis My World Premiere et non seulement Stones Throw a réussi à perdurer – ce qui compte tenu de l’extrême précarité inhérente aux indépendants constitue déjà en soi une forme de réussite – mais il a pris une toute autre dimension, s’affirmant rapidement et durablement comme un label de référence. Très orienté au départ sur des disques de breaks et instrumentaux, le label californien a évolué pour ressortir progressivement plusieurs perles oubliées de Funk et de Soul tout en confectionnant patiemment des albums de rap inventifs et souvent excentriques.

Novembre 2004. Un maxi vinyle huit titres, pressé à 1000 exemplaires et réunissant notamment Madlib, Percee P et Medaphoar réussit à rendre insomniaques les collectionneurs les plus irréductibles. Sobrement intitulé Stones Throw 100, il célèbre la centième sortie d’un label qui a justement su ne pas céder à cette désagréable tendance de la surproduction maladive, préférant peaufiner ses œuvres tel un artisan consciencieux. Après ce savoureux mais inaccessible gâteau d’anniversaire, le loup au beurre de cacahuètes extrait de sa tanière un somptueux livret de famille, composé d’un étonnant combo CD/DVD nommé Stones Throw 101. L’occasion de (re)découvrir l’univers graphique et sonore, à la fois riche et déjanté, déployé par le label depuis 1996.

On se délecte ainsi des quinze clips figurant sur le DVD, passant du jouissif ‘All caps’ (Madvillain), composé d’une succession de planches de comics inspirées par les années 60 soigneusement animées par James Reitano (TFU Studios), à ‘Come on feet’ et ‘Good morning sunshine’, mises en scènes particulièrement enfumées de l’improbable Quasimoto. De ‘Whenimondamic’, (avec DJ Romes et Wildchild) à ‘Mc Nasty Filth’, (avec Jay Dee) ou ‘Rhinestone cowboy’ (avec MF Doom), le loopdigga Madlib est sans surprise omniprésent, et tout aussi désaxé que Gary Wilson, autre schizophrène masqué, ressuscité par PB Wolf via plusieurs rééditions (dont l’inclassable Mary had brown hair). En plus de cette longue et belle série de clips, cette cent et unième sortie comporte plusieurs heureuses surprises, notamment des extraits de concerts, interviews et anecdotes qui ne manqueront pas de satisfaire la curiosité du back packer averti.

En complément de cette profusion d’images, Stones Throw 101 comporte un second disque, une sélection de 42 morceaux estampillés Stones Throw et soigneusement mixée par la force tranquille PB Wolf. Forcément non-exhaustif et donc potentiellement discutable, ce savoureux medley oscille entre morceaux instrumentaux (‘Bunky’s pick’ (Cut Chemist)), rééditions de Funk et Soul menées par le crate digger ultime Eothen « Egon » Allapat (‘Dreams/Comrades’ (Stark Reality), ‘Parallel Worlds’ (Joe McDuphrey Experience, membre du quintet fantôme YNQ)) et une avalanche de rimes extraites de l’imagination, fertile, des différents MCs du label et invités ponctuels. Débutée (tout un symbole) par Charizma, cette mosaïque sonore fait la part belle au producteur/MC aux multiples alias et projets fumeux Madlib, sans oublier pour autant Percee P (‘Untitled’), MED (‘Bang ya head’, ‘Listen to this’), Oh No (‘I’m here’, ‘Green tree’) ou Declaime (‘Falling’).

Déjà particulièrement jouissive, cette sélection est agrémentée de plusieurs extraits de l’inaccessible Stones Throw 100, auparavant inédits, donnant à l’ensemble une nouvelle valeur ajoutée. Parmi ces quelques nouveautés, impossible de ne pas extraire du lot le surpuissant remix de ‘Figaro’, sorti des poches sans fonds de Madlib. Brutal et ensorcelant, MF Doom y débite ses versets tel un grand prédicateur venu clamer la vérité. Autre extrait de cette centième sortie, l’étrange ‘Chippin’ annonçant The further adventures of Lord Quas, où Quasimoto devrait, une nouvelle fois, ronger la cervelle des B-Boys envoûtés par les boucles hypnotiques de Madlib. Après une telle profusion de pépites sonores, il nous faut admettre l’évidence : le soleil se lève à l’ouest.

Parfaitement indispensable pour le collectionneur accroc aux sorties du label californien, cette cent et unième sortie constitue également une excellente opportunité pour les curieux non-initiés, désireux de pénétrer au cœur de cet univers non-balisé. En attendant les sorties annoncées de Perseverance premier album de Percee P, Push comes to shove de MED et le successeur de The Unseen, Stones Throw 101 soulève une question existentielle : Stones Throw est-il à l’heure actuelle le meilleur label de rap ?

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