Classique

Gang Starr
Step in the Arena

Chrysalis Records - 1991

Bienvenue dans 50’34 de perfection : Step in the Arena ou le faux premier album de Gang Starr. Chronologiquement précédé de No More, Mr. Nice Guy (suscitant un étiquetage « rap jazzy » dont le groupe aura du mal à se défaire) mais, artistiquement, le disque qui marque la véritable naissance du tandem. Le duo favorisera en tout cas cette représentation : en ouvrant la pochette de « Hard to Earn », on remarque que l’album de 1989 s’est volatilisé… « First album took us two weeks, since then we have been plannin’ an exclusive attraction, conducive to your satisfaction… ». Pour marquer le coup et affirmer son identité, comme The Guru l’explique dans le manifeste final ‘The Meaning of the Name’, le groupe se dote d’un petit logo qui va bien : « The chain and the star is a symbol of this form of intellect« . Avec ce morceau rentre-dedans, le groupe remet les pendules à l’heure : pas du rap jazzy mollasson (DJ Premier tape d’ailleurs majoritairement ici dans la soul et la funk), mais une nonchalance qui contraste avec les tendances new-yorkaises du moment. Ni la complexité du jeu des voix et des arrangements de Public Enemy et du Bomb Squad, ni délire ludique mis en scène par Prince Paul et De La Soul, ni le minimalisme abrasif à la KRS One. Le rap dans toute sa force : beat, basses, samples, scratches. Le rap chimiquement pur.

Les trentenaires avoueront volontiers une petite faiblesse pour cet album, avec le souvenir de la découverte du single ‘Just to Get a Rep’ (merci Rapline) ; ils ignorent alors le nom de Jean-Jacques Perrey, compositeur français dont est tirée la boucle centrale. Car l’essentiel est là : Step in the Arena propulse DJ Premier avant qu’il devienne Primo. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Chris Martin ne se contente pas de faire la secrétaire de Guru, assailli par les nanas, sur ‘What you Want this Time ?’. Naissance d’une formule faussement simple, mais indémodable et inimitable. Le génie au travail. Non seulement ses beats, ses basses et ses samples sonnent d’une manière singulière, même quand il pioche dans un répertoire connu de tous, mais il a tout le reste, sans esbroufe : une curiosité qui en fait un crate-digger accompli, un sens diabolique de la découpe des boucles, du placement de breaks et de l’exécution des scratchs… Avec ici des pistes qu’il empruntera relativement peu par la suite : plusieurs ambiances laid back idéales pour accompagner le storytelling du rappeur.

‘Form of Intellect’ est exemplaire de cette fausse simplicité qui cache une grande précision. Une boucle de Maceo Parker & All the King’s Men (‘Better Half’) prête à être cueillie et peaufinée par une oreille fine, un petit jeu au sein des couplets à partir d’un riff de guitare à la teinte blues, trois cuts différents (KRS-One, Lord Finesse et Divine Force) par-dessus, et le tour est joué – mais quel tour. Pareil pour le grandiose ‘Check the Technique’ : la façon dont Premier fait jouer en alternance la boucle de cuivre du ‘California soul’ de Marlena Shaw dans le premier couplet est splendide ; pour le deuxième, il place un éclat de cuivre sur le kick, arrête, reprend en fin de couplet avant le refrain… Parfait. Parfois Premier se contente d’un seul sample : James Brown sur ‘What you Want this Time ?’, Billy Cobham sur ‘Street Ministry’ pour un couplet unique de Guru. Parfois ça se complique et les échantillons s’empilent : ‘Take a Rest’, six samples et que des grands noms (ESG, Marvin Gaye, Kool & the Gang, Curtis Mayfield, The Meters, Sugarhill Gang), sans compter le scratch de la voix (encore lui) de KRS One.

Les scratches, justement, sont sublimes, et font partie intégrante de la texture sonore. Avec un feeling aussi imparable que sa technique tranchante, Premier rend hommage aux fondateurs (scratchant ‘Rapper’s Delight’ de Sugarhill Gang), mêle les voix de Kool Keith et Biz Markie sur ‘Here today, Gone tomorrow’, scratche s’il le faut une sonnerie de téléphone (‘Love Sick’)… L’un des atouts les plus précieux de Gang Starr crève alors les tympans : l’excellence de la transition couplet-refrain. La fraction de seconde qui sépare le moment où la voix de Guru s’arrête et celui où les mains de Primo parlent, prenant presque immédiatement le relais, fout des frissons.

Pour sa part, Guru n’a pas encore atteint sa maturité technique, mais chez lui aussi (toutes proportions gardées) la simplicité est de façade. Alliées à une voix singulière qui le fait sortir du lot d’emblée, son aisance naturelle et sa nonchalance calculée s’accordent en tout cas parfaitement à l’univers musical. On sent déjà les meilleures références dans la métrique (sa façon de couper certaines phrases en deux à la manière de Big Daddy Kane), et le Bostonien fait état d’une palette tout à fait honorable, sachant rapper tantôt avec lenteur et fluidité et tantôt mettre un coup d’accélérateur dans le rythme et de nervosité dans la voix. Il signe aussi quelques uns de ses meilleurs textes, avec déjà le mélange entre egotrip, storytelling et conscience sociale, y compris dans le même morceau (‘Who’s Gonna Take the Weight’, ‘Beyond Comprehension’…). Aucun moment de lassitude, malgré l’absence d’invités ; absence heureuse ici car elle renforce la cohérence de l’album.

Bref, inutile de dire qu’une telle complémentarité fait merveille, et que ce n’est pas par hasard que Gang Starr personnifie le duo rap par excellence. Ce qui fait de Step  the Arena un sommet du genre tient à cette osmose, mais aussi à tous ces petites détails (ici details matter, indéniablement) qui sont la marque des disques soignés : le break de batterie au tiers du deuxième couplet de ‘Step in the Arena’ qui stoppe le sample de cuivre pendant quelques mesures, les notes de piano qui déboulent dans l’oreille gauche en milieu du premier couplet sur ‘Execution of a Chump’ et l’enchaînement de breaks scratchés qui suivent, le scratch dément qui débute ‘As I Read my S-A’ et les cuivres claironnants qui le terminent, le riff qui ponctue ‘Take a rest’ après l’alternance de la sirène et de la basse…

« New heights and new realms have been reached by use of my speech along with one of Premier’s beats. » Il y a des moments dans le rap où la frime s’impose.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*